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Partie II : Contribution des facteurs génétiques à l’étiologie de l’autisme

Article 1 Convergence of genes and cellular pathways dysregulated in autism spectrum disorders

1. Complexité de l’architecture génétique des TSA

1.3 Expressivité variable et pénétrance incomplète

De nombreux gènes et loci ont été impliqués dans des troubles neuropsychiatriques et neurologiques

distincts incluant les TSA et la déficience intellectuelle. Toutes les causes connues de TSA sont également

des causes de déficience intellectuelle ; et le chevauchement étiologique entre ces deux troubles et

l’épilepsie est également remarquable. Le chevauchement entre les facteurs impliqués dans ces trois

troubles et ceux conférant un risque dans la schizophrénie est plus modeste, ce qui pourrait être expliqué

par le fait que seule une partie de la susceptibilité à la schizophrénie est d’origine

neurodéveloppementale (Hoischen et coll., 2014). En outre, plusieurs CNVs pathogènes exercent des

effets pléiotropiques et sont associés à une grande variété de manifestations phénotypiques incluant les

TSA, la déficience intellectuelle, l’épilepsie mais aussi la schizophrénie, les TDAH et les troubles du

langage. Bien que retrouvés dans plusieurs troubles neurodéveloppementaux, certains CNVs semblent

associés préférentiellement à l’un d’entre eux (Figure 29) (Moreno-De-Luca et coll., 2014). Ceci suggère

que ces variants affectent des processus communs impliqués dans le développement du cerveau mais

que chacun altère des mécanismes neurologiques spécifiques.

Par ailleurs, des mutations dans des gènes différents peuvent donner des phénotypes similaires. Ce

phénomène, appelé phénocopie, est aussi observé dans les TSA. Par exemple, l’altération de plusieurs

gènes peut donner des phénotypes similaires à ceux retrouvés chez des patients atteints du syndrome

d’Angelman, regroupés sous le terme ‘Angelman-like’ (Tan et coll., 2014) ; de même, des gènes autres que

MECP2 sont impliqués dans des phénotypes ressemblant au syndrome de Rett, dits ‘Rett-like’ (Mari et

coll., 2005 ; Ariani et coll., 2008 ; Zweier et coll., 2010).

Figure 29. Comparaison de la prévalence de quatre CNVs dans des troubles neuropsychiatriques et chez des témoins La prévalence de CNVs pathogènes à quatre loci est montrée pour les TSA (ASD), la déficience intellectuelle (ID), la schizophrénie (schizophrenia) et chez les témoins (controls). Certains d’entres eux confèrent un risque pour les trois troubles neurodéveloppementaux étudiés (comme les délétions 22q11.2 et les duplications 7q11.23), certains sont rarement observés dans la schizophrénie (délétions 16p11.2, duplications 22q11.2 et duplications 15q11.2-q13.1) alors que d’autres semblent être observés majoritairement dans la déficience intellectuelle (syndrome de Williams-Beuren/délétions 7q11.23 et délétions 15q11.2-q13.1) (figure tirée de Moreno-De-Luca et coll., 2014).

Plusieurs mécanismes ont été proposés pour expliquer les phénomènes de pénétrance incomplète et

d’expressivité variable associés à certaines mutations :

Modèle oligogénique. Selon ce modèle, c'est la présence d'une seconde mutation (en cis ou en trans)

qui va moduler le phénotype associé à la première (Girirajan et coll., 2012). Si les différentes mutations

touchent des gènes impliqués dans les mêmes voies cellulaires, les effets pourront être additifs ou

épistatiques (Veltman et Brunner, 2010) (Figure 30).

Figure 30. Modèle oligogénique

Une mutation (représentée par une croix rouge) entraîne l’apparition d’un phénotype léger ou n’a pas d’effet. C’est l’apparition d’une seconde mutation qui potentialisera la première et sera responsable du phénotype observé. Si les protéines mutées n’appartiennent pas aux mêmes voies biologiques, les effets observés seront généralement additifs ; si elles appartiennent à la même voie, ils seront épistatiques (figure tirée de Veltman et Brunner, 2010).

Révélation d’un allèle récessif. Des délétions peuvent démasquer la présence d’une mutation

récessive sur la copie homologue d’un locus donné, modulant ainsi le phénotype associé à ces

délétions. Quelques rares cas de ce phénomène ont été décrits chez des patients atteints d’un

syndrome de microdélétion ayant une présentation atypique et plus sévère. La détection d’une

mutation sur le second allèle d’un gène récessif appartenant à la région délétée a permis d’expliquer la

variation phénotypique observée chez eux (Flipsen-ten Berg et coll., 2007 ; Bisgaard et coll., 2009 ;

McDonald-McGinn et coll., 2013 ; Pebrel-Richard et coll., 2013).

