Observation 6 : Le questionnement préalable est insuffisant pour permettre à l'apprenant de dépasser ses conceptions et de donner une interprétation correcte du phénomène (préd 6)
6. P ARTIE THEORIQUE : FORMALISATION DU MODELE ALLOSTERIQUE (H1)
6.3. Représentation des processus cognitifs
6.4.3. Fonctions d’optimisation et d’apprentissage
Dans la sous‐partie 6.3. Représentation des processus cognitifs, travaillant dans l’hypothèse de processus cognitifs ne faisant intervenir la transformation du savoir que dans de rares cas, et toujours de manière légère, nous nous sommes essentiellement intéressés à la fonction Φaffin(ĩ), caractéristique
de l’interaction entre une information et un espace de conceptions donné. Pourtant, c’est la fonction Ψcog(ĩ) = Φaffin(ĩ) + Φréorg qui régit les processus cognitifs, et non pas seulement la fonction Φaffin(ĩ) : en
cas d’apprentissage, selon la nature perturbatrice ou non de ĩ, la minimisation de Ψcog(ĩ) peut passer
par l’optimisation de Φréorg, c’est‐à‐dire par la réorganisation du savoir et de ses règles d’utilisation.
6.4.3.1. Caractéristiques et représentation de la fonction Φréorg
La fonction Φréorg(α1, α2, …, αp) caractérise, rappelons‐le, le coût énergétique de la réorganisation de
l’espace des conceptions, et donc la stabilité des conceptions elles‐mêmes, quelle que soit l’information qui leur est présentée, cette stabilité se répercutant ensuite sur Ψcog(ĩ). Sa représentation dans l’espace
multidimensionnel des αi ne doit pas être confondue avec celle de Φaffin(ĩ) dans l’espace des xi : les xi
sont les degrés de liberté d’une information se déplaçant dans un espace de conceptions donnés, alors que les αi sont ceux de l’évolution de la structure du savoir. Cette fonction Φréorg(α1, α2, …, αp) est donc
plus abstraite que la fonction Φaffin(ĩ) car le déplacement d’un point sur sa représentation graphique ne
représente plus le déplacement spatial d’une entité réelle (l’information) mais les déformations d’un ensemble d’entités (les conceptions). L’espace des (α1, α2, …, αp) est ce que les physiciens nomment un
« espace des phases ».
Comme chaque point (α10, α20, …, αp0) de la fonction Φréorg correspond à un état du savoir, il est
possible d’y faire circuler une information et de construire l’ensemble de la fonction Φaffin(ĩ, x1, x2, …, xn,
α10, α20, …, αp0). Si les αi sont les p degrés de liberté de l’organisation du savoir (incluant les
conceptions, les heuristiques et les métaconceptions), alors il est possible de représenter Φréorg(α1, α2,
…, αp) dans un espace de dimension p+1 (p dimensions correspondant aux p degrés de liberté, plus 1
dimension pour Φréorg). Or en un point donné (α10, α20, …, αp0), Φréorg(α10, α20, …, αp0) ne peut prendre
qu’une seule valeur : celle de l’énergie de l’espace des conceptions. Cette fonction constitue donc, elle‐ aussi, une hypersurface de dimension p, et toute transformation du système qu’elle décrit peut être représentée par le déplacement d’un point représentatif de ce dernier sur l’hypersurface. Dès lors, lors d’une transformation entre deux états de savoir, et comme nous l’avons fait avec la fonction Φaffin, il est
possible d’effectuer une coupe verticale de cette hypersurface le long du trajet de ce point, puis de la déplier et de la projeter sur une surface à deux dimensions : l’énergie en ordonnées et la « coordonnée d’apprentissage » en abscisses, comme dans le paragraphe 6.3.3.1. Fonction d’affinité Φaffin(ĩ).
Pour être plus abstraite que Φaffin (qui était très analogue au déplacement d’une bille sur une surface
bosselée), Φréorg n’en correspond pas moins à une autre fonction connue : celle qui décrit l’énergie d’un
système moléculaire en transformation. En plus de constituer une confortation de l’analogie allostérique, c’est une opportunité que nous saisissons pour détourner les représentations graphiques des chimistes à des fins de représentation de la transformation des conceptions. Les figures 61a et 61b montrent justement comment, à partir du trajet d’un point représentatif d’un système donné sur une hypersurface, il est possible d’obtenir une représentation en deux dimensions. Le système considéré est ici le plus simple qui soit et consiste en une molécule de dihydrogène H2 et un atome H en interaction linéaire : Ha‐Hb + Hc Ha + Hb‐Hc
L’angle Ha‐ ‐Hb‐ ‐Hc étant contraint, il ne reste que deux degrés de liberté, dHaHb et dHbHc, ce qui permet
de représenter l’ensemble dans un « s » de dimension 3, c’est‐à‐dire un espace euclidien dont on a l’habitude. On retrouve le type de courbes utilisées dans la sous‐partie 6.3. Représentation des
processus cognitifs pour décrire Φaffin.
