• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 : CADRE DE LA RECHERCHE

4. La communication orale chez les enfants TSA d’âge préscolaire

4.2. La forme et le contenu du langage chez les enfants TSA

4.2.1. Langage réceptif. Bien qu’il existe une grande hétérogénéité langagière chez les enfants

TSA, deux tendances semblent apparaître : des particularités atypiques du traitement auditif et des difficultés de compréhension du langage abstrait et non verbal.

En ce qui concerne le traitement auditif, les individus TSA démontrent des profils très inégaux (Samson, 2012). Alors que l’écoute de certains sons susciterait des réactions négatives, voire une hypersensibilité auditive auprès de cette population (Gomes, Pedroso et Wagner, 2008), une certaine attirance pour des stimuli auditifs serait également rapportée par plusieurs auteurs (Eikeseth et Hayward, 2009 ; Simpson et Keen, 2010). Par exemple, les individus TSA possèdent l’« oreille absolue » cinq cents fois plus souvent que les personnes neuro-typiques (Takeuchi et Hulse, 1993). Certaines habiletés d’improvisation et de mémorisation musicale semblent également être développées de manière exceptionnelle chez certains individus TSA (Heaton, 2003 ; Miller, 1999). Dès lors, Samson (2012) postule que les réactions négatives et atypiques à l’égard de certains sons chez les individus TSA seraient dues à une hyperréactivité sur le plan cérébral. Des réponses corticales plus rapides et plus intenses ont été observées suite à l’écoute de stimuli auditifs chez les personnes avec autisme par rapport aux individus neuro-typiques (Ferri, Elia, Agarwal, Lanuzza, Musumeci et Pennisi, 2003; Gomot, Giard, Adrien, Barthelemy et Bruneau, 2002). Toutefois, certaines études rapporteraient également un traitement atypique de l’intensité sonore chez les personnes TSA dites « à bas fonctionnement », mais avec des réponses corticales plus lentes que celles d’individus neuro-typiques (Bruneau, Bonnet-Brilhault, Gomot, Adrien et Barthelemy, 2003; Bruneau, Roux, Adrien, & Barthelemy, 1999). Étant donné que les personnes à haut-fonctionnement développent un bon niveau de langage, Samson (2012) postule dès lors que la vitesse des réactions corticales serait davantage due à leurs habiletés langagières et non à leur TSA. En outre, une hyper discrimination auditive a aussi été rapportée par plusieurs chercheurs (Bonnel, Mc Adams, Smith, Berthiaume, Bertone et Burck, 2010; Bonnel, Mottron, Peretz, Trudel, Gallun et Bonnel, 2003; Jones, Happe, Baird, Simonoff, Marsden et Tregay, 2009 ; O’Riordan et Passetti, 2006). En effet, les résultats de ces études révèlent que les individus TSA auraient une capacité supérieure à discriminer des sons purs (simples) de fréquences différentes. Selon Hyde, Samson, Evans et Mottron (2009), la région accueillant le cortex auditif primaire serait plus épaisse chez les individus TSA, ce qui appuie l’hypothèse d’une supériorité de discrimination de sons purs chez cette population par rapport à la population générale. Quant au traitement de sons complexes, les personnes TSA présenteraient certaines particularités corticales. Les résultats de l’étude menée par Samson, Hyde, Bertone, Soulieres, Mendrek et Ahad (2011) révèlent, d’une part, une plus grande activité auditive primaire pour les sons temporellement complexes et, d’autre part, une baisse d’activité des régions auditives non primaires chez les individus TSA comparés aux individus neuro-

typiques. Ainsi, grâce à l’augmentation de l’activité auditive primaire, les individus TSA seraient plus facilement capables de percevoir et analyser les composantes du son (comme l’analyse d’un accord musical) (Heaton, 2003) ou encore de détecter un changement de hauteurs dans une séquence de sons (Gomot, Belmonte, Bullmore, Bernard et Baron-Cohen, 2008 ; Mottron, Peretz et Menard., 2000). En somme, les personnes TSA seraient capables de décomposer et analyser des fréquences de sons. Néanmoins, la diminution des régions auditives non primaires rendrait difficile l’intégration d’informations temporelles lors de tâches plus complexes. Les personnes TSA éprouveraient effectivement des difficultés à percevoir des informations dans du bruit ou des stimuli plus complexes (tels que le langage). D’après Shannon, Zeng, Kamath, Wygonski et Ekelid (1995), reconnaître et comprendre des sons vocaux et langagiers impliqueraient l’analyse de variations temporelles. Samson (2012) postule, par conséquent, que le traitement atypique de l’information temporelle des personnes TSA pourrait expliquer certaines de leurs spécificités langagières et communicationnelles. Une étude de Jarvinen-Pasley et ses collaborateurs (2008) viennent corroborer ce postulat en démontrant que les personnes TSA peuvent faire des jugements sur des propriétés perceptives du son (hauteur, timbre, intonation) avec plus de précisions que les personnes neuro-typiques. Mottron (2016) suggère dès lors que l’absence de production et de compréhension du langage oral chez des enfants TSA d’âge préscolaire pourrait s’expliquer par un rôle dominant des aspects perceptifs du langage qui empêcherait alors un traitement sémantique.

