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2- MATERIELS ET METHODES

2.2 Espèces étudiées

2.2.2 Le genre Eudyptes

propulsion sous-marine par l’utilisation d’ailes transformées en palettes natatoires rigides (les ailerons), associée à un renforcement des muscles pectoraux et des adaptations physiologiques remarquables à la plongée (forte concentration en myoglobine, bradycardie, hypothermie). Originaires du centre du paléo-continent Gondwana, les manchots ne sont présents que dans l’hémisphère sud et regroupent des espèces dont la taille varie de 41 à 110 cm de hauteur et la masse de 1 à 40 kg environ pour le manchot pygmée (Eudyptula minor) et le manchot empereur (Aptenodytes forsteri). Malgré des adaptations morphologiques similaires, les manchots montrent une grande hétérogénéité au niveau de leur écologie et de leur comportement (Croxall & Davis 1999). Ils se nourrissent exclusivement en mer, et leurs sites de reproduction se situent sur les littoraux insulaires ou continentaux reculés, compte tenu de leur vulnérabilité à terre où ils se reproduisent et muent. Les deux sexes se relaient sur le nid et produisent généralement deux œufs (un seul chez le genre Aptenodytes), incubés en milieux herbeux et rocheux (Megadyptes, Eudyptes, Pygoscelis), dans des terriers (Spheniscus et Eudyptula) ou directement sur leurs pattes (Aptenodytes). Les manchots présentent enfin des adaptations remarquables à des régimes climatiques extrêmes, telles qu’un plumage dense très isolant, des tissus adipeux épais, et un système vasculaire limitant l’endothermie seulement au tronc (Groscolas & Clement 1976).

2.2.2 Le genre Eudyptes

Ce genre se serait séparé de l’ancêtre commun (le Manchot Antipode) il y a environ 15 MA, et se serait diversifié vers 8 MA (Baker et al. 2006). Il est aujourd’hui le genre le plus riche en espèces parmi les Sphéniscidés, avec 6 à 8 espèces selon les auteurs, et ce malgré qu’une espèce de ce genre se soit éteinte sur les îles Chatham (Nouvelle-Zélande) au 19e siècle (Gill & Martinson 1991). D’aspect surprenant, les

Eudyptes rassemblent les manchots à crêtes, présentant de longues plumes modifiées jaunes, fines et plus ou moins longues au-dessus des yeux. Ces manchots de taille moyenne sont plus communément appelés gorfous (du Scandinave "Goirfulg" désignant le grand pingouin Alca impennis aujourd’hui éteint). Parmi ces Eudyptes on trouve notamment l’espèce de manchot la plus abondante (le gorfou macaroni), et aussi le manchot le plus répandu géographiquement (le gorfou sauteur sensu lato) (Warham 1975, Williams 1995, Brooke 2004). Présents principalement sur les îles océaniques, depuis la zone subtropicale jusqu’aux abords de la zone Antarctique (38°S à 62°S), les gorfous sont distribués de manière quasi-circumpolaire, bien qu’absents du secteur central du Pacifique où aucune île n’existe à des latitudes adéquates (Figure 7). C’est donc surtout dans les océans Atlantique et Indien sud que ces oiseaux coloniaux se reproduisent. Sur les sites de reproduction, les gorfous sont régulièrement trouvés en sympatrie, notamment sur les îles de Nouvelle-Zélande. Il est à noter qu’on trouvera alors toujours le gorfou sauteur sensu lato associé à une espèce plus grande. Les colonies peuvent rassembler jusqu’à plusieurs centaines de milliers, voire plusieurs millions de couples, nichant à faible hauteur au-dessus du niveau de la mer (jusqu’à 150 m) mais parfois assez loin à l’intérieur des terres.

