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Les fondements historiques des relations politiques, sociales et culturelles Kinh-minoritaires au Vietnam septentrional

Il est impensable d'insérer dans ce mémoire un portrait historique complet établissant avec détail les problématiques associées à l'intégration des minoritaires au Nord Vietnam, encore moins dans le Vietnam en entier. En plus d'élargir de façon injustifiée la perspective de recherche choisie, ce type de travail est déjà réalisé par d'autres auteurs et il semble préférable d'apporter des éléments d'analyse différents (mais assurément liés) provenant du terrain de recherche spécifique à cette étude. Ceci dit, une assise historique ciblée est indispensable à la compréhension de l'analyse proposée dans ce mémoire.

3.1 Le Vietnam pré-colonial et colonial pour les minoritaires

C'est au milieu du 19e siècle que des détails ethnographiques - bien ancrés dans un

darwinisme social toujours bien présent de nos jours - ont été recueillis avec un certain effort de systématisation par les missionnaires (Michaud 2008; Salemink 2003). Ces données ont été accumulées dans l'objectif d'améliorer la christianisation des groupes en question généralement considérés comme arriérés et indignes de confiance (voir aussi section 2.6). Avant cette rencontre, les missionnaires attribuaient plutôt, dès 1766, des espoirs pour la christianisation de certains de ces groupes. Mgr Reidellet s'exprimait ainsi après avoir exposé des informations de seconde main - tirées des marchands chrétiens - sur un groupe de montagnards :

Quoi qu'il en soit, je suis persuadé que ces peuples simples sont beaucoup plus disposés à recevoir la religion que les Tonkinois qui sont attachés à leurs superstitions, qui sont enflés de leurs prétendues sciences, dont un grand nombre, sans être chrétiens, connaissent cependant notre religion, mais un certain orgueil secret, une certaine faiblesse, un je ne sais quoi les empêche de parvenir à la vérité ( 1766 dans Forest et Condominas 1998 : annexe 1 ).

L'application méticuleuse des préceptes institutionnels appuyés militairement pour la christianisation des minoritaires par les missionnaires français était généralement plus importante que la réaction de l'État vietnamien qui, cherchant à maintenir le Confucianisme comme religion d'État, tentait de contrer les avancées des catholiques au

pays. D'autres contacts s'établirent avec les militaires français intéressés par la possibilité de maintenir une route commerciale viable vers la Chine. Les minoritaires de la province de Lào Cai, notamment les Hmong et les Yao, entretenaient ainsi des relations commerciales ponctuelles avec certains Chinois installés momentanément dans la région. Ces échanges, fondés sur les produits de la forêt mais aussi sur l'opium dont la culture devenait plus significative, sont demeurés d'un impact minime en comparaison à ceux engendrés par le couloir Yunnan - Lào Cai (Michaud 2000a).

C'est véritablement à la fin du 19e siècle que les Français ont établi concrètement une politique de séparation dichotomique des Hautes-Terres et des Basses-Terres, entre autres pour limiter les contacts entre des populations dont les degrés de « civilisation » (terme subséquemment remplacé par le « développement » et/ou par la « modernisation » ) différaient de manière évidente. L'intérêt premier était le maintien et la facilitation du commerce de l'opium dont l'aspect lucratif était incomparable et en soi suffisant pour justifier le statu quo dans les relations pré-coloniales entre, notamment, les Hmong et les

Tai qui marchandaient déjà ce produit avant l'arrivée des colonisateurs (Michaud 2000a). Les années qui suivirent n'ont pas occasionné une étude constante de la part des Français, mais le travail d'ethnographe des militaires de l'époque se doit d'être remarqué puisqu'il influencera les classifications suivantes qui servent d'assises historiques structurelles à la préservation culturelle sélective contemporaine que nous explorerons plus loin.

À partir de 1946, et jusqu'à la bataille de Diên Bien Phû en 1954, les Français ont combattu le Viet Minh32. Près de Sa Pa et de Bàc Hà, dans la province de Lào Cai, les

Hmong et les Yao - du moins un bon nombre d'entre eux - se sont rangés du côté des Français (McAlister 1967 dans Michaud 2000a). Cependant, une erreur stratégique des dirigeants français, justement associée à une méconnaissance de la culture locale, a mené

31 Les travaux de Escobar (1995), de Olivier De Sardan (1995) et de Burawoy et Verdery dans le contexte

post-socialiste (1999), ont précisé de façon détaillée ce transfert de terme, adapté aux circonstances historiques et politiques spécifiques.

