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La fonction mortifère de La Peste

COMPLEMENTAIRES DANS L’ŒUVRE CAMUSIENNE

2.4 Meursault vu de face/vu de profil

2.4.4 La fonction mortifère de La Peste

Albert Camus n'est pas Oranais. Il est né à plus de Mille Kilomètre

d'Oran, près d’Annaba, près de la frontière Tunisienne, et il a passé toute sa jeunesse à Alger, dans le mythique quartier de Belcourt. Paradoxe de l'Histoire, ce sera lui, pourtant, en qualité d'écrivain, qui laissera la plus forte empreinte à Oran. Camus, dans La Peste, se serait inspiré d'une épidémie réelle de typhus qui a eu lieu à Oran, pratiquement à la même époque. Les souvenirs des populations arabes, livrées à elles-mêmes au moment où les secours étaient pris en charge par les autorités dans les quartiers européens.

Mis à part sa fonction mortifère, La Peste nous dévoile d’autres thèmes: la révolte, la séparation et l’exil. Camus écrira dans un carnet rouge où il prend des notes pour La Peste:

‘’ Tous sont renvoyés à leur solitude. Si bien que la séparation devient générale... Faire ainsi du thème de la séparation le grand thème du roman.’’

Les femmes n'ont pas leur place dans une ville qui ressemble à une cité assiégée. Il note dans ses Carnets, cette phrase :

« En pratique : il n'y a que des hommes seuls dans le roman. »

Rieux, personnage principal et narrateur dans ce roman, surprend Grand en larmes, il :

‘’Savait ce que pensait à cette minute le vieil homme qui pleurait, et il le pensait comme lui, que ce monde sans amour était comme un monde mort et qu'il vient toujours une heure où on se lasse des prisons, du travail et du courage pour réclamer le visage d'un être et le cœur émerveillé de la tendresse.’’195

195CAMUS, Albert, LA PESTE. P.120

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La leçon de La Peste demeure la résistance en face de la mort. L'auteur s’est certainement projeté à travers la personnalité d'un personnage-narrateur, Rieux, auquel il s'est particulièrement attaché pour, sans aucun doute, partager ces moments de désespoir lors de la deuxième guerre mondiale sous la France occupée par les nazis (surnommés par les français: la peste brune).

Les manuscrits de ce roman offerts par les enfants d'Albert Camus à la Bibliothèque nationale, témoignent d’un travail immense. L'un des premiers titres auxquels Camus a pensé est Les Exilés. Le titre qu'il a donné à l'extrait publié dans

Domaine français est Les Exilés dans la peste. Finalement, La Peste, est publié en

1947, (prix des critiques de la même année, vaut à Albert Camus son premier grand succès de librairie : 161 000 exemplaires vendus dans les deux premières années).

Nous ne sommes pas sans savoir que la peste tient en littérature, une charge symbolique très significative. C’est sans doute pour cela aussi que cette épidémie a été retenue par Camus. Il écrit dans ses Carnets, en 1942 :

‘’Je veux exprimer au moyen de la peste l'étouffement dont nous avons souffert et l'atmosphère de menace et d'exil dans laquelle nous avons vécu. Je veux du même coup étendre cette interprétation à la notion d'existence en général.’’

La Peste, c'est la terreur de la souffrance et de la mort, l'enfermement,

l'exil, la séparation…On peut s'y abandonner, s'avouer vaincus, y voir la main d'un dieu châtiant pour on ne sait quel péché, ou bien retrouver la dignité et la liberté par la révolte, et la solidarité.

Ce roman évoque d’abord la peste pour elle-même, rappelant les grandes épidémies qui ont eu lieu en Italie ou à Marseille196 et les horreurs qui les ont accompagnées. Il se veut une sorte d’hommage aux victimes oubliées du fléau.

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Écrit après la Seconde Guerre mondiale, c’est une allégorie du nazisme: les camps de quarantaine, les menaces, l’isolement, l’entassement des malades dans les hôpitaux puis dans les écoles, les crémations, les camps de concentration, l’oppression sous toutes ses formes, et la résistance de ceux qui prennent le parti des victimes.

Enfin, il revêt une signification beaucoup plus générale. Il se veut également témoignage sur la souffrance et la maladie, sur l’engagement de certains hommes, qui savent pourtant que ce combat est sans fin :

‘’Rieux « savait ce que cette foule en joie ignorait, […] que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais […] et que peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.’’ p.241

Le rapprochement était évident, et a été fait par les lecteurs de tous les pays d'Europe. Mais la dimension politique du roman ne s'arrête pas là du fait que La Peste condamne tous les totalitarismes, et non uniquement le nazisme.

Ainsi, on ne déchiffre pas l'allégorie de la même façon en 1947 et aujourd’hui. Les

« formations sanitaires » de Camus ne promouvraient par conséquent aucune

idéologie, aucune ligne politique, mais se contenteraient de répondre à l'urgence d'agir.

« Cette fermeté du propos politique tenu par Camus est remarquable parce qu'elle va à l'encontre des idéologies dominantes, plutôt prosoviétiques, qui avaient cours après la seconde guerre mondiale »197.

2.4.5 De Combat (journal clandestin) à La Peste (Chronique d’un combat) :

Si tout le monde connait Albert Camus l'Ecrivain et Albert Camus le Philosophe, ses talents de Journaliste sont moins connus. Pourtant il aura marqué

197 GUERIN, Jeanyves, « Jalons pour une lecture politique de La Peste ». Roman 20/50 Décembre 1987. P.07

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la profession, par ses écrits, ses prises de position et par sa conception du métier. Albert Camus a commencé sa carrière de journaliste en 1938 lorsqu'il est entré à la rédaction d'Alger Républicain, "journal pas comme les autres" fondé par Pascal Pia. Le quotidien, concurrent de l'Echo d'Alger, soutient le programme du Front populaire. Albert Camus y publiera notamment une série de onze articles intitulés

"Misère de la Kabylie". Cette enquête qui indispose le Gouvernement Général

d'Algérie, lui vaudra l'interdiction du journal.

En 1940, grâce à Pascal Pia, il entre à la rédaction de Paris Soir. Mais son expérience sera brève puisqu'il sera licencié la même année. On citera le célèbre éditorial du 8 août 1945 où il dénonce l'usage de la bombe atomique :

"La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques".

En 1955, Albert Camus entre à la rédaction de l'Express où il écrit des chroniques sur la crise algérienne. Il démissionne en 1956 en raison de désaccords avec le directeur Jean-Jacques Servan-Schreiber sur cette question. Albert Camus aimait cette profession qu'il considérait comme un combat pour la vérité et un combat pour l'indépendance. Il dénonça souvent les travers de la presse. Notamment dans son éditorial du 31 août 1944 dans Combat. Condamnant "l'appétit de l'argent et l'indifférence de la grandeur", Albert Camus y notait qu'"on cherche à plaire plutôt qu'à éclairer". 198