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Le faisceau d'indices du caractère exclusivement social de l'activité d'assurance

Section II-La qualification des opérateurs d'assurance à caractère social

A- Le faisceau d'indices du caractère exclusivement social de l'activité d'assurance

146. La finalité sociale des opérateurs d'assurance n'exclut pas, en soi, la qualification économique

de leurs activités. Cependant, l'identification de plusieurs éléments dans l'exercice de l'activité de

215CJCE, 17 février 1993, aff., C-159/91 et 160/91, Poucet, Pistre c/ AGF c/ CANCAVA, préc., pt. 18.

216Certain va jusqu'à la mise en place d'une définition négative de la notion d'entreprise en droit de la concurrence afin de la distinguer de la notion positive d'entreprise, L. Driguez, op. cit., p. 247 et s ; Ce procédé pose un problème puisqu'il risque de nous faire tomber dans une interrogation sur le procéder à suivre lors de la recherche de la qualification d'entreprise.

certains opérateurs à caractère social a conduit la Cour à retenir la qualification exclusivement sociale et à exclure la qualification d'activité économique d'entreprise.

147. Quatre arrêts217 de la CJUE ont retenu cette notion à l'égard de quatre opérateurs distincts. Les litiges concernaient des opérateurs d'assurance relevant de la protection sociale et dans trois États membres différents, opposant des assurés aux organismes régionaux chargés de la gestion des régimes d'assurance maladie et maternité, d'assurance vieillesse et d'assurance pour les accidents de travail et les maladies professionnelles.

148. La décision fondatrice en la matière se trouve dans la fameuse affaire « Poucet et Pistre » de

1993. En l'espèce M. Poucet et M. Pistre, respectivement, opposaient à la caisse mutuelle régionale du Languedoc-Roussillon (CAMULRAC), organisme chargé de la gestion du régime d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles, et son organisme conventionné, les Assurances Générales de France (AGF) et à la caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse des artisans de Clermont-Ferrand (CANCAVA), le paiement des cotisations d'affiliation obligatoire réclamées par celles-ci. M. Poucet et M. Pistre, sans contester le principe d'assurance obligatoire, ont contesté le paiement en s'appuyant sur l'incompatibilité de l'obligation d'affiliation aux seules CAMULRAC et CANCAVA aux règles du droit de la concurrence218. Ils estimaient, en vertu des règles de concurrence, pouvoir s'adresser librement à toute compagnie d'assurance privée. Après avoir parcouru les caractéristiques des régimes d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles et d'assurance vieillesse des artisans en cause, comme la solidarité financière établie au sein des régimes219, l'affiliation obligatoire indispensable à la mise en œuvre de la solidarité220 et la soumission de ces organismes assureurs à l'organisation et au contrôle étatique dans la gestion des régimes, la Cour en a déduit que « les caisses de maladie ou les organismes qui concourent à la

gestion du service public de la Sécurité sociale remplissent une fonction de caractère exclusivement social (...) »221. Partant, les caisses en cause n'exercent pas d'activité économique et ne constituent pas des entreprises au sens des articles 81 et 82 du traité (désormais 101 et 102 du TFUE).

217CJCE, 17 février 1993, aff., C-159/91 et 160/91, Poucet, Pistre c/ AGF c/ CANCAVA, préc ; CJCE, 22 janvier 2002, aff. 218/00, Cisal, préc ; CJCE, 16 mars 2004, aff. Jtes C-264/01, C-306/01, C-354/01 et C-355/01, AOK

Bundesverband e.a., Rec., p. I-2493. ; CJCE, 5 mars 2009, aff. C- 350/07, Kattner Stahlbau GmbH contre Maschinenbau- und Metall- Berufsgenossenschaft, Rec. CJCE, I, p. 1513, Europe 2009, comm.198, obs. Ido L.

218CJCE, 17 février 1993, aff., C-159/91 et 160/91, Poucet, Pistre c/ AGF c/ CANCAVA, préc., pt. 3. 219Ibid, pt. 10.

220Ibid, pt. 13. 221Ibid, pt. 18.

