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Identification des genres de l’écriture de soi

2.2. Autobiographie/Autofiction

2.2.1. L’autobiographie

Distinguer les genres, c’est accompagner le lecteur dans les différents niveaux de l’interprétation d’une œuvre.

Le genre informe la réception, mais aussi l’interprétation, et constitue en cela un outil essentiel à la critique.

« Le critique est un homme pour qui les genres existent.» 58

56 http://www.site-magister.com/rousseau.htm. Consulté le 12.12.2014

57 Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau est une autobiographie couvrant les cinquante-trois premières années de la vie de Rousseau, jusqu'à 1767. Le titre des

Confessions a sans doute été choisi en référence aux Confessions de Saint-Augustin,

publiées au IVe siècle.

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Autant que le lecteur, le critique peut décider de l’affiliation d’un texte à un genre littéraire, d’où la nécessité de son identification. Il est indéniable alors, d’aller à la rencontre de l’autobiographie et l’autofiction, genre et catégorie générique qui caractérisent l’écriture de soi, ou sur soi. Ecrits rétrospectifs d’une vie, récapitulation d’un destin, tels sont les enjeux du biographique littéraire tout en sachant que :

« Les processus par lesquels les genres se transforment sont les mêmes que ceux qui produisent la plupart des changements littéraires. »59

L’autobiographie est l’une des formes, et nom pas la seule, de l’écriture de soi. Elle serait née en 1782, date de la publication des Confessions de Rousseau.

Le mot Autobiographen existait dans sa forme germanique en 1779, puis Autobiography dans sa forme anglo-saxonne en 1809. En France, le mot est ne fut inclus dans le vocabulaire qu’à partir de la première moitié du XIXe siècle, désignant le récit qu’une personne fait de sa propre vie.

Les Confessions posthumes de Rousseau, évoquées précédemment,

représenteraient le modèle initial de l’autobiographie.

Les mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand en 1841 viendront, un demi-siècle après, renforcer la pratique du genre. Suite à quoi, l'autobiographie connaît un essor phénoménal notamment après le succès de Sartre avec Les Mots,

La Force De L'âge et La Force Des Choses de Simone de Beauvoir, Moi Je de

Claude Roy, L'âge D'homme de Michel Leiris... En 1984, Alain Robbe-Grillet pourtant « détracteur » du genre, lui, qui a « ébranlé » la communauté universitaire avec son manifeste Pour un nouveau roman publie le miroir qui revient, ouvrage notoirement autobiographique d'où l'on a tiré la célèbre réplique :

« Je n'ai jamais parlé d'autre chose que de moi.»60

59 Fowler, Kinds of literature, An introduction to the theory of genres and modes, Alastair Fowler, Oxford, Clarendon Press. 1982, p. 170.

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En effet, dès 1971 avec les travaux de recherche de Philippe Lejeune qui tout en fournissant ses conditions de modélisation, a présenté le genre autobiographique comme :

" Le produit d'une redistribution de traits formels en parti déjà existants dans le système antérieur, même s'il y avait des fonctions différentes" 61

L'apparition de l'autobiographie prend ainsi son sens par rapport à la tradition des confessions religieuses, aux échanges entre mémoires et romans, qui depuis le XVIIIe siècle ont caractérisé le récit à la première personne.

A partir 1975, Philippe Lejeune donne une définition générique de l’autobiographie :

« Récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité.» 62

Le mot « rétrospectif » est important, car l’autobiographie s’écrit généralement à un âge avancé de la vie, dans la mesure où il y a un désir de remémoration et de justification. C’est pourquoi la relation se fait au passé, car il s’agit de faits révolus que l’auteur tente de relater avec précision afin de leur donner une signification globale. Lejeune affirme que pour qu’il y ait autobiographie, il faut qu’il y ait identité de « l’auteur, du narrateur et du personnage3 ». Selon lui, cette identité se marque le plus souvent par l’utilisation de la première personne, mais Lejeune accepte aussi la possibilité qu’il y ait identité du narrateur et du personnage principal sans que la première personne soit employée. Il faut donc situer l’autobiographie par rapport au nom propre. Lejeune explique que chaque énonciation inscrite dans un texte autobiographique est prise en charge par une personne qui place son nom sur la couverture d’un livre :

61LEJEUNE, Philippe, « Autobiographie Et Histoire Littéraire », L'autobiographie En France. Ed. Armand Colin 1961. P. 316.

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« C’est dans ce nom que se résume toute l’existence de ce qu’on appelle l’auteur : Seule marque dans le texte d’un indubitable hors-texte, renvoyant à une personne réelle, qui demande ainsi qu’on lui attribue, en dernier ressort, la responsabilité de l’énonciation de tout le texte écrit. Dans beaucoup de cas, la présence de l’auteur dans le texte se réduit à ce seul nom. Mais la place assignée à ce nom est capitale : elle est liée, par une convention sociale, à l’engagement de responsabilité d’une personne réelle. J’entends par ces mots, qui figurent plus haut dans ma définition de l’autobiographie, une personne dont l’existence est attestée par l’état civil et vérifiable. »63

Ainsi, l’auteur est la personne qui écrit et qui publie, à cheval sur le texte et le hors-texte.

Il agit à la fois comme personne réelle et comme producteur d’un discours.

Lejeune fait également une distinction entre autobiographie et « roman autobiographique ». Dans ce dernier cas, le nom du personnage qui se raconte n’est pas le même que celui de l’auteur.

