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COMPLEMENTAIRES DANS L’ŒUVRE CAMUSIENNE

2.4 Meursault vu de face/vu de profil

2.4.7 Accueil et lectures critiques de La Peste :

2.4.6.4 Divergences critiques

A propos de l’Algérie, Camus a écrit sur ses Carnets en 1955 :

«Je sais : il y a une priorité de la violence. La longue violence colonialiste explique celle de la rébellion.»211

La même année, Albert déclare dans une lettre à son ami de toujours Aziz Kessous :

«J’ai mal à l’Algérie, en ce moment, comme d’autres ont mal aux poumons» (Actuelles III, p. 127).

209 Ibid. P.621

210 Sartre, Jean Paul, situation IV. Paris Gallimard. 1964

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Azziz Kessous dira :

«Camus était des nôtres et le meilleur d’entre nous».

Roget Quillot précisera :

«On ne saurait clore une étude sur Camus sans évoquer ce qui fut le drame final de son existence : La guerre d’Algérie, qu’il tenait pour fratricide, et qu’il avait voulu prévenir de toutes ses énergies. Nul doute, et j’en puis témoigner, que de 1955 à sa mort, elle n’ait été au cœur de ses préoccupations et ne l’ait

En janvier 1956, Camus lance à Alger son « Appel pour une trêve civile

en Algérie :

« Sur cette terre sont réunis un million de Français établis depuis un siècle, des millions de musulmans, Arabes et Berbères, installés depuis des siècles, plusieurs communautés religieuses, fortes et vivantes. Ces hommes doivent vivre ensemble, à ce carrefour de routes et de races où l’histoire les a placés. Ils le peuvent, à la seule condition de faire quelques pas les uns au-devant des autres, dans une confrontation libre ».

Il se rend compte que cette trêve n’était plus possible :

« Dès lors, c’est le combat aveugle où le Français décide d’ignorer l’Arabe, même s’il sait quelque part en lui-même, que sa revendication de dignité est justifiée, et l’Arabe décide d’ignorer le Français, même s’il sait quelque part en lui-même, que les Français d’Algérie ont droit aussi à la sécurité et à la dignité sur notre terre commune ».

A la fin de cette année 1957, une polémique naît et a une résonance considérable lorsque, Camus, interpellé par un jeune étudiant algérien sur sa position à l’égard du drame vécu par l’Algérie, déclara :

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« J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois en la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice».

Cette célèbre phrase prononcée à l’Académie Royale de Suède, lors de la remise du prix Nobel, en décembre 1957, le rangera

définitivement, pour certains, du côté de sa mère, la France coloniale, au détriment de la justice.

Selon François Chavanes, justifiant la déclaration de Camus :

«Résidant habituellement à Paris, il vivait dans la crainte que sa mère (à laquelle il était très attaché) ne fut victime d’un attentat à Alger. A ses yeux, sa mère est le symbole de l’innocence... celui qui la tuerait au nom de la justice commettrait une grave injustice»212

Ahmed Taleb Ibrahimi réagit dans une lettre ouverte à Albert Camus :

« Pour la première fois, un écrivain algérien non musulman prend conscience que son pays, ce n’est pas seulement la lumière éclatante, la magie des couleurs, le mirage du désert, le mystère des Casbah, la féerie des souks, bref, tout ce qui a donné naissance à cette littérature que nous exécrions, mais que l’Algérie, c’est aussi et avant tout une communauté d’hommes capables de sentir, de penser et d’agir ».

Dans une intervention, publiée dans Camus et la politique, Actes du colloque de Nanterre, juin 1985, Albert Memmi, romancier tunisien déclare que:

«...Je ne lui fais pas grief de n’avoir su parler que des siens propres. Chacun doit parler de ce qu’il connaît le mieux... mais lorsque les Algériens ont

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commencé à réclamer leur liberté politique, il n’a pas vu qu’il s’agissait d’une revendication nationale, il a mésestimé le fait national algérien»[…]

«...si l’on est inconditionnellement solidaires des siens, on trahit la justice, si l’on a le respect inconditionnel de la justice, tôt ou tard on trahit les siens». […]Tel qu’il était, avec son choix, et son immense talent, Camus représentait un aspect essentiel de l’Afrique du Nord et les Algériens s’honoreraient en le réintégrant pleinement dans leur tradition culturelle"

Benjamin Stora souligne que :

