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C’est à force de pratiquer qu’on devient bon praticien »

« C’est à force de pratiquer qu’on devient bon praticien »

La formule appartient à Pierre Gillet, procureur de communauté, hors norme s’il en est, dont l’action s’étend sur plusieurs mandats et sur toutes les ramifications de la communauté. Sa présence lors des rapports finaux de la commission de la postulation est manifeste comme dans plusieurs autres pièces d’archive de la communauté où sa plume singulière se reconnaît entre toutes1. À cette production interne à la communauté s’ajoute le Code Gillet publié en 1694 et réédité en 17172.

La formule place la pratique au cœur du métier de procureur. L’office, rappelons-le, n’a eu pour Pierre Gillet que de douloureuses conséquences3. La formule a beau s’adresser aux procureurs en particulier, elle n’en oriente pas moins le sens qu’il est envisageable de conférer aux actions des praticiens au sens large. Aux marges de l’office vivent les pratiques et circulent les clientèles, confortant l’idée d’une dissociation condamnable pour l’ordre communautaire, mais fonctionnelle pour le métier. La Chambre de la postulation constate en tentant d’agir sur les arrangements privés que les pratiques circulent bien avec de simples titres empruntés, si bien qu’elles échappent à l’espace physique censé les contenir, l’étude et l’espace juridique censé les définir, le traité d’office.

Mise en exergue en première partie, la dissociation de l’exercice du métier et du titre invite en deuxième partie à nous interroger sur les contextes qui la voient naître, se manifester, se prolonger au-delà des registres censés la saisir. D’abord l’étude, où tout commence, où les

1 BnF, Ms français 16530, fol. 162 et 163, la plume de Gillet que l’on retrouve en marge des délibérations de la

Chambre de la postulation : « Presentations. L’advis de M. Gillet sur le contenu en ces articles sur l’usage observé jusques à cette heure pour la quotité des droits et salaires ». « Le projet est d’une estendue qui en rend l’execution en bien des articles impratiquables ».

2 Recueil formé par Pierre Gillet, connu sous le titre de Code Gillet. Arrêts et règlements concernant les

fonctions des procureurs, tiers référendaires du parlement de Paris, où l’on voit la conduite qu’il faut tenir dans l’instruction des procès jusqu’à jugement définitif, Paris, chez Jacques Le Febvre, au logis de la Veuve Pepingué, ruë de la Harpe vis-à-vis la ruë Saint Severin, au Soleil d’or & à la Grande Harpe, 1694.

3 « Depuis la création des Procureurs en titre d’Office, qui a esté long-temps suspenduë, les Clercs ont negligé

leur devoir : plusieurs n’ont cherché que le titre, sans s’apliquer à se rendre capables de l’exercer. Ce défaut en a attiré beaucoup d’autres, qui ont rendu la profession, quoyque necessaire, odieuse dans le public, qui n’a point d’estime pour ceux qui manquent à leur devoir », dans Code Gillet ou Arrêts et règlements concernant les fonctions des procureurs, tiers référendaires du parlement de Paris, où l’on voit la conduite qu’il faut tenir dans l’instruction des procès jusqu’à jugement définitif, nouvelle édition augmentée, Paris, Chez la veuve Lefebvre, ruë St-Severin au Soleil d’Or, 1717, p. 70.

ententes sous-jacentes aux postulations prennent naissance, où diverses figures, influences et solidarités rendent non seulement la postulation possible, mais parfois indispensable. L’étude encore, bassin attractif de clientèle, lieu où convergent les figures associées à ce solliciteur de procès. Principal levier d’intervention de la commission, la saisie des pièces sur les postulants dit la revendication de la communauté sur ces pratiques tant convoitées qui lui échappent. Une réflexion s’engage alors sur les moyens non pas de définir la pratique, mais de définir les moyens pris par la communauté pour contrôler cette pratique. À vouloir les contenir, les contrôler, les certifier, la communauté parle des contextes, des lieux, des moyens, des rapports que la pratique ordonne.

