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III.2. F ACTEURS INFLUENÇANT LA BIOACCUMULATION

III.2.2. Facteurs abiotiques

III.2.2.1. Effet de la saison, température et salinité

La saison, la température et la salinité sont des facteurs écologiques abiotiques connus pour influencer la bioaccumulation des contaminants. De nombreux auteurs ont reporté des variations significatives des concentrations métalliques en fonction de la saison dans les algues (e.g., Fuge & James 1973; Burdon-Jones et al. 1982; Miramand & Bentley 1992) ou dans les bivalves (e.g., Boyden & Phillips 1981; Shulkin & Kavun 1995). Les variations saisonnières des concentrations métalliques s’expliquent par des variations associées à la nourriture (Bryan 1973), aux changements de l’activité physiologique de l’organisme (e.g.,

taux de filtration, cycle reproducteur) (Riedel et al. 1998), à l’activité biologique et biochimique (activité microbienne, assimilation de phytoplancton) et aux changements de la biodisponibilité des métaux (Paez-Osuna et al. 1993). Dans le cas des algues, les variations de concentrations métalliques sont généralement associées aux changements saisonniers de la croissance des algues. Les concentrations métalliques maximales sont mesurées au printemps et les concentrations minimales en automne (e.g., Fuge & James 1974; Young 1975). Les forts taux de croissance observés pendant la saison chaude de l’année entraînent un effet de dilution des métaux accumulés.

Les variations saisonnières sont intimement associées à des changements de température et de salinité, pouvant influencer les concentrations métalliques dans les organismes. Concernant la salinité, de nombreux travaux montrent l’existence d’une relation inverse entre la salinité et l’accumulation des métaux, en laboratoire ou sur le terrain (e.g., Phillips 1976a, 1977a; Fisher 1986; Miramand et al. 1998). Ainsi, en hiver, la diminution de la salinité est corrélée avec une augmentation du taux d’accumulation des métaux. Dans le cas du Cd, l’accumulation par l’algue brune Fucus vesiculosus est favorisée aux faibles salinités (Bryan et al. 1985). En effet, la salinité est connue pour influencer la spéciation chimique des métaux (Sunda et al. 1978; Wright 1995), et par la même, la biodisponibilité des métaux dans l’environnement et l’accumulation des métaux par les organismes (Phillips 1976a).

Les variations de température sont aussi souvent corrélées avec des variations de concentrations métalliques. Les taux d’accumulation et d’élimination du 65

Zn dans l’algue Ulva lactuca et Porphyra umbilicalis sont plus rapides aux fortes températures (Gutknecht 1961, 1963). De même l’algue Fucus vesiculosus présente des facteurs de concentrations dépendant de la température pour certains éléments (54

Mn, 60

Co, 65

Zn, 109

Cd, 110m

Ag) avec une diminution significative aux faibles températures (2°C, Boisson et al. 1997). Cependant, une baisse de la température diminue le taux d’accumulation des métaux (Fisher 1986) mais ne provoque pas forcément de variation du taux d’élimination (Fisher 1986; Hutchins et al. 1996).

III.2.2.2. La spéciation chimique

La forme chimique du métal a une importance capitale sur sa biodisponibilité pour les organismes. En effet, la spéciation est un des premiers facteurs modifiant et limitant l’accumulation des métaux par les organismes (Nelson & Donkin 1985). Par exemple, dans les eaux naturelles, le Cr existe à l’état d’oxydation III et VI, ce dernier étant fortement

toxique pour les organismes et l’écosystème. Des expériences ont montré que le Cr (VI) était accumulé trois fois plus vite sous forme dissoute et également mieux assimilé via la nourriture que le Cr (III) (e.g., Wang et al. 1997). La spéciation conditionne donc l'accessibilité des métaux aux barrières biologiques et leur transport vers les compartiments internes. Cependant la spéciation des métaux dans l’eau de mer est très difficile à déterminer, notamment à cause de la matrice très complexe de l’eau de mer.