Sur le plan de la compréhension, les enfants TSA font face à des difficultés plus accrues pour décoder le langage imagé et non verbal (Henley, 2000). Les expressions comme « aller dans le mur » ou « casser la glace » doivent être comprises de manière abstraite par les personnes typiques. Or, les individus TSA donnent un sens littéral à tout événement. Il ne leur est donc pas aisé de comprendre ces expressions métaphoriques (Vermeulen, 2011). De ce fait, comprendre la communication non verbale représente également un grand défi pour eux. Si la communication non verbale est en lien avec la communication verbale, les personnes TSA de haut-niveau n’éprouvent pas de problèmes de compréhension. Pourtant, il arrive fréquemment que nos gestes ne correspondent pas à nos paroles. C’est souvent le cas lorsqu’il s’agit d’émotions de sarcasme, d’ironie ou d’humour. Par exemple, nous pouvons dire que nous allons bien puis soupirer profondément ensuite. Notre interlocuteur comprendra dès lors que nous n’allons pas aussi bien que nous le prétendons. Or, aucun livre n’explique la signification des expressions faciales, des gestes et des attitudes. Aussi, une expression ou un geste peut souvent avoir plusieurs significations et varier d’un individu à l’autre. Cette variabilité est déconcertante pour les personnes TSA. Il arrive que celles-ci soient capables d’identifier les expressions faciales ou émotionnelles. De plus, les individus TSA sont d’ailleurs des observateurs attentifs aux comportements corporels et aux expressions faciales d’autrui. Toutefois, ils ne comprennent pas les concepts émotionnels

implicites sous-tendant leurs observations factuelles. Par exemple, une personne TSA peut nommer la tristesse, mais a du mal à se représenter ce qu’est la tristesse. En effet, le niveau de représentativité des individus TSA est plus limité sur le plan émotionnel que les personnes neurotypiques (Vermeulen, 2011). Lors d’une étude menée par Baron-Cohen et ses collaborateurs (Baron-Cohen, Spitz et Cross, 1993), des enfants TSA ont démontré des difficultés à différencier le sentiment de surprise du bâillement. Visuellement, ces deux comportements se ressemblent (par l’ouverture de la bouche). La différence entre un bâillement et l’étonnement se situe dans l’apparition d’un événement inattendu. Or, les enfants TSA ont des difficultés à faire des liens et des inférences entre une information émotionnelle et des événements (Addy-Laird, 2014). Les comportements non verbaux restent donc pour eux un mystère (Vermeulen, 2011).

Malgré ces difficultés, les enfants TSA ont certaines forces sur le plan du langage réceptif. Les personnes ayant le syndrome d’Asperger ont, par exemple, une excellente mémoire (Grandin et Panek, 2013 ; Tammet, 2007). De manière générale, les modalités visuelles semblent également être plus fonctionnelles, voire même supérieures pour les personnes TSA lorsqu’on les compare à la population générale neurotypique (Grandin et Panek, 2013 ; Mottron, 2016; Prizant, 1983). Les individus TSA seraient meilleurs à discriminer certaines dimensions propres à l’apparence physique des objets (comme le mouvement, la luminosité, la structure). Les personnes TSA semblent ainsi pouvoir traiter des formes complexes sans un processus de raisonnement langagier interne (Mottron, 2016). Dès lors, leur apprentissage s’effectuerait de manière perceptive en examinant les régularités structurelles de l’environnement. Les personnes TSA présentent un intérêt accru pour le code écrit, les chiffres, la géométrie des objets, les fonctionnements de mécanismes, etc. (Mottron, 2016). Plusieurs interventions, telles que les pictogrammes, utilisent d’ailleurs des images pour communiquer avec l’enfant. Les milieux de garde et les institutions scolaires font également appel à des séquences et horaires visuels pour aider l’enfant à comprendre son environnement et les consignes (Ménard, 2013). Ces stratégies feront l’objet de la prochaine section abordant les interventions axées sur la communication chez l’enfant TSA d’âge préscolaire.

