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4- DISCUSSION

4.3 Analyse des matériels et méthodes employés

4.3.1 Les gorfous, meilleur modèle d’étude imaginable pour l’utilisation de

GLS ?

En dépit de questionnements préalables quant au succès du déploiement des appareils, notamment par rapport à l’attachement des GLS et à leur impact sur les animaux, ainsi qu’à la qualité des données collectées, les manchots du genre Eudyptes se sont révélés d’excellents modèles d’étude.

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1- Par rapport aux opportunités d’appareillage. Tout d’abord, compte tenu de la méthode d’attachement du GLS à la patte, nous ne pouvions envisager d’équiper des oiseaux se déplaçant longuement à terre, comme chez certains autres manchots (genre Aptenodytes notamment). Dans notre étude, les animaux étudiés se déplacent peu à terre (colonies à proximité immédiate de la mer), ce qui était un premier avantage face à cette contrainte, en plus du fait d’avoir équipé les oiseaux quelques jours seulement avant leur départ pour le voyage inter-nuptial et de les récupérer dans les jours qui suivaient leur retour.

D’autre part, les Eudyptes sont des oiseaux généralement peu craintifs, qui ne sont pas difficiles à attraper. Leur manipulation ne présente pas de risque particulier pour eux-mêmes ni pour le biologiste ; ils supportent sans problème la contention si celle-ci reste de courte durée, sont très attachés à leur nid, et se laissent également assez facilement re-capturer à leur retour, une combinaison finalement peu fréquente chez les animaux en général.

Nous rappelons que ces oiseaux sont également fidèles à leur colonie, et généralement à leur site de nidification, ce qui augmente les chances de re-capture des oiseaux appareillés. En choisissant d’équiper plus particulièrement les oiseaux occupant des nids en bordure des colonies, particulièrement sur les petites colonies, nous avons aussi amélioré les taux minimum de re-capture et évité autant que possible le dérangement des colonies.

2- Par leur biologie. Le voyage inter-nuptial qu’entreprennent les gorfous s’est révélé être un cas d’école pour l’utilisation de GLS. Ce déplacement est directionnel, il dure longtemps (de l’ordre de 6 mois), est de large échelle (rayon de plusieurs milliers de km), et de vitesse relativement faible (2 à 3 km/h). Ces paramètres de déplacement sont idéaux pour l’estimation fiable d’un trajet par les niveaux de lumière ambiante (Wilson et al. 1992a, Hill 1994).

Par ailleurs, le comportement de plongée des gorfous implique que la température de la mer est enregistrée régulièrement, sur l’ensemble du trajet de l’animal, ce qui est un avantage considérable pour l’utilisation des données de température comme aide à la géo-localisation, par rapport à d’autres modèles d’étude marins, comme les oiseaux volants. D’autres animaux plongeurs, tels que les poissons et pinnipèdes, permettraient également d’enregistrer en continu la température, mais leurs plongées plus profondes entraîneraient une atténuation du niveau de lumière ambiante reçue par le capteur, ainsi qu’un biais dans les températures mesurées (celles-ci ne correspondraient pas aux températures de surface). L’avantage que présentent les gorfous sur ce point est donc que ce sont des animaux plongeurs, mais qui ne plongent pas trop profondément ni trop longtemps : très généralement à moins de 50 m et durant moins de 2’30’’ (Green et al. 2005). Ainsi, ces animaux restent dans la couche euphotique (Pickard & Emery 1990) et leurs plongées n’altèrent pas les niveaux de lumière enregistrés par les appareils utilisés (maximum sur 10’, voir Figure 11).

3- Par leur milieu de vie. Le milieu de vie des gorfous n’est ni polaire, ni tropical : or dans ces deux milieux, l’estimation de la localisation est problématique. En milieu polaire, les périodes de jour permanent et de nuit permanente, durant lesquelles l’estimation de la latitude est impossible, alternent avec

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les périodes d’équinoxes, durant lesquelles l’estimation de la latitude est hasardeuse. En milieu tropical, les très faibles variations de durée de jour au cours de l’année sont également loin d’être idéales pour la fiabilité des estimations de position. De plus, la couverture de glace du milieu polaire limite fortement la disponibilité des données de température de surface de la mer, tandis qu’en milieu tropical, c’est l’importante couverture nuageuse qui va compliquer l’utilisation de ces données.

Enfin, la région d’étude est océanique : elle présente des gradients de température de surface parallèles et bien marqués en latitude, ce qui est l’idéal pour l’aide à la géo-localisation par la concordance des températures (Teo et al. 2004). Par ailleurs, cette région est suffisamment éloignée des masses continentales pour que les sources de pollution lumineuse y soient considérées absentes.

Ainsi, l’utilisation de la géo-localisation par la lumière et la température chez les gorfous a rassemblé un nombre considérable d’avantages. Nous pensons même que cette technique ne connaît aucun autre support aussi favorable que celui-ci : les plus proches en nombre d’avantages cumulés étant peut-être les manchots du genre Spheniscus, et certaines otaries.