Selon Lejeune, ce qui définit clairement l’autobiographie est un contrat d’identité scellé par un nom propre. Cette identité du nom entre auteur, narrateur et personnage peut être établie de deux façons. D’abord implicitement, ce qui veut dire que le contrat d’identité s’inscrit dans le paratexte, par exemple dans le titre du livre (Histoire de ma vie de George Sand, Moi je de Claude Roy), dans la préface (Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand), dans le préambule (Confessions de Jean-Jacques Rousseau), dans l’avertissement ou dans l’épilogue (Souvenirs pieux de Marguerite Yourcenar). Le contrat d’identité peut aussi apparaitre directement dans le texte, d’une manière patente. Cela prouve que l’auteur assume l’identité avouée et les conséquences qui peuvent en découler, comme dans Les Mots de Sartre ou dans Tu moi de Philippe Lançon.

Que le contrat d’identité soit dans le paratexte ou dans le texte lui-même, dès qu’il y a identité des trois instances : auteur, narrateur et personnage, nous assistons à ce que Lejeune appelle le « pacte autobiographique », c’est-à-dire un

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contrat de lecture passé entre l’autobiographe et son lecteur. À ce pacte s’ajoute l’engagement de l’auteur à raconter sa vie dans un esprit de vérité. Il s’agit du « pacte référentiel », qui consiste en une entente envers le lecteur, un peu comme si l’auteur était devant un tribunal où il jurait de dire toute la vérité, rien que la vérité. Évidemment, ce « serment » n’est jamais annoncé aussi directement, mais il faut que l’auteur fasse preuve d’honnêteté, s’exprimant avec des phrases qui pourraient ressembler à « je vais dire la vérité telle qu’elle m’apparaît » ou « je vais dire la vérité dans la mesure où je peux la connaître, en essayant d’éviter les oublis, les erreurs ou les déformations ».

À défaut d’une identité nominale de l’auteur, du narrateur et du personnage, l’écrivain fait un « pacte romanesque », par exemple en donnant à son héros un nom différent du sien ou en mettant le sous-titre « roman » sur la couverture de son livre.

2.2.2 L'autofiction :

Fictionalisation, projection et mise en scène fictive de soi

L’entrée en scène depuis 1977, du concept d’autofiction ne cesse de déstabiliser les critères génériques définis par Philippe Lejeune dans le pacte autobiographique en 1975. La notion de genre autobiographique se trouve désormais bousculée, transgressée. Pourtant l’éventualité de la naissance d’un tel genre avait bel et bien été envisagée à partir de la grille des neuf combinaisons possible envisagées, sous forme de case vide.

Bon nombre d’auteurs évoluent aujourd’hui dans une zone d’ombre où la fiction se heurte souvent à la réalité. Il est difficile d’établir une frontière entre réel et fiction. Beaucoup d’auteurs brouillent les pistes en injectant une part de fiction dans des récits référentiels faisant fi du pacte autobiographique de Philippe Lejeune.

En général, les auteurs assument leurs histoires personnelles, les rapports avec leurs personnages, mais ils ne laissent par leurs noms dans les romans. Le dénominateur commun qui paraît évident dans cet exercice littéraire est celui de

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brouiller les frontières entre une vérité de soi et la fiction. Et c’est justement cette manœuvre qui semble charmer de plus en plus les écrivains et surtout les lecteurs. A propos de son texte Les Mots considéré par la critique comme autobiographique, Sartre précisera qu’il s’agit :

« D’une espèce de roman (…) un roman auquel je crois, mais qui reste malgré tout un roman. »64

[…] « Les Mots est une espèce de roman aussi, un roman auquel je crois, mais qui reste malgré tout un roman »65

Dès que nous racontons ce qui nous est arrivé (ou pourrait nous arriver), nous créons un personnage auquel nous nous identifions, et nous construisons une histoire, un scénario, une fable. C'est pourquoi tant d'écrivains refusent de distinguer entre autobiographie et roman. Philippe Lejeune lui-même observait, en 1971, que l'autobiographe « emploie tous les procédés romanesques de son temps » et même que :

‘’L’autobiographie n'est qu'une fiction produite dans des conditions particulières.’’66

L’autofiction était arrivée à point nommé pour lever les nombreux doutes que soulevaient, depuis le début du XXe siècle, les notions de sujet, d'identité, de vérité, de sincérité, d'écriture du moi. Le nouveau concept n'était donc pas seulement destiné à remplir la case aveugle du pacte autobiographique Lejeunien, il proposait le postulat d’une péremption de l'autobiographie en tant que promesse de récit véridique et son remplacement par un nouveau genre. Lejeune a défini l'autobiographie par l'intention de l'auteur, par son engagement à rechercher et à transcrire les traces de son expérience personnelle. Il y a pacte autobiographique à partir du moment où le lecteur reconnaît l'authenticité de cet effort de

64 SARTRE, Jean Paul, Situation X, Politique et autobiographie, « Autoportrait à soixante-dix ans », Ed Gallimard, 1975, p. 145.

65 Ibid., P.146

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reconstitution et d'interprétation. Fils est-il régi par un tel contrat de reconnaissance mutuelle ? Dans le prière d'insérer, Doubrovsky s'engage à n'y traiter que « d'évènements et de faits strictement réels ». Cependant, il avouera par la suite que le rêve qui est décrypté par le psychanalyste dans la scène centrale n'a jamais été abordé au cours de la véritable cure. Il s'agit bien, sur près de deux-cent pages, d'une séance fictive. Tout son texte, et les retours en arrière qui le structurent, s'organisent autour d'interprétations, d'hypothèses, de révélations, qui sont le fait de l'auteur lui-même, scénarisant sa psychanalyse pour en faire un « roman ». Ce n'est donc pas par hasard que le mot autofiction est venu sous la plume de Doubrovsky.

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Chapitre 3 :