III.2.2.3. Caractéristiques des sédiments

Le compartiment sédimentaire peut influencer la bioaccumulation des métaux présents dans l’environnement. En effet, des corrélations entre les concentrations métalliques dans les organismes marins et celle des sédiments ont été observées (O'Connor & Ehler 1991; Ringwood et al. 1999; Soto-Jimenez et al. 2001). Parmi les bivalves, les organismes fouisseurs ou bivalves déposivores sont davantage sujets à une contamination via les sédiments de part leur régime alimentaire. D’autres part, une étude sur l’absorption du 65

Zn,

60

Co et 110m

Ag par la telline de la Baltique Macoma balthica à partir de différents sédiments montrent que la disponibilité des métaux est dépendante du type de sédiment et inversement corrélée à la force de la liaison métal-sédiment. La biodisponibilité des métaux liés aux particules de sédiment est fortement dépendante du type de particules (Bryan 1980; Mountouris et al. 2002). Le contenu organique des sédiments (e.g., Harvey & Luoma 1985; Mahony et al. 1996; Gagnon & Fisher 1997) et/ou l’enrichissement en hydroxydes de fer et de Mn des sédiments (Bendell-Young & Harvey 1991; Pempkowiak et al. 1999) rendent les métaux associés plus biodisponibles pour les organismes. Les métaux adsorbés aux hydroxydes de Fe ou de Mn, aux carbonates, à la matière organique et aux particules d’argile sont plus facilement échangeables et donc plus biodisponibles pour les organismes (Salomons et al. 1987). Cependant, du fait de la grande variété des types de sédiments dans l’environnement, les liaisons des métaux aux particules sédimentaires sont diverses et variées; et la biodisponibilité des métaux liés aux particules de sédiments est relativement difficile à prévoir (Luoma 1989).

III.2.2.4. Caractéristiques du phytoplancton

Les organismes marins, et particulièrement les bivalves sont capables de s’adapter aux variations des conditions de nourriture présente dans l’environnement (Widdows & Donkin 1992). En effet, ils disposent de mécanismes compensatoires, leur permettant de réguler la capture de la matière particulaire et d’optimiser l’énergie ingérée (Bayne 1993; Navarro &

Iglesias 1993). Ils possèdent des mécanismes efficaces de sélection de la matière particulaire : ils peuvent rejeter comme pseudofèces les particules pauvres au niveau nutritif (matières inorganiques), et retenir les particules fortement nutritives (matières organiques) (Jorgensen 1996; Arifin & Bendell-Young 1997). Ainsi des paramètres comme la qualité du seston (Velasco & Navarro 2002), la concentration de la nourriture (Wilson 1983b; Iglesias et al. 1992; Wang et al. 1995), et la taille des particules (Mohlenberg & Riisgard 1978; Jorgensen 1996) influencent l’efficacité de rétention et l’assimilation de la nourriture et des métaux associés aux cellules phytoplanctoniques. Par exemple, le Cd associé à la diatomée Skeletonema costatum est plus faiblement retenu par l’huître Crassostrea gigas (9%, après 21 jours d’exposition) que celui associé à la prasinophyte Tetraselmis suecica (20%) (Ettajani et al. 2001). La différence de répartition des métaux dans le cytoplasme des algues peut-être une explication, la fraction cytoplasmique étant la plus biodisponible pour les bivalves (Lee & Luoma 1998).