4.3.2 Méthodologie : utilisation des densités d'estimation

La perspective principale établie à partir de l’utilisation de la méthodologie décrite dans le premier chapitre de la section Résultats est l’exploitation des densités d’estimation de localisation comme indicateur direct des domaines vitaux des animaux suivis. À une échelle individuelle ou populationnelle, superposer les estimations de localisation produites par le modèle donne en effet une indication d’utilisation potentielle de l’habitat. Celle-ci peut souligner les corridors biologiques ainsi que les zones d’utilisation intensives, mais révèle également l’ensemble de l’aire potentiellement couverte par les animaux suivis. La représentation des densités d’estimation des localisations sur une grille spatiale nous apparaît donc être un outil utile et pratique aux niveaux individuel et populationnel, particulièrement dans le but d’affiner les modèles d’habitats.

Dans l’article associé à cette méthode, nous avons proposé l’utilisation de cette densité locale d’estimation comme indicateur intuitif d’utilisation potentielle de l’habitat, pouvant se substituer à l’analyse de Kernel. Cette dernière serait en effet moins appropriée dans nos études, puisque les localisations finales ne sont pas des points observés mais des positions les plus probables au regard des entrées du modèle. Par ailleurs, la méthode des densités d’estimations ne fait aucune hypothèse quant au choix d’un facteur de lissage (h) : en effet la distribution observée dépend directement des densités de localisations estimées. De nombreux auteurs ont ainsi critiqué l’usage de l’analyse de Kernel (p. ex. Hemson et al. 2005).

Toutefois, dans notre étude nous n’avons pas utilisé systématiquement cet outil à son plein potentiel. Une première raison provient du fait que cet outil n’aurait pas été adapté dans la plupart des travaux menés au cours de cette thèse. Cet indicateur fonctionne en effet sur une base relative, puisque la densité d’estimations observée localement dépend (1) du nombre de simulations effectuées par le modèle,

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(2) du nombre d’individus suivis, et (3) de la contribution de chaque individu au nombre total de localisations. Dans cette thèse, le nombre de simulations fixé pour estimer les trajets était le même pour tous les animaux étudiés, quels que soient l’espèce, le site et l’année. De la même façon, le nombre de localisations produites pour chaque individu peut être considéré comme équivalent au sein d’une population : les durées des trajets sont similaires au sein d’une population et un nombre constant de 2 positions sont estimées par jour. En revanche, le nombre d’individus disponibles pour chaque population suivie dépendait du taux de re-capture, et n’était donc pas constant. Ceci a pour conséquence de ne pas pouvoir comparer les densités d’estimation de différentes populations sur une même grille spatiale. Or, dans notre travail, les comparaisons entre populations ont été la base de l’approche menée afin d’inférer des processus océanographiques, écologiques et évolutifs. Nous soutenons qu’il était bien possible et intéressant de procéder à une cartographie de ces densités d’estimation au niveau populationnel comme présenté sur la Figure 4 de l’Annexe A1, mais que dans notre cas de comparaison entre plusieurs populations, ces densités auraient du d’abord être calculées sur des grilles propres à chaque population avant de pouvoir être comparées.

D’autre part, dans notre travail nous avons également été amenés à travailler avec des données Argos, en les comparant parfois aux données GLS (voir chapitres 3.5 et 3.7). Dans ces cas, l’analyse de Kernel a fourni un moyen simple et efficace de comparer entre eux ces jeux de données issus de techniques différentes.

Enfin, l’exploitation des résultats dans le cadre de la conservation des espèces devait se faire à partir d’un outil éprouvé et largement répandu auprès des organismes faisant autorité (BirdLife International, IUCN). C’est pourquoi il a été choisi de ne présenter dans nos documents que les résultats des domaines vitaux calculés par l’analyse de Kernel. Cette stratégie a également facilité la publication et la communication de ces résultats. Il faut notamment reconnaître que les résultats des deux méthodes sont extrêmement similaires (voir la Figure 4 de l’Annexe A1 et la Figure 1b de l’Annexe A2), alors que l’analyse de Kernel est plus courante et mieux cernée par les écologues.

4.3.3 Applications du modèle d’habitat utilisé

Une question centrale en écologie est de comprendre comment les animaux utilisent leur environnement, incluant le type de ressources alimentaires consommées et la variété d’habitats occupés (Johnson 1980), et ceci devient particulièrement important dans un contexte de gestion et de conservation de la faune sauvage. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés ici à déterminer aussi précisément que possible où les animaux étaient distribués, pourquoi étaient-ils distribués de la manière observée, et où d’autre pouvaient-ils se trouver. Typiquement, ces objectifs ont été approchés en collectant des données sur l’utilisation de l’espace faite par les animaux, en reliant ces observations aux conditions environnementales considérées majeures, et en utilisant ces relations dans le but de prédire cette utilisation de l’espace dans un autre contexte environnemental. Les choix

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comportementaux réalisés par les animaux et aboutissant aux patrons d’utilisation de l’habitat observés ont ici été rassemblés sous le terme de sélection d’habitat (sensu Hutto 1985, Block & Brennan 1993). Au sein de la faune sauvage, la sélection d’habitats particuliers est ainsi supposée être la résultante de la réponse des individus face à la pression de facteurs simultanés tels que le régime alimentaire, la compétition intra- et inter-spécifique pour les diverses ressources, les adaptations morphologiques et physiologiques, les contraintes liées à la reproduction et la pression de prédation. L’étude de la sélection d’habitat était donc essentielle afin de comprendre la biologie et les stratégies de ces animaux pour subvenir à leurs besoins (Manly et al. 2002, Fryxell et al. 2005).