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Figure 7. Distribution globale des espèces actuelles du genre Eudyptes (noms français : Macaroni penguin : gorfou macaroni, Southern rockhopper penguin : gorfou sauteur subantarctique du sud, Northern rockhopper penguin : gorfou sauteur subtropical, Eastern rockhopper penguin : gorfou sauteur subantarctique de l’est, Fiordland penguin : gorfou de Nouvelle-Zélande, Snares penguin : gorfou des îles Snares, Erect-crested penguin : gorfou de Sclater, Royal penguin : gorfou de Schlegel)

La biologie de ces animaux est particulièrement intéressante (cf. Warham 1975). À classe d’âge égale, le mâle est toujours plus gros que la femelle, ce qui est notamment mesurable à tout moment du cycle au niveau des dimensions du bec (jusqu’à 53% plus large chez le mâle de gorfou des Snares E.

robustus, Warham 1975). Le mâle est également plus agressif envers ses congénères sur la colonie. La maturité sexuelle est atteinte tardivement, probablement pas avant l’âge de 5 ans (Williams 1995). Puis, dès que l’âge de maturité est atteint et qu’un partenaire est disponible, ces animaux se reproduisent annuellement, en conservant généralement leur partenaire ainsi que leur site de nidification d’une année à la suivante. La ponte est constituée de deux œufs dissemblables, le premier étant 17–44% plus petit, fait unique chez les oiseaux. Le premier œuf est rapidement perdu, et un seul poussin est généralement élevé, issu du deuxième œuf. Les deux parents sont en charge de l’élevage, avec plusieurs périodes de jeûne d’une durée étonnante (plusieurs dizaines de jours) pour celui des parents qui reste au nid, tandis que l’autre part en mer se ravitailler en vue de nourrir le poussin. Les poussins sont gardés durant environ trois semaines par le mâle, avant de quitter le nid et de se regrouper en crèches, laissant ainsi les deux parents libres d’aller en mer pour ramener leur bol alimentaire. Durant cette période les poussins présentent un taux de croissance élevé, et gagnent finalement la mer. Les deux parents entament dès lors une période d’hyper-phagie en mer, avant de devoir revenir à terre pour muer. Ils sont alors contraints de jeûner, perdant une masse corporelle considérable en attendant que la pousse d’un nouveau plumage leur permette finalement de déserter les colonies pour prendre le large, où ils resteront sans être revus sur les colonies jusqu’à la période de reproduction suivante.

Dans cette étude nous nous sommes concentrés sur les espèces suivantes : le gorfou macaroni E.

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2.2.2.1 Le gorfou macaroni E. chrysolophus

Les traits d’histoire de vie principaux de cette espèce sont rassemblés dans le Tableau 1 et également décrits dans l’Encadré 1 ci-après. Il s’agit de l’espèce de Manchot la plus abondante au monde, avec 9 millions de couples reproducteurs estimés (BirdLife International 2009). Elle se reproduit sur au moins 216 colonies de 50 sites Woehler (1993), dont très localement sur la Péninsule Antarctique : de ce fait, elle est considérée comme l’espèce ayant l’aire de répartition la plus australe parmi les Eudyptes, bien que cette aire recoupe largement celle d’autres espèces de gorfous. Typiquement subantarctique, sa distribution quasi-circumpolaire est largement interrompue dans le Pacifique Sud : sur l’île Macquarie, une des seules îles subantarctiques dans cette région océanique, le gorfou macaroni se trouve remplacé par une espèce extrêmement proche, le gorfou de Schlegel E. schlegeli (autrefois considérée comme une sous-espèce de E. chrysolophus). Les populations principales de gorfous macaroni sont celles de la Géorgie du Sud (environ 2.5 millions de couples), Kerguelen (1.8 millions de couples, Figure 8), l’Île des Pingouins (archipel de Crozet), Heard & McDonald (environ 1 million de couples sur chacune) (Jouventin et al. 1984, Ellis et al. (1998). Au cours des dernières décennies les effectifs sur ces colonies semblent toutefois chuter (Reid & Croxall 2001, Crawford et al. 2009).

