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CHAPITRE 1. ETAT DES CONNAISSANCES, ENJEUX ET PROBLEMATIQUES 5

I.1. Les sols, compartiments terrestres essentiels et une ressource sous pression

I.2.3. Fonction intégrative de la matière organique du sol

Les MOS structurent le sol et lui confèrent une résistance à l‘érosion. Elles contribuent à sa perméabilité et à son aération (Balesdent et al. 2000, Chenu et al. 2000, Le Bissonnais et al. 2002, Annabi et al. 2007), elles constituent également un réservoir nutritif, d‘éléments organiques et minéraux et d‘eau, elles sont à la base des chaînes trophiques et sont donc impliquées dans le maintien de la biodiversité des écosystèmes terrestres (Birkhofer et al. 2008, Leroy et al. 2008). L‘activité des organismes du sol libère des éléments nutritifs à partir du pool de MOS, ce qui leur confère un rôle majeur dans le contrôle de la fertilité et de la production agricole (Tiessen et al. 1994). Enfin, la résultante des flux de carbone échangés en permanence entre le sol et l‘air contribue au stockage du carbone ou au contraire à l‘émission de gaz à effet de serre (Lal 2003). Les caractéristiques de la MO peuvent être approchées par son stock, sa composition et son turn over.

Les MOS : un indicateur sensible aux changements d’occupation des sols et des pratiques culturales. Un sol, sous une occupation donnée possède une dynamique qui lui est propre et des taux d‘apport et de minéralisation qui deviendraient identiques à l‘équilibre. Un sol agricole ou forestier ou une prairie peut contenir une quantité plus ou moins stable de carbone organique (Haynes 2005, Sartori et al. 2006). Une perturbation du système ou un changement de pratique peut rompre cet équilibre. La MO va alors diminuer ou tendre vers le maximum théorique de Corg que peut contenir un sol si l‘aménagement est effectué d‘une façon à optimiser l‘accumulation de MO et à minimiser sa décomposition (Lal 2004). Cette quantité potentielle est déterminée par les caractéristiques de la matrice minérale et du climat. Pour éviter les pertes de MO estimées pour les sols arables au niveau mondial, en moyenne, à 30 % de leur Corg initial (Post and Kwon 2000) il y a lieu de comprendre les mécanismes de stabilisation dans les sols pour utiliser les MOS comme indicateur de qualité. La connaissance des processus d‘humification en tant que facteur de stabilisation (Duchaufour 2004), a été

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améliorée par des études récentes qui montrent que des molécules considérées comme récalcitrantes (e.g lignines, lipides) peuvent avoir un turn over plus rapide que la MO globale (Amelung et al. 2008, Dungait et al. 2012, Schmidt et al. 2011).

Trois mécanismes majeurs de stabilisation de la MO ont été identifiés, avec des implications relatives variant en fonction de la nature des apports, de la texture et de la minéralogie des sols (figure 1.4) (Six et al. 2002, Von Lützow et al. 2006, Kögel-Knabner and Kleber 2011): (i) Les interactions avec les particules minérales et les interactions des particules de MO entre elles (protection physico-chimique) stabiliseraient la MO sous forme d‘un ensemble de petites molécules organisées en couches autour des particules minérales avec des niveaux de stabilisation différents (liaisons covalentes, ponts cationiques, échanges de ligands et interactions faibles : liaisons hydrogène, interactions hydrophobes ou forces de Van Der Valls) (Kleber et al. 2007). Les liaisons entre la MO et les minéraux au sein de la première couche peuvent être considérées comme irréversibles (Chenu and Stotzky 2001), tandis que la fraction de ce « complexe argilo-humique », plus éloignée du minéral, serait une association supramoléculaire relativement lâche, flexible, d‘unités de petites tailles, stabilisée par des interactions hydrophobes et des ponts hydrogène (Sutton and Sposito 2005, Schaumann 2006) (ii) La protection dans les agrégats (physique): La matière organique a un temps de résidence plus élevé dans les microagrégats. Les feuillets d‘argiles sont une barrière vis-à-vis des possibilités de transfert d‘enzymes susceptibles de dégrader la MO. Des conditions physicochimiques localement favorables (teneur en eau, en O2, pH) peuvent également expliquer la protection de MO dans ces zones (Chenu and Plante 2006). Néanmoins, des questions d‘échelle subsistent : les microagrégats se renouvellent en moyenne tous les 90 jours, avec une durée de vie plus importante en profondeur (Moni et al. 2010, Virto et al. 2010), et leurs dynamiques sont couplées à celles des microorganismes (Six et al. 2004). A quelle échelle spatiale a lieu la protection physique à court et à long terme ?

23 Figure 1.4 : Estimation approximative de la proportion relative des processus de stabilisation de la MO en fonction de son temps de résidence dans le sol d’après Kögel-Knabner and Kleber (2011).

(iii) La stabilisation chimique a été largement démontrée pour plusieurs constituants (notamment les charbons). Néanmoins, la part de ce mécanisme dans les processus de stabilisation est discutée. Il est difficile de distinguer les trois mécanismes, d‘autant que les propriétés intrinsèques des molécules (e.g poids moléculaire, aromaticité, nature des groupements fonctionnels) détermine leurs interactions avec les surfaces minérales et peuvent favoriser leurs adsorptions sur les argiles (Schmidt et al. 2011). Un quatrième mécanisme stationnel peut être souligné : (iv) la stabilisation environnementale. Elle correspond à la préservation de MO dans certaines conditions pédoclimatiques où l‘activité des microorganismes est diminuée (e.g. pH ou froid extrême, hydromorphie et anoxie) (Saenger 2013).