Dans notre étude, nous avons fait appel à un modèle d’habitat afin de répondre à ces questions. En effet, l’acquisition de données détaillées et exhaustives sur la distribution de l’espèce est difficilement concevable, et l’utilisation d’un modèle permet d’en faire l’estimation (Tsoar et al. 2007). Le type de modèle choisi reposait sur des données de présence uniquement. Ces données procurent l’information la plus fiable sur la distribution de l’espèce, étant donnée que l’absence de l’organisme en un point de l’espace ne signifie pas nécessairement que l’habitat n’est pas favorable : cela peut également traduire des défauts d’échantillonnage, des aspects historiques tels que l’exploitation passée de l’espèce, et enfin n’avoir aucun sens dans le cas d’espèces envahissantes par exemple (Guisan & Zimmermann 2000). Cartographier ces habitats potentiellement favorables est un produit majeur dans l’utilisation de ces modèles (Guisan & Zimmermann 2000, Manly et al. 2002). De telles cartes sont en effet précieuses pour l’aide à la décision en gestion de la faune et les plans de conservation (Araujo et al. 2004). Elles reposent sur un indice d’adéquation environnementale calculé en chaque point à partir des covariables environnementales utilisées : les distances de Mahalanobis utilisées dans notre étude sont un de ces indices. Au cours de cette thèse, nous avons utilisé deux fois la MADIFA à des fins prédictives.

Tout d’abord, dans le chapitre 3.5, nous avons utilisé cet outil afin de comparer l’habitat ciblé par des organismes parapatriques : pour cela nous avons projeté sur une grande surface les habitats favorables pour une population, et superposé les localisations des individus d’une autre population. Cette approche est extrêmement fructueuse d’un point de vue comparatif, puisque l’on peut extraire de la distribution des individus le niveau d’adéquation de l’habitat correspondant et ainsi conclure sur la similitude des habitats ciblés par différentes populations. Ce procédé est très dépendant de la validité des localisations obtenues pour les individus. Il est donc de la plus haute importance que les localisations des individus des différentes populations aient été obtenues par la même technique, ou qu’elles aient une incertitude similaire ou un biais systématique. Dans notre cas, l’incertitude sur les localisations pouvait être considéré identique entre les individus puisque les appareils ainsi que les techniques de terrain et d’analyse étaient les mêmes. Cette confrontation des distributions avec les projections du modèle ne pouvait toutefois pas s’apparenter à une "validation croisée" du modèle, puisque nous ne pouvions pas assimiler les individus de différentes populations à un seul et même échantillon de comportement homogène (Grémillet et al. 2004, Trathan et al 2006).

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Dans le chapitre 3.7, nous avons eu une toute autre approche : nous avons d’abord modélisé la sélection d’habitat réalisée par les animaux, puis appliqué cette sélection sur un autre environnement. Ce procédé présentait l’avantage d’estimer le comportement des manchots face à un environnement différent, là où les valeurs optimales des paramètres d’habitat n’étaient plus (ou seulement peu) disponibles. Il était donc impossible de simplement relever les zones favorables dans ce nouvel environnement en y repérant des paramètres environnementaux similaires à ceux favorables dans l’environnement d’origine. Ainsi cette "projection" de sélection d’habitat dans un nouvel environnement pouvait révéler des comportements non-intuitifs. Une critique à ce niveau d’utilisation de la MADIFA est que cela dépasse le cadre d’application dans lequel elle avait été créée (C. Calenge, comm. pers.). En effet, il est difficile de conserver le processus de création des axes factoriels relatifs au premier environnement, afin de l’appliquer sur le deuxième. Cela reste relativement aisé sur des variables statiques telles que la bathymétrie et son gradient, ou encore des distances à la colonie ou possiblement aux autres colonies, pour lesquelles le jeu de valeurs disponibles reste le même (seules les valeurs utilisées changent). Mais dans le cas de variables dynamiques, telles que la température de surface de l’eau ou la concentration en chlorophylle a en surface (qui peuvent être très influentes sur la distribution des animaux, voir le chapitre 3.5), l’ensemble des valeurs disponibles change entre deux environnements différents, que ce soit pour une même aire à deux périodes différentes, ou pour deux aires différentes. Ceci a fortement limité notre analyse, même si les résultats sont convaincants sur le principe. L’incorporation de variables dynamiques dans ces projections permettrait sans aucun doute de fournir des prédictions bien plus fines de la distribution des animaux, d’un environnement à un autre.

4.4 Apports et implications de nos travaux pour la conservation