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Les formes du multimédia

1 « Touche à tout » et « touche à rien »

2. Les formes du multimédia

17 L’utilisateur multimédia, celui qui associe dans une même recherche le texte et l’image, le

texte et le son, l’image et le son, est un peu comme l’Arlésienne. On l’attend depuis le début de cet ouvrage, la pièce a manifestement été écrite pour lui, et il n’a toujours pas fait son apparition sur la scène. Il est temps de lui ménager son entrée.

18 Déjà son existence ne fait aucun doute : on a vu que, si l’on additionne les pourcentages

de lecteurs de livres, de lecteurs de presse, de spectateurs d’images, etc, ce total est supérieur à 100 %. Signe évident que certains d’entre eux se livrent à plusieurs activités à l’occasion de la même visite à la bibliothèque.

19 Cette association de plusieurs supports documentaires ne se fait bien évidemment pas au

hasard. Certains rapprochements sont plus fréquents que d’autres, et en sens inverse certaines exclusions ont un caractère quasi général. D’autre part, la pratique multimédia n’a pas la même signification culturelle, ni la même portée documentaire, selon les contenus ainsi rapprochés.

20 Le terme est au fond assez trompeur. Alors qu’on dispose d’un grand luxe de vocabulaire

pour qualifier chaque variante de la pratique de chaque média (lire, feuilleter, consulter, parcourir, etc.), on ne dispose que d’une expression passe- partout pour qualifier toutes les formes de rapprochement de tous les types de supports. Il y a un certain paradoxe à unifier ainsi par le vocabulaire la combinatoire complexe de formes de consultations diversifiées.

21 On rencontre non pas une mais plusieurs pratiques multimédia. Elles s’organisent et

prennent sens à partir de deux lignes de clivage très nettes :

• la première est une distinction de matérialité, entre ce qu’on pourrait appeler le

périodique, photo et film —, et le multimédia hétérogène — rapprochement de deux supports de famille différente : texte et image, texte et son, etc.

• la seconde est une distinction de complémentarité entre le multimédia associatif, qui consiste à consulter des documents de nature différente sur le même sujet, et le

multimédia consécutif, qui porte sur des sujets n’ayant rien à voir l’un avec l’autre.

22 — Le multimédia apparié

23 • Première forme d’association : le rapprochement texte à texte. La consultation conjointe de

livres et de périodiques est une pratique classique dans les bibliothèques d’étude ou les bibliothèques universitaires. Qu’en est-il à la Bibliothèque publique d’information ?

24 19 % du public, soit près d’une personne sur cinq, a consulté des livres et des périodiques

au cours de la même visite. De tous les rapprochements de supports possibles, c’est de loin le plus fréquent ;

25 Ce n’est pas pour autant une pratique symétrique : une majorité parmi les lecteurs de

périodiques (les 3/4) lisent aussi des livres ; une minorité parmi les lecteurs de livres (1/4) lisent aussi des périodiques. La lecture de livres apparaît plutôt comme une consultation

autonome, tandis que la lecture de presse apparaît plutôt comme une consultation conjointe.

26 • A la différence du rapprochement texte à texte le rapprochement image à image, c’est à

dire le visionnement — complet ou partiel — au cours de la même visite de photographies et de films, est d’une part très minoritaire, d’autre part dans une relation symétrique :

27 Minoritaire, car il n’est pratiqué que par 2,5 % du public. Peu de visiteurs passent d’un

écran vidéo à un écran diapo. Les « gloutons optiques » qui avalent coup sur coup de l’image fixe et de l’image animée sont relativement rares : les deux formes de pratique de l’image tendent à s’exclure ;

28 Symétrique, car cette exclusion se fait dans les mêmes proportions dans les deux sens : un

quart des spectateurs de vidéo regardent aussi des diapos ; un quart des spectateurs de diapos regardent aussi des vidéos.

29 On peut déjà, à partir de ces deux séries d’analyses, dégager une première tendance de la

consultation des médias dans une bibliothèque de libre accès : le texte renvoie souvent au

texte, l’image renvoie rarement à l’image.

