• Aucun résultat trouvé

Chapitre III : Voie de Signalisation Notch dans les glioblastomes

A. Le facteur de transcription TAL1

Le gène TAL1 (ou SCL pour Stem Cell Leukemia) fut découvert par son implication dans des réarrangements chromosomiques spécifiques des leucémies aigües lymphoblastiques de type T (T-ALL) (Lecuyer and Hoang 2004). Il code pour un facteur de transcription appartenant à la famille des bHLH de classe II. Ces facteurs interagissent sous forme de dimères avec les bHLH de classe I tels que les protéines E. Au niveau de l’ADN, ils reconnaissent la séquence spécifique E-Box retrouvée dans les régions cis-régulatrices de nombreux gènes cibles (Mathieu 2009).

La fonction répressive ou activatrice de TAL1 dépend entièrement de la nature de ses interactions avec différents partenaires pour constituer un complexe multiprotéique actif. Parmi ses partenaires, on retient notamment les protéines E (E2A, E47) dont l’expression est très étendue ; les co-facteurs transcriptionnels GATA (GATA1-3) ; et les co-activateurs LMO (LMO1-4) qui permettent de stabiliser le complexe (Hoang, Lambert, and Martin 2016).

Plusieurs isoformes de TAL1 ont été identifiées, notamment la forme complète PP42 contenant les résidus 1-331 et une forme tronquée PP22 contenant les résidus 176-331. Ces deux isoformes contiennent le domaine bHLH mais la PP22 est démunie du domaine transactivateur en N-terminal. Il a ainsi été suggéré qu’elle pourrait agir comme un dominant négatif en titrant les partenaires de TAL1-PP42. La régulation de l’expression de TAL1 est extrêmement complexe: les isoformes peuvent ainsi résulter soit d’une initiation interne de la traduction (Calkhoven et al. 2003), soit de la transcription à partir d’un promoteur cryptique interne (Bernard et al. 1992) (Figure 45). La fonction de l’isoforme PP22 demeure

RESULTATS

encore très méconnue et a notamment été étudiée au cours de l’embryogénèse du poisson zèbre.

Au niveau post-traductionnel, TAL1 subit plusieurs modifications qui modulent son mode d’action selon la spécificité du contexte (adressage au protéasome, phosphorylation) (Mathieu 2009).

Figure 45 - Les différentes isoformes de TAL1, leur homologie avec d’autres facteurs bHLH, et leurs partenaires principaux (d’après (Hoang, Lambert, and Martin 2016)).

En rapport au contexte de son identification, la fonction de TAL1 est très documentée dans le lignage hématopoiétique et notamment dans le contexte des leucémies T-ALL. TAL1 est un oncogène majeur de ces cancers et son expression aberrante est observée dans 60% des cas cliniques (Ferrando et al. 2002). Dans ce contexte, TAL1 agit comme un régulateur transcriptionnel bi-fonctionnel (activateur et inhibiteur) (Correia et al. 2016); intéragit avec de nombreux partenaires, dont certains récemment mis en évidence (Kolodziej et al. 2014; Fleskens et al. 2016); et ainsi favorise le maintien anormal de progéniteurs hématopoïétiques par le blocage de leur différenciation (Sanda et al. 2012). Précisément, il a été montré dans plusieurs études que la coopération entre Notch, TAL1 et les protéines LMO augmente les capacités prolifératives et le potentiel tumorigène des progéniteurs de thymocytes (Tatarek et al. 2011).

