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3. LES DIMENSIONS DU RAPPORT AU TRAVAIL

3.7 Formes d’aide à la subsistance durant les périodes d’inactivité et de

chômage

En ce qui concerne les formes d’aide à la subsistance, il faut entendre tout ce qui a permis aux interviewés d’assurer leur subsistance pendant les périodes où ils ont été sans revenu d’emploi. La présentation des références à l’une ou l’autre des formes d’aide dans le tableau qui suit n’a pas pour but de faire des statistiques mais tout simplement de montrer l’importance de certaines formes d’aide par rapport à d’autres et d’illustrer jusqu’où on peut aller pour assurer sa subsistance. La somme des formes d’aide dépasse le nombre d’entrevues ce qui indique qu’un même individu peut avoir eu recours à plus d’une forme d’aide.

Tableau 3 : Classement des formes d’aide à la subsistance utilisées par les interviewés pendant les périodes de chômage ou d’inactivité

Formes d’aide N Sexe Âge

(3 groupes) Scolarité (dip./sans dip.) Assurance-emploi 7 6G 1F 2 (20-24) 3 (25-29) 5 (sans dip.) 2 (dip.) Assurance-salaire 2 1G 1F 1 (20-24) 1 (25-29) 2 (sans dip.)

Ass. parentale et alloc. fam. 1 1F 1 (20-24) 1 (sans dip.)

Prog. Emploi-Québec et autres prog 14 8G

6F 2 (15-19) 10 (20-24) 2 (25-29) 12 (sans dip.) 2 (dip.) Aide sociale* 23 14G 9F 4 (15-19) 13 (20-24) 6 (25-29) 21 (sans dip.) 2 (dip.) Aide de la famille 15 10G 5F 2 (15-19) 12 (20-24) 1 (25-29) 12 (sans dip.) 3 (dip.) Aides autres** 7 4G 3F 3 (15-19) 2 (20-24) 2 (25-29) 6 (sans dip.) 1 (dip.) Maison d’hébergement 3 2G 1F 2 (15-19) 1 (25-29) 3 (sans dip.) Aide alimentaire 2 2G 1 (20-24) 1 (25-29) 2 (sans dip.)

Autres moyens de financement*** 8 8G

1 (15-19) 5 (20-24) 2 (25-29)

7 (sans dip.) 1 (dip.)

* dont 2 contraintes sévères à l’emploi, 1 contraintes temporaires à l’emploi, 2 ont séjourné en prison ** dont amis (2), colocataires (1), conjoints de fait (3) et importance des intervenants (1)

*** criminalité (2), squeegee (1), économies (1), rien (2), quête dans la rue (2)

Ce tableau permet de constater, par exemple, que même s’ils ont occupé un emploi, peu d’interviewés ont profité de l’assurance-emploi faute d’avoir eu des emplois qui aient eu une durée suffisamment longue. Deux ont reçu de l’assurance-salaire à cause de problèmes de santé.

Les interviewés ont plutôt été nombreux à profiter de ce qu’ils nomment eux-mêmes, l’aide sociale ou le BS. Ils n’ont pas tendance à confondre aide sociale et programmes d’Emploi-Québec. Dans ce dernier cas, il s’agit de programmes d’insertion professionnelle dont il est plus valorisant de se réclamer que de dire qu’on reçoit de « l’aide sociale » comme l’a fait remarquer une interviewée : « […] je trouve c’est plus gratifiant d’être sur Emploi-Québec, Alternative Jeunesse, qu’avoir l’aide sociale » (15AL2OF1).

