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3.1 Sources de connaissance des acteurs communautaires, policiers et judiciaires

3.1.2 La détermination des violences homophobes dans la pratique des acteurs

En continuité avec la formation acquise par les acteurs des milieux communautaires et judiciaires, il est essentiel de s’attarder au processus de détermination des actes de violence homophobe en se demandant, notamment, si des indicateurs précis sont mis en place afin d’orienter les acteurs dans l’identification de ce genre de victimisation.

Les participants à notre étude des deux milieux, communautaire et judiciaire, s’entendent pour dire qu’il n’y a pas de procédé clair à suivre dans le cadre de leur pratique relativement à la détermination de la nature homophobe d’une agression, sauf à Gai-Écoute où un registre des actes homophobes est tenu. En effet, les intervenants rapportent plutôt se fier à leur jugement

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pour qualifier la situation rapportée. La subjectivité est dans ce cas très présente selon les interviewés qui considèrent qu’un important vide juridique est à combler, considérant que l’homophobie ne constitue pas un crime en soi, ce qui complique grandement la dénonciation, en particulier lorsqu’il s’agit d’intimidation verbale :

On a pas d’outils particuliers, humm je pense que ça va toujours au gros bon sens : c’est quoi le contexte, la situation, en quoi l’orientation sexuelle est-ce que c’est un élément prenant ou pas […] On a pas de ligne directrice je te dirais sur les actes de violence (Jean, REZO)

Souvent, ça va être ce qui a été dit durant l’attaque […] C’est vraiment la circonstance qui va faire que ça va être haineux […] Mais il y a eu certains événements cette année qu’on a classé haineux dû au langage utilisé lors de l’attaque puis des choses comme ça là. – Max, policier PDQ22

C’est vraiment difficile à identifier! […] Veut veut pas, il n’y a pas d’infraction claire liée à l’homophobie, faque tsé. je vais pas non plus m’attarder à plus que ça, moi je vais chercher l’acte, je vais chercher directement c’est quoi l’infraction qui a été commise –Fred, policier SPVM

Il y a d’importants vides juridiques en ce qui concerne l’intimidation verbale, c’est assez difficile à prouver en cours […] C’est la répétition, c’est la répétition, et quand c’est lié à l’homophobie, ben, généralement c’est les injures qui vont ressortir beaucoup : fif, tapette, pousseux de crotte, enculé […] – Karl, formateur en milieu scolaire

De plus, deux participants, provenant de chacun des milieux communautaire et judiciaire rapportent que l’identification d’un acte homophobe repose souvent sur une reformulation des propos de la victime par l’intervenant. Les participants se disent en mesure de déterminer si un tel acte a été produit lorsqu’ils reformulent le récit de la victime et que celle-ci confirme qu’il s’agit bien de ce qu’elle a tenté de rapporter ou de dénoncer. Ce procédé semble donc être la tangente prise pour déterminer s’il s’agit d’une violence homophobe. Par l’utilisation de cette méthode, Luc intervenant chez Gai-Écoute rapporte être en mesure d’identifier adéquatement qu’il s’agit d’un acte haineux :

Je t’envoie une certaine reformulation pour être certain que j’ai bien saisi ce que tu m’as dit et là, un moment donné, tu me dis : « non non, c’est pas ce que je voulais dire ». Je pense qu’on est bien outillé avec

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notre formation et nos talents individuels à bien cerner les situations du genre –Luc, Gai-Écoute

Paul, avocat, en parle comme de la « technique miroir » :

La technique du miroir, je sais pas si ça te dit quelque chose. Bon, c’est tout simple à utiliser : on reprend ce que la personne disait, avec d’autres mots : « Si je comprends bien ce que vous dites…» –Paul, avocat LGBT et Immigration

Pour Louis et Sandra, acteurs du milieu communautaire, la victime est le meilleur juge de sa situation en ce qui concerne la détermination d’un acte homophobe. Ainsi, on doit se fier à elle afin de déterminer s’il s’agit effectivement d’une violence qualifiable d’homophobe, affirment-ils :