2. TAL1 au cours du développement hématopoïétique et vasculaire

Rappelons tout d’abord qu’au cours de l’embryogénèse, les systèmes hématopoïétiques et cardiovasculaires sont les premiers à être mis en place et qu’ils dérivent tous les deux du mésoderme. L’hématopoïèse s’établit en plusieurs étapes distinctes au niveau de sites anatomiques multiples et est intimement liée à la vasculogénèse. L’étape la plus précoce se situe au niveau des îlots sanguins du sac vitellin et implique plusieurs vagues spécifiant

d’abord les érythrocytes et les précurseurs myéloïdes primitifs. Enfin, une deuxième étape conduit à la génération des cellules souches hématopoiétiques (HSC) à la fois dans les tissus intra-embryonnaires (aorte dorsale, gonades, mésonéphros) et les tissus extra-embryonnaires (sac vitellin, placenta). Ces précurseurs hématopoïétiques vont ensuite coloniser les sites utiles à leur maturation et vont finalement s’établir dans la moelle osseuse adulte (Montel-Hagen, Van Handel, and Mikkola 2013). L’origine cellulaire des HSC fait depuis longtemps l’objet de débats et controverses. Un premier modèle propose que les HSC et les angioblastes aient pour origine l’hémangioblaste, un progéniteur bipotent putatif (Bautch 2011). Mais ce modèle a été réfuté par de nombreuses études in vivo qui prouvent que les HSC dérivent plutôt de l’endothélium hémogénique (Bertrand et al. 2010), un endothélium spécialisé qui subirait une transition phénotypique endothélio-hématopoïétique (EHT) pour générer les HSC (Kissa and Herbomel 2010). D’autres modèles « hybrides » réconciliant les deux hypothèses ont également été proposés (Figure 46). La divergence entre ces hypothèses réside surtout dans la variation des conditions expérimentales mises en place et dans le choix du site embryonnaire étudié. A ce jour, les caractéristiques de l’endothélium hémogénique et les mécanismes de l’EHT restent encore méconnus : il pourrait constituer un tissu spécialisé différent de l’endothélium vasculaire (Ditadi et al. 2015), et la transition EHT ferait intervenir les signalisations Notch, sHH et TGF-ȕ (Monteiro et al. 2016).

Figure 46 - Les différents modèles de l’origine des cellules hématopoïétiques et endothéliales au cours du développement (d’après (Bautch 2011)).

Au cours du développement, TAL1 est détecté à des stades très précoces dans les progéniteurs hématopoïétiques et les progéniteurs vasculaires. Son expression est nécessaire à leur spécification à partir du mésoderme, en coopération avec la signalisation VEGF/VEGFR1/Flk1 (Ema et al. 2003). TAL1 intervient également dans la génération des

RESULTATS

différents lignages hématopoïétiques à des stades plus tardifs, notamment au cours de l’érythropoïèse (Mathieu 2009). TAL1 est donc lié à la controverse de l’origine embryonnaire des HSC : il pourrait notamment définir l’identité de l’hémangioblaste (D'Souza, Elefanty, and Keller 2005) ou spécifier l’endothélium hémogénique. Très récemment, il a été démontré que TAL1 coopère avec les cascades sHH et Notch pour contrôler la transition EHT de l’endothélium hémogénique (Kim et al. 2013). Chez le poisson zèbre, les isoformes de TAL1 joueraient un rôle à différents stades de l’EHT : l’isoforme courte ȕ (ou PP22) serait nécessaire au maintien de l’état hémogénique de l’endothélium alors que l’isoforme Į (ou PP42) agirait à des étapes plus tardives dans le maintien des HSC immatures (Zhen et al. 2013). Cette fonction différentielle des isoformes de TAL1 avait déjà été observée dans la lignée myéloïde, où la PP22 favorise la différenciation érythrocytaire alors que la PP42 favorise la différenciation des mégakaryocytes (Calkhoven et al. 2003). Il semble donc que l’expression des différentes isoformes de TAL1 peut moduler l’engagement des progéniteurs hématopoïétiques vers différents lignages (Figure 47).