Le gorfou macaroni est le principal consommateur avien de ressources marines au niveau mondial : 9.2 millions de tonnes consommées annuellement, sur un total de 69.8 millions de tonnes pour l’ensemble des oiseaux marins, soit 13.2% pour cette espèce seule. Son régime alimentaire a été largement étudié, sur plusieurs sites contrastés au sein de son aire de répartition (Croxall & Prince 1980, Brown & Klages 1987, Klages et al. 1989, Ridoux 1994, Cherel et al. 2007, Deagle et al. 2007, 2008). C’est un spécialiste de petites proies pélagiques : dans l’Océan Indien austral il consomme principalement des crustacés tels que les euphausiacés Euphausia vallentini et Thysanoessa macrura et des amphipodes dont

Themisto gaudichaudii, mais également des poissons myctophidés (principalement Krefftichthys anderssoni, et aussi Protomyctophum sp.) (Klages et al. 1989, Deagle et al. 2007, 2008).

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> Encadré 1 : le point sur… > Le Gorfou macaroni

Fiche rédigée dans le cadre du projet ANR Grand Sud et consultable sur :

http://za-antarctique.univ-rennes1.fr/grandsud/ficheespece.php?espece=16 Gorfou macaroni (FR) – Macaroni penguin (GB)

Synonyme : Gorfou doré

Famille : Spheniscidés (Manchots) Genre Espèce : Eudyptes chrysolophus (Brandt 1837)

Description Le gorfou macaroni est la seconde espèce la plus grande parmi les gorfous (manchots crêtés), avec une taille de 70 cm pour une masse de 3.1 à 6.6 kg. Son plumage est blanc sur le ventre et noir sur le dos, avec une touffe de plumes dorées caractéristiques tombant de chaque côté de la tête (les "aigrettes"), qui sont jointes sur le front. Les pattes sont roses, et les yeux et le bec sont rouges. Le dessous des ailerons est blanc, avec une bordure noire d’étendue variable. Les deux sexes se ressemblent, le mâle étant toutefois un peu plus gros avec un bec plus fort. Les poussins sont uniformément brun-gris sur le dos, blanc sur le ventre, le bec et les yeux noirs, et les pattes grises. Avant l’émancipation, les jeunes sont globalement plus petits, avec les aigrettes absentes ou très éparses, le bec moins fort et moins coloré, et la face plus grise. Comme les autres gorfous, il est très bruyant sur les colonies, il braie en trompette, en se cambrant, secouant la tête et les ailerons. Le gorfou macaroni est le manchot le plus abondant au monde, avec 11.64 millions de couples reproducteurs estimés en 1992. Les espèces proches sont le gorfou de Schlegel (E. schlegeli), qui ressemble beaucoup au gorfou macaroni, mais avec la face blanche, et le gorfou sauteur (E. chrysocome), plus petit, avec les aigrettes jaune vif et

non-jointives sur le front. Gorfou macaroni – Kerguelen (JB. Thiebot)

Distribution

Le gorfou macaroni est une espèce typiquement subantarctique, qui se reproduit majoritairement sur les îles australes, entre les latitudes 44°S et 65°S. S ur cette carte apparaissent en rouge les zones où on le trouve en mer, et en vert les zones de nidification, telles que les îles de Géorgie du Sud dans l’Océan Atlantique Sud, et les îles Crozet et Kerguelen dans l’Océan Indien Sud, et également la Péninsule Antarctique. Une espèce très similaire, le gorfou de Schlegel, occupe la même niche écologique dans le Sud du Pacifique.

Le gorfou macaroni niche en colonies denses, sur les côtes exposées du littoral, dans des pentes rocheuses parfois enherbées mais souvent raides et dénudées. Même en dehors de la période de reproduction ce manchot reste principalement confiné aux eaux subantarctiques.

Dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises, le gorfou macaroni se reproduit sur les archipels de Crozet et Kerguelen, où ses effectifs atteignent respectivement 3.8 et 1.8 millions de couples.

