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III.2. F ACTEURS INFLUENÇANT LA BIOACCUMULATION

III.2.1. Facteurs biotiques

III.2.1.1. Influence de l’espèce

L’accumulation des métaux dans les organismes est fonction de l’espèce considérée (e.g., Eisler 1981; Miramand et al. 1999). Les organismes marins appartenant à un même écosystème et soumis aux mêmes concentrations métalliques dissoutes et particulaires montrent des capacités de bioaccumulation différentes (Miramand et al. 1999). De même, des organismes marins vivant dans le même habitat peuvent avoir des concentrations métalliques très variées (Phillips & Rainbow 1993). Des différences de concentration existent au sein d’une même famille et/ou du même genre (Rainbow 1993b). Dans des eaux polluées, alors que les bivalves accumulent de grandes quantités de métaux dans leurs tissus, les crustacés peuvent mettre en place un système de régulation assurant ainsi le contrôle de leurs concentrations métalliques (Phillips & Rainbow 1993). Des organismes capables de réguler leurs concentrations pour certains métaux ne présentent aucun intérêt en tant que bioindicateurs. En effet, ils ne seront pas capables de refléter les variations des concentrations métalliques ambiantes. Les bivalves sont généralement choisis comme bioindicateur de la contamination métallique car ils présentent peu de capacité de régulation. Cependant les capacités d’accumulation des bivalves sont sous influence physiologique. Par exemple, le comportement accumulateur de l’Ag dans trois bivalves montre un pouvoir de bioconcentration pour les huîtres plus important que pour les coquilles Saint Jacques ou les moules (Metayer et al. 1990). Une autre étude montre l’inégalité des capacités de concentration des moules et des huîtres, notamment vis-à-vis du zinc. Les concentrations en Zn détectées dans les huîtres Crassostrea virginica, Saccostrea cucullata et Ostrea edulis sont 1 à 3 ordres de grandeur supérieurs à celle mesurées dans les moules Mytilus edulis, Perna viridis et Septifer virgatus (Rainbow 1993a). Les huîtres sont capable d’accumuler de fortes concentrations de Zn sous forme de granules (George et al. 1978) alors que les moules excrètent fortement le Zn accumulé dans les granules des reins (George & Pirie 1980). ). Les huîtres sont ainsi considérées comme de puissants accumulateurs de Zn (Phillips & Yim 1981) et les moules comme de faibles accumulateurs voire régulateurs de Zn. Néanmoins, les différences d’accumulations entre deux espèces n’existent pas toujours, et les moules M.

edulis et M. californianus collectées à la même période dans la rivière Columbia ne montrent pas de différence d’accumulation (O'Connor 1993). Ainsi, chaque organisme possède des capacités de bioaccumulation qui lui sont propres, ces dernières étant susceptibles d’induire des répercussions au niveau de l’utilisation des espèces comme bioindicateurs.

III.2.1.2. Influence de la taille (âge) des organismes

Les concentrations métalliques dans les organismes sont corrélées avec la taille des organismes (Boyden 1974, 1977). La taille est généralement reliée à l’âge des organismes, cependant ce n’est pas toujours pas le cas. Les relations allométriques varient en fonction des espèces et des métaux. En général, la croissance exerce un effet de dilution de la concentration métallique (Boyden 1974). Deux hypothèses expliquent ce phénomène : (1) une diminution du rapport surface/volume avec l’âge, (2) une diminution de l’activité métabolique chez les individus les plus âgés. La bioaccumulation chez les jeunes individus est plus rapide due à une plus grande efficacité d’absorption, et à une demande croissante en énergie nécessaire à la croissance (Fagerstromn 1977; Lobel et al. 1982). Les études menées en laboratoire (Fowler & Benayoun 1974) ou en milieu naturel (Cossa 1980) confirment cette capacité d’accumulation supérieure chez les jeunes individus.