Etant donné l’origine embryonnaire commune entre les cellules hématopoïétiques et les cellules endothéliales, TAL1 est également acteur de la spécification des angioblastes par le contrôle de l’expression des gènes de l’identité endothéliale (De Val and Black 2009). In

vitro, des travaux suggèrent aussi que TAL1 inhiberait la différenciation des angioblastes en

cellules murales ĮSMA+ (Ema et al. 2003; D'Souza, Elefanty, and Keller 2005). L’ontologie des cellules murales demeurant encore obscure, celles-ci pourraient se différencier à partir des angioblastes vasculogéniques. Ces hypothèses et l’implication de TAL1 n’ont pas été approfondies et restent donc encore imprécises.

Figure 47 – Implication de TAL1 (SCL) dans le lignage hématopoïétique (d’après (Hoang, Lambert, and Martin 2016)).

En résumé, TAL1 est considéré comme un régulateur central de l’hématopoïèse et vasculogénèse embryonnaires. En combinaison avec un « cocktail » d’autres facteurs majeurs, il favorise la reprogrammation in vitro de cellules ES ou de cellules iPS vers ces lignages (Moreau et al. 2016; Han et al. 2014; Elcheva et al. 2014).

3. TAL1 est actif au cours de l’angiogénèse et du remodelage vasculaire

Chez l’adulte, TAL1 demeure exprimé dans les précurseurs hématopoïétiques des organes lymphoïdes majeurs ; mais également dans des cellules vasculaires de certains tissus. En effet, les deux isoformes sont détectées dans quelques cellules endothéliales du rein, du thymus et de la rate. Dans l’utérus, des cellules musculaires lisses l’expriment également (Pulford et al. 1995). TAL1 pourrait donc participer à des processus vasculaires post-nataux physiologiques ou pathologiques. Ainsi, son expression serait généralement associée à des vaisseaux en formation et un état activé de l’endothélium dans les tissus (Mathieu 2009). D’un point de vue fonctionnel, l’activité de TAL1 est corrélée au phénotype angiogénique des CE adultes. In vitro, son expression est élevée dans des CE en prolifération et diminuée dans des CE quiescentes stabilisées. En effet, TAL1 est requis pour les étapes précoces de morphogénèse tubulaire des CE en matrice bi ou tri-dimensionnelle (Lazrak et al. 2004). Moléculairement, TAL1 régule directement l’expression de la VE-Cadhérine au sein d’un complexe composé de E47, LMO2 et GATA2. Via l’expression de la VE-Cadhérine, TAL1 impacte donc sur la capacité des CE à former les vacuoles et lumières nécessaires à la tubulogénèse (Deleuze et al. 2007). Plus récemment, l’angiopoiétine 2 qui est cruciale au bourgeonnement angiogénique a également été prouvée comme cible directe de TAL1 complexé avec LMO2 et LYL1 (Deleuze et al. 2012). Le mode d’action moléculaire de TAL1 dans les cellules endothéliales in vitro semble donc comparable aux données accumulées dans le lignage hématopoïétique (Figure 48).

Figure 48 - TAL1 agit au sein d’un complexe transcriptionnel spécifique dans les cellules endothéliales et active l’expression de la VE-Cadhérine et l’angiopoiétine 2 (adapté de (Mathieu 2009)).

RESULTATS

Quelques études ont analysé le potentiel rôle de TAL1 dans la néovascularisation des tissus adultes. En 2014, Palii et collègues montrent in vivo après transplantation, que TAL1 est requis pour l’adhésion et la migration de progéniteurs endothéliaux (EPC-like) vers des sites ischémiques. L’expression de TAL1 module le chimiotactisme des EPC putatifs en contrôlant l’axe CXCR4/SDF1. TAL1 coopère avec l’acétyltransférase p300 pour réguler l’expression de gènes endothéliaux cibles parmi lesquels la VE-Cadhérine et EphrinB2. Enfin, la stabilisation de l’interaction entre TAL1 et p300 par la trichostatine améliore la revascularisation des tissus ischémiques par les EPC in vivo. TAL1 apparait donc nécessaire à la réparation vasculaire adulte et son ciblage spécifique pourrait avoir des conséquences intéressantes en médecine régénérative des pathologies vasculaires (Palii et al. 2014).