30 Mais le texte renvoie-t-il à l’image ? 31 — Le multimédia hétérogène

32 Vieux débat... Faux débat peut-être : à guetter avec appréhension pour les uns, avec

enthousiasme pour les autres, l’émergence d’un homme nouveau, un éclectique de l’information qui passerait avec virtuosité du texte à l’image, de l’image au document sonore3 on en oublie qu’une telle démarche est depuis longtemps la chose la mieux

partagée du monde : la pratique quotidienne des messages par chacun, tant dans l’espace domestique (le foyer), que dans l’espace professionnel ou dans l’espace collectif (la rue, les lieux publics...) n’est ni plus ni moins une pratique multimédia permanente. Il n’y a guère que les espaces documentaires qui y échappaient encore... Chacun associe constamment chez lui la lecture de journaux, l’écoute de la télévision et celle de la radio, et à l’extérieur la lecture des affiches et messages urbains et l’exposition aux messages sonores, commerciaux ou autres, etc. Choisis ou subis, la redondance, le télescopage, la superposition des messages font la trame de la vie de tous les jours.

33 La vraie question n’est pas de savoir si un comportement nouveau va émerger, mais si une

pratique courante va s’investir dans un lieu — la bibliothèque — traditionnellement voué à la séparation des formes et à la classification des genres. Beaucoup de bibliothèques, publiques et privées, ne proposent encore à leurs utilisateurs que des documents imprimés, livres, et revues. Les autres, quand elles offrent une plus grande diversité de supports, attribuent à chacun un espace bien délimité : il y a le coin (ou la salle) des périodiques, des disques, de l’audiovisuel, etc. A la BPI, tout est mélangé — le mot n’est sans doute pas trop fort quand on est confronté à la réalité physique du rangement des documents — par grandes disciplines.

34 Venons-en aux chiffres : l’analyse croisée de toutes les pratiques de consultation de

chacun des visiteurs de notre échantillon permet de conclure que 13 % d’entre eux se livrent à une activité multimédia, au sens de multimédia hétérogène : lisent un livre et regardent un film, écoutent un disque et feuillettent une revue, etc. (cf. graphique 13).

35 13 % seulement serait-on tenté de dire ; c’est se donner beaucoup de mal — car

l’organisation matérielle de la mise à disposition côte à côte de tous les médias est complexe et contraignante — pour un bien maigre résultat.

36 Rappelons d’abord qu’il faut toujours à Beaubourg se méfier des petits chiffres. Il

dissimulent de gros bataillons : 13 %, cela représente quand même un visiteur sur six, soit plus de 1 300 personnes par jour.

37 Plus profondément, on sait que les évolutions de la fréquentation des équipements

culturels se font très lentement. Les bibliothèques, comme les musées, les théâtres, les maisons de la culture, etc. accroissent et renouvellent leur public essentiellement au sein des catégories où se recrutaient déjà leurs utilisateurs habituels4. La diversification de

leur audience ne s’opère réellement qu’aux marges ; elle ne se manifeste qu’en réponse à des propositions nouvelles de l’institution : proposition de « produits » culturels nouveaux ou mieux encore comme ici association nouvelle de produits déjà familiers, dans un lieu où cette association n’est généralement pas pratiquée. Même si tous ceux qui se livrent au multimédia ne sont pas pour autant des nouveaux venus dans les établissements culturels.

Graphique 13 : les pratiques multimédia (association de supports documentaires).

38 Enfin, l’impact d’une offre culturelle ne se mesure pas qu’en termes de pratiques, mais

aussi en termes de représentations : l’existence du multimédia est pour beaucoup dans l’image sociale de la Bibliothèque publique d’information. La possibilité virtuelle de le pratiquer joue autant que la pratique réelle qu’on en a. L’effet peut d’ailleurs aussi bien être positif, s’il favorise le premier contact de publics peu familiers avec ces « cathédrales du savoir », que négatif s’il exerce une dissuasion auprès d’autres publics plus savants que dérange la cohabitation des supports, et la cohabitation des personnes qu’elle entraîne.