III.2.2.5. La concentration métallique

Les organismes sont susceptibles d’être exposés à des concentrations métalliques très contrastées (> 2 ordres de grandeurs). Pour être informative, une espèce bioindicatrice doit renseigner sur l’état de contamination du milieu dans lequel elle vit. Et pour cela, elle doit nécessairement accumuler les métaux de façon proportionnelle à la concentration en ces métaux présents dans le milieu ambiant (Bryan et al. 1980). Cependant, à partir d’une certaine concentration, une modification du comportement dans les organismes peut avoir lieu avec la mise en place d’un système de régulation (Bryan 1976). Par exemple, la moule Mytilus galloprovincialis exposé à une gamme de concentrations d’As (de 1 à 100 µg l-1), pendant 13 jours, montre une diminution du taux d’accumulation aux plus fortes concentrations (Ünlü & Fowler 1979). Il apparaît donc primordial de caractériser le comportement bioaccumulateur des organismes en fonction de l’intensité de la contamination ambiante. Bien qu’il s’agisse probablement là du principal critère que doit nécessairement présenter un organisme pour pouvoir être considéré et utilisé comme bioindicateur, très peu d’études se sont attardées à le vérifier effectivement (e.g., Miramand et al. 1980; Zaroogian 1980; Talbot 1985; Bjerregaard 1988; Warnau et al. 1997). Le Cd est un des métaux pour lesquels le plus d’études portant sur ce critère existe. La cinétique du 109

Cd chez Mytilus galloprovincialis, étudié par Fowler & Benayoun (1974), montre un taux d’absorption du Cd directement proportionnel à sa concentration dans l’eau de mer (0,1-100 µg l-1

). Ce résultat est confirmé par d’autres travaux sur le Cd (e.g., George & Coombs 1977; Scholz 1980), et sur le Ni chez la moule Mytilus

edulis exposé à une gamme allant de 18 à 107 µg l-1

(Friedrich & Fillice 1976). Ceci démontre la capacité des moules Mytilus spp. à accumuler les métaux dans des environnements pollués à différents degrés. Néanmoins, à part ses quelques études éparses, la tendance est plutôt de considérer que les espèces utilisées comme indicateurs se conforment de facto à ce pré requis. Selon les spécialistes, ce choix relève très généralement d’une solution de facilité plus que d’un comportement scientifique En effet, généralement la sélection des bioindicateurs dépend plus de la disponibilité des espèces dans les zones étudiées que de leur réelle capacité à refléter la contamination ambiante (e.g., Phillips 1990; Rainbow & Phillips 1993; Warnau 1996).

III.2.2.6. La voie d’exposition

Dans l’environnement marin, les métaux peuvent être présent sous différentes formes (dissoutes ou particulaire). Les organismes marins sont donc exposés aux métaux via trois sources d’accumulation majoritaires (eau de mer, sédiments, phytoplancton) et les capacités d’accumulations des organismes sont différentes selon chaque source. L’importance de chaque source dans la bioaccumulation totale du métal dans l’organisme dépend de la concentration du métal dans chacune des voies et des aptitudes biologiques de l’organisme (e.g. taux d’ingestion, taux de filtration). De nombreuses expériences se sont intéressées à déterminer quelle était la voie majoritaire d’accumulation des métaux dans les organismes. Borchardt (1983; 1985) a voulu déterminer quel était le vecteur préférentiel d’absorption du Cd entre l’eau et la nourriture. Il a utilisé du 115m

Cd pour marquer l’eau et du 109

Cd pour la nourriture. L’absorption du Cd par voie dissoute s’est avérée prédominante chez la moule Mytilus edulis. Au contraire d’autres études sur l’accumulation du Cd, Mn et Zn ont montré l’importance de la voie particulaire (phytoplancton et autres matières particulaires) (Fowler & Benayoun 1974) dans différents bivalves tels que les huîtres, les coquilles Saint-Jacques (Bryan 1973) ou les clams déposivores (Bryan & Uysal 1978). Cependant, la détermination de la voie d’accumulation majoritaire dans les organismes était souvent basé sur la comparaison des facteurs de concentration ou des vitesses d’accumulation des métaux (e.g., Riisgard et al. 1987; Metayer et al. 1990; Scanes 1993; Fisher et al. 1996). Or, il est important de prendre en compte la concentration métallique de chaque compartiment. Les métaux sont plus concentrés dans les sédiments (Constante de distribution -Kd- supérieur à 102) et dans le

phytoplancton que dans l’eau de mer. Ainsi, une accumulation plus rapide des métaux dissouts ne signifie pas forcément une prédominance de la voie dissoute (Preston 1971). Afin de palier à ce manque d’intégration des données, et d’estimer la contribution relative de

chacune des voies à la contamination globale de l’organisme, un modèle de bioaccumulation a été développé par Thomann (1981) et Landrum et al. (1992) ; et amélioré par la suite (e.g., Wang et al. 1996; Reinfelder et al. 1998).