Figure 61 : Représentations tridimensionnelle de la surface d’énergie et des lignes de niveau correspondant au système Ha‐Hb + Hc Ha + Hb‐Hc. On notera que dans le coin supérieur droit, les atomes sont éloignés à l’infini (et donc libres). Dans le coin inférieur gauche, les atomes sont superposés. Ces deux situations sont énergétiquement instables (et la seconde encore plus que la première) : entre les deux, le long de la diagonale, il existe un point d’énergie minimale, représenté par la croix rouge. La figure 62 montre cet effet à un autre endroit de la surface d’énergie. Figure 62 : a/ Coupe transversale illustrant la largeur de b/ la vallée empruntée par le système.
Cette croix rouge représente également le maximum d’énergie de la trajectoire la plus basse du système. Avec les notations de la figure 63, elle correspond à l’état A ‐ ‐ B ‐ ‐ C ; on le nomme état de
transition. La surface d’énergie possède, à cet endroit précis, la forme d’une selle de cheval : elle est
convexe dans la dimensions transverse, et concave dans la direction de la cordonnée de réaction.
Figure 63 : a/ Coupe verticale dans la surface d’énergie et b/ déploiement en deux dimensions de la coordonnée de réaction (dans notre cas, coordonnée d’apprentissage). 6.4.3.2. Stabilité des schèmes de pensée et fonction θ d’apprentissage
La signification de Φréorg(α1, α2, …, αp) a été précisée : elle décrit la « stabilité du savoir », c’est‐à‐dire de
l’ensemble des conceptions. En ce sens, elle est peu opératoire car les processus d’apprentissage, tels que nous allons les aborder, concernent en général une ou quelques conceptions et non l’ensemble d’entre elles (à cela, une raison pratique sur laquelle nous reviendrons : la barrière d’activation est d’autant plus grande que le nombre de réorganisations élémentaires est grand).
Quel est le lien entre Φréorg et les stabilités des N conceptions individuelles ? Si l’on nomme (αi1, αi2, …,
αin(i)) les n(i) degrés de liberté liés aux modifications de la conception i (où Σ(1≤i≤N) n(i) = p), et si l’on
construit pour chaque conception sa fonction énergie potentielle φi(αi1, αi2, …, αin(i)), alors :
Φréorg(α11, …, αij, …, αNn(N)) = Σ(1≤i≤N) φi(αi1, αi2, …, αin(i)) + Σ(1≤i≤N et 1≤k≤N et i<k) ξik
où ξik est l’énergie potentielle d’interaction entre les conceptions i et k.
Lors de la description des processus d’apprentissage, pour simplifier et intégrer ce second terme dans le premier, nous considérerons non pas les N conceptions individuelles isolées mais les groupes de conceptions interdépendantes modifiées lors d’un processus donné. En d’autres termes, pour chacun de ces schèmes de pensée constitués de π conceptions, nous définirons θschème(α11, …, αij, …, απn(π)) telle que :
θschème(α11, …, αij, …, α πn(π)) = Σ(1≤i≤π) φi(αi1, αi2, …, αin(i)) + Σ(1≤i≤π) et 1≤k≤π et i<k) ξik
Dans toute la suite et pour s’affranchir de ces indices (dont nous conserverons toutefois à l’esprit la signification), nous nommerons θschème(α1, α2, …, αn) la fonction énergie potentielle d’un schème de
pensée donné (avec Σ(1≤i≤π) n(i) = n), où les (α1, α2, …, αn) seront ses n degrés de liberté. La représentation
de θschème(α1, α2, …, αn) dans l’espace de dimension n+1 permettra ainsi de visualiser chaque processus
d’apprentissage individuellement. Lorsque ce dernier ne concernera qu’un seul site actif, qu’une seule heuristique ou qu’une seule conception, on utilisera respectivement les notations θsite(α1, α2, …, αn),
θheur(α1, α2, …, αn), θconc(α1, α2, …, αn). Dans cette perspective, une nouvelle manière d’écrire la fonction
Φréorg(α1, α2, …, αp) initiale, qui d’écrivait l’énergie totale de réorganisation du savoir, est θsav(α1, α2, …, αp).
