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1. L’analyse des comportements sociodémographiques au prisme

1.3. L’apport de la théorie du choix rationnel à l’analyse des comportements

1.3.2. A quoi bon se marier ? Les gains du mariage

1.3.2.2. Les gains du mariage issus de l‟investissement dans les enfants

Le mariage peut permettre d‟accroître le niveau de satisfaction des deux conjoints parce qu‟en réduisant leurs réticences à investir dans leurs enfants Ŕ c‟est-à-dire, à concevoir puis à élever leurs enfants Ŕ il leur permet de profiter des gains que leur procurent leurs enfants. En d‟autres termes, en garantissant aux conjoints qu‟aucun d‟entre eux ne sera victime du comportement opportuniste de l‟autre, le mariage permet de réduire les éventuelles réticences des conjoints à investir dans leurs enfants, ce qui leur permet de profiter des gains issus de tels investissements.

En l‟absence de mariage, une femme qui souhaiterait avoir des enfants pour les amener jusqu‟à l‟âge adulte se trouverait confrontée à un problème des plus graves : le risque que l‟homme avec lequel elle aura ces enfants ne les reconnaisse pas, ou refuse de contribuer à les élever, ou tout simplement l‟abandonne. En effet, c‟est une tentation compréhensible pour un homme que d‟obtenir la satisfaction d‟avoir des enfants (et de les savoir élevés par leur mère) sans avoir à en supporter le coût d‟élevage. Le contrat de mariage, en garantissant non seulement que les époux s‟entraident, mais aussi qu‟ils contribuent tous deux à l‟entretien et à l‟éducation des enfants, et ce sur long terme Ŕ terme requis par la durée nécessaire à l‟élevage d‟un être humain autosuffisant Ŕ, permet donc d‟apaiser les craintes de la conjointe quant à l‟éventualité que son conjoint adopte un comportement de « passager clandestin » (free rider)

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aux conséquences désastreuses sur son bien-être et celui de ses enfants. Il s‟agit là, sans aucun doute, de l‟explication la plus fondamentale à l‟universalité de l‟institution du mariage dans l‟espèce humaine : à problème universel, réponse universelle ; c‟est d‟ailleurs ce dont semble témoigner l‟étymologie du terme « mariage », qui provient du latin matrimonium, qui désigne la fonction (monium) de mère (matri).

Pour autant, les hommes aussi n‟auraient-ils pas un gain au mariage, susceptible de leur donner de bonnes raisons de se marier plutôt que de cohabiter ? Tout d‟abord, s‟il existe chez les femmes un consensus selon lequel Ŕ pour la raison susmentionnée Ŕ il n‟est pas question d‟entretenir des relations sexuelles ou de faire un enfant avec un homme qui n‟est pas prêt à s‟engager par le mariage, les hommes sont bien obligés de se marier s‟ils désirent avoir des relations sexuelles ou des enfants.64 (De ce point de vue, comme nous le verrons en détail dans la deuxième partie de cette thèse, la diffusion de la pilule contraceptive, en réduisant pour les femmes le coût des relations sexuelles hors mariage, devrait avoir accru la fréquence de telles relations et par conséquent avoir désincité les hommes à se marier.) Mais surtout, par le mariage, les hommes gagnent eux aussi une garantie contre l‟éventuel comportement opportuniste de leur conjointe, à savoir le risque d‟élever un enfant qui n‟est pas le leur. En effet, le contrat de mariage, en garantissant que les époux soient fidèles l‟un envers l‟autre et en accordant au mari une présomption de paternité des enfants de son épouse, permet d‟apaiser les craintes du conjoint quant à l‟éventualité de n‟être pas le père des enfants qu‟il contribue à élever matériellement et affectivement.65 D‟un point de vue juridique, le mariage implique toujours la présomption de paternité, ce qui notamment dispense le mari d‟avoir à faire des démarches pour reconnaître les enfants que son épouse met au monde (Nizard 1977 ; Prioux 1994) ; en France, la présomption de paternité impliquait aussi, jusqu‟en 2005, le caractère obligatoire de la transmission du patronyme du mari à l‟enfant (depuis lors, le patronyme du mari n‟est transmis à l‟enfant qu‟en l‟absence de déclaration explicite contraire des parents), ainsi que l‟obligation pour les femmes veuves ou divorcées d‟attendre un délai de viduité de trois cents jours avant de se remarier.