32 La branche armée du PCV formé premièrement à travers le Indochinese Communist Party (ICP) en 1941

par des artistes, des travailleurs, des femmes et des écrivains. Le ICP créa ce groupe pour gagner le support populaire pour l'indépendance nationale et la réforme économique et sociale. Le Viet Minh s'est accaparé le pouvoir au Vietnam après le dépôt des armes des Japonais. Le Viêt Minh est par la suite devenu un allié direct de la République Démocratique du Vietnam (Duiker 1998).

l'armée à une défaite relativement imprévisible. Le Viêt Minh a habilement utilisé les conflits possibles entre les minoritaires, alors que les Français ne pouvaient plus compenser le rééquilibrage des forces, maintenant à leur net désavantage (voir aussi McElwee 2004).

3.2 Le Nord Vietnam socialiste et l'unification 1956 -1986

Figure 1 : Carte du Vietnam. Hà NQi encadrée en bas de la carte, Lào Cai encadrée en haut de La carte (source : http://yvww.vale.edu/seas/VietnamMap.htmL ma modification).

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Figure 2: Carte de la province de Lào Cai

( Source : http://cdcmeroup.net/phim/Maps/VietnamAdministrationMap/LaoCai.ips)

Après cette victoire de la République Démocratique du Vietnam (RDV), il était nécessaire de rétablir, si ce n'est que momentanément, les relations avec les groupes minoritaires du Nord. Bien qu'il ait été décidé au premier congrès du Parti Communiste Indochinois que les minoritaires ayant participé au combat contre les Français devaient prendre possession de zones autonomes; les zones en question sont demeurées contrôlées et gérées par le gouvernement en place pour être ensuite révoquées en 1981 sous des prétextes économiques (McElwee 2004: 192-195). À la suite d'une collectivisation des terres dans la province de Lào Cai, largement supportée par le mouvement de Kinh du Sud du Fleuve Rouge vers les basses-terres du Nord, les minoritaires se sont retrouvés à vendre leur force de travail aux coopératives dirigées par les Kinh nouvellement arrivés (Michaud 2008). Du même élan, on commence à limiter des pratiques ancestrales qualifiées de superstitions alors que la représentation du « minoritaire en voie de développement » se consolide en se formant notamment à travers des commentaires glorifiant le début d'une

économie de type socialiste (Salemink 2000, 2003). Parallèlement, la culture profitable de l'opium chez les Hmong et les Yao se poursuit jusqu'en 1982 pour être ensuite complètement éliminée en 1993. Notons à ce sujet que les campagnes promotionnelles contre ce type d'agriculture, de même que les représentations associées à sa disparition, sont toujours en usage à ce jour et l'analyse des données de terrain s'intéressera à ce phénomène (voir chapitre 5).

3.3 Le Nord Vietnam post-socialiste et la Dôi moi 1986-à ce jour

En regard des changements politiques et économiques dans la Chine voisine33, c'est en

1986 que la Dôi moi, la Rénovation Économique, s'installe avec vigueur au Nord Vietnam. La conséquence économique générale est celle d'un relâchement volontaire de la prise de l'État sur le marché pour assouplir les lourdes structures qui empêcheraient une production suffisante34. Le phénomène entraînera une recrudescence de la migration interne des Kinh

vers les terres du Nord. Le processus de sédentarisation des minoritaires s'accentuera durant ces années alors que l'acquisition légale des terres sera généralement contrôlée par les Kinh qui ont accès à l'information nécessaire pour juger de la valeur marchande de celles-ci (McElwee 2004; De Koninck 1997). En conséquence, plusieurs minoritaires seront dépossédés des terres pour lesquelles la séparation n'avait en fait que rarement été définie géographiquement avec précision. De plus, alors que certaines de ces terres seraient conservées dans une communauté donnée pour des intérêts spirituels, ces prédispositions historiques se trouveront à être dénuées de sens pour la majorité des gestionnaires étatiques kinh qui percevront plutôt ces terres comme des espaces sous-utilisés, potentiellement lucratifs pour la monoculture de riz. Les revenus substantiels de la production d'opium

Il est utile de préciser que la Chine, le Laos et le Vietnam ajustèrent leurs politiques économiques de 1978 à 1986. La Chine initia le changement qui fut rapidement adopté par les nations socialistes voisines (voir Dreyer 2008). Ce type de « collaboration » économique et politique comportant son lot de frictions et d'animosité a été généralement maintenu, entre autres à travers la défense d'intérêts économiques communs.