Parmi les interviewés, 11 ont affirmé sur tous les tons ne pas vouloir ou n’avoir pas voulu se retrouver « sur le BS » ou sur « l’aide sociale ». Pour trois jeunes hommes entre 20 et 24 ans, c’est une question de fierté. Pour un jeune homme entre 25 et 29 ans, c’est plus payant d’avoir un emploi. Ce qu’un certain nombre d’interviewés ont à dire de l’aide sociale recouvre toutes sortes de connotations comme celles de réserver cette aide aux plus mal-pris et même, d’augmenter la prestation pour ces derniers, d’obliger ceux qui en sont capables d’aller travailler ou tout simplement de se sentir « gêné » d’avoir recours à cette aide lorsqu’on est capable de travailler. Dans la deuxième citation qui suit, la phonétique du langage populaire a été conservée pour indiquer l’intensité des propos tenus.

« J’aime vraiment pas ça être sur l’aide sociale, être payé à rien faire, moi, j’aime pas ça là. […] J’ai l’impression quasiment de voler là. […] J’aime pas ben, ben ça. J’aime mieux travailler, mon argent. » (31AR1OG1)

« "Criss" de BS, c’est d’l’"esti" de marde là, "fuck" là. Comme […] j’capable d’travailler ou ben si j’travaille pas, j’vas aller "bummer", " man" là. J’vas aller quêter d’l’argent à place de m’pogner l’BS là. Le BS, sérieux "man" là, j’trouve ça vraiment lâche là, c’est genre… » (50AX2NG1)

Une jeune fille entre 15 et 19 ans s’est résignée à demander de l’aide sociale parce qu’à 18 ans, « il faut que t’aies un revenu » (7BC1OF1). Une autre jeune femme a dit s’être débrouillée sans emploi, sans assurance-chômage et sans aide sociale (32BL2NF2). L’intervieweuse n’est pas parvenue à lui faire dire comment elle s’était "débrouillée". D’autres (cinq) vont parler avec agressivité de leurs démêlés avec l’agence d’"aide sociale" :

« […] Dans le fond là, je suis sur le chômage parce que je suis avec […]. […] Puis le BS, honnêtement là… c’est de la merde, Ok. […] Là, c’est que qu’est-ce qui est arrivé, c’est que pour être sur (programme), faut que je sois soit sur le BS, soit sur le chômage. […] J’ai pas le choix, ok. Mais là ce qui arrivait c’est que pour que je sois sur le chômage, y fallait que je sois sur (programme). […] Mais, c’est parce qu’avant d’être acceptée sur (programme), fallait que je sois acceptée au chômage. Là, c’était comme un "esti" de cercle vicieux puis là, en tout cas, le chômage avait comme pris mes informations vraiment, c’était mauvais là. » (16AC1NF1)

Même en vivant dans la rue, la fréquentation d’un organisme permet d’avoir une adresse où recueillir le chèque d’aide sociale :

« Q. Puis, quand t’es dans la rue comme ça, est-ce que tu es capable de recevoir tes chèques d’aide sociale quand même ?

En fait je suis dans, justement en ce moment, je suis sur Alternative Jeunesse.» (24AL20G1)

Pour certains de ces jeunes adultes en quête d’autonomie, la famille n’est pas toujours très loin : quinze d’entre eux ont continué d’y recevoir de l’aide dont 13 ont plus de 20 ans.

Le fait que des jeunes de 15-19 ans soient peu nombreux à recevoir ou à avoir reçu de l’aide de la famille, deux sur neuf interviewés, pose question. Cinq proviennent de Centres Jeunesse, de foyers de groupe ou de familles d’accueil. Certains ont déjà exploré plus d’une forme d’aide. On les retrouve dans des programmes d’Emploi- Québec (2), à l’aide sociale (4), dans des maisons d’hébergement (2), à se financer en faisant du squeegee (1). D’autres se sont débrouillés avec des copains ou un conjoint de fait (3). Aucun d’entre eux n’a de diplôme. Le faible échantillon ne permet sans doute pas de connaître de manière quelque peu exhaustive la situation des jeunes de ce groupe d’âge par rapport à la famille mais permet de s’interroger sur la qualité des liens.