Néanmoins, d’après les différents travaux traitant du sujet, il n’existe pas de tendance unique. Dans certains cas, les concentrations métalliques les plus fortes sont mesurées chez les individus les plus âgés. Strong & Luoma (1981) ont observé une corrélation positive entre les concentrations d’Ag dans les tissus mous et la taille du clam Macoma balthica. Dans d’autres cas, les concentrations métalliques restent inchangées sur toute une gamme de taille (e.g., le Zn dans la moule bleu Mytilus edulis, Williamson 1980; Brix & Lyngby 1985)

La taille des organismes influence non seulement les concentrations métalliques dans les tissus, mais elle influence aussi certains paramètres physiologiques comme la consommation d’oxygène ou le taux de filtration (e.g. Widdows 1978; Hamburger et al. 1983). La variation des paramètres physiologiques reliés au métabolisme de l’organisme et aux besoins énergétiques de l’organisme à un âge donné peut permettre de comprendre les variations de concentrations observées.

III.2.1.3. Influence du sexe et du cycle sexuel

De nombreuses études se sont intéressés à l’influence du sexe de l’organisme sur les concentrations métalliques (e.g., Cossa et al. 1979; Lobel & Wright 1982). Les mesures de

concentrations métalliques plus fortes chez les mâles que chez les femelles de Mytilus edulis (La Touche & Mix 1982), et Choromytilus meridionalis (Watling & Watling 1976; Orren et al. 1980) pourraient s’expliquer par les nombreux lysosomes contenant des granules de zinc dans les reins des Mytilus edulis mâles (Lowe & Moore 1979). Néanmoins ces différences ne sont pas toujours significatives (e.g., la moule Perna viridis, Phillips 1985).

Le cycle sexuel induit des changements physiologiques dans les organismes, capable d’influencer les concentrations métalliques des organismes. En effet, la maturation des gonades s’avère un facteur important dans la fluctuation du poids des tissus, exerçant généralement un effet de dilution (La Touche & Mix 1982). D’autre part, des variations de concentrations en Cd plus élevées chez les adultes que chez les jeunes individus de Mytilus edulis démontrent l’influence de la maturation sexuelle sur le potentiel bioaccumulateur , probablement dû à des changements biochimiques liés à leurs cycles sexuels (Cossa et al. 1979). Le développement gonadique étant difficilement prévisible, il est dès lors déconseillé d’utiliser des moules sexuellement matures pour suivre les concentrations métalliques. L’état du développement reproductif est un facteur à prendre en compte dans le suivi des concentrations métalliques des organismes lors d’un programme de biosurveillance (Cossa et al. 1979).

III.2.1.4. Pré-exposition aux métaux

La pré-exposition (naturelle ou en laboratoire) des organismes aux contaminants métalliques peut provoquer une modification du comportement bioaccumulateur (e.g., Wang & Rainbow 2005) et quelque fois, une adaptation génétique (Klerks & Weis 1987). Un des premiers travaux étudiant l’adaptation des plantes aux métaux toxiques est celle de Gregory & Bradshaw (1965). Par la suite, d’autres travaux ont également mis en évidence des phénomènes d’adaptation aux métaux toxiques pour les organismes aquatiques. Par exemple, Bryan a comparé la CL50 de populations d’Annélides polychètes (Nereis diversicolor)

provenant de divers estuaires d’Angleterre, dont les sédiments étaient pollués par des mines de Cu et d’autres métaux, à celle de souches de N. diversicolor provenant de biotopes témoins. La CL50 des populations vivants dans des endroits non pollués s’avère cinq fois plus

faible (CL50 = 0,5 µg cm-3) que celle vivant dans des endroits pollués (CL50 = 2,5 µg cm-3)

(Bryan 1976; Bryan et al. 1985). Ceci démontre la tolérance des Annélides vivant sur des sédiments riches en Cu. Les organismes adaptés aux conditions environnementales sont plus à même de tolérer l’exposition aux contaminants, que ne le feraient la même espèce vivant dans

un milieu non contaminé. Les organismes vivants dans des régions fortement contaminées peuvent donc se révéler moins sensibles aux métaux que les organismes vivants dans des milieux faiblement contaminés.