4 Pour des détails sur cette transition économique au Vietnam, le lecteur sera intéressé par la description du

phénomène de déséquilibre créé par l'ouverture partielle du marché dans les années précédentes par le gouvernement dans le texte de Luong (2003). Voir aussi Gainsborough (2009).

disparus (ou drastiquement amoindris ), les minoritaires de la région devront également composer avec l'impossibilité légale de couper la forêt à partir de 1993. Cette méthode de gestion des terres et de la forêt aurait en outre facilité l'intégration du Vietnam (et des minoritaires de la région) dans une version moderne de la gestion territoriale. Marie Mellac suggère à ce sujet que : « Nowadays, the state is more likely to impose a liberal and market-oriented standardization, which, following the capitalist model, uses a geometrical perception of the land, and which sees individual tenure of fragmented land as the only possible category and means of managing and sharing resources » (Mellac 2010: 55).

3.4 Le tourisme national et international et les perspectives économiques contemporaines

Depuis 1993, le tourisme international s'est ouvert significativement au Vietnam pour devenir une industrie d'avenir et un moyen préconisé pour réduire la pauvreté dans le pays. Solidement supporté par les instances internationales comme le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale, et l'UNESCO pour la valorisation culturelle36, l'État

vietnamien a multiplié les programmes de développement touristique au Vietnam septentrional. Ces programmes sont souvent insérés à l'intérieur de programmes plus larges comme le programme 135 qui est destiné aux changements économiques et sociaux pour

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Il existe bien encore de la vente informelle d'opium, notamment avec les touristes de passage à Sa Pa mais, pour l'essentiel, il s'agit de ventes marginales (et risquées) qui ne se comparent pas à celles prévalant avant la législation de 1993.

L'investissement étranger direct (FDI : Foreign Direct Investment) a atteint 20 milliards de dollars américains au Vietnam en 2007, en augmentation de 69% par rapport à 2006. L'effet de spill-over espéré dans les sphères domestiques (Nguyen et al. 2008; voir aussi Quinn-Judge 2004) ne s'est pas rendu aux minoritaires avec la même aisance et, pour diverses raisons, il tarde toujours à venir (voir Michaud 2008). L'UNESCO (L'Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture) est quant à elle impliquée, financièrement et professionnellement, dans toute entreprise de valorisation et de préservation culturelle (Salemink 2001). Un discours récent du Ministre de l'Éducation et de la Formation du Vietnam à la 35e session de conférence générale à Paris en octobre 2009 réitère l'importance de cette implication pour le gouvernement, notamment pour l'enseignement de la culture et de l'histoire nationale (« Speech by H.E. Dr. Nguyen Thien Nhan 2009», consulté le 15 février 2010: http://www.unesco.org/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/GBS/35GC/Documents/35VR PDF/35VR_03/Viet- Nam_en.pd0-

Ce plan quinquennal de 2001 à 2005 titré Socio-Economie Development Program for extremely difficult communes in ethnie minority and mountainous areas propose notamment des changements dans les infrastructures (routes, aqueduc, électricité, etc.), dans l'éducation (écoles, stratégies pédagogiques, restructuration) et pour l'amélioration de la production en foresterie et en agriculture. En 2007, une reconduction de ce programme a été évoquée par le document de travail Need assessment and communication capacity of stakeholders in program 135 (phase 2). L'objectif proposé est d'utiliser un plan de communication dédié au programme 135 pour améliorer l'efficacité de son implantation, notamment à travers l'usage des outils du Ministère de l'Information comme VTV5.