Dans la mesure où les variations de θ correspondront toujours à une transformation d’une partie du savoir, on la désignera désormais par le nom de fonction d’apprentissage.
Lorsque nous considérerons cette fonction d’apprentissage, nous garderons bien sûr à l’esprit qu’un apprentissage ne se produisant jamais seul, ab initio, c’est toujours la fonction générale de traitement cognitif Ψcog(ĩ) qui détermine l’évolution de la pensée. Mais nous avons montré plus haut qu’il était
possible de s’affranchir du rôle conjoncturel de l’information dans deux cas distincts : 1/ lorsque l’information est présentée d’une manière irrévocable qui empêche sa déformation (elle prend alors un simple rôle de perturbation de Φréorg et 2/ sur la durée, lorsqu’un faisceau d’informations converge
pour « forcer » Φréorg à évoluer en finissant par rendre les schèmes concernés manifestement non
opératoires. Sauf mention contraire, c’est dans le cadre de ces deux cas que nous considérerons les études ultérieures de θ.
6.4.4. Correspondances…
L’intérêt de ces représentations et de la fonction θ pour les processus d’apprentissage apparaît évident. En effet, nous avons vu dans la section 6.4.2. Des processus élémentaires « activés » que tout processus d’apprentissage pouvait être considéré comme le passage d’un état de savoir à un autre, à travers le franchissement d’une barrière d’activation plus ou moins haute. Par ailleurs, rappelons que nous avons assimilé la structure du savoir à un ensemble de protéines, liées entre elles par des interactions similaires aux forces qui régissent les structures moléculaires. Dès lors, toute transformation du savoir, dans le cadre de cette analogie, peut faire l’objet d’une tentative de transposition des caractéristiques des transformations de la matière qui apparaissent sur ces représentations graphiques.
Dans la suite, pour se conformer à l’usage du modèle allostérique et parce que nous aurons besoin d’un terme générique plus commode que celui de « structures de pensée », nous continuerons à utiliser la plupart du temps le terme de « conception » pour décrire de manière générale l’ensemble des structures et métastructures de pensée (sites actifs, heuristiques, conceptions, métaconceptions, schèmes de pensée) que nous avons définies comme constitutives de l’organisation du savoir.
6.4.4.1. Enthalpie et entropie d’apprentissage
En particulier, la forme et la profondeur d’une vallée représentatitves d’un savoir donné sont directement liées à la stabilité de l’édifice. Nous reviendrons sur les paramètres réels régissant cette stabilité, mais il est d’ores et déjà possible de prévoir qu’elle puisse être considérée comme la somme d’une composante enthalpique et d’une composante entropique :
- La composante enthalpique caractérise la solidité des liens ; elle dépend de la force des liaisons et sa dimension est celle d’une énergie (on confondra d’ailleurs les deux notions dans la suite, par souci de simplification mais en utilisant souvent le terme enthalpie qui est celui qu’emploient les chimistes). La variation de l’enthalpie lors de la transformation est par suite directement liée à la nature et au nombre de liens qu’il est nécessaire de casser et de recréer lors du processus ; en d’autres termes, au degré de réorganisation du système. En ce sens, l’enthalpie de transformation est directement visualisable comme la valeur absolue de la fonction d’apprentissage lors du déplacement d’un point sur l’hypersurface Φréorg (ou plutôt, désormais,
θschème). C’est elle qui définit la hauteur de la barrière d’activation, vue comme la différence entre
l’enthalpie de l’état de transition et celle de l’état initial.
- La composante entropique caractérise quant à elle la souplesse de l’édifice ; elle dépend certes de la nature des liens, mais surtout de la géométrie de la structure. La variation de l’entropie lors de la transformation dépend bien entendu elle aussi de la réorganisation du savoir, mais elle est visualisable dans la dimension transverse du chemin parcouru par le point représentatif du système en évolution. Comme dans le cas de la fonction Φaffin, elle correspond en tout point à la
courbure transverse de la vallée d’énergie (d’enthalpie) de θschème : plus le système est rigide et
Ce nouveau paramètre fournit un élément particulièrement intéressant pour la transformation du savoir : si celle‐ci est rendue plus difficile lorsque la barrière d’activation croît, elle est facilitée par toute transformation qui soulage la rigidité du système. En d’autres termes, si l’entropie d’activation, définie comme la différence entre les courbures transversales de l’hypersurface d’énergie à l’état de transition et à l’état initial (figure 64), est négative, alors la transformation est facilitée, comme si l’apprentissage permettait alors de relâcher des « tensions cognitives ».
