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CHAPITRE I. CONTEXTES SOCIOHISTORIQUES DE L’EMIGRATION ET

1. L’Afrique subsaharienne et ses ressortissants

1.3. Du Gabon à la France et de Chicago à Gatineau

Les trajectoires migratoires ne sont ni identiques, ni simples. Le parcours d’un émigrant du Gabon le montre. Il arrive au Canada, après un cursus universitaire réussi. Après des études en France et au lieu de retourner chez lui, il part aux États-Unis d’Amérique et à partir de ce pays, il se dirige vers le Canada où il s’établit définitivement. Pourquoi n’a-t-il pas rejoint son pays natal là où il dispose de plusieurs atouts pour réussir sa vie ? Voici le contexte général de son pays et des lignes de son parcours prémigratoire.

Avec une superficie de 267.667 Km², la République du Gabon reste un pays faiblement peuplé (4,6 habitants par kilomètre carré). Situé à l’ouest de l’Afrique Centrale, sur l’équateur, il est voisin de la République du Congo, de la Guinée Equatoriale et du Cameroun. Le peuplement du Gabon s’est fait par vagues successives d’immigration jusqu’au XIXe siècle, en premier par les populations autochtones « pygmées », ensuite par les Bantous. C’est lors de ce processus qu’accostèrent au XVe siècle les Portugais, premiers européens sur le continent. Le nom Gabon lui vient d’ailleurs de ces premiers colons : Gabâo en portugais signifie « cap », en rapport avec la forme de l’Estuaire qui borde les côtes de Libreville. La France occupa le Gabon progressivement dès le milieu du XIXe siècle. Le Gabon acquit son indépendance le 17 août 1960. La République gabonaise est un pays multiethnique, comportant près de 43 groupes ethniques, les Fangs représentent un tiers de la population gabonaise. Les « Pygmées », qui comptent environ 20.000 personnes, sont considérés comme étant les populations autochtones du Gabon (Commission africaine sur les populations, 2010, p.16). Les populations de ce pays partageaient des croyances animistes caractérisées par des rites variés ainsi que des mythes avant la colonisation, mais ayant comme points communs le culte des ancêtres - qui consiste à croire que l’esprit peut toujours influencer l’existence des vivants- et le recours aux fétiches. Entre catholiques et protestants, à partir du XIXème siècle, il y eut une véritable compétition pour évangéliser les Gabonais. En pratique, beaucoup de gens associent aujourd’hui une foi chrétienne à d’anciennes croyances autochtones (Oyane-Ond, 2011).

Le Gabon a une population d’environ 1.801.232 habitants (Gabon, 2017), dont plus de la moitié vit dans la capitale politique Libreville et la capitale économique Port-Gentil. Plus de 85% du territoire est recouvert par la forêt et le fleuve le plus long est l’Ogooué, long de 1200 Km. Le Gabon est l’un des pays les plus riches du continent africain, mais ce pays n'est pas autosuffisant

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sur le plan alimentaire, à cause de la faiblesse de sa production agricole (Mouvagha-Sow, 2004) et son économie peine à attirer les investisseurs en dehors des secteurs de rente. La rente pétrolière et sa distribution ont provoqué un exode rural rapide et important qui se solde aujourd’hui par un taux d’urbanisation de 75 à 80% (République gabonaise et Communauté européenne, 2007), un des taux les plus élevés d’Afrique subsaharienne (Mouvagha-Sow, 2004).

L’essoufflement de la croissance au Gabon (5,6% en 2013, 4,3% en 2014) s’est accentué ces dernières années du fait de la diminution des prix des matières premières (pétrole, manganèse) venue réduire drastiquement les recettes budgétaires et creuser les déficits, conduisant dès lors à la nécessité d'ajuster les dépenses publiques. Ce contexte a réduit aussi la capacité du gouvernement à soutenir l'activité économique, notamment par l’investissement, et la demande intérieure en 2016 a été globalement en recul par rapport à l’année précédente (France, 2017, p.1).

Les recettes tirées du pétrole se sont effondrées en 2016, représentant désormais le quart environ des ressources propres de l’État, alors qu’elles avoisinaient, en 2014, près de 50% des revenus. La crise politique que traverse ce pays a accentué la dégradation de la situation sociale. L’annonce de la réélection d’Ali Bongo Ondimba, le 31 août 2016, a déclenché des émeutes meurtrières et des pillages à Libreville et dans d’autres villes du pays. La capitale gabonaise est le centre de violents heurts entre les forces de l’ordre et des manifestants.