Chapitre 5

L’étude du procureur et la postulation obligée

Lieu rarement investi par les historiens faute de sources, l’étude de procureur n’en demeure pas moins l’atelier de fabrication des postulations. C’est dans l’étude que sont conservés les papiers, que sont menées les perquisitions, que sont réalisées les saisies. C’est là encore où les pièces sont rédigées, où leur circulation est la plus dense, les contraintes les plus pressantes, là enfin où la tentation est la plus forte. Traversée par des influences de toutes sortes, l’étude vit au rythme de ses occupants et de la clientèle qui y circule.

L’histoire a le plus souvent saisi les clercs de procureurs à l’intérieur de la communauté de la Basoche. Alors que les pratiques culturelles des clercs ont longtemps servi à définir ce groupe, des études plus récentes s’appliquent à analyser la Basoche en tant qu’organisation professionnelle, en renouvelant le corpus de sources à ce sujet1, et à donner une signification plus large à ce mouvement de jeunesse en lui conférant une dimension politique2. Autrement que par le biais des témoignages littéraires, les relations qu’entretiennent procureurs et clercs à la fin du XVIIe siècle demeurent cependant obscures. Et pour cause, les sources sont dispersées et les arrêts visant à réglementer les rapports entre procureurs et clercs font l’impasse sur la fixation du nombre de clercs par étude, les modalités de rémunération et de travail. En outre, sous des appellations souvent dissimulées chez le notaire, les clercs de procureurs se laissent malaisément interroger3. Si les commissaires de la postulation ouvrent au chercheur la porte de l’étude, ils peinent ensuite à offrir un portrait plus large de ses habitants, de ses modes d’organisation et des rapports qui peuvent être à l’origine des postulations. Aussi, la contribution essentielle pour interroger les clercs, en parallèle des registres de postulation, provient des minutes de commissaires enquêteurs au Châtelet4.

1 Marie BOUHAÏK-GIRONÈS, Les clercs de la Basoche et le théâtre comique (Paris, 1420-1550), Paris,

Honoré Champion, 2007.

2 Sara BEAM, Laughing matters. Farce and the making of absolutism in France, Ithaca (N.Y.), Cornell

University press, 2007.

3 Les études sur la cléricature notariale parisienne identifient le même problème. Hassen EL-ANNABI, Être

notaire à Paris au temps de Louis XIV. Henri Boutet ses activités et sa clientèle (1693-1714), Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis, 1995, p. 180 : « D’une manière générale, les clercs qui passent contrat devant notaires se présentent sous le titre de ‘bourgeois de Paris’ sans donner leur métier ».

4 Les études de Christine Métayer sur les écrivains publics des St-Innocents et d’Alain Thillay sur les « faux

ouvriers » du faubourg Saint-Antoine font toutes deux appel à ce fonds d’archives pour éclairer des groupes qui n’ont pas d’existence autrement. Christine MÉTAYER, Au tombeau des secrets. Les écrivains publics du Paris populaire, Cimetière des Saints-Innocents, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 2000 ; Alain

Évidemment, la nature même de la plainte portée devant le commissaire du Châtelet déforme le tableau que l’on voudrait dresser de la vie des clercs dans l’étude du procureur. À l’exemple des clercs du XVe siècle qui n’apparaissaient dans les registres du Parlement qu’en cas de litige5, les clercs de la fin du XVIIe surgissent des minutes de commissaires au Châtelet pour avoir porté l’épée, avoir insulté des passants, avoir volé leur maître, pour avoir fui l’étude, pour avoir rompu une promesse de mariage ; distorsion initiale qui s’accompagne des artifices de langage et de l’uniformisation des formules orales mises par écrit6. En dépit de ces limites, plusieurs indices éclairent les sociabilités à l’intérieur des études de procureur. Entre la liberté du procureur à choisir ses clercs et la réalité des affaires, le portrait de l’étude montre que la maîtrise du procureur sur son étude n’est pas celle d’une verticalité à toute épreuve.

THILLAY, Le faubourg Saint-Antoine et ses « faux-ouvriers ». La liberté du travail à Paris aux XVIIe et

XVIIIe siècles, Paris, Champ Vallon, 2002, p. 70 : « Les minutes des commissaires de police ont cet autre

avantage de préciser, mieux que celles des notaires, les qualités des individus ».