Coordonnée d apprentissage!
Entropie d activation = différence de courbures entre EI et ET!
! " schème ! Figure 64 : Lien entre l’entropie d’activation et les courbures de l’hypersurface à différents moments de la transformation du savoir.
Un phénomène qu’il est facile de représenter graphiquement, comme on l’a fait sur la figure 65 : en imaginant une bille lancée sur la surface dans la direction du « col », on conçoit aisément qu’il y ait bien plus de risques que la bille fasse demi‐tour si la vallée se resserre en montant que si au contraire elle s’élargit. Nous indiquerons plus loin la signification de cette notion de « souplesse du savoir ». Figure 65 : Trajectoire conduisant à un non apprentissage, en dépit d’une impulsion initiale suffisante, l’approche des réactifs ayant eu lieu de manière inappropriée. Avec une vallée plus large, la trajectoire aurait pu être passante.
6.4.4.2. Franchissement de la barrière d’activation
Une autre correspondance à définir est celle de la température, seule considérée comme capable de permettre aux réactifs de franchir la barrière d’activation dans les modélisations les plus simples des transformations de la matière. Dans la théorie cinétique des gaz, où les réactions sont considérées comme s’effectuant lorsque les réactifs se rencontrent avec suffisamment d’énergie, la vitesse de réaction est en effet décrite comme proportionnelle à l’exponentielle e‐Ea/RT, où Ea est l’énergie
d’activation et R la constante des gaz parfaits. Mais si la température apparaît dans cette relation, c’est davantage en raison de ce qu’elle permet lorsqu’elle augmente, à savoir l’exploration de davantage de configurations et la réalisation de davantage de rencontres entre molécules.
En l’occurrence, comme nous l’avons déjà évoqué pour les cas de traitement de l’information nécessitant également le franchissement d’une barrière d’activation (paragraphe 6.3.4.6. Contrôle
cinétique et contrôle thermodynamique), la seule grandeur assimilable à la température semble être
l’agitation donnée à ses conceptions pour leur permettre de se transformer. Pour la stimuler, plusieurs paramètres sont susceptibles d’intervenir : en premier lieu la volonté d’apprendre, qu’on appellera également motivation ; en second lieu, les sollicitations qui seront faites par l’environnement de l’apprenant pour qu’il mobilise son savoir, l’explore et le pousse dans ses retranchements ; en troisième lieu, la confiance (en soi, en la situation pédagogique, en le formateur, en le regard des autres…), car déstabiliser son savoir inquiète et est psychologiquement coûteux.
Motivation, prédisposition à l’effort et confiance sont donc les paramètres qui se dissimulent derrière l’équivalent de la température qui permet de franchir la barrière d’activation de l’apprentissage. Pour les rassembler en un seul, nous utiliserons un terme équestre caractérisant l’état d'esprit du cheval consistant en un désir mental et physique de se porter en avant, de se mettre naturellement en mouvement avec énergie, constance et plaisir : l’impulsion. La vitesse du cheval n'est pas un critère d'impulsion, qui se manifeste beaucoup plus dans la manière dont il se livre et travaille dans toutes les allures. Elle se traduit par le désir de répondre avec promptitude à toutes les sollicitations du cavalier et à continuer le mouvement avec entrain. En remplaçant le cheval par l’apprenant et le cavalier par l’enseignant, on conçoit que l’idée d’impulsion puisse être étendue à la capacité à franchir une barrière d’activation lors d’un apprentissage. Remarque amusante : les cavaliers de saut d’obstacle savent bien que la principale préoccupation qu’ils doivent avoir pour franchir les… barrières disposées sur le parcours est justement de préserver l’impulsion de leur monture. Barrière d'activation Etat initial! Etat final! Etat de transition! Coordonnée d'apprentissage! ! !schème " EF! EI! ET! Figure 66 : Apprentissage conduisant à un état final de moindre stabilité que l’état initial.
Ces grandeurs ne sont pas quantifiables et nous ne nous risquerons pas à les faire figurer dans une fonction exponentielle. Mais on conçoit assez bien qu’en l’absence de l’un de ces ingrédients seulement, l’apprenant risque de rester du côté de la barrière ne correspondant pas à ce que son enseignant attend de lui.