Biologie Le cycle de reproduction du gorfou macaroni commence fin octobre – début novembre, avec l’arrivée des adultes sur les sites de ponte après un long voyage hivernal de plus de six mois. Les mâles arrivent généralement une dizaine de jours avant les femelles afin de préparer le nid, rudimentaire, qui consiste en une petite dépression creusée dans le sol et entourée de cailloux et de brindilles. Les oiseaux se montrent très synchrones. Deux œufs sont pondus en novembre, le premier n'étant généralement pas viable (rares cas de réussite). La ponte du second œuf se produit 4 à 5 jours après la première. Il n’y a pas de ponte de remplacement. L’incubation du second œuf dure 5 semaines, durant laquelle on peut distinguer trois phases. Durant la première partie, le mâle et la femelle restent au nid et couvent l’œuf tour à tour 2 jours, durant 8 jours. Durant la seconde partie, seule la femelle incube l’œuf pendant que le mâle est parti en mer (12 jours). Enfin, le mâle revient incuber l’œuf à son tour, seul durant 9 jours. La femelle revient alors aux côtés du mâle durant 11 jours, période durant laquelle 85% des éclosions ont lieu. Pendant les 25 jours suivant le retour de la femelle, celle-ci ira chercher de la nourriture tôt le matin, pour nourrir son poussin plus tard dans la journée, tandis que le mâle jeûne. Au bout de 25 jours, le plumage du petit lui permet d’être thermiquement indépendant de ses parents. Dès lors, les deux parents vont aller chercher de la nourriture en mer. Le petit a besoin d'autant plus de nourriture qu'il a déjà grandi. Les jeunes gorfous, laissés seuls, sont alors regroupés en "crèches" et augmentent ainsi leurs chances de survie contre les prédateurs. Le petit mange alors jusqu'à 100 g de nourriture par jour. A l’âge de 11 semaines, le jeune est prêt à prendre la mer, entre fin Février et fin Mars. Il ne reviendra que dans 5 ans si c'est une femelle et que dans 6 ans si c'est un mâle. Dès la fin de l’élevage du poussin, les adultes entament un séjour en mer de 5 semaines afin de reconstituer leurs réserves avant un séjour à terre de 25 jours pour la mue. Enfin, fin avril, les colonies sont désertées et le restent durant tout le long voyage hivernal des oiseaux, avant leur retour fin octobre.

Gorfou macaroni incubant – Crozet (JB Thiebot)

Colonie de Gorfous macaroni – Kerguelen (CA Bost)

Ecologie Le gorfou macaroni est un oiseau marin : il se nourrit en mer et ne revient sur terre que pour procréer. Sa nourriture se compose principalement de petits crustacés (krill, amphipodes) et de petits poissons (myctophidés) qu’il capture en pleine eau, de jour, à des profondeurs de 15 à 70 m, et jusqu'à 100 m. La durée d'une plongée excède rarement 2 minutes. Il peut lui-même être la proie de certains grands prédateurs supérieurs : otaries, orques et occasionnellement léopards de mer. Ses œufs sont également consommés par des oiseaux. Au cours de la saison de reproduction, il est cantonné à un rayon de 400 km autour des colonies pour rechercher ses proies, tandis qu’au cours de la migration hivernale, il peut s’éloigner à plus de 3000 km. A terre, ses capacités de jeûne sont étonnantes. Outre la période de mue (25 jours), les mâles subissent deux périodes de jeûne durant la période de reproduction: 36 jours pour la première (24 jours au moment de l’appariement puis 12 jours en début d’incubation) et 39 jours pour la deuxième, chevauchant l’éclosion. Les femelles, elles, jeûnent une seule fois avant la mue, durant 41 jours (13 jours au moment de l’appariement puis 27 jours au début de l’incubation).

Vulnérabilité Bien que le gorfou macaroni soit l’espèce de manchot aux effectifs les plus élevés, il semble que ses effectifs soient également ceux qui diminuent le plus vite depuis ces dernières années, au niveau global, sans que l’on n’en distingue très bien les causes. Les hypothèses avancées sont une modification de son milieu de vie liée aux changements globaux récents (climat, surpêche) et une dégradation de ses sites de reproduction à terre. Ces bouleversements ont conduit à classer cette espèce au rang d’espèce « vulnérable » au niveau mondial.