Selon la théorie du choix rationnel, le contrat de mariage réduit donc les réticences de la femme à faire des enfants et à renoncer (au moins en partie) à sa carrière pour les élever, et il

64 Comme l‟écrit Moheau dès 1778 dans ses Recherches et considérations sur la population de la France, « si

les choses étaient tellement constituées qu‟un homme ne pût avoir de relation sensuelle avec une femme que par la voie du mariage, certainement l‟empressement de l‟un et l‟autre sexe pour cette union seroit plus vif et plus actif, il y auroit moins de célibataires, moins de mariages où les époux, contrevenans à leur serment et au vœu de la nature, devinssent eux-mêmes célibataires ».

65 Sur l‟incertitude de paternité et ses diverses conséquences dans les comportements matrimoniaux, cf. encadré

réduit les réticences de l‟homme à investir dans les enfants de son épouse. Au final, c‟est bien pour le bien-être de leurs futurs enfants Ŕ dépendant du degré d‟investissement matériel et affectif qu‟ils reçoivent de leurs parents Ŕ que les conjoints se marient : comme, dans l‟espèce humaine, un enfant met plus de quinze années à devenir autosuffisant, si des conjoints veulent s‟assurer à l‟avance que leurs enfants recevront les soins adéquats sur le long terme, il leur faut Ŕ pour la femme Ŕ obtenir une promesse masculine crédible d‟aide matérielle et affective et de contribution à l‟élevage des enfants à long terme, et Ŕ pour l‟homme Ŕ une contrepartie selon laquelle c‟est bien ses enfants qu‟il contribue à élever. Le mariage, en étendant l‟horizon de temps sur lequel les époux sont susceptibles de se faire confiance, permet ainsi de mener à bien le projet de long terme que constitue l‟élevage d‟un enfant. Si plus de 80 % des individus mis en couple en France entre 1968 et 1982 déclarent qu‟ils se sont mariés ou pourraient le faire « dans l‟intérêt des enfants » (Villeneuve-Gokalp 1994), c‟est donc vraisemblablement parce que la réduction des conflits d‟intérêt entre parents et la réduction du risque de rupture qui s‟attachent au mariage sont, selon eux, les mieux à même de contribuer à l‟épanouissement des enfants. De même, parmi 770 Néerlandais de 18 à 26 ans interrogés à la fin des années 1980, les individus qui déclarent préférer se marier directement plutôt que cohabiter estiment Ŕ au contraire des individus qui déclarent préférer cohabiter Ŕ que le mariage est plus approprié que la cohabitation à « une éducation responsable des enfants » (Liefbroer, De Jong Gierveld 1993). Et au début des années 1990 parmi les citoyens de l‟Union européenne, le facteur dont le plus grand nombre d‟individus pensaient qu‟il était le plus à même de jouer sur le nombre d‟enfants désirés était la « stabilité du couple » (50 % des sondés citent ce facteur parmi les trois facteurs les plus importants) (Commission européenne 1995).

Ce modèle met en exergue les rapports de causalité réciproque qu‟on devrait observer entre nuptialité et fécondité. Et de fait, dans tous les pays occidentaux analysés sur la période du XXᵉ siècle Ŕ France, Grande-Bretagne, Suède, Pays-Bas, Allemagne de l‟Ouest, Espagne, Italie, États-Unis et Hongrie Ŕ, le déterminant le plus puissant du fait d‟avoir un premier enfant est le fait d‟être marié, et le déterminant le plus puissant du fait de se marier est d‟avoir un enfant (Blossfeld 1995). En France chez les femmes de moins de 35 ans nées entre 1944 et 1968, « à âge et année de naissance comparables, le risque de mariage est onze fois plus important pour les femmes enceintes que pour les femmes sans enfant » (Toulemon 1996). Et

a contrario, si nuptialité et fécondité sont liées, infécondité et divorce le sont aussi :

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couple sont les motifs de divorce le plus souvent admis dans les sociétés humaines (Buss 1994).