«...Profondément attaché à sa terre natale, il tente d’adopter un discours plus nuancé, dénonçant les violences commises aussi bien par le FLN que par les forces françaises. De fait, lui qui dès les années 1930 dénonçait la misère des « indigènes » et l’oppression coloniale et qui était favorable à une décolonisation des esprits, vit comme un véritable déchirement la perspective d’un « divorce » entre l’Algérie et la France, semblant anticiper l’inévitable exode de la population européenne (« pied-noir ») au sein de laquelle il a grandi. Cela lui est amèrement reproché par les anticolonialistes « radicaux » français aussi bien qu’Algériens, tandis que les ultras le considéraient comme un « traître » favorable à l’indépendance. Ces derniers scandent « Camus au poteau » lorsque l’écrivain a voulu organiser une « trêve civile » en janvier 1956, avec l’accord du FLN et des libéraux d’Alger... Profondément ébranlé par le drame algérien, l’écrivain pressent très vite la profondeur du déchirement entre les deux principales communautés. Il plaide pour le rapprochement, tente d’éviter l’irréparable, dit combien les « deux peuples se ressemblent « dans la pauvreté et une commune fierté» 09-2007

Concernant l’indépendance de l’Algérie, Albert Camus a une position tranchée :

«Si bien disposé qu’on soit envers la revendication arabe, on doit cependant reconnaître qu’en ce qui concerne l’Algérie, l’indépendance nationale est une formule purement passionnelle. Il n’y a jamais eu encore de nation

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A son refus de soutenir l’indépendance, il proposera le fédéralisme afin, disait-il, de ne léser ni les Algériens musulmans, ni les Français d’Algérie qui selon lui ont un droit égal à leur patrie d’origine.

«Aujourd’hui, on nous parle de «Nation algérienne» et cela m’exaspère. Que le F.L.N, lui, combatte pour créer une Nation, c’est son droit (et c’est même peut-être son devoir, je n’en sais rien, je dis que c’est concevable) ; qu’il veuille accréditer l’idée d’une nation préexistante à la conquête, encore une fois pour lui, c’est de bonne guerre. Mais cela n’est pas vrai, nous savons bien que cela n’est pas vrai. Il y avait un Etat algérien, il y a aujourd’hui une patrie algérienne, et vous savez bien que cela n’a rien à voir avec le concept de Nation. En tout cas, aujourd’hui, l’Algérie est un territoire habité par deux peuples, je dis bien deux peuples, l’un est musulman et l’autre ne l’est pas. Ce territoire où l’administration est française, c’est-à-dire où la responsabilité est parisienne, se singularise par le fait que l’injustice et la misère y sévissent scandaleusement. Cela est vrai. Mais les deux peuples d’Algérie ont un droit égal à la justice, un droit égal à conserver leur patrie...»213

Pour Edward W. Saïd, Camus est un écrivain qui plonge ses racines dans le colonialisme :

«...il est clair que les limites de Camus étaient paralysantes, inacceptables. Comparés à la littérature de décolonisation de l’époque, française ou arabe - Germaine Tillion, Kateb Yacine, Frantz Fanon, Jean Genet -, ses récits ont une vitalité négative, où la tragique densité humaine de l’entreprise coloniale accomplit sa dernière grande clarification avant de sombrer. En émane un sentiment de gâchis et de tristesse que nous n’avons pas encore entièrement compris. Et dont nous ne sommes pas tout à fait remis» 214

Pour Kateb Yacine, Camus a :

«Sa vie en France et ses racines en Algérie. Il passait pour le maître de «L’école d’Alger» mais c’était avant tout un écrivain français de notoriété

213 BENAMMAR BENMANSOUR, Leïla. L’algérianité», ses expressions dans l’édition française. (1919-1939).

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internationale, un futur prix Nobel... il était plus Français qu’Algérien. On ne peut le lui reprocher, mais il faut en finir avec le mythe de «Camus l’Algérien»215

D’après Olivier Tood, Mohammed Dib a déclaré :

«Mon opinion d’ailleurs, est qu’on attend trop d’un écrivain en ces matières. Même et, peut-être surtout, lorsque sa naissance et son cœur le vouent au destin d’une terre comme l’Algérie, il est vain de le croire détenteur d’une vérité révélée...» et «Je ne veux pas, je me refuse de toutes mes forces à soutenir la cause de l’un des deux peuples d’Algérie, au détriment de la cause del’autre».

Nourredine Saadi dira en substance pour modérer les passions :

«Il faut se libérer du ressentiment vis-à-vis de Camus. Camus n’est pas un nationaliste algérien. Camus n’est pas Sénac. Il est fils de la colonie de peuplement - il faut s’y faire ! Il nous appartient parce qu’il dit des choses qu’on aime et qui nous éclairent sur ce pays qui est le nôtre. »