5 Marie BOUHAÏK-GIRONÈS, op.cit.

6 Sandrine WALLE, « De la déclaration orale du témoin à sa restitution écrite par le commissaire et son clerc à

Paris au XVIIIe siècle », dans Benoît GARNOT (dir.), Les témoins devant la justice : Une histoire des statuts

et des comportements, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 351 : « L’effet visé par la justice étant que la forme garantisse la véracité, ce n’est pas le récit d’une histoire que donnent nos documents, mais plutôt le discours d’une procédure. Il y a ainsi un remaniement de la parole du témoin en un discours logique et juridique ».

La composition des études de procureur

Rarement questionné, le modèle traditionnel de subordination entre le maître de l’étude et ses clercs offre peu d’espace à d’autres figures ou formes de sociabilité. Or, les enseignements de la postulation obligent à affiner cette économie trop schématique des études parisiennes. Si tant est que les commissaires de la postulation précisent une qualité autre que celle de postulant, les registres dévoilent de nombreux individus de tout acabit qui circulent dans l’étude du procureur ou à ses abords. Se déploie alors une galerie hétéroclite susceptible d’éprouver l’association très intuitive entre clercs et procureurs.

Le personnel de l’étude

Depuis que les procureurs ont réclamé des aides dans l’exercice de leurs fonctions7, l’emploi du clerc dans les études ne soulève aucune ambiguïté : « Tous les Procureurs au Châtelet prennent chez eux un certain nombre de Clercs, destinés à les aider dans la conduite des affaires & à les soulager dans leur travail 8 ». La question du nombre de clercs par étude est récurrente, car déterminante, présume-t-on, du volume d’affaires que draine l’étude. Contrairement à certaines juridictions9, celle du parlement de Paris demeure muette à ce sujet. La même absence est notable au Châtelet : « Rien ne gêne les Procureurs sur le choix des Sujets qu’ils veulent bien admettre chez eux, rien n’en détermine le nombre : l’un & l’autre dépendent de la confiance du Maitre, & du plus ou du moins d’affaires dont il peut être chargé10 ». Est-il néanmoins possible d’approcher le personnel de l’étude ?

7 « Les Procureurs qui se trouvoient d’abord en trop petit nombre, à cause de la multiplicité d’affaires qui étoient

pendantes en la Cour, demanderent des aides pour travailler avec eux », FERRIÈRE, Dictionnaire…, op.cit. 1769, t. 1, p. 171.

8 BnF, 4-FM-23768, Mémoire pour la Communauté des Procureurs au Châtelet de Paris, Appellans. Contre

Jean-Baptiste Cousin & Claude-Nicolas Leloup, soi-disant Anciens de la prétendue Communauté de la Bazoche du Châtelet, Intimés, 1759, 83 p. Objet du litige : La communauté des procureurs au Châtelet s’insurge contre une association, un tribunal, formé chez les clercs à l’initiative de quelques-uns d’entre eux.

9 « Les procureurs à la Chambre des comptes, bien qu’ils ressortissent à une cour d’exception et dont l’exercice

n’est pas dérogeant à la noblesse, peuvent, d’après le règlement du 2 mars 1602 avoir chacun deux clercs, et la communauté de ces clercs forme une basoche spéciale désignée sous le nom d’Empire de Galilée », dans BATAILLARD, Histoire des procureurs…, op.cit., t. 1, p. 178. Il existe en certaines juridictions des prescriptions, notamment à Angers où le nombre des clercs des avocats-procureurs « excede même celuy qui est prescrit par les Reglemens », dans BnF, F-21093 (85), « Sentence de la sénéchaussée d’Angers qui ordonne aux avocats procureurs d’avoir des registres et d’y insérer l’argent qu’ils touchent des parties et fait défenses à leurs clercs d’en recevoir », 23 août 1721, Paris, imp. de Delatour, 1723, p. 3.

10 BnF, 4-FM-23768, Mémoire pour la Communauté des Procureurs au Châtelet de Paris, […] contre Jean-