Mais plus précisément, ce modèle permet de formuler une prédiction importante : les couples devraient d‟autant plus souvent se marier, plutôt que cohabiter, qu‟ils ont l‟intention de faire des enfants, voire qu‟ils ont déjà conçu un enfant. Tout d‟abord, entre sociétés, les couples devraient d‟autant plus se marier, plutôt que cohabiter, que leur fécondité désirée est élevée. C‟est là, sans doute, une des raisons les plus importantes pour lesquelles dans les sociétés traditionnelles les individus se marient beaucoup plus qu‟ils ne cohabitent, alors que tel n‟est pas le cas dans les sociétés modernes à faible fécondité. Ensuite, au sein des sociétés, les couples devraient d‟autant plus être mariés, plutôt que cohabitants, que leur fécondité désirée est élevée. Par exemple, en Guadeloupe et en Martinique, les femmes des générations 1926 à 1940 qui ont toujours été mariées ont eu une descendance finale supérieure à celle des femmes qui ont été toujours cohabitantes (7,540 contre 6,355 enfants), les femmes qui ont toujours été cohabitantes ayant eu une descendance finale supérieure à celle des femmes qui ont toujours été en union non cohabitante (6,355 contre 5,980 enfants) (Leridon, Charbit 1981). De façon plus générale, la fécondité des couples mariés dépasse celle des couples cohabitants ; par exemple, dans la France de 1990 (et parmi les couples dont l‟homme a moins de 35 ans), 80 % des couples mariés ont des enfants, contre seulement 40 % des couples non mariés (Daguet 1996). Enfin, au fil du temps, la baisse et le report de la fécondité désirée devraient avoir réduit la part des couples qui sont mariés plutôt que cohabitants et reporté l‟âge au mariage. C‟est l‟une des prédictions que nous testerons dans la deuxième partie de cette thèse.

Notons que l‟utilité de la théorie du choix rationnel réside ici plus dans l‟explicitation

claire de motifs d‟agir que chacun ressent plus ou moins confusément que dans la découverte

de ces motifs d‟agir : à la question posée en France en 2003 de savoir « pour quelle raison principale, à votre avis, un couple se marie-t-il le plus souvent », 59 % des hommes et 61 % des femmes répondent que « se marier correspond à un engagement profond » et 21 % des hommes et 23 % des femmes répondent que « c‟est l‟intérêt de l‟enfant » (12 % des hommes et 9 % des femmes répondant que « c‟est plus facile de vivre ensemble quand on est marié » et 7 % des hommes et 5 % des femmes répondant que « la pression des familles va dans ce sens ») (Bigot, Piau 2004).

Encadré 7. L’incertitude de paternité et ses conséquences dans les comportements matrimoniaux

Mommy’s baby, daddy’s maybe (proverbe anglais)

L‟incertitude de paternité est le fait que, chez une espèce à reproduction sexuée, diécique (c‟est- à-dire comprenant des mâles et des femelles, plutôt que des hermaphrodites), à fécondation interne et à période d‟ovulation cachée (la présence d‟œstrus permettant a contrario au mâle qui a fécondé une femelle de la surveiller pendant la période d‟œstrus afin de s‟assurer que les rejetons de cette femelle seront bien les siens), il y a moins de 100 % de chances qu‟un mâle qui a eu des relations sexuelles avec une femelle soit le géniteur des rejetons de cette dernière. L‟incertitude de paternité est à contraster avec la certitude de la maternité, issue du fait que la fécondation et la gestation des rejetons ont lieu dans le corps même de la femelle. Elle se révèle, notamment, dans le fait que « les conflits de filiation se ramènent pratiquement à des conflits de paternité » (Nizard 1977).