Afin d’approfondir l’influence de la pré-exposition aux métaux sur les organismes, plusieurs études ont pré-exposé en laboratoire des organismes à différents métaux, avant de les exposer aux métaux concernés. La pré-exposition à un métal particulier peut avoir une influence sur l’assimilation de ce dernier. Par exemple, il a récemment été démontré l’influence positive de la pré-exposition de la moule Perna viridis au Cd sur l’assimilation de ce dernier (Blackmore & Wang 2002; Shi & Wang 2004). Mais la pré-exposition à un métal peut aussi avoir une influence sur le comportement d’autres métaux. La pré-exposition de la moule Mytilus edulis au Cd ou Cu provoque une augmentation de la tolérance au Hg (II). En effet, le Hg (II) présent va pouvoir se lier aux métallothionéines présentes, dont la synthèse a été induite lors de la pré-exposition au Cd ou au Cu. Le Hg (II), ainsi stocké est moins toxique pour l’organisme (Roesijadi & Felligham 1987).

Dans un contexte de surveillance des concentrations métalliques dans les organismes, ces modifications du comportement bioaccumulateur suite à une pré-exposition aux métaux vont à l’encontre du critère principal d’un bioindicateur. En effet, un bioindicateur provenant de différentes localisations doit répondre de la même manière aux métaux présents dans un site donné. Les différences observés dans les concentrations métalliques des bioindicateurs doivent être attribuables uniquement à des différences de biodisponibilités des métaux dans les sites (e.g., Phillips & Rainbow 1993). Ainsi, récemment l’intérêt s’est porté sur l’étude des capacités d’accumulation d’organismes ayant des histoires de contaminations différentes. Rainbow et al. (1999) a mesuré les taux d’accumulation de métaux dissouts dans des crabes (Carcinus maenas et Pachygrapsus marmoratus) et des crustacés (Orchestia gammarellus) provenant de sites côtiers enrichis différemment en métaux. Les taux d’accumulation de l’Ag, Cd et du Zn d’organismes provenant de sites contrôles et de sites enrichis en métaux ne présentent pas de différence importante. La pré-exposition historique aux métaux des organismes n’a pas d’effet significatif sur le taux d’accumulation de l’Ag, Cd et Zn. Ce résultat a été confirmé pour le Cd et le Zn (Rainbow 1993b; Rainbow et al. 2004). Dès lors, l’utilisation de bioindicateurs dans des programmes de biosurveillance ne serait pas compromise par la pré-exposition naturelle des organismes vivants dans les différents sites.

III.2.1.5. Interaction des métaux

Entre eux, les métaux peuvent avoir des effets antagonistes, synergiques ou nuls sur la santé des animaux (e.g., Strömgren 1986; Widdows & Donkin 1992). Les effets antagonistes se traduisent généralement par l’existence d’une compétition entre les métaux pour certains sites de liaisons ou d’accumulation. Par exemple, la présence de fortes concentrations de Cd, Cu ou Mn en solution diminue fortement le taux d’accumulation du 65

Zn dans l’algue brune Laminaria digitata, impliquant l’existence d’une compétition du Cd et du Mn par rapport au Zn (Bryan 1969).

Au contraire, certains métaux ont des effets synergiques: des poissons exposés à un mélange de Cu et de Cd ont une capacité de concentration plus importante, que lorsque ces mêmes poissons sont exposés aux deux métaux séparément (Hewitt & Anderson 1978). Le Zn et le Cd, en raison de leurs propriétés physico-chimiques similaires, entrent en compétition pour les mêmes sites de liaisons dans les métallothionéines (Wittman 1979).

III.2.1.6. Organotropisme

Les métaux ne sont pas répartis de manière uniforme dans les organismes. Certains organes (e.g. reins, glande digestive) ont des capacités de concentration vis-à-vis des métaux plus importantes que d’autres organes (e.g. muscle, pied). George & Coombs (1977) ont établit un classement pour les concentrations en Cd dans la moule Mytilus edulis: reins > viscères > branchies > manteau > muscle, confirmé par la suite par Everaarts (1990). Néanmoins, selon les espèces et les métaux, ce classement peut être différent. Par exemple, dans la moule Perna viridis, le Hg, le Cu, le Zn et le Pb sont accumulés dans les organes dans l’ordre décroissant : branchies > viscères > muscle > manteau (Lakshmanan & Nambisan 1989).

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