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CHAPITRE 6 : DISCUSSION

6.1 Le contexte de travail des TAP

6.1.1 Les facteurs de stress

Selon les résultats de notre étude, les TAP rapportent avec plus d’importance des indicateurs relatifs aux catégories suivantes : la charge de travail, la latitude décisionnelle, les relations interpersonnelles et les interventions émotionnelles. La littérature scientifique québécoise a porté principalement sur les risques environnementaux et physiques et ces études ont mené à des améliorations aux plans ergonomique (p. ex. : adaptation de la civière) (Duval et Gambin, 2011; Gambin, 1999; Gambin et al., 1999; Marchand et Laroche, 1999) et organisationnel (p. ex. : l’utilisation de la radio portative) (Massad, 2002). Notons que plusieurs écrits ont porté sur les différentes composantes de la charge de travail (Mahony, 2001; Nirel, Goldwag, Feigenberg, Abadi et Halpern, 2008; Sterud et al., 2006; Sterud et al., 2008; van der Ploeg et Kleber, 2003). Suivant le constat de Service Canada (2011) qui soulignait que le travail des TAP est très exigeant sur les plans physique et psychologique, nos résultats démontrent que le contexte québécois s’apparie à cette description de la charge de travail des TAP et pourrait s’appliquer à d’autres métiers

tels les préposés aux centres d’appel 9-1-1, les policiers et les pompiers. En effet, rappelons que la catégorie de la charge de travail regroupe 9 indicateurs – vigilance

maintenue, contrôle de soi, sentiment d’accumulation, état de fatigue, force déployée, temps et lieux déterminés pour les tâches à effectuer, fréquence des appels par jour, temps de repas coupés et horaire instable − identifiés par la majorité des

répondants.

Au plan des exigences mentales, nos résultats du contrôle de soi concordent avec les propos de Clohessy et Ehlers (1999), Regehr et al. (2002) et van der Ploeg et Kleber (2003) en soulignant qu’effectivement, une distance professionnelle et un certain détachement émotionnel sont nécessaires aux TAP afin d’intervenir adéquatement et efficacement auprès des patients. De plus, les recherches de ces auteurs avaient démontré un lien entre cette distance ou détachement et un risque plus élevé de développer des symptômes du stress post-traumatique dans certaines circonstances. De notre côté, malgré que nous n’ayons pas mesuré les symptômes du stress post-traumatique, nous croyons tout de même que les TAP de notre étude ont plutôt figuré cette symptomatologie en l’attribuant à un sentiment d’accumulation. En effet, nos participants nommaient que ce détachement émotionnel semblait s’accumuler au fil des années de service. Par contre, les indicateurs de vigilance maintenue et de sentiment d’accumulation ne ressortent pas en tant que sources de stress dans la revue de littérature. Nous estimons que l’absence de ces deux indicateurs de facteurs de stress, toutefois identifiés par notre étude, pourrait s’expliquer par le fait que la vigilance maintenue et le sentiment d’accumulation peuvent être assimilés à d’autres concepts, moins spécifiques, étudiés dans les recherches antérieures (p. ex. : l’épuisement professionnel).

Au plan des exigences physiques, nos résultats démontrent que ces exigences représentent un stress important dans cet emploi, ce qui avait été préalablement identifié par Sterud et al. (2008) en tant qu’un des facteurs de stress les plus graves dans son étude. Dans cet ordre d’idée, nous croyons que la population à l’étude pourrait présenter des niveaux plus élevés d’épuisement professionnel et présenter un risque accru de douleur musculo-squelettique tel que

prédit par la gravité des exigences physiques du travail des TAP (Sterud et al., 2011). Effectivement, l’indicateur temps et lieux déterminés pour les tâches à effectuer s’apparente au facteur de stress de la pression du temps identifié par Sterud

et al. (2011) qui prédisait une augmentation de l’épuisement émotionnel chez ses

participants. De plus, nos résultats quant aux indicateurs de fréquence des appels par jour, de force déployée et de l’état de fatigue soutiennent les aspects stressants du travail des TAP relevées par Clohessy et Ehlers (1999, annexe B) ainsi que les principaux risques pour la santé et la sécurité des ambulanciers identifiés par le CCHST (2014, annexe A). En ce sens, les éléments constituant nos indicateurs de l’état de fatigue et de la force déployée regroupent des tâches physiques décrites par nos participants qui s’accompagnaient d’efforts exigeants ou d’un épuisement ressenti par les TAP. En ces cas, l’état de fatigue serait un stress conséquent à d’autres facteurs de stress du contexte de travail. Sous toute réserve de la taille de notre échantillon et en considérant le n obtenu pour l’état de fatigue (n = 7), il est probable que certains TAP de notre population soient à risque de devoir quitter pour maladie ou incapacité de travail comme il a été rapporté dans l’étude de van der Ploeg et Kleber (2003).