Largement passée sous silence dans la littérature de sciences sociales Ŕ si ce n‟est pour y faire des allusions gênées Ŕ, l‟incertitude de paternité est pourtant un phénomène aux multiples conséquences, qu‟il est utile d‟expliciter pour comprendre à leur tour plusieurs phénomènes concomitants au mariage (Edlund 2006). Selon la théorie de l‟évolution, le fait que les mâles risquent d‟investir des ressources dans l‟élevage de rejetons qui ne sont pas les leurs Ŕ et contribuent par là à diffuser des gènes qui ne sont pas les leurs Ŕ a des conséquences décisives : d‟un côté, les mâles qui investissent leurs ressources dans l‟élevage de rejetons qui ne sont pas les leurs sont sous-féconds (ils amènent moins de leurs rejetons que la moyenne à l‟âge de reproduction), si bien que leurs caractéristiques disparaissent au fil des générations ; d‟un autre côté, les mâles qui n‟investissent leurs ressources que dans l‟élevage de leurs propres rejetons sont surféconds, si bien que ce sont leurs caractéristiques qui se diffusent au fil des générations ; plus précisément, les caractéristiques qui Ŕ par ce biais Ŕ se diffusent sont toutes celles qui ont permis à ces mâles d‟accroître leur probabilité de paternité, à savoir les dispositions à la « jalousie », à la surveillance du comportement sexuel des femelles qu‟ils ont fécondées, etc. (Buss 1994 ; Geary 1998 ; Daly, Wilson 1999 ; Daly, Wilson 2001 ; Workman et al. 2007).

Dans l‟espèce humaine Ŕ dans laquelle environ 2 % des hommes qui sont confiants dans leur paternité ne sont pas en réalité le père biologique de leur enfant (ce qui suggère que le taux de non paternité général dépasse 2 %, bien qu‟il n‟atteigne vraisemblablement pas les 10 % parfois prétendus) (Anderson 2006) Ŕ, plusieurs phénomènes observés peuvent être envisagés comme issus des prédispositions masculines (largement inconscientes) à s‟assurer de la paternité des enfants qu‟ils élèveront. Pour le dire autrement, les promesses de fidélité qui justifient la présomption de paternité au sein du mariage n‟étant pas toujours suffisamment crédibles pour garantir aux hommes qu‟elles seront tenues et qu‟ils seront donc bien le père des enfants qu‟ils élèveront, les femmes peuvent adopter Ŕ ou, pour les valoriser sur le marché matrimonial, leurs parents peuvent leur imposer Ŕ divers comportements destinés à dissiper la crainte masculine d‟être victime d‟infidélités. Comme l‟indiquait un texte de 1392 cité par Littré, « Vray est que le mariage est une chose doubteuse, et maintes fois les enfants ne ressemblent pas au pere » (Bologne 1995).

 La virginité au mariage

Le fait d‟arriver vierge à son mariage (d‟avoir été « continente », de s‟être « préservée » jusque- là) constitue une garantie crédible que l‟on contrôle suffisamment ses désirs ou que l‟on est suffisamment soumise à l‟autorité pour être digne de confiance : en ayant résisté à la tentation ou en ayant toléré un contrôle étroit de leur vie Ŕ réclusion dans le foyer familial ou, comme dans la France de l‟Ancien Régime, réclusion dans un couvent jusqu‟au mariage Ŕ, les jeunes filles vierges au mariage révèlent leur disposition à la fidélité au sein du mariage. Comme on l‟a dit de la tradition turque, « la famille d‟une jeune vierge au mariage est "honorée" par l‟ensemble de la communauté, et bien entendu, par la famille du gendre, parce qu‟elle a su bien élever sa fille, autrement dit bien la "surveiller" » (Petek-Salom 2001). Plus généralement, « la vertu de la fiancée garantit la sagesse future de l‟épouse » (Sohn 2001). Divers dispositifs connexes sont alors censés authentifier la virginité de l‟épouse au mariage, tels des saignements lors de la rupture de l‟hymen (d‟où la pratique de

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l‟hyménoplastie pour les jeunes filles désirant feindre la virginité au mariage), ou plus récemment des certificats de virginité. Les termes mêmes « hymen » ou « hyménée », qui en style poétique désignent le mariage, rappellent l‟étroitesse de la connexion qui était traditionnellement perçue entre mariage et virginité féminine.

Cela dit, le fait que les parents surveillent plus étroitement le comportement sexuel de leurs filles que celui de leurs fils n‟est pas réservé aux sociétés qui valorisent le plus fortement la virginité au mariage : parmi les Français célibataires de 18 à 29 ans qui vivent avec leurs parents en 1977, 45 % des garçons s‟estiment « pas du tout contrôlés » du fait qu‟ils habitent encore auprès de leurs parents, contre seulement 23 % des filles (Roussel, Bourguignon 1978). De même, en France en 1970, les hommes et femmes de 20 ans et plus estiment à une large majorité que des rapports sexuels prénuptiaux sont souhaitables pour les garçons mais non souhaitables pour les filles (Roussel 1975). Il s‟agit là de manifestations du « double standard » qui s‟impose aux sexualités féminine et masculine, dont une raison fondamentale réside en ce que, au sein du mariage, la sexualité féminine peut, plus que la sexualité masculine, attenter aux intérêts de l‟autre époux.