149. Plusieurs années après son arrêt fondateur, la Cour a, dans son arrêt concernant l'affaire « cisal

di Battistello Venanzio contre l'INAIL »222, confirmé son analyse au sujet de l'activité de l'institution nationale d'assurance des travailleurs contre les accidents du travail de l'assurance italienne (INAIL). Comme dans l'affaire Poucet et Pistre, un artisan ne s'était pas assuré auprès de l'INAIL qui lui a adressé une injonction relative au paiement de ses cotisations d'assurance. M. Battistello Venanzio s'opposait à la contrainte en démontrant qu'il était déjà assuré contre les accidents du travail auprès d'une compagnie d'assurance privée. Il soutenait, en outre, que les dispositions fondant son obligation de s’assurer contre ces mêmes risques auprès de l'INAIL fussent déclarées contraires au droit communautaire de la concurrence en ce qu'elles maintenaient de façon injustifiée, en faveur de ce dernier, un monopole qui le conduisait à abuser de sa position dominante.

150. S'occupant de la qualification de l'INAIL, organisme ayant la charge de garantir pour le

compte de l’État et sous son contrôle l'assurance obligatoire des travailleurs contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, la juridiction italienne préféra surseoir à statuer et interrogea la Cour de justice sur la qualification à donner à cet organisme assureur. Après avoir rappelé la mise en place du principe de solidarité par le régime d'assurance223, sa soumission à l'organisation et au contrôle étatique, surtout en ce qui concerne le taux des cotisations et des prestations224 et l'affiliation obligatoire indispensable à la mise en œuvre du principe de solidarité et à l'équilibre financier du régime225, la Cour de justice concluait, comme elle l'avait fait dans l'affaire Poucet et

Pistre, qu' « en concourant ainsi à la gestion de l'une des branches traditionnelles de la Sécurité sociale, en l'occurrence l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, l'INAIL remplit une fonction de caractère exclusivement social. Il s'ensuit que son activité n'est pas une activité économique au sens du droit de la concurrence et que, dès lors, cet organisme ne constitue pas une entreprise au sens des articles 81 et 52 du traité » (désormais 101 et 49 du

TFUE)226.

151. L'affaire « AOK Bundesverband »227 relative aux caisses légales d'assurance maladie allemandes a également permis à la Cour de justice de préciser les critères de la qualification d'une activité d'assurance à caractère exclusivement social. Le litige opposait des sociétés

222CJCE, 22 janvier 2002, aff. 218/00, Cisal, préc. 223Ibid, pt. 38 à 42.

224Ibid, pt. 43 à 44. 225Ibid, pt 45. 226Ibid, pt 46.

pharmaceutiques et des caisses d'assurance de santé allemandes et leurs fédérations. Les sociétés pharmaceutiques contestaient, sur le fondement de l'article 81 § 1 du traité, la fixation des montants maximum de remboursement des médicaments et matériels de soins par les fédérations de caisses. Elles considéraient que les caisses d'assurance maladie allemandes étaient en concurrence sur le terrain des cotisations. De ce fait elles devaient être considérées comme des entreprises exerçant des activités économiques spécialement dans leur activité d’achat de médicaments. Ainsi elles considéraient le mécanisme de fixation des plafonds maximums et communs de prise en charge des médicaments comme une entente anticoncurrentielle. Plusieurs questions préjudicielles relatives à la qualification des fédérations des caisses ainsi que les caisses d'assurance maladie et les effets de celle-ci ont été posées à la Cour de justice par la juridiction allemande compétente. Pour répondre à la question relative à la qualification des caisses d'assurance maladie, la Cour, après avoir rappelé leurs caractéristiques, comme la solidarité établie entre les membres des caisses et les caisses, elles-mêmes, leur soumission à l'organisation et au contrôle étatique228, et l'absence de concurrence économique229, a estimé qu'à l'instar des caisses d'assurance maladie et de vieillesse de l'affaire

Poucet et Pistre, « les caisses de maladie du régime légal d'assurance maladie allemand concourent à la gestion du système de la Sécurité sociale. Elles remplissent, à cet égard, une fonction de caractère exclusivement social, fondée sur le principe de solidarité et dépourvue de tout but lucratif »230. Elle en a finalement déduit que l'activité de ces caisses n'est pas économique et les caisses ne sont pas considérées comme des entreprises au sens des articles 81 et 82 du traité CE (désormais 101 et 102 du TFUE) 231.

152. Si la cour de justice n'était pas, dans les arrêts précédents, assez claire sur les éléments

constitutifs du caractère exclusivement social d'une activité, l'affaire « Kattner » relative au système d'assurance d'accidents de travail et de maladies professionnelles lui a donné l'occasion de développer ce qui est nécessaire pour qualifier une activité comme exclusivement sociale232. Le litige opposait une société « Kattner Stahlbau CMBH » à la caisse professionnelle du secteur de la construction mécanique et de la métallerie au sujet de l'affiliation obligatoire de celle-ci à cette

228Ibid, pt. 53.