Le saviez-vous ? Le nom "macaroni" provient de l’allure conférée à cet oiseau par ses longues plumes plaquées sur le côté de la tête, qui rappelle celle des immigrants Italiens aux Etats-Unis , lesquels portaient le surnom péjoratif de "macaroni".

Sources

TODD, F.S., GENEV OIS, F. 2006. Oiseaux & Mammifères antarctiques et des îles de l'océan austral. Kameleo, Paris, 144 p.

STA HL, J.C., DERENN E, P., JOUV ENTIN, P., MOUGIN, J.L., TEULIER ES, L., WEIMERSKIRCH, H. 1985. Le cycle reproducteur des gorfous de l’archipel Crozet:

Eudyptes chrysolophus, le Gorfou macaroni et Eudyptes chrysocome, le Gorfou sauteur. L’Oiseau et la Revue Française d’Ornithologie, 55, 27–43.

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Tableau 1. Phénologie de la reproduction des espèces de gorfous (g. Eudyptes) étudiées (données de Stahl et al. 1985 à Crozet pour E. chrysolophus et E. filholi, et Deville 2007 à Amsterdam pour E. moseleyi)

Gorfou macaroni E. chrysolophus Gorfou sauteur subantarctique E. filholi Gorfou sauteur subtropical E. moseleyi

Date des premiers retours à terre 9–20 oct. 2–13 nov. Fin jul–déb. aoû.

Date de ponte du 1er œuf 5.9 nov. (± 2.9 j), 2–18 nov.

28.8 nov. (± 1.9 j),

26 nov.–4 déc. Fin aoû.–déb. sep.

Date de ponte du 2nd œuf 10.1 nov. (± 2.9 j), 4–19 nov.

3.3 déc. (± 2.0 j),

29 nov.–8 déc. Fin aoû.–déb. sep.

Intervalle entre les pontes (j) 4.3 ± 1.2, 2–9 4.4 ± 0.9, 2–6 4–5

Date d’éclosion 17.2 déc. (± 1.9 j),

15–21 déc.

6.3 jan. (± 1.9 j),

3–9 jan. Fin sep.

Durée d’incubation (j) 35.5 ± 2.8, 28–39 33.9 ± 1.2, 32–36 30

Date d’émancipation des jeunes 11.1 jan. (± 1.3 j), 8–13 jan.

30.9 jan. (± 1.1 j),

28 jan.–1 fev. Déb. Déc.

Durée de l’élevage (j) 25.1 ± 1.9, 21–28 24.6 ± 2.3, 20–28 65

Date de désertion des colonies Fin avr. Mi-mai Mi-mar.–déb. avr.

2.2.2.2 Les gorfous sauteurs E. filholi et E. moseleyi

Le groupe des gorfous sauteurs est très largement répandu, sur les îles et côtes sub-Antarctiques à tempérées. Ce groupe a depuis longtemps été décrit comme étant complexe au niveau phylogénique, présentant trois sous-espèces (E. c. chrysocome, E. c. filholi and E. c. moseleyi), distinguées sur des critères de taille corporelle, longueur des plumes de crête, patron de couleurs sous l’aileron, couleur de la peau au niveau des commissures du bec, chant, comportement d’approvisionnement et régime alimentaire (Jouventin 1982, Tremblay & Cherel 2003). Récemment, des études génétiques ont suggéré que la sous-espèce subtropicale E. c. moseleyi pouvait être considérée comme une espèce à part (Jouventin et al. 2006, Banks et al. 2006). Pour ces deux autres sous-espèces, des nombres d’échantillons insuffisants n’ont pas permis de trancher définitivement ; toutefois elles sont régulièrement traitées comme deux espèces à part entière (Jouventin et al. 2006, Banks et al. 2006, de Dinechin et al. 2009) et nous ferons de même dans cette étude.