Conclusion

Tous les interviewés n’ont pas connu l’expérience du marché du travail. Parmi ceux qui ont accepté de parler de cette question, 19 n’ont pas eu d’autres statuts que celui d’inactif, jusqu’à six entre 25 et 29 ans. Ce projet met donc en scène la grande variété de situations en regard de l’insertion professionnelle des jeunes adultes dont il vient d’être question. Ces jeunes représentent cependant le cas particulier de ceux qui ont beaucoup de difficulté à assurer leur autonomie financière par le biais de l’emploi. Ils se trouvent à l’extrémité des situations les plus difficiles. Ils ont connu peu d’expériences positives, soit qu’ils n’aient pas aimé les emplois qu’on leur a offerts, soit qu’ils aient eu de la difficulté dans les relations de travail (relations patron-employé, relations entre employés, organisation du travail). Il faut ajouter à cela des facteurs aggravants aussi personnels que la santé ou la toxicomanie. Des facteurs externes s’ajoutent comme ces types d’emplois qui semblent « réservés » à cette catégorie de personnes peu préparées à intégrer le marché du travail et qui sont moins bien rémunérés. Il y a aussi la concurrence de ceux qui sont mieux formés.

Les interviewés qui ont connu l’expérience de la rue ont, pour quelques-uns, aimé les défis que pose cette expérience même si c’est lorsqu’ils en sont à peu près sortis qu’ils acceptent d’en parler. L’aide sociale, d’après certains récits, permet la survie de ces jeunes qui font l’expérience de la liberté qu’ils croyaient « sans contraintes ». Mais la plupart voient le recours à l’aide sociale comme une usurpation. Ils préféreront quêter que de s’y inscrire. Les mots pour en parler ont été durs.

Les récits des interviewés témoignent des expériences de travail qu’ils ont vécues, fort peu nombreuses pour certains en tenant compte de l’âge. Comment en profitent-ils ?

Qu’ont-ils retenu de ces expériences ? Constituent-elles des atouts comme la polyvalence lorsqu’il s’agit de postuler un emploi ou si elles sont vues comme autant d’échecs qui peuvent rebuter ou faire craindre un employeur ? Jusqu’où peut aller l'accompagnement de ces jeunes sortis de l’encadrement des institutions scolaires ou de protection de la jeunesse à un âge où d’autres parviennent à l’autonomie ? Jusqu’à quel âge peut-on parler de socialisation à l’emploi ou au marché du travail ?

C’est entre 20 et 24 ans que les projets semblent les mieux formulés et les plus susceptibles de se concrétiser bien qu’un certain nombre de projets affichent peu de réalisme. Cela rejoint des résultats d’autres enquêtes où cette période de la vie est la plus propice pour entamer une insertion professionnelle qui a des chances de se stabiliser dans ces limites d’âge ou peu après. Les réserves observées chez les 25 à 29 ans ne doivent pas trop étonner dans ce cas. Lorsqu’on est devant rien à cet âge, c’est que les obstacles ont été importants et relèvent peut-être plus de facteurs personnels que de facteurs attribuables au marché du travail. Cela, à moins de considérer que dans une société qui recherche l’équité en emploi, des mesures d’aide pourraient peut-être davantage tenir compte des capacités et des limites de certains individus à se tailler une place sur ce marché. Ce constat incite à voir comment d’autres sociétés ont résolu cette question de l’intégration des personnes dont la santé physique ou mentale est fragile.

La plupart des récits entendus au cours des entrevues laissent deviner que la socialisation au marché du travail est loin d’être achevée pour un bon nombre. L’éducation permanente et les organismes dont le mandat est de faciliter l’insertion professionnelle constituent autant de maillons dans une pédagogie qui doit être pensée ou repensée en fonction de mesures d’accompagnement qui ne sont pas ou ne peuvent pas être assumées par le canal régulier des grandes institutions.

Il faut aussi se demander quelle place fait l’impératif de gagner sa vie à ceux qui manifestent de grandes difficultés à y parvenir.