La quantité de MO, fréquemment utilisée comme indicateur de qualité du sol (Karlen et al. 1997, Carter 2002, Andrews et al. 2004) ne peut l‘être que dans certains milieux. Le

La minéralogie et la pédologie ont un rôle majeur dans la stabilisation des MO Le carbone stable ne peut pas être quantifié par des indicateurs de la qualité de la MO

L’importance relative des processus de stabilisation dépendrait du type de sol et de la profondeur

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développement des recherches sur les processus de stabilisation pourrait conduire à préciser deux autres indicateurs complémentaires: la quantité maximale accumulable de MOS atteignable et la quantité potentielle correspondant au maximum théorique de stockage (Post and Kwon 2000).

La nature des matières organiques : des pools impliqués dans différents services écosystémiques. Le continuum de molécules humiques stabilisées en couche autour des minéraux présente une grande flexibilité. Les liaisons faibles sont très dynamiques et peuvent interagir avec la MO fraîche et labile. Les cations multivalents favorisent ces interactions (Sutton and Sposito 2005, Schaumann 2006, Berthelin et al., 2011). La MO labile et les « substances humiques » ou MO stable ne correspondent plus exactement à des MO de structures différentes. La séparation des pools de MO « active » et « stable » n‘est pas évidente (figure 1.5) (Kiem and Kögel-Knabner 2003, Balesdent et al. 2011, Dungait et al. 2012). Les constituants des différentes fractions de la MO, leurs structures globales, la répartition des groupements fonctionnels, leurs structures élémentaires, peuvent-ils alors fournir des indicateurs ?

Figure 1.5 : Composition et distribution des matières organiques des sols d’après Saljnikov et al. (2013).

Lorsqu‘un apport de litière se fait dans le sol, les composés hydrosolubles (lipides de faible masse moléculaire, peptides, acides aminés, des sucres simples, certains métabolites secondaires: tanins, pigments, alcaloïdes, terpènes…) sont rapidement décomposés par la faune et les microorganismes. Leurs stocks varient considérablement car ils sont

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continuellement reconstitués par la décomposition des grosses molécules (polyphénols, pectine, cellulose, lignine…) (Berg and McClaugherty 2003, Fioretto et al. 2005). Ce pool chimiquement dégradable et physiquement accessible est la fraction biologiquement active du Corg. Ce pool qui ne représente que 10 à 30% de la MO totale du sol a un rôle fonctionnel majeur, il favorise la stabilité des macro-agrégats, et constitue une réserve rapidement

assimilable de nutriments (Dommergues and Mangenot 1970, Loveland and Webb 2003,

Haynes 2005). Il peut constituer un proxy pour l‘estimation de la biomasse microbienne avec laquelle il est extrêmement bien corrélé (Ghani et al. 2003). Le pool stable est associé à d‘autres fonctions. Il conditionne la capacité de rétention d‘eau, la CEC et la microagrégation (Saljnikov et al. 2013). La variation quantitative et qualitative des différents pools de MO va donc modifier les services rendus par le sol. Différencier ces deux pools par leur structure chimique est difficile bien que la MO labile soit constituée de composés organiques simples et identifiables. Les nombreuses approches méthodologiques (fractionnement granulo-densimétrique, extractions chimiques, pyrolyse, spectroscopie RMN ou IR, minéralisation) tentent aujourd‘hui de quantifier les pools à travers leurs états de disponibilité aux organismes, c'est-à-dire leurs degrés de stabilisation. Toutefois, la taille des pools estimée par les différentes techniques peut varier très largement (McLauchlan and Hobbie 2004).

Turn over des MOS : utilisation du « pool actif » comme indicateur précoce et très sensible aux changements de pratiques. Les changements de pratiques se répercutent très rapidement sur la fraction active alors que ceux-ci ne peuvent être mesurables sur la MO totale qu‘à plus long terme (Graham et al. 2002, Haynes 2005). Les deux pools définis ci-dessus ont des temps de résidence dans le sol différents (Balesdent et al. 2011). La fraction active se renouvellerait environ tous les 5 ans. Une partie de la fraction stable appelée

Le couplage de techniques biologiques, chimiques et physiques apparaît nécessaire pour quantifier les différents pools de matières organiques.

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communément « pool intermédiaire » à un turn over d‘environ 50 ans, et celui du « pool stable », au sens strict, varie de 100 à plus de 1000 ans (Andreux and Munier-Lamy 1994). Le turn-over de la matière organique dépend de sa disponibilité à la dégradation. Sa vitesse, indirectement liée aux conditions climatiques et aux mécanismes de protection de la MO dans les sols, est conditionnée par l‘activité biologique du sol. Le Corg du sol évolue vers un carbone moins énergétique, avec une énergie d‘activation bien plus importante que celle du carbone labile. Le rapport coût-bénéfice change pour les décomposeurs. Par conséquent, ces MO de faible énergie ont un temps de résidence très long (Wickings et al. 2012).Le turn over du pool actif est lié à l‘activité des microorganismes. Ils sont les contributeurs majeurs de la respiration du sol et sont responsables de 80 à 95% de la minéralisation du carbone. Les rôles du compartiment microbien dans le fonctionnement du sol sont antagonistes. Ils s‘étendent de la minéralisation de la MO à l‘élaboration de produits métaboliques qui contribuent à la formation des agrégats et du complexe organo-minéral. Ceux-ci protègent le Corg contre la décomposition (Haynes 2005).

I.2.4. Techniques d’intégrations des données et mode de calcul de la qualité