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CHAPITRE VI : LE VÉCU DES VICTIMES DE VIOLENCE HOMOPHOBE

4.4 Le dévoilement ou non des incidents de violence homophobe

4.4.3 Les facteurs dissuasifs au dévoilement des incidents de violence homophobe

de victimisation auprès de proches et instances communautaires ou judiciaires, les victimes ont développé sur les facteurs ayant entravé la déclaration des incidents à savoir : le fait que le dévoilement de l’incident correspondrait au dévoilement de l’homosexualité à l’entourage, la peur et la honte.

4.4.3.1 La confirmation de l’homosexualité de la victime

La confirmation de l’homosexualité se divise en deux principaux volets, soit : 1) la confirmation de l’homosexualité à autrui, donc à la famille, à l’entourage immédiat et aux amis ; et 2) la confirmation à soi-même de sa propre homosexualité. En effet, les victimes ont témoigné se résoudre à ne pas divulguer ou déclarer les incidents de victimisation homophobe afin, d’une part, ne pas heurter son entourage immédiat par la confirmation de son homosexualité, et d’autre part, parce que la construction identitaire et le processus d’acceptation de sa propre homosexualité ne sont pas achevés :

Bon, quand tu es ado, tu ne parles pas super gros de tes émotions non plus en général, je suppose, pis je voulais surtout pas parler de ça (l’homosexualité) à mes parents non plus tsé – Antoine

Mais bon, tu veux pas l’avouer aux autres et encore moins à toi-même parce que ça va te confirmer que tu es juste une merde dans la vie […] En même temps tu veux pas le dire à tes parents parce que : 1) tu sais pas si t’es vraiment gai et 2) tu sais qui vont être vraiment vraiment déçus – Alex

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4.4.3.2 La peur et la honte

La peur et la honte sont des facteurs ayant un poids décisionnel important dans la reportabilité d’un incident. En effet, Antoine relate avoir ressenti de la honte face à l’intimidation vécue en milieu scolaire, mais aussi avoir eu peur de subir de la victimisation secondaire suite à une déclaration, notamment par l’adoption de propos culpabilisant à son égard :

Oui j’en ai parlé à des proches, mais ça m’a pris quelques temps je te dirais. Il y avait une certaine forme de honte peut-être, je ne sais pas (gêné) […] Ben tsé, des fois, bon l’imbécilité humaine il y en a partout et parfois c’est hallucinant, donc heum j’avais peur des : « ouin, mais tsé tu étais peut-être à quelque part, tu as peut-être fait exprès de le provoquer » – Antoine

Alex, de son côté, témoigne ne pas avoir bien compris ce qui venait de se passer dans les moments suivants l’agression et qu’un moment, afin d’analyser la situation, était requis. En effet, il dit explicitement avoir vécu de la honte en regard de son homosexualité, intimement liée à son homophobie intériorisée au secondaire, car il désirait éviter d’être associé à tous les préjugés véhiculés et plus largement intégrés. La peur de représailles et de l’augmentation de l’intimidation et des violences homophobes à son égard sont aussi des peurs témoignées par ce dernier :

Sont partis tout de suite après pis moi ben j’en ai pas parlé tout de suite à mes amis, je comprenais pas trop ce qui venait de se passer pis faillait que j’analyse tout ça! Mais bon, j’aurais peut-être dû en parler, mais […] au secondaire, c’était plus de la honte. Honte de ce que tu es, de le confirmer […] tu veux pas être associé avec ce qui est mal, dégueulasse, honteux bref – Alex

Tout comme Alex, Martin mentionne ne pas savoir comment aborder l’événement tout en craignant d’avoir à nouveau l’occasion de croiser son agresseur sur les lieux de l’agression, un restaurant, ce qui ne s’est pas passé. Le fait que l’agresseur ait été l’ami de son employeur l’aurait amené à taire l’événement de crainte ultimement de perdre son emploi :

Je te dirais que j’étais peut-être mal à l’aise quand j’étais au resto de peur de le voir, mais je l’ai jamais revu […] Je ne savais pas du tout

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comment l’aborder, c’est une histoire, c’est correct ou pas correct, je ne le savais vraiment pas sur le coup et puis non, la police, ça ne m’a jamais, ben non c’était l’ami de mon boss, donc pas question de […] je ne veux pas dire que ma job était en jeu, ben écoute peut-être qu’elle aurait été en jeu – Martin

