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1. Médicaments antalgiques et modalités d’utilisation, notamment hors AMM, en cas de douleur

1.1 Changement d’opioïdes ou rotation des opioïdes hors voies d’administrations centrales

1.1.1 Généralités

la morphine (sous forme de sulfate ou de chlorhydrate), administrée par voie orale, à libération immédiate ou prolongée, ou administrée par voie injectable ;

l’hydromorphone, administrée par voie orale, à libération ou prolongée ;

l’oxycodone, administrée par voie orale, à libération immédiate ou prolongée, ou administrée par voie injectable ;

le tapentadol, administré par voie orale ;

la méthadone, administrée par voie orale ;

la buprénorphine, administrée par voie sublinguale ou injectable ;

la nalbuphine, administrée par voie injectable ;

le fentanyl, administré par voie transmuqueuse (sublinguale, gingivale, jugale, nasale), transdermique ou injectable ;

le sufentanil, administré par voie sublinguale ou injectable (IV ou péridurale) ;

la péthidine, administrée par voie injectable.

Dans les douleurs liées au cancer

Les traitements opioïdes forts sont recommandés par l’OMS en cas de douleur liée au cancer intense ou après échec des autres paliers. Ils sont parfois insuffisants pour avoir une antalgie satisfaisante (6).

Dans certains cas, l’analgésie combinant soulagement et effets secondaires acceptables n’est pas obtenue. Dans une étude longitudinale sur 593 patients, près de 15 % d’entre eux étaient dans cette situation (7).

Dans d’autres séries, jusqu’à 30 % des patients traités par opioïdes présentaient une douleur ou des EI mal contrôlés (8, 9).

La rotation des opioïdes peut se définir comme un changement systématique et régulier d’un opioïde par un autre ou un changement de voie d’administration d’un opioïde dans le but d’améliorer la prise en charge de la douleur en évitant les effets de tolérance par tachyphylaxie.

Elle répond ainsi à cette situation clinique. Lui est préféré le terme de « changement d’opioïde ».

Le changement d’opioïdes est nécessaire pour 21 à 44 % des patients (10).

De par l’exposition prolongée possible aux opioïdes au travers de la survie prolongée en cas de cancer, ce changement est effectué pour 80 % des patients, selon certains auteurs (11).

Le but du changement (rotation) d’opioïdes décrit dans les années 1990 est de retrouver une efficacité en cas de tolérance ou d’inefficacité de l’opioïde initial et/ou de faire disparaître (ou diminuer) des effets indésirables devenus intolérables (12, 13).

Les raisons de ce changement s’étendent aussi au domaine financier dans certains pays comme les États-Unis, où le coût des traitements, notamment antalgiques, est une limite dans la prise en charge (14).

La disponibilité de certains opioïdes dans les lieux de prise en charge est également un enjeu de la prise en charge (15).

D’un point de vue physio-pharmacologique, il s’agit d’une pratique clinique dont les mécanismes d’action sont imparfaitement connus.

Dans les douleurs non liées au cancer

La place des opioïdes forts a fait l’objet d’une réévaluation en 2014 par la Commission de la transparence dans la prise en charge des douleurs chroniques non neuropathiques et non cancéreuses3. Les spécialités concernées par ces réévaluations ont été les spécialités à base de morphine, buprénorphine, péthidine, nalbuphine, oxycodone seule, oxycodone en association à la naloxone, et fentanyl.

La Commission de la transparence a conclu de la façon suivante :

« Les opioïdes forts peuvent s’envisager comme traitement de dernier recours dans la gonarthrose ou la coxarthrose, en cas de douleur intense et/ou rebelle, à un stade où les solutions chirurgicales sont envisagées et chez des patients non candidats (refus ou contre-indication) à une chirurgie de remplacement prothétique et pour une durée la plus courte possible du fait du risque d’effet indésirable grave et de l’absence de données à long terme. La place de cette classe thérapeutique doit être la plus réduite possible, après échec des autres mesures médicamenteuses et du traitement physique recommandés. L’utilisation d’une forme per os est à privilégier.

Les opioïdes forts peuvent également s’envisager comme traitement de dernier recours dans la lombalgie chronique, en cas de douleur intense et/ou rebelle et pour une durée la plus courte possible du fait du risque d’effet indésirable grave et de l’absence de données à long terme. La place de cette classe thérapeutique doit être la plus réduite possible, après échec des autres mesures médicamenteuses et du traitement physique recommandés. L’utilisation d’une forme per os est à privilégier.