L’Assemblée nationale a été partiellement incendiée, au moins 200 pillages ont été recensés par la police. Selon le dernier bilan, cinq personnes ont été tuées à la suite des affrontements à Libreville. La police, la gendarmerie et les militaires quadrillent le centre-ville. D’autres villes gabonaises ont été le théâtre d’émeutes et de pillages. Entre 600 et 800 personnes ont été arrêtées à Libreville et 200 à 300 dans le reste du pays (Le Monde, 2016).

Sur le plan politique, la République du Gabon est connue par son régime présidentiel. Le premier président de la République gabonaise fut Léon Mba. Le second président a été Omar Bongo Ondimba. Au pouvoir depuis 1967, le régime de ce dernier fut clairement dictatorial, s’appuyant sur un parti unique, le Parti démocratique gabonais (PDG). Suite à l’agitation politique qui frappa une bonne partie du continent africain après la chute du mur de Berlin, le président Omar Bongo autorisa le multipartisme au Gabon. En 2005, il fut réélu lors des élections présidentielles, suivies d’élections législatives où le PDG récolta la majorité des députés à l’Assemblée nationale, y compris au Sénat. Les opposants du président contestent régulièrement la régularité des scrutins, la corruption et le népotisme du régime (Commission africaine sur les populations, 2010).

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Le changement le plus frappant dans la vie politique du Gabon reste sans doute le passage au multipartisme. C’est un retournement complet par rapport à la ligne de conduite adoptée par le président Bongo depuis son arrivée au pouvoir en décembre 1967. Le rétablissement du multipartisme, en 1990, entraîne le nomadisme de membres du PDG, au pouvoir, séduits par de nouvelles idéologies et de nouveaux projets de société. Après les émeutes de mai et juin et la mort mystérieuse de Joseph Rendjambé, un dirigeant du PGP (Parti gabonais du progrès) et l’insurrection de Port-Gentil, le processus de démocratisation devait se poursuivre, avec toutefois une particularité remarquable : le renforcement de la présence militaire permanente de la France au Gabon (Gaulme, 1991). Entre 1993 et 1995, avec les premières élections multipartites, les transfuges du PDG créent pas moins de sept nouvelles formations politiques, dont le Mouvement de redressement national (MORENA), dont les propres transfuges donneront naissance à six autres partis (Poirier et Lambert Kyelem, 2012). Le décès du président Omar Bongo, en 2009, provoquera une nouvelle vague de nomadisme qui conduisit à la création d’un nouveau parti, l’Union nationale, dissous par le ministère de l’Intérieur (Idem). L’avènement d’Ali Bongo n’a pas apporté de changements substantiels, mais le Gabon reste l’un des rares pays stables en Afrique, ce qui explique l’attachement d’une partie de la bourgeoisie africaine à ce pays, comme les parents d’un répondant béninois né au Gabon où résident ses parents. Son père est propriétaire d’une entreprise de construction et sa mère est commerçante. « Je ne venais pas d’un milieu défavorisé. Je suis d’une famille moyenne qui a pu envoyer ses enfants à l’étranger pour étudier », dit-il. En 1989, à l’âge de treize ans, ses parents l’envoient en France avec son frère et ses sœurs pour étudier. Son frère jumeau a fait le même parcours que lui, mais au lieu de venir au Canada, il retourne au Gabon.

Sa sœur, en revanche, était en France et dispose d’une nationalité française. Elle avait un emploi valorisant en France, mais elle a démissionné pour rejoindre son pays natal et travailler dans une société pétrolière.

Contrairement à d’autres étudiants, il n’a jamais cherché du travail pour subvenir à ses besoins.

Ses parents s’en chargeaient. En 2002, il obtient une maîtrise en Sciences économiques et gestion commerciale et part à Chicago pour une nouvelle maîtrise en finances. Durant cette période (de 2002 à 2008), il rencontre une femme originaire du Burundi, qui habite à Gatineau, avec laquelle il va avoir un enfant. « Elle est au Canada et moi, je me voyais mal retourner en Afrique alors que j’ai un fils ici né dans cette région », dit-il de cette relation tournée en liaison parentale. C’est donc la raison principale pour laquelle, après les États-Unis, il décide de s’installer au Canada.

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