Les recherches du domaine de la santé qui ont porté sur les relations

interpersonnelles sont nombreuses et diversifiées. La relation aidant-patient a

longuement été analysée quant à ses effets bénéfiques sur la santé des intervenants (p. ex. : sentiment de valorisation au travail, reconnaissance reçue des patients) et aussi quant aux risques psychosociaux d’une telle relation d’aide au travail (Bourbonnais et al, 1998; Bourdon, 2011; Dollard et al., 2003). Dans notre étude, les indicateurs à la violence verbale et physique reçues au travail et les patients difficiles se manifestent à travers leurs relations avec la clientèle et créent un état de stress déplaisant chez la majorité des TAP. Ces constats vont dans le même sens que de précédentes études : Notamment, le CCHST (2014) rapportait que le travail avec des patients hostiles est un risque pour la santé et la sécurité des TAP, ce qui avait été préalablement identifié par Gbézo (2001), l’OIT (2003, 2005) en soulignant que l’exposition des TAP à la violence était extrêmement élevée dans tous les pays.

Nous observons les mêmes conditions d’exercice des TAP dans le contexte québécois ce qui amène les TAP à vivre du stress lors de situations de violence en provenance de patients difficiles. À cet effet, rappelons que nos résultats relèvent que les patients en besoin psychosocial semblent les plus enclins à démontrer des actes de violence envers les TAP. Dans le même ordre d’idée, nos résultats concernant le l’indicateur de patients difficiles confirment les propos de Mahony (2001) et Bourdon (2011). Effectivement, ces auteurs ont soulevé qu’une majorité de répondants exprimait de la frustration quant au transport de patients qui ne nécessitent pas un besoin urgent de soins hospitaliers. Nos TAP participants ont expliqué que le stress envers ce type de clientèle relève du fait que ces demandes immobilisent les services de véhicules d'urgence et le temps du personnel qualifié quand simultanément, une urgence réelle peut survenir et qu’il faille plus de temps pour y répondre.

À notre connaissance, peu de recherches ont considéré spécifiquement la

latitude décisionnelle comme source de stress au travail des TAP. Le manque

d’autonomie/latitude décisionnelle et le manque de participation aux décisions ont toutefois été constatés par Mahony (2001), Sterud et ses collaborateurs (2008) ainsi que van der Ploeg et Kleber (2003). Ces recherches supportent l’hypothèse du modèle de Karasek en indiquant qu’un travail comportant une grande demande (dans le cas des TAP plusieurs demandes mentales et physiques) et laissant peu de latitude décisionnelle résulte en un état de stress au travail. Dans le même sens que les constats de Mahony (2001), la plupart des TAP participant à notre étude ont indiqué avoir un sentiment d'autonomie clinique sur les lieux d'une urgence. Les TAP s'attendent à utiliser leur initiative et à porter un jugement décisionnel sur le traitement des patients. Cela pourrait justifier la concordance de notre résultat des

protocoles d’intervention relevé en tant qu’indicateur de facteur de stress (n = 6).

Les attentes des TAP quant aux gestes qu’ils pourront poser en intervention semblent donc contribuer au stress ressenti. Par contre, les protocoles apparaissent en tant que stress lorsque celui-ci ne peut être appliqué lors de l’intervention et que des décisions cliniques hors protocole doivent être prises. Soulignons que la

particularité de nos résultats concernant la marge de manœuvre laissée aux TAP lorsqu’ils doivent sortir du cadre préétabli des protocoles d’intervention apporte un nouvel élément quant à l’hypothèse du modèle de Karasek. Effectivement, si ce modèle établit qu’une latitude décisionnelle diminuera la tension liée aux demandes du travail, la marge de manœuvre des TAP de notre étude semble plutôt augmenter la tension en comportant des indicateurs de stress dans cette latitude décisionnelle (hors cadre du protocole) liée aux tâches de l’emploi. Ainsi, notre indicateur des protocoles d’intervention suggère que leur latitude peut accentuer le problème de tension au travail, toutefois, la taille de notre échantillon ne permet pas d’être concluant sur cet effet.

