CHAPITRE 2 : CADRE METHODOLOGIQUE
5. Description du programme musical
5.1. Description de l’approche Orff
5.1.1. Principes généraux.
Le programme d’éveil musical élaboré dans le cadre de cette thèse s’appuie sur les fondements de l’approche Orff. Cette dernière a vu le jour grâce à Carl Orff, compositeur, chef d’orchestre, répétiteur et pédagogue. Ses rencontres avec la danseuse Dorothee Günther et la musicienne et pédagogue Günild Keetman se sont avérées significatives dans le développement du « Schulwerk » : un ouvrage élémentaire comprenant des exercices musicaux et des chansons orchestrées pour les enfants (Goodkin, 2004 ; Keetman, 1974 ; Orff et Keetman, 1977).De manière plus spécifique, l’approche Orff met particulièrement l’accent sur le langage oral par l’intermédiaire de la variété des rythmes qu’il génère. L’expression est favorisée à travers de multiples facettes : vitamines rythmiques, parler-rythmés, ostinato, etc. Sous toutes ses formes, le rythme se déploie à travers le mouvement, le chant, les percussions corporelles et les instruments percussifs. L’approche Orff vise à instaurer une conscience mutuelle d’autrui (Steen, 1992). Chaque activité valorise la coopération par l’improvisation et crée ainsi un environnement propice aux expériences d’ensemble (Comeau, 1995).
La démarche d’apprentissage de l’approche Orff s’effectue selon une séquence en cinq étapes : soit explorer, observer, imiter, expérimenter et créer (Comeau, 1995). Cette démarche s’harmonise au développement global de l’enfant. Pour Carl Orff et ses collaboratrices, le but premier de l’éducation musicale est de développer les facultés créatrices de l’enfant. Ainsi, après avoir exploré la sonorité des mots, des mélodies et des instruments, l’enfant est amené peu à peu à en faire usage et à en inventer à travers différents types d’activités musicales. Pour inciter l’enfant à créer, l’approche Orff utilise trois moyens d’expression : le corps, la voix et l’instrument. Le corps sert à développer les mouvements naturels de l’enfant. L’approche Orff prône à cette fin les danses folkloriques et les percussions corporelles (appelées vitamines rythmiques). L’expression vocale est sollicitée par la voix parlée et chantée afin de favoriser le rythme musical. De son côté, l’instrumentarium Orff est introduit comme extension au mouvement et à la voix. Les différents instruments de percussion sont adaptés à la taille et aux habiletés physiques des enfants. Ils sont inspirés, entre autres, des musiques africaine, indonésienne, latine et européenne. L’ensemble du matériel musical se base sur une gamme de cinq tons : la gamme pentatonique. Comme cette dernière ne contient pas de demi-tons, elle ne comporte pas de tension. Très présente dans le folklore enfantin, elle permet également d’être associée à un accompagnement simple et accessible à tous (le « bourdon », accompagnement répétitif associé à une mélodie ou l’ « ostinato », motif rythmique, mélodique ou harmonique répété en boucle) lors des activités d’improvisation sans dissonance. L’enfant se sent donc plus libre pour créer de nouvelles mélodies. Progressivement, l’enfant ose s’exprimer dans des improvisations individuelles (Comeau, 1995).
5.1.2. Rôle de l’enseignant dans l’approche Orff. Le rôle de l’enseignant est très particulier
dans l’approche Orff. Il sert au départ de modèle, d’initiateur puis s’efface au fur et à mesure des progrès de l’enfant. Il devient progressivement un guide pour que l’enfant puisse explorer, découvrir et créer ses expériences et ses connaissances musicales. L’enseignant ne suit pas de cursus écrit, séquencé et structuré à l’avance. Doté d’une grande liberté, il bâtit ses cours dans un esprit créateur et imaginatif. L’approche Orff est donc considérée davantage comme une philosophie de l’éducation musicale ayant un mode d’application très flexible.5.1.3. Limites de l’approche Orff.
Certains auteurs ont émis des critiques quant aux pédagogies actives en général et plus spécifiquement à l’encontre de l’approche Orff. En effet, Delalande (2003) conteste le type de répertoire musical (souvent classique, traditionnel ou romantique) privilégié dans les méthodes actives reflétant une tradition tonale musicale très ancrée. Selon lui, les pédagogies actives n’aborderaient pas la musique d’aujourd’hui et offriraient une vision de la musique limitée à un système cohérent, mais fermé. Un de ses collègues, Maneveau (1977), prône davantage un enseignement de la musique non conventionnel sans l’apprentissage nécessaire du solfège et de la lecture musicale. Enoutre, ce dernier rappelle également que les méthodes actives ne sont pas une fin en soi, mais une manière d’accéder et d’apprécier la musique. Jean Piaget (1969) mettait en garde, lui aussi, les professionnels éducatifs en réaffirmant que la participation active de l’enfant, au sens moteur, devrait prendre une importance décroissante au fur et à mesure que l’enfant grandit.
De manière plus particulière à l’approche Orff, Comeau (1995) émet quelques critiques à l’encontre de cette pédagogie. Il cite un « manque de rigueur » accordé au mode d’apprentissage musical qui n’est pas présenté de manière structurée dans un programme précis. Comeau (1995) pointe également la liberté offerte à l’enseignant dans la sélection du répertoire musical. Outre les chansons et comptines enfantines, l’enseignant a effectivement le choix d’utiliser tout type de matériel qui l’intéresse. Toutefois, cette critique pourrait sans doute rassurer les auteurs précédemment cités (Delalande et Maneveau) qui jugent défavorable le répertoire tonal offert dans les pédagogies actives. En effet, cette ouverture offerte à l’enseignant pourrait lui donner l’occasion de fournir un répertoire musical atonal, de musique contemporaine et de musique nouvelle.