les minoritaires de la région. L'objectif avoué de ce programme est de corriger le déséquilibre de développement entre les régions urbaines et rurales mais aussi d'inscrire le projet dans une logique discursive de nécessité d'aide des minoritaires par la majorité kinh (Escobar 1995; Olivier de De Sardan 1995; voir aussi le cas chinois dans Barabantseva 2009). Le « rattrapage » présenté comme un impératif par l'État est dès lors mis en place dans le but ultime d'apporter une contribution notable à la croissance économique nationale38 (Duncan 2004). Les initiatives sont ainsi orientées vers une production agricole

accrue, un choix économique lié aux découragements de la diversification agricole, cela malgré l'avantage à moyen et long terme de cette option (McElwee 200439). La

sédentarisation conséquente de ce processus permet d'exploiter l'intérêt touristique des groupes minoritaires au Vietnam qui s'appuie sur les efforts de classification entamés dans les recherches étatiques, notamment par les ethnologues mandatés depuis le début de l'État socialiste (Salemink 2003).

Depuis 1995, le Vietnam est maintenant un membre à part entière de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE), et de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) depuis 2007, et s'affiche comme un acteur international important et bien positionné pour les investissements étrangers40. Les entreprises privées se sont accaparées

une bonne partie de la manne touristique mais elles doivent toujours répondre aux exigences de l'État dans leurs ambitions de développement touristique, notamment par rapport aux espaces réservés aux treks dans la province de Lào Cai (Michaud et Turner 2006)41. Cela étant, ces dernières sont majoritairement lucratives et, pour la plupart, en

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Le Vietnam maintient une croissance économique en constante augmentation moyenne de 6,5% du Produit Intérieur Brut de 1985 à 2006. En 2008, il y a eu augmentation de 8,7%.

Dans un article subséquent, McElwee (2008) démontrera que, dans les faits, certains Kinh installés dans les hautes-terres (Tnràng San) doivent emprunter les techniques de diversification propres aux minoritaires pour subvenir à leurs besoins.

L'information publique à ce sujet est diffusée largement et le suivi régulier du quotidien Vietnam News (publié en Vietnamien et en Anglais) relève le désir du gouvernement de représenter le pays comme un lieu fructueux pour les ententes commerciales (pour des détails sur la perspective du quotidien, voir notamment Van Leeuwan 2006).

Le délestage relatif du gouvernement pour le privé dans les dernières années s'est aussi matérialisé dans la présence de certaines Organisation Non-Gouvernementales (ONG) en éducation (Salemink 2006). Comme les entreprises privées, les ONG doivent obligatoirement collaborer avec le gouvernement pour entreprendre leurs projets. Dans le contexte de cette recherche, des initiatives récentes de l'UNICEF pour l'enseignement collaboratif initié par le visuel constatées sur le terrain sont particulièrement pertinentes

collaboration financière et structurelle avec des succursales dans les autres lieux touristiques d'intérêts du pays comme Hanoï et Hô Chi Minh ville (Thernstrôm 2002). En outre, ces entreprises sont gérées et financées par les Kinh, auxquelles elles sont profitables et qui occupent, invariablement, les positions de dirigeants.

3.5 Le tourisme dans le district de Sa Pa

La province de Lào Cai, en plus de profiter d'une voie commerciale directe avec la Chine dont l'apport à l'économie est substantiel (Turner et Schoenberger 2008), compte dans ses atouts la ville de Sa Pa, un lieu touristique privilégié à lhl5 en voiture ou en motocyclette de la capitale provinciale, Lào Cai. Située à quelques 1600 mètres d'altitude, Sa Pa est caractérisée par un climat doux l'été et frais l'hiver, ce qui en fait l'échappatoire ultime des touristes nationaux et internationaux du pays. Dans les quinze dernières années, le nombre d'hôtels disponibles est passé d'un à plus d'une centaine, incluant un quatre étoiles qui sera fort probablement rejoint par d'autres dans les prochaines années42.

Entourée de villages de minoritaires (à prédominance Hmong, Yao et Giay), la ville de Sa Pa est aussi le lieu de rencontre d'une grande partie de ces groupes qui affluent dans cette zone urbaine pour des raisons diverses depuis bien plus longtemps que la récente vague de touristes de passage, nationaux et internationaux.

En effet, alors que la ville de Sa Pa a été, lors de la colonisation française explorée précédemment, une station de relaxation pour les militaires, les civils nantis et, éventuellement, certains Kinh fortunés, le lieu servait également aux rencontres des minoritaires des villages environnants dont on vantait déjà l'exotisme des passages dans les premiers guides touristiques dès 1924 (Michaud et Turner 2006). Les rencontres entre minoritaires étaient alors - et dans certains cas toujours - motivées partiellement par la

mais, au meilleure de ma connaissance en date de janvier 2010, aucunes conclusions précises sur les résultats de ces initiatives sont disponibles.