Pour ce qui est des conditions de travail typiques de ce métier : les horaires instables et l’imprévisibilité du travail contribuent au niveau de stress général (Clohessy et Ehlers, 1999), le travail en rotation et les journées de travail prolongées sont des risques pour la santé et sécurité des TAP (CCHST, 2014). Nos résultats rapportent ces mêmes conditions comme indicateurs de stress, mais d’importances diversifiées46. Ainsi, de notre côté, seulement la variabilité des temps de repas

coupés et des horaires instables ont été mentionnés par la majorité des TAP

rencontrés. Toutefois, précisions que pour les TAP à statut précaire (principalement à temps partiel) la relation entre certains facteurs des conditions de travail semble plus présente (p. ex. : le changement de coéquipier plus fréquent). Par conséquent, nous croyons que des études futures devraient approfondir cette piste de différence entre les statuts d’emploi. Pour ce qui est des quarts de travail prolongés, l’étude de Mahony (2001) rapportait, dans le Service UK, qu’il n’était pas hors du commun pour les ambulanciers sur la route, d’être assignés au transfert d’un patient une demi- heure avant la fin d’un quart de travail de 12 heures et d’être seulement en mesure de compléter l’assignation et de retourner à la station plusieurs heures plus tard.

En ce sens, soulignons que notre indicateur des quarts de travail prolongés (n = 4) semble se rapprocher de ce constat et rappelons qu’il est lié à la perception

46 Dans notre étude, les n des indicateurs liés aux facteurs des conditions de travail varient entre 1 et

de contrainte quant à la conciliation travail-vie personnelle. Il est probable que la petite taille et le statut des participants de l’échantillon n’ait pu nous permettre d’atteindre la majorité sur cet indicateur de facteur de stress. Il en est de même pour la responsabilité de l’acte (n = 4) : le risque d'avoir une plainte portée contre vous semble être un facteur de stress intrinsèque à l'ensemble du personnel et apparaît hors de contrôle pour le TAP, et ce, peu importe leurs compétences. Ce constat a également été observé par Mahony (2001). L’étude de Nirel et al. (2008) a indiqué que les pressions au travail provenaient des longues heures, du déséquilibre entre le travail et la vie de famille et du sentiment de devoir s’adapter à la paperasserie. Les pressions ne venaient pas du fait d’avoir à faire face à la responsabilité, au travail dans des conditions incertaines, et non plus de la transition soudaine entre des situations calmes (temps d’attente) et d'urgence. Nos résultats s’accordent à ceux-ci quant à l’effet de pression dû aux longues heures de l’horaire instable (n = 6), et à des pressions moindres quant à la responsabilité de l’acte (n = 4), le temps d’attente

entre les affectations (n = 2) et l’imprévisibilité quotidienne (n = 1). Par contre, les règles et procédures incluant la paperasserie n’ont été relevées que par trois

participants. De plus, en considérant les n que nous avons obtenues aux indicateurs des facteurs des conditions de travail, notre étude suggère que la variabilité des conditions génère plus de stress que celles qui sont considérées invariables.

Quant à notre thème de la nature des interventions, qui s’apparie aux tâches opérationnelles dans la littérature, divers facteurs de stress identifiés dans notre étude s’accordent avec ceux qui ont été relevés précédemment dans d’autres recherches, et principalement ciblés en tant qu’incident critique ou événement traumatique. D’abord, les interventions où un enfant est impliqué (dans notre étude,

n = 7) rejoignent les travaux d’Alexander et Klein (2001), Clohessy et Ehlers (1999),

Mahony (2001) et Sterud et al. (2008). Ensuite, lorsque le TAP a un lien personnel

avec le patient (n = 4), nos observations se joignent à celles de Mahony (2001),

Sterud et al. (2008), et finalement, notre indicateur de l’exposition à la mort (n = 6) va dans le même sens que ce qui a déjà été identifié par Clohessy et Ehlers (1999); Nirel et al. (2008), Sterud et al. (2008) et van der Ploeg et Kleber (2003). Il est en

effet reconnu depuis plusieurs années, tant par les travailleurs du milieu de l’urgence que par la communauté scientifique que ces interventions sont couramment porteuses de conséquences sur le plan de la santé psychologique des TAP. De plus, nos résultats quant aux interventions émotionnelles soutiennent que les TAP font face à des périodes de stress psychologique intense ou de traumatisme dans le cadre de leur travail (CCHST, 2014). En ce sens, étant confrontés à des situations à forte charge émotionnelle, les TAP participants à notre étude ont identifié différents types d’interventions où le stress vécu est propice à engendrer des réactions typiques d’un traumatisme ou choc psychologique (p. ex. : intervention où un enfant est impliqué ou exposition à la mort). Conséquemment, des stratégies d’adaptation au stress sont mises de l’avant par les TAP afin de favoriser le maintien de leur SPT.