4.2.2. Langage expressif.

Sur le plan de l’expression, les enfants TSA présentent différentes caractéristiques atypiques sur le plan verbal ainsi que des comportements verbaux non conventionnels.

4.2.2.1. Caractéristiques verbales. Certains problèmes moteurs sont fréquemment observés chez les enfants TSA tels qu’un retard d’acquisition de la parole ou encore de la dyspraxie (Abouzeid, 2013). La dyspraxie est caractérisée par des déficits dans les habiletés de motricité fine et globale, par un manque de coordination, par la présence de stéréotypies ainsi que par des retards de développement (Dowell,

pour combler leurs besoins immédiats (tel que prendre la main ou le poignet d’un adulte pour accéder à un objet) (Willis, 2009). La communication n’est donc pas développée à des fins sociales afin d’attirer ou d’interagir avec l’entourage. En outre, les enfants TSA développent des caractéristiques vocales et prosodiques très particulières (Bolduc, 2013). De manière générale, leur intonation et le volume de leur voix semblent souvent monotones ou inadaptés au contexte. Il arrive que les enfants TSA ne modulent pas leur voix en fonction de leur environnement (voix chuchotée ou trop forte). Le débit de parole semble parfois très lent avec la présence occasionnelle d’un « accent » différent de l’entourage social (Collège des médecins et Ordre des psychologues du Québec, 2012).

4.2.2.2. Comportements verbaux. Des comportements verbaux non conventionnels, tels que le langage persévératif, le questionnement incessant et l’écholalie, sont également fréquents chez les enfants TSA.

Chez l’enfant TSA, le langage persévératif ou le questionnement incessant peuvent être liés à des états émotifs ou à des difficultés à intégrer l’information entendue. Le langage persévératif est la répétition persistante d’un mot, d’une phrase ou d’une combinaison de phrases qui sont spontanées ou imitées (on parle dans ce cas d’écholalie). Celles-ci sont produites de façon cyclique et récurrente (Addy-Laird, 2014). La distinction entre le langage persévératif et le questionnement incessant réside dans l’intention de communication. Alors que le langage persévératif apparaît sans réelle intention de communiquer, le questionnement incessant est dirigé vers un interlocuteur en attente d’une réponse. Ces comportements persistent immédiatement après la réponse ou après un certain délai, et ce, même si une réponse ou un commentaire a été fourni. Leurs raisons de ces comportements peuvent être variées : anxiété, incompréhension, etc. (Willis, 2009)

L’écholalie, qui consiste à imiter et répéter un mot ou une phrase, fait partie du développement du langage chez les enfants neuro-typiques âgés d’environ 18 mois. Néanmoins, 85% d’enfants TSA présentent de l’écholalie alors qu’ils ont déjà atteint des étapes plus avancées dans leur développement langagier. Il se peut, en effet, qu’ils utilisent encore des formes écholaliques jusqu’à l’âge de 78 mois, même s’ils ont acquis de bonnes habiletés de compréhension langagière, par exemple. De manière plus globale, Prizant (cité par Mottron, 2004) décrit une séquence de sept « transformations » langagière chez les enfants TSA (voir tableau 2, page 28).

Selon Prizant (cité par Mottron, 2004), le premier stade de transformation est caractérisé par le mutisme chez les enfants TSA. Alors que l’enfant neuro-typique développe une communication sociale par des gestes et des sons avant de s’exprimer oralement, les enfants TSA n’utilisent généralement pas de mots, ni de gestes jusqu’à l’âge de trois ans.

L’enfant passe ensuite par un second stade marqué par de l’écholalie immédiate. Celle-ci survient immédiatement après l’énoncé de l’adulte ou à l’intérieur de deux tours de parole. Elle va de la répétition pure (répétition exacte) à l’écholalie mitigée (avec un changement minimal ou la répétition d’un seul élément de la phrase entendue). L’écholalie immédiate peut être produite avec ou sans intention communicative. Elle peut aussi être liée à une incompréhension, à une stratégie pour gérer un stress ou encore à une volonté d’interagir socialement (Prizant, 1983).