Je dirais, en premier lieu, le ressenti de la personne ; si tu as l’impression d’avoir été victime d’une violence homophobe, sans doute que c’est vrai […] Si on est honnête envers nous-mêmes, je pense qu’on peut le savoir – Sandra, Astérisk

On peut tout de même aider la victime à se « rendre compte », soutient Louis, intervenant à Gai écoute :

J’ai envie de dire que c’est eux-mêmes qui sont leur propre détecteur, parce que quand on écoute la personne, même si elle banalise ce qu’elle a vécu ou quelque chose d’intense, tu fais : « ok, ouin. C’est parce que là, tu es en train de te faire intimider, tu te fais harceler tsé. Je ne sais pas si tu t’en rends compte » – Louis, Gai-Écoute

Pour leur part, les policiers ne font état d’aucune ligne directrice encadrant leur façon de déterminer la présence d’une violence homophobe. De fait, ils signalent porter davantage d’intérêt à l’identification du délit en tant que tel et à la proposition de solutions afin de contenter les deux parties, plutôt que de s’attarder aux circonstances et à la raison motivant l’agression. Dans le cadre de leur pratique, hormis les situations où des propos haineux visant l’orientation sexuelle de la victime sont explicites, l’acte est considéré comme un délit général et non pas comme un incident homophobe. En d’autres termes, la dimension haineuse doit être clairement exprimée lors de l’agression pour que les policiers concluent à un acte homophobe, pratique qui est d’ailleurs déplorée par Paul, avocat :

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Ben c’est tout dépendant c’est quoi qui a été dit ou écrit, du genre « criss de juifs », il faut que les mots soient directs. Même chose pour un homosexuel, ce serait : « Osti de fif décâlisse », ou « tu ne mérites pas de vivre » ou des affaires de même, là on voit qu’il y a un élément haineux envers un type de personne, par son orientation –Fred, policier SPVM

D’ailleurs il y a une étude réalisée dans les années 90 […] Il faillait par exemple pour certains que le crime soit motivé exclusivement par l’attribut de la personne : sexe, race, orientation sexuelle etc OK. Alors qu’en général ce n’est pas le cas –Paul, avocat LGBT et Immigration

Il y a donc matière à discussion au sein même des intervenants du milieu judiciaire. Pour les policiers, un acte de violence survenant dans le village gai et impliquant une personne homosexuelle et une autre hétérosexuelle ne conduit pas automatiquement à une conclusion de crime haineux, car une multitude de causes peuvent avoir mené à la commission de l’acte de violence.

Je le prends comme une victime du moment genre, ce n’est pas nécessairement homophobe visant la personne, c’est plus sur le moment pour X raison, les événements ont fait que c’est arrivé entre deux partis. Fred, policier PDQ22

C’est peut-être juste une accumulation de choses dans l’événement qui fait qu’il y a de la violence […] pas parce que nécessairement il y a des personnes homosexuelles qui se font battre […] à la fin d’un club que c’est nécessairement haineux. Max, policier SPVM

Dans le cadre de leur travail, les policiers doivent considérer les versions des deux parties, qui diffèrent bien souvent entre elles, ainsi que celles des témoins, le cas échéant. La dissidence émanant des témoignages des parties impliquées peut compliquer la tâche des policiers dépêchés sur les lieux d’une agression, puisque dans de telles circonstances, les dires des opposants doivent être équitablement considérés, comme en témoigne Fred :

On se fie sur le témoignage de l’un et l’autre pour statuer s’il s’agit d’un crime haineux. On essaie le plus possible de trouver les témoins

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partiels, mais c’est pas toujours évident, des tiers là, mais veut veut pas, quand on a deux partis, il faut en prendre et en laisser de la part des deux partis – Fred, policier SPVM

Pour Paul, le simple fait d’être vu à la sortie d’un bar gai peut-être suffisant pour susciter la haine de quelqu’un et rendre cette personne vulnérable en raison de son orientation sexuelle déduite de sa fréquentation du bar :