 La réclusion pendant le mariage

Le fait d‟être recluse au sein du foyer familial pendant le mariage et/ou de ne sortir du foyer que voilée Ŕ tel qu‟on l‟observe, entre autres, dans diverses sociétés arabo-musulmanes Ŕ, constitue une garantie crédible de fidélité au sein du mariage. Dans les sociétés où les femmes sont voilées, elles ne le sont d‟ailleurs qu‟à partir de la puberté, et souvent seulement jusqu‟à certains âges, c‟est-à-dire qu‟elles sont voilées principalement pendant leur période de fertilité Ŕ la seule période durant laquelle elles risquent d‟imposer à leur époux l‟élevage d‟un enfant qui n‟est pas le sien.

Dans le même esprit, en France le droit civil ancien pénalisait plus lourdement les relations sexuelles des épouses avec leur amant que celles des époux avec leur amante. En effet, alors que ces deux actes étaient formellement des « adultères » (à distinguer de la « fornication », une relation sexuelle entre deux personnes dont aucune n‟est mariée), l‟adultère féminin était puni plus lourdement que l‟adultère masculin Ŕ qualifié de « stupre » Ŕ, parce que seul le premier risquait d‟imposer à la victime de l‟adultère un enfant qui n‟était pas le sien.

 L‟excision

Le fait d‟être excisée, en réduisant considérablement le plaisir que l‟on tire des relations sexuelles (voire en les rendant douloureuses), constitue une garantie crédible que l‟on ne recherchera pas de relations de court terme : en se privant largement de plaisir sexuel, les jeunes filles révèlent leur disposition à la fidélité au sein du mariage. Une telle garantie étant, pour les hommes, d‟autant plus précieuse qu‟ils sont plus exposés au risque d‟être trompés, il n‟est pas étonnant que l‟excision soit le plus fréquemment observée dans des sociétés (d‟Afrique de l‟Est) de pasteurs semi-nomades, dans lesquelles de nombreux hommes passent toute une partie de l‟année sur des pâturages et donc loin de leur épouse, restée au village. La forme la plus radicale d‟excision Ŕ « l‟infibulation », qui comprend la suture des grandes lèvres et des petites lèvres Ŕ permet d‟ailleurs clairement à l‟époux de vérifier que son épouse n‟a pas eu, en son absence, de relations sexuelles.

 La fréquence de la polygynie par rapport à la polyandrie

Si les sociétés humaines permettant des mariages polygynes (un homme avec plusieurs femmes) sont considérablement plus nombreuses que les sociétés permettant les mariages polyandres (une femme avec plusieurs hommes) (dans l‟échantillon de 849 sociétés humaines analysé par Murdock, plus de 65 % pratiquent la polygynie, contre moins de 5 % pratiquant la polyandrie, au Népal, au Tibet, en Inde et au Sri Lanka), c‟est peut-être en partie parce que les enfants issus des mariages polygynes ne posent pas de problème d‟incertitude de paternité (le mari est le père de chacun des enfants de ses coépouses), alors que les enfants issus des mariages polygynes posent ce problème de façon aiguë (personne ne sait lequel des coépoux est le père des enfants de l‟épouse, ce qui n‟incite pas les pères à investir matériellement ou émotionnellement dans ces enfants) (Becker 1973 ; Becker 1974 ; Betzig 1989). Notons que, dans cette perspective, il n‟est pas étonnant que la plupart des mariages polyandres soient « adelphiques » (c‟est-à-dire que les coépoux soient des frères) : chaque coépoux aura moins de réticences à investir dans des enfants dont il ignore s‟ils sont les siens s‟il sait

malgré tout que ces enfants sont, « au pire », ceux de ses frères.

Pour de plus amples développements sur les apports de la biologie et de la « psychologie évolutionniste » à l‟analyse des comportements matrimoniaux, cf. Buckle et al. 1996 ; Daly, Wilson 2001 ; Weisfeld, Weisfeld 2002 ; Cox 2007.