III.2.2.7. La symbiose des animaux

Les organismes symbiotiques peuvent influencer la bioaccumulation de certains organismes. Les zooxanthelles ont cette capacité. Par exemple, des concentrations très élevées en arsenic ont été détectées dans le clam géant Tridacna maxima et T. derasa de la Grande Barrière, atteignant 1000 µg g-1

dans les reins (Benson & Summons 1981) alors que l’arsenic est généralement faiblement accumulé dans les organismes. Une telle concentration peut s’expliquer par l’intervention des zooxanthelles symbiotiques du manteau du clam. En effet, ces dernières accumulent l’arsenic à partir de l’eau et le convertissent sous forme organique (Phillips 1994a) avant de le transférer à leur ôte. Les zooxanthelles sont présentes dans d’autres organismes, comme les anémones de mer ou les coraux. Des études sur les zooxanthelles symbiotiques des anémones et des coraux ont mis en avant leur rôle dans l’accumulation (Harland et al. 1990; Harland & Nganro 1990) et dans la régulation des métaux (Harland & Brown 1989; Reichelt-Brushett & McOrist 2003).

IV. LE CONCEPT DES BIOINDICATEURS

Selon le principe de prévention et précaution, énoncé pour la première fois lors de la conférence internationale sur la protection de la mer du Nord en 1987, il est apparu primordial de pouvoir préserver le milieu marin des pollutions. Cependant, les difficultés liées à la préservation du milieu marin se sont clairement fait ressentir par la suite. La mer n’appartient à personne et les pollutions dans le milieu marin ne connaissent pas de frontière. Aujourd’hui, si des accords entre les états ont été adoptés sur la protection de la mer et de ses ressources, c’est bien souvent parce que l’environnement est considéré comme un enjeu économique important (Pearce & Moran 1994). En effet, les impacts d’une pollution constituent bien souvent une perte économique liée à une diminution de la pêche, des valeurs des produits de la mer et du tourisme. Inversement, la classification d’un site au patrimoine mondial de l’U.N.E.S.C.O (United Nations Educational Scientific and Cultural Organization) constitue un élan pour l’activité touristique. Cette notion de mise en valeur des ressources est assez récente Et Edward Wilson écrivait en 1992 : « la biodiversité est l'une des plus grandes richesses de la planète, et pourtant la moins reconnue comme telle ».

Afin de surveiller la présence excessive de métaux lourds dans l’environnement marin, constituant dès lors une menace pour les organismes et les écosystèmes, il est essentiel de disposer d’outils qui permettent d’évaluer rapidement et de manière fiable l’état de la contamination métallique de l’environnement. La surveillance des contaminants dans l’environnement peut se faire selon deux approches, qui fournissent des informations complémentaires : (1) la détection des contaminants et leur quantification dans les différents compartiments de l’écosystème considéré; (2) l’évaluation de leurs effets biologiques à différents niveaux d’organisation du monde vivant (de la molécule à l’écosystème entier). De façon optimale, ces deux approches devraient être menées en parallèle. Cependant par rapport aux besoins déterminés, la première approche a été choisie pour évaluer le degré de contamination du milieu. Cette quantification est possible dans différents compartiments de l’écosystème : soit sur le compartiment physique en analysant les métaux présents dans le compartiment sédimentaire et/ou dans l’eau de mer; soit dans le compartiment biologique, en analysant les métaux présent dans les organismes marins (animaux ou végétaux).

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