A ce stade, mentionnons encore que si la motivation, les ressources cognitives et la confiance de l’apprenant sont suffisantes pour franchir la barrière dans un sens, et qu’il arrive dans un état de savoir d’énergie plus élevée (figure 66), il pourra d’autant mieux repasser la barrière dans l’autre sens et revenir à son état initial. D’où l’importance pour l’enseignant et l’apprenant de travailler à la stabilisation des nouvelles conceptions, ce qui fera l’objet de la sous‐partie 6.5. Stabilisation du savoir.
6.4.4.3. Enthalpie libre et enthalpie libre d’activation
Est‐il possible de combiner les trois paramètres que sont l’enthalpie d’activation (Ha), l’entropie
d’activation (Sa) et la température (T) lorsqu’il s’agit de décrire les processus d’apprentissage ? Les
chimistes le font en définissant une fonction dite « enthalpie libre » (G) qui en dépend de la manière suivante :
G = H – T.S
ou, lors d’un processus activé, si Xa = XEtat de transition – XEtat initial quelle que soit la grandeur Xa :
Ga = Ha – T.Sa Combinant la nécessité d’agir à la fois sur la solidité et la souplesse des édifices, qui sont d’autant plus stables que la grandeur G est faible, ils montrent que la fonction Ga doit également être minimisée dans les transformations de la matière. Cette grandeur a‐t‐elle un sens pour décrire les processus d’apprentissage ? Comme nous l’avons vu, la barrière d’activation est d’autant plus facile à franchir que la réorganisation ne nécessite pas trop de réarrangements (minimisation de Ha), que la motivation, la prédisposition à l’effort et la confiance en
la situation pédagogique sont plus grandes (maximisation de T) et que la vallée d’enthalpie ne se resserre pas trop (minimisation de Sa). Or ce que dit cette relation, c’est que si l’entropie d’activation est négative (c’est‐à‐dire si la vallée se resserre, ce qui est nécessairement le cas la plupart du temps), plus la température sera élevée, plus la barrière d’enthalpie libre sera difficile à passer ; autrement dit, que si tous les paramètres sont réunis pour faciliter « l’agitation des conceptions » de l’apprenant, la capacité d’apprentissage sera réduite par une plus grande rigidification de l’état de transition. Il peut sembler surprenant que ces paramètres, qui favorisent bien évidemment le franchissement de la barrière d’activation d’un point de vue enthalpique, le défavorisent simultanément dans certains cas. Deux interprétations peuvent être données de ce résultat :
- Les effets entropiques sont probablement toujours relativement faibles par rapport aux effets enthalpiques, la souplesse du savoir jouant un moindre rôle que la rupture de ses liens ; il est donc possible que cet effet soit systématiquement du second ordre.
- Lorsque l’état de transition nécessite une configuration particulière, ce qui peut s’interpréter par la nécessité d’adopter un raisonnement précis et d’envisager un problème d’une manière bien définie pour parvenir à le surmonter, il est probablement inutile d’être trop prompt à saisir toute nouvelle information, à avancer de manière désordonnée ; en d’autres termes, il est nécessaire de se concentrer sur un point bien précis.
Mais dans tous les cas, ces considérations incitent à réduire la rigidité de l’état de transition. Que signifie un état de transition souple ? Comme nous verrons plus loin avec la stabilité des schèmes de pensée, il correspond à une configuration temporaire des structures de pensée en transformation qui reste lâche, dont les interactions peuvent se faire et se défaire dans un ordre peu déterminant, qui laisse explorer diverses configurations avant de s’engager dans la vallée adéquate. Notons d’ailleurs que si plusieurs vallées, menant vers des conceptions différentes, s’ouvrent à l’issue de l’état de transition, il est préférable qu’il soit souple pour permettre à l’apprenant de choisir la bonne plutôt que d’être canalisé dans la plus contrainte, qui n’est pas nécessairement la plus opportune.
6.4.4.4. Zone proximale de développement
Ces considérations permettent à présent de donner une signification à ce concept généralement un peu flou proposé par Vygotsky et souvent évoqué en sciences de l’éducation : nous proposons en effet de caractériser la « zone proximale de développement » comme l’ensemble des vallées d’énergie potentielle situées juste derrière les barrières d’activation franchissables correspondant aux apprentissages possibles et immédiats d’un individu. En devenant visualisable dans l’« espace » des phases de la fonction d’apprentissage, la notion de « zone » devient alors particulièrement pertinente.