4.4.3.3 L’anticipation de culpabilisation ou d’une réponse homophobe

Marc et Alex mettent en relief que l’incertitude de la réponse de l’entourage dans le cadre d’une dénonciation est un facteur important entravant la reportabilité. Alex ajoute que la peur d’être jugé, d’être culpabilisé davantage et le fait d’avoir expérimenté par le passé des réponses similaires sont des freins à la déclaration :

Par après, j’ai réfléchi jusqu’à la réponse que j’aurais pu recevoir, je suis certain que c’est un des facteurs qui ont fait en sorte que j’ai pas voulu le dire aux policiers sur le champ – Marc

La peur, la peur d’être jugé encore plus, devoir constamment te justifier, est-ce que tu marchais comme une fille quand tu t’es fait crier ça, c’est des commentaires que j’ai déjà entendus à la job. Faque même si tu sais que tu es sensé traiter avec des personnes éduquées, ben apparemment ils ont passé à côté de quelque chose dans leurs classes – Alex

Un autre facteur dissuasif soulevé par Alex a trait à la reviviscence des incidents de violence et à l’anticipation de l’exacerbation du sentiment de persécution suite à la réponse policière, allant jusqu’à la non-reconnaissance de la validité de la démarche de déclaration :

Je suis bon pour refouler mes émotions et parfois ben le fait de déclarer ou d’aller plus loin, j’ai l’impression que ça va juste plus me mettre dans le bain d’évènements négatifs pis j’ai pas envie de paranoyer (sic) que ceux ou j’irais chercher de l’aide, genre la police, soit aussi des homophobes ou juste pas en accord avec ton type de vie tsé. […] Des fois j’ai l’impression de soit je suis « chicken », ou j’ai juste peur de subir un autre revers qui va me prouver que je suis différent des autres et que ce que je vis est mérité – Alex

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4.4.3.4 La minimisation des incidents de violence homophobe

La minimisation des incidents de violence homophobe est une pratique courante parmi les victimes homosexuelles interviewées. Ces dernières ont toutes jugé que les incidents vécus n’étaient pas d’intensité ou de gravité suffisante pour résulter en une déclaration aux autorités, et ce, bien que certains aient témoigné avoir été grandement marqués et choqués par les évènements :

En fait j’ai voulu le faire (déclarer à la police), mais pourquoi je l’ai pas fait […] Je sais pas, j’ai pas jugé que c’était assez grave sur le coup et que ça ne valait pas la peine. C’est ça qui s’est passé – Marc

Antoine ajoute que le fait d’être confronté à une prise en charge lacunaire des policiers lors des évènements, combiné à la minimisation des impacts, puisqu’il croyait ne pas avoir de séquelles physiques, ont contribué au non-report de l’évènement de victimisation :

Je pensais que j’avais rien tsé, pis on a croisé l’auto de police et tout et eux ils étaient occupés à courir après eux-autres donc bon, j’ai juste l’oreille bouchée, c’est pas grave, je ne voyais pas la nécessité de le faire […] Ça n’a pas passé et finalement, je suis allé voir le médecin et il m’a dit : « alors voilà, vous avez le tympan défoncé » – Antoine

Finalement, Martin met une emphase particulière sur le fait que dans le spectre des violences sexuelles, il considère que le viol vécu n’était pas d’intensité aussi importante que d’autres victimes de violences sexuelles et que ceci justifiait le non-report de l’évènement aux autorités judiciaires. Il réalise lui-même pratiquer la minimisation et la banalisation de sa victimisation et que ceci se traduit par un témoignage anecdotique des violences vécus à son conjoint et à certains de ses amis. Un des leviers ayant permis d’aborder les incidents est la réalisation que son conjoint avait senti un certain malaise les jours suivants la victimisation et qu’il estimait qu’il était en droit de comprendre la provenance de ce malaise :

Je trouvais que ce n’était pas important ce qui est arrivé […] je l’ai dit à certains amis, mais c’était vraiment sous forme d’anecdote là, c’était pas grave, je ne voulais pas inquiéter personne avec ça […] Ben je minimisais beaucoup. Encore aujourd’hui là, c’est ça, c’est une anecdote. […] Si on parle vraiment d’agression sexuelle, j’avais

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l’impression qu’il y en avait des un milliard d’infini de fois plus graves que la mienne. – Martin

En somme, il est possible d’identifier comme facteurs dissuasifs au dévoilement des incidents de violence homophobe subie par les victimes rencontrées : la confirmation de son homosexualité à soi-même et à son entourage, la peur des représailles et une honte liée à son homosexualité, l’incertitude de la réponse dans le cadre d’une dénonciation ainsi que la minimisation des incidents par les victimes.