En dehors des douleurs intenses et/ou rebelles sévères dans le contexte des maladies rhumatologiques mécaniques que sont l’arthrose du genou ou de la hanche et la lombalgie chronique et dans les conditions précisées ci-dessus, les opioïdes forts n’ont pas de place dans la stratégie de prise en charge des douleurs intenses et/ou rebelles rencontrées dans toutes les autres situations de douleurs chroniques non cancéreuses et non neuropathiques, notamment

3 Cf. série d’avis de la Commission de la Transparence du 19 mars 2014 ; par exemple : https://www.has-sante.fr/jcms/c_1735615/fr/morphine-chlorhydrate-aguettant

dans les rhumatismes inflammatoires chroniques, représentés principalement par la polyarthrite rhumatoïde et la spondyloarthrite. »

Les derniers avis de la Commission de la transparence sur la morphine4, en 2016, indiquent que le service médical rendu de ce médicament reste :

important :

dans la prise en charge des douleurs intenses et/ou rebelles aux antalgiques de niveau plus faible, des douleurs sévères d’origine cancéreuse, des douleurs aiguës sévères non cancéreuses (douleurs post-opératoires) et des douleurs chroniques sévères d’origine neuropathique,

dans la prise en charge des douleurs intenses et/ou rebelles rencontrées dans l’arthrose du genou ou de la hanche et dans la lombalgie chronique, comme traitement de dernier recours, à un stade où les solutions chirurgicales sont envisagées et chez des patients non candidats (refus ou contre-indication) à une chirurgie de remplacement prothétique (coxarthrose ou gonarthrose), pour une durée la plus courte possible du fait du risque d’effet indésirable grave et de l’absence de données à long terme. La place de cette classe thérapeutique doit être la plus réduite possible, après échec des autres mesures médicamenteuses et du traitement physique recommandés dans ces indications,

insuffisant dans les douleurs intenses et/ou rebelles rencontrées dans toutes les autres situations de douleurs chroniques non cancéreuses et non neuropathiques, notamment dans les rhumatismes inflammatoires chroniques, représentés principalement par la polyarthrite rhumatoïde et la spondylarthrite.

Les métabolites

Les métabolites peuvent jouer un rôle non négligeable dans l’analgésie, mais également dans la survenue d’effets indésirables ; par exemple, la morphine métabolisée en morphine-6-glucuronide (M6G) et morphine-6-glucuronide (M3G), la M6G ayant une action antalgique décrite comme 30 à 50 fois plus puissante que la morphine (16).

La transformation des molécules opioïdes est principalement médiée par les CYP450 et les UGTs.

Ceux-ci sont sujets à des fluctuations d’activité importantes d’origine génétique ou environnementale (interaction médicamenteuse, comorbidité, âge, etc.) (17, 18).

De même, l’absorption ou la distribution de chaque opioïde sont sujettes à variations individuelles et donc impliquées dans la tolérance ainsi que l’analgésie croisée incomplète (19).

Les récepteurs

La variabilité de réponse antalgique et d’EI des opioïdes pourrait être liée aux mécanismes d’action différents en fonction de l’opioïde.

Les opioïdes, même s’ils interagissent tous au travers des récepteurs morphiniques (μ, δ, κ), ils ont une affinité spécifique et variable pour ces différents récepteurs. La variation génétique des types et sous-types (μ1, μ2, etc.), notamment le gène OPRM-1, participe à expliquer ce phénomène (20, 21).

L’action agoniste s’étoffe de nuances pour chaque opioïde au travers de sa liaison aux récepteurs, mais également de la variabilité phénotypique singulière pour chaque individu.

De même, la toxicité est issue de variations individuelles (22).

Un changement d’opioïde ou de voie permet d’utiliser ces particularités pharmacologiques, et d’améliorer l’antalgie ou faire diminuer et disparaître les EI.

Le changement d’opioïde s’appuie sur un principe : l’équianalgésie, c’est-à-dire l’équivalence d’effet antalgique sur une même douleur par des opioïdes différents. Cette équianalgésie se base

4 Cf. par exemple : MOSCONTIN – SEVREDOL (morphine). Avis de la Commission de la transparence du 07 septembre 2016. HAS, 2016. https://www.has-sante.fr/jcms/c_2671743/fr/moscontin-sevredol

sur des données pharmacologiques et cliniques, et sur les ratios d’équivalence dont la qualité scientifique des études est souvent discutable (cf. chapitres 1.1.3. et 1.1.5).

Cette pratique clinique n’ayant été jamais abordée dans une recommandation a fait l’objet d’une analyse approfondie, pour lui donner sa place dans la prise en charge de la douleur liée au cancer.