4 La construction de restaurants, d'hôtels et d'agences touristiques dans la ville de Sa Pa est constante depuis

l'ouverture du pays au tourisme en 1993. Pas moins de six établissements se sont construits entre juin 2008 et décembre 2008 et rien ne laisse présager un ralentissement prochain de ces initiatives malgré une forte augmentation foncière conséquente à l'attrait actuel de la région.

volonté de trouver un mari ou une épouse43, mais de manière générale il s'agissait de

socialiser, d'acheter les denrées nécessaires à la vie domestique au village ou de manger sur place (Michaud 2008). C'est à la suite des dégâts causés durant les différents combats dans la région pendant les guerres subséquentes et, véritablement, lors des débuts de la Dôi moi que la nouvelle vague de touristes est venue dynamiser l'économie locale. Les touristes des dernières années diffèrent profondément dans leurs intérêts et objectifs de ceux de la période coloniale mais une combinaison les rassemble: l'expérience de la différence, de la nature (climat et biodiversité) et l'éloignement général des basses-terres. Les expériences sont par ailleurs très diverses et, conséquemment, les services de proximité (hôtels, agences et boutiques) ajustent leurs offres mais de manière limitée. En lien direct avec les volontés de l'État vietnamien, les touristes dépensant le moins (de type « backpacker ») sont généralement exclus de ces efforts de diversification touristique, réduisant de fait la part de profit pouvant être dirigée vers les minoritaires auxquels les touristes de ce type sont particulièrement intéressés. Autrement, les minoritaires sont communément écartés des décisions affiliées au tourisme dans la région, soit par manque de capital financier (les empêchant d'acquérir des immeubles) ou de capital politique (leurs voix sont défavorisées dans les instances politiques officielles locales malgré le fait qu'ils représentent l'immense majorité de la population du district44). Les minoritaires qui travaillent dans le milieu

touristique ne s'y rattachent que ponctuellement, agissant à titre de « contractuels » pour les agences touristiques et les hôtels qui décident d'utiliser leurs services de guide (Duong 2006; Turner et Michaud 2008).

La plupart des minoritaires en question sont des jeunes femmes hmong et yao dont la connaissance de l'anglais et du vietnamien est suffisante pour s'engager dans ce type d'activité. C'est entre autres sur ce groupe d'acteurs (-trices) que la présente recherche s'appuie, de même que sur les plus jeunes filles dont l'implication est davantage axée sur la

43 Alors qu'il ne s'agit que d'une activité parmi d'autres, les agences touristiques et la publicité touristique

font grand cas de ces pratiques chez les minoritaires pour attirer les touristes nationaux qui attribuent une inclinaison à l'érotisme sans fondements aux jeunes femmes yao ou hmong (Michaud 2008; voir aussi Kelkar 2004 et Schein 1999 pour le cas chinois).

44 Au recensement de 1999, la proportion de Kinh était seulement de 15 à 16% dans le district alors que leur

présence aux Comités Populaires est imposante, empêchant la participation des minoritaires, qui sont souvent illettrés, en particulier les femmes (Michaud 2008; Goulet 2005).

vente de produits d'artisanat45. Les villages à proximité de Sa Pa qui accueillent l'essentiel

des touristes (généralement, les plus fortunés qui s'intéressent peu aux treks en forêt) récoltent la majeure partie des dépenses informelles des touristes, à savoir l'achat de produits d'artisanat et des séjours chez l'habitant. La séparation des revenus est cependant sujette à des a priori assez bien définis (voir chapitre 4 et 6; aussi Michaud et Turner 2006). Notons par ailleurs que l'économie des groupes se sépare entre les revenus du tourisme et ceux de la production agricole. Le riz est généralement cultivé pour la consommation domestique, mais la cardamone, le bambou et le maïs sont devenus des cultures profitables, notamment grâce aux échanges plus fréquents avec la Chine (Turner et Schoenberger 2008).

L'atelier vidéo et une bonne partie de ce terrain de recherche ont été effectués dans les