Il faut souvent déconstruire l’événement avec la personne pour savoir qu’est-ce qui se passait autour : est-ce à la sortie d’un bar? Est-ce que c’est quelque chose qui aurait pu permettre à l’agresseur de t’identifier comme gai ou lesbienne, oui ? Non ? Si oui, pourquoi est- ce que c’est vous qui intéressiez la personne ? Et ça, c’est important parce que, par la suite, si en effet le suspect est arrêté, il devra subir un interrogatoire là-dessus […] En général les policiers ne le font pas. On va prendre ta déposition, on va classer ça uniquement comme un vol, vol avec agression ou voies de fait, c’est tout. – Paul, avocat LGBT et Immigration

Finalement, un fait est admis par trois des participants à notre étude qui, bien qu’ils affirment tous considérer à différents degrés la version de l’homosexuel victimisé, apportent une nuance : ils indiquent avoir parfois l’impression que le témoignage de la victime est altéré par une perception biaisée de l’incident, allant même jusqu’à identifier de la paranoïa chez celle- ci :

Je peux me rendre compte jusqu’à quel point ça peut être de l’homophobie et me rendre compte à quel point quelqu’un éventuellement peut un peu paranoyer sur des choses, ou comment il peut interpréter des comportements non verbaux qui ne sont pas de l’homophobie –Luc, Gai-Écoute

On ne peut pas prendre toute la version de la victime parce que, veut veut pas, la victime elle est sur le choc, donc il y a peut-être des choses qui ont été dites, il y a peut-être des choses, des paroles qu’elle dit avoir entendues ou qui... Parfois elles vont donner un synonyme, mais parfois ça change énormément le tout, surtout concernant des menaces – Fred, policier SPVM

Paul déplore cette perception que peuvent avoir les intervenants des différents milieux et soulève un lien intéressant entre le manque de lignes directrices ou d’un cadre conceptuel visant la détermination d’un acte homophobe et leur manque de reconnaissance de la

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problématique. Là où certains perçoivent de la paranoïa, lui relève une détresse psychologique associée à une agression subie en raison de son orientation sexuelle :

Ce que je vois, exemple chez les enquêteurs, c’est qu’ils ne sont pas préparés pour ce genre de problème, ils trouvent que les gens sont paranoïaques, parce que, évidemment, ils n’ont pas de distance versus ce qu’ils ont vécu […] Je voyais des phénomènes semblables de stress post-traumatique […] Il y a une absence totale de formation pour travailler avec une clientèle qui vivent ou subissent des difficultés psychologiques – Paul, avocat LGBT et Immigration

En somme, la majorité des intervenants rencontrés s’accordent pour dire que la détermination d’un acte homophobe, n’étant pas encadrée par des prémisses claires, demeure subjective. Pour les acteurs du milieu communautaire, la victime est le point central des actions entreprises et la perception de celle-ci face à l’incident et aux motivations présumées de l’agression demeurent les bases de l’intervention. Les intervenants communautaires visent un accompagnement en fonction du cheminement personnel de la victime afin d’éviter l’ingérence. Pour leur part, les policiers soutiennent que la visée homophobe d’un crime doit être clairement exprimée lors de l’agression. Ceux-ci rappellent que, dû à la nature de leur travail, ils doivent être impartiaux et accorder autant de crédibilité à toutes les dépositions, peu importe qu’elle émane de la victime ou de l’agresseur. Paul, avocat, déplore le vide juridique relatif à la détermination d’un crime haineux. Il soulève l’importance de porter une attention particulière à l’état psychologique de la victime indiquant qu’il n’est pas nécessaire que cette dimension soit explicite au moment de l’agression. En somme et tel qu’explicité par ce dernier lors de l’entretien, le simple fait d’être une personne présentant de plus grandes vulnérabilités, dans le cas présent un homosexuel, nécessite une plus grande investigation du volet haineux lors d’un incident de violence homophobe que lors d’un incident impliquant deux partis non- issus de groupe minoritaire.