E. filholi, le gorfou sauteur subantarctique "de l’Est", est présent sur les îles de l’Océan Indien austral (Marion, Crozet, Kerguelen, Heard), sur celles voisines de la Nouvelle-Zélande (Campbell, Auckland, Antipodes) et sur une île du Pacifique sud (Macquarie).

E. chrysocome, le gorfou sauteur subantarctique "du Sud", est présent exclusivement sur certaines îles du sud des océans Atlantique et Pacifique (Falklands, région du Cap Horn) et sur les côtes sud de l’Argentine et du Chili.

Enfin, E. moseleyi, le gorfou sauteur "du Nord" ou subtropical, est distribué dans les eaux plus tempérées des îles Tristan da Cunha et Gough dans l’Océan Atlantique, et Amsterdam et Saint-Paul dans l’Océan Indien.

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Seuls ceux de ces animaux se reproduisant sur les îles australes de l’Océan Indien (c’est-à-dire E.

filholi et E. moseleyi) ont fait l’objet de nos travaux.

E. filholi est régulièrement trouvé en sympatrie avec le gorfou macaroni (ainsi qu’avec d’autres espèces de manchots, crêtés ou non). De manière intéressante, le cycle de reproduction de ces deux espèces est légèrement décalé, plus tardif d’environ 3 semaines chez le gorfou sauteur (Stahl et al. 1985, voir Tableau 1). E. moseleyi n’est quant à lui jamais trouvé en sympatrie, avec aucune autre espèce de manchot que ce soit. Son cycle de reproduction varie notablement par rapport à celui de son congénère subantarctique (Tableau 1). L’arrivée des animaux sur les sites de reproduction ainsi que les dates de ponte sont beaucoup plus précoces chez l’espèce subtropicale, d’environ 3 mois. Cette précocité semble liée à la température de l’eau baignant les colonies de gorfous, au niveau global (Warham 1972, Figure 9).

Figure 9. Relation entre la date maximale de ponte chez les gorfous sauteurs et la température moyenne de surface de la mer sur les sites de reproduction (d'après Warham 1972, modifié). Sites de reproduction : T.d.C. : Tristan da Cunha, St.P. Ams. : Saint-Paul et Amsterdam, G. : Gough ; An. : Antipodes ; Ca. : Campbell ; I. : Ildefonso ; F. : Falklands ; M. : Marion/Crozet ; Mac. : Macquarie ; K. : Kerguelen ; H. : Heard. Les vignettes illustrent le gorfou sauteur subtropical (en haut) et le gorfou sauteur subantarctique de l’est (en bas)

D’autre part, le cycle de reproduction de E. moseleyi est plus long que celui de son congénère subantarctique E. filholi, notamment au niveau de l’élevage du poussin. Ceci est probablement lié à la productivité biologique du milieu, moins favorable à une nutrition riche et une croissance rapide du poussin par rapport à la situation subantarctique durant l’été austral (Duroselle & Tollu 1977). Finalement, le gorfou sauteur subtropical déserte les colonies mi-mars, pour un séjour en mer inter-nuptial d’environ 4.5 mois, tandis que l’espèce subantarctique quitte les colonies mi-mai pour passer 6.5 mois en mer.

Pour conclure sur ce point, les gorfous sauteurs subantarctiques ont un cycle de reproduction (1) équivalent en durée à celui des gorfous macaroni vivant en sympatrie, mais plus tardif que ces derniers, d’environ trois semaines, et (2) à la fois plus tardif et plus court que celui des gorfous sauteurs subtropicaux, ce qui augmente d’autant par rapport à ces derniers le temps passé en mer entre deux périodes de reproduction.

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Le régime alimentaire des gorfous sauteurs subantarctiques est comparable à celui du gorfou macaroni pour un même site, bien que présentant généralement une plus forte proportion de crustacés que chez ce dernier (Brown & Klages 1987, Ridoux 1994). En revanche les proies consommées par le gorfou sauteur subtropical, même si elles rassemblent encore une forte proportion de crustacés, sont plus diversifiées, avec notamment une part importante de calmars (Tremblay & Cherel 2003).