229La concurrence exercée entre les caisses était établie sur le principe de bonne gestion et non pas sur celui d'une concurrence sur le marché. Selon la Cour du justice « il ressort des observations présentées devant la Cour, le

législateur a introduit un élément de concurrence en matière de cotisations afin d'inciter les caisses de maladie à exercer leur activité selon les principes d'une bonne gestion, à savoir de la manière la plus efficace et la moins coûteuse possible, dans l'intérêt du bon fonctionnement du système de sécurité sociale allemand. La poursuite de cet objectif ne change en rien la nature de l'activité des caisses de maladie » : Ibid, pt. 56.

230Ibid, pt. 51. 231Ibid, pt. 57.

232CJCE, 5 mars 2009, aff. C-350/07, Kattner Stahlbau GmbH contre Maschinenbau-und

dernière au titre de l'assurance légale contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Devant les juridictions allemandes compétentes, la société alléguait que l'affiliation obligatoire était contraire aux dispositions des articles 49 et 50 du traité sur la libre prestation des services ainsi que celles des articles 82 et 86 relatifs à la concurrence. Les juridictions allemandes, après avoir décidé de surseoir à statuer, posèrent à la Cour de justice deux questions préjudicielles relatives, en premier lieu, à la qualification des caisses d'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, et deuxièmement, à leur soumission au droit communautaire233. Pour répondre à la première question, la Cour a, à la différence des arrêts précédents, précisé que seule la solidarité et le contrôle exercé par l’État sur les régimes d'assurance seraient susceptibles d'exclure les activités des caisses relatives à l'assurance contre les accidents de travail et les maladies professionnelles de la qualification économique d'entreprise234. Selon elle, dans ce cas seulement, l'activité sera considérée comme poursuivant une finalité exclusivement sociale justifiant l'exclusion de la qualification d'entreprise235. Puis, elle a constaté qu' « en concourant à la gestion de l’une des

branches traditionnelles de la Sécurité sociale, en l’occurrence l’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, un organisme tel que celui en l'espèce remplit une fonction à caractère exclusivement social, de sorte que son activité n’est pas une activité économique au sens du droit de la concurrence et que, dès lors, cet organisme ne constitue pas une entreprise au sens des articles 81 CE et 82 CE »236.

153. Sans surprise, les autorités françaises de la concurrence n'hésitent guère à écarter la

qualification d'activité économique d'entreprise pour l'accomplissement d'une activité exclusivement sociale. Ainsi, une saisine récente de l'autorité a été déclarée irrecevable à l'encontre des pratiques de la Caisse de la mutualité sociale agricole de Gironde au motif qu'elle « ne constitue

pas une entreprise, mais remplit une fonction à caractère exclusivement social ». Cette solution a

été confirmé par la Cour d'appel de Paris237. Pour justifier leurs décisions, l'Autorité de la concurrence et la cour d'appel n'ont fait qu'appliquer, par analogie, la jurisprudence de la Cour de justice.

154. En revenant à la jurisprudence européenne, l'arrêt Kattner était la dernière occasion qui a 233Ibid, pt. 22.

234Ibid, pt. 43. 235Ibid, pt. 68. 236Ibid, pt. 66.

237ADLC. Déc., n° 10-D-23 du 23 juillet 2010, relative à des pratiques mises en œuvre par la caisse de la mutualité sociale agricole de la Gironde : CA. Paris, 27 janvier 2011, rejetant le recours contre la décision de l'Autorité de la concurrence.

permis à la Cour de justice de préciser les éléments constituant la notion d'activité à caractère exclusivement social en matière assurantielle238. Cela signifie-t-il qu'on doit se fier à son analyse et considérer que la solidarité et le contrôle exercé par l’État sont les éléments indispensables de la qualification des activités d'assurance à caractère exclusivement social ?239 Ou au contraire, plusieurs éléments, selon les circonstances, devraient-ils être pris en compte ? La prise en considération de l'ensemble des décisions de la CJUE pourraient nous interdire de répondre à notre interrogation. Si, au cas par cas, la Cour est très claire dans ses motivations, l'analyse de l'ensemble des espèces pourrait montrer une incompréhension, puisqu’on sait qu'en droit de la concurrence le contrôle étatique n'affecte pas davantage la qualification d'entreprise. Et de même, quel sera le degré du contrôle exercé par l’État pour apprécier le caractère exclusivement social ? D'ailleurs, il apparaîtrait difficile d'apprécier le caractère exclusivement social d'un opérateur d'assurance à l'aune d'un principe de solidarité.

B-La solidarité par répartition : élément primordial de la