Dans le contexte tumoral, l’angiogénèse est fortement réactivée pour subvenir aux besoins en oxygène, métabolites et signaux prolifératifs des cellules cancéreuses. TAL1 étant un facteur positif de l’angiogénèse, son expression pourrait être réactivée au cours de la néovascularisation tumorale. A ce jour, TAL1 a seulement été seulement observé chez l’adulte dans des lésions vasculaires benignes et malignes (Chetty et al. 1997). Dans ce contexte, TAL1 serait co-exprimé avec VEGFR2 dans des progéniteurs endothéliaux de type EPC associés aux lésions et aux sites de néovascularisation actifs (Tang et al. 2006). Les hémangioblastomes sont des tumeurs vasculaires très rares du SNC dont l’origine cellulaire est inconnue : elles seraient composées à la fois de cellules vasculaires et de cellules stromales réminescentes du « supposé » hémangioblaste embryonnaire. TAL1 serait spécifiquement exprimé dans le stroma hémangioblastique mais aucune étude fonctionnelle n’a permis d’élucider la raison de son expression (Glasker et al. 2006). Dans les tumeurs solides, aucune étude n’a analysé la contribution de TAL1 à la neovascularisation.

4. TAL1 dans le SNC

De façon intéressante, TAL1 est exprimé dans le SNC au cours du développement. Précisément, le facteur de transcription est détecté dans des neurones post-mitotiques céphaliques du mésencéphale, du rhombencéphale et de la moelle épinière (Green et al. 1992; Elefanty et al. 1999). TAL1 serait donc impliqué dans la neurogénèse précoce en coopération avec GATA2-3 et pourrait spécifier certains précurseurs neuronaux dans des régions spécifiques du SNC (Herberth et al. 2005; van Eekelen et al. 2003). Précisément dans la moelle épinière, des travaux impliquent TAL1, GATA2-3 et LMO4 dans la spécification des interneurones V2 immatures de la partie ventrale du tube neural. Sous l’influence directe de Notch, ce complexe transcriptionnel contrôle finement la balance entre les neurones inhibiteurs GABAergiques V2b et les neurones excitateurs glutamaergiques V2a (Smith et al.

2002; Peng et al. 2007; Joshi et al. 2009). Cette régulation transcriptionnelle de l’identité GABAergique neuronale a aussi été mise en évidence dans les circuits monoaminergiques du cerveau (Lahti et al. 2016). TAL1 a aussi été associé à la gliogénèse dans la moelle épinière ventrale. Il induit l’astrogénèse au profit de l’oligodendrogénèse, par inhibition de l’action transcriptionnelle de Olig2 (Muroyama et al. 2005).

Hormis son expression stromale dans le contexte pathologique des hémangioblastomes, TAL1 ne semble pas exprimé dans les cellules neurales du cerveau adulte. Une étude récente de 2015 mentionne son expression spécifique dans des cellules microgliales: TAL1 ferait partie d’un réseau transcriptionnel majeur réminescent de l’hématopoïèse embryonnaire ; et favoriserait l’homéostasie de la microglie adulte. L’implication de ce réseau de gènes serait corrélée au vieillissement cérébral. TAL1 pourrait donc aussi être réactivé dans les cellules immunitaires du cerveau en conditions pathologiques (Wehrspaun, Haerty, and Ponting 2015).

Enfin, TAL1 n’a jamais été étudié dans les gliomes. Une étude très récente montre que son partenaire LMO2 favorise la gliomagénèse et le phénotype « endothelial-like » des GSC, précisément sous le contrôle de la voie Notch, et via régulation directe de l’expression de la VE-Cadhérine. LMO2 est également exprimé chez les patients (Kim et al. 2015). Le facteur LMO2 est l’un des premiers acteur transcriptionnel identifié pouvant contrôler la plasticité neurovasculaire des GSC.

B. Le facteur de transcription SLUG