Le troisième stade du développement langagier de l’enfant TSA associe l’écholalie immédiate à l’écholalie différée avec une inversion du pronom5. L’écholalie différée est répétée au moins trois tours de parole après l’énoncé original. Elle apparaît des heures, des jours, voire des mois plus tard après l’énoncé entendu. Comme l’écholalie immédiate, l’écholalie différée passe de la répétition rigide à l’écholalie mitigée. Elle peut être produite avec ou sans intention communicative. Elle peut aussi être associée à une incompréhension ou à une personne, un endroit, un sentiment ou à une sensation vécue précédemment dans une situation similaire (Prizant, 1983). Souvent, la phrase répétée s’inscrit dans la situation originale d’apprentissage et conserve un caractère permanent et figé. Elle est utilisée a priori sans référence avec la situation puis, peu à peu, utilisée de manière compréhensible et référentielle par l’entourage (Mottron, 2016). L’écholalie différée peut avoir plusieurs fonctions communicatives telles qu’une demande, un commentaire, un signe d’anxiété, etc. Une inversion des pronoms est aussi observée durant cette phase (Prizant, 1983).

Le quatrième stade est caractérisé par l’écholalie immédiate et différée ainsi que par un langage stéréotypé en contexte. Le langage stéréotypé est un énoncé dont la forme est figée et qui apparaît dans un contexte particulier. C’est souvent un élément visuel qui déclenche l’énoncé stéréotypé. Ces énoncés stéréotypés peuvent aider la personne TSA à commencer ou à terminer la conversation de manière automatique et rituelle, sans se soucier du contenu des réponses de l’interlocuteur (Prizant, 1983). La personne TSA cherche alors une certaine prédictibilité dans la structure d’une conversation afin de réduire son anxiété due à l’interaction sociale.

À partir des trois derniers stades, la personne présentant un TSA évolue vers un langage de moins en moins écholalique. En effet, le cinquième stade apparaît lorsque l’enfant ne produit plus d’écholalie immédiate, mais seulement de l’écholalie différée tout en maintenant un langage stéréotypé. Même s’il développe davantage son expression, il maintient une inversion des pronoms, comme expliqué dans les stades précédents. L’écholalie disparaît au sixième stade, mais l’individu garde tout de même un langage

5Un enfant qui produit des énoncés avec inversion pronominale utilisera des énoncés à la deuxième ou à la troisième

personne pour faire référence à lui-même (par exemple : Il répondra à la question « As-tu soif ? » par « Il est fatigué »). De manière générale, les enfants TSA ont des difficultés à comprendre, à analyser et à généraliser la

stéréotypé dans son expression. Finalement, le langage stéréotypé fait progressivement place à une répétitivité thématique sur le plan expressif. Cette répétitivité thématique s’articule autour des sujets d’intérêts de la personne TSA sans prendre en compte les nouveaux sujets proposés par son interlocuteur.

Selon Mottron (2004), les enfants âgés de 3 à 5 ans TSA sans déficience intellectuelle (de type prototypique) franchiraient fréquemment de façon accélérée les étapes décrites par Prizant (1983) jusqu’à une certaine stabilisation correspondant à leur QI. Les personnes TSA ayant une déficience intellectuelle (de type syndromique) les passeraient plus lentement et de manière incomplète. Wodka et ses collaborateurs (Wodka, Mathy et Kalb, 2013) ont mené une étude sur les prédicteurs du langage oral chez les personnes TSA. Les résultats de cette recherche démontrent que les enfants de type prototypique ne parlant pas à 4 ans, développent un langage oral après 5 ans. 50% d’entre eux possèdent un langage fonctionnel. Ceux, de type syndromique, atteignent ce niveau vers 6 ans. Au total, 70% des enfants autistes ayant un retard langagier maîtrisent le langage au plus tard à 8 ans. Mottron (2004, 2016) en conclut que le profil langagier de l’autisme prototypique se définit « en baïonnette » avec une augmentation soudaine du langage, et ce, peu importe le type d’intervention auquel est soumis l’enfant. En somme, un enfant TSA semble apprendre le langage oral en le stockant, sans le comprendre au départ puis l’utiliser de manière fonctionnelle et mature trois ans plus tard (Mottron, 2016).

Type de langage prédominant Âge chronologique (Autisme)

Âge chronologique (S. d’Asperger)

Mutisme 30 à 36 mois n.a.

Écholalie immédiate 36 à 48 mois n.a.

Écholalie immédiate et différée (avec inversion

pronominale) 48 à 54 mois n.a.

Écholalie immédiate et différée + langage stéréotypé

en contexte 48 à 60 mois n.a.

Écholalie différée + langage stéréotypé + langage

expressif 48 à 78 mois n.a.

Langage stéréotypé + langage expressif 60 à 96 mois n.a.

Langage expressif hyper-grammatical avec

répétitivité thématique > 96 mois

Installation accélérée vers 18-

30 mois Tableau 2 : Développement langagier des enfants TSA

Adapté de Mottron, 2004.