Facteurs génétiques modificateurs. Une autre hypothèse pouvant expliquer une variabilité

phénotypique chez des patients porteurs d’une même mutation serait l’influence du contexte

génétique dans lequel celle-ci s’exprime. Même si ce mécanisme a souvent été invoqué, l’identification

de gènes modificateurs est difficile et dans le cas des TSA, aucun d’entre eux n’a pu être mis en

évidence de façon claire. Un exemple explorant la contribution de facteurs génétiques modificateurs

est celui de l'étude de deux paires de sœurs avec la même mutation dans MECP2 et des phénotypes

du syndrome de Rett discordants en termes de sévérité (Grillo et coll., 2013). Dans chaque paire, l'une

des sœurs a un tableau clinique typique du syndrome de Rett avec une présentation très sévère alors

que l'autre sœur présente un phénotype beaucoup plus léger, appelé 'variant Zappella', avec un

langage et une capacité de marche préservés. Après avoir vérifié que le statut de l'inactivation de l'X

était non biaisé chez toutes les filles atteintes, les auteurs ont étudié leurs exomes. Des variants

additionnels impliquant des voies de signalisation différentes ont été détectés chez les filles avec un

Rett classique et chez celles présentant le phénotype Zappella. En particulier, les sœurs avec un

phénotype plus sévère présentaient des variants dans des gènes impliqués dans le stress oxydatif, le

développement musculaire ainsi que des gènes impliqués dans la déficience intellectuelle et les TSA. A

l'inverse, les filles moins atteintes présentent des variants impliqués dans la régulation de la fonction

immunitaire qui, selon les auteurs pourraient jouer un rôle favorable dans les manifestations cliniques

chez elles. Cette étude a montré le potentiel de ce type d’approche dans la recherche de facteurs

génétiques modificateurs. Cependant, aucun variant n’a été identifié spécifiquement et ces résultats

doivent être répliqués dans des échantillons plus larges.

De façon intéressante, des effets du contexte génétique sur l’expression de certains CNVs ont été

mis en évidence dans des modèles animaux. La souris modèle du syndrome de DiGeorge (délétion

22q11), présentant une haploinsuffisance du gène TBX1, codant un facteur de transcription, récapitule

plusieurs caractéristiques phénotypiques associées au syndrome (notamment les malformations

cardiaques et faciales) avec une expressivité variable et une pénétrance incomplète, également

observées chez les patients. Une série de croisements a été réalisée entre cette souris et des souris

mutées dans des gènes interagissant avec TBX1 dans diverses voies biologiques et a montré une

augmentation ou une diminution de la pénétrance de certaines manifestations dans leur descendance

(Weischenfeldt et coll., 2013). Cette approche élégante a montré qu’il existe des mécanismes de

modulation de l’expression des gènes qui pourraient être transposés chez l’humain pour expliquer

l’observation de phénotypes variables chez certains patients portant le même CNV.

Empreinte génétique et facteurs épigénétiques. La plupart des processus épigénétiques décrits

concernent les modifications de l’ADN et le remodelage de la chromatine et en particulier les

modifications des histones et la méthylation de l’ADN (pour revues voir Kouzarides, 2007 ; Cedar et

Bergman, 2009). L’analyse de la méthylation du génome chez des paires de jumeaux concordants ou

discordants pour les TSA a montré des différences de niveau de méthylation dans certaines régions

génomiques entre les différents groupes de jumeaux et en particulier au sein des paires de jumeaux

discordants (Wong et coll., 2014). Cette observation suggère un rôle potentiel du méthylome et plus

généralement des processus épigénétiques dans l’étiologie des TSA. D’ailleurs, de nombreux gènes

impliqués dans la régulation de la chromatine et dans les modifications des histones ont été impliqués

dans l’autisme et la déficience intellectuelle (pour revue voir Ronan et coll., 2013). Le rôle du

mécanisme d’empreinte a été clairement établi dans certaines régions génomiques comme la région

15q11-q13 impliquée dans les syndromes d’Angelman et Prader-Willi. Il n’est pas exclu que d’autres

gènes soumis à empreinte répartis sur l’ensemble du génome modulent le phénotype associé à

certaines altérations génétiques.

Mosaïcisme somatique. Si la mutation survient au cours de l’embryogenèse de l’individu, elle ne sera

pas observée dans toutes les cellules. Plus le stade de développement où elle apparaît est précoce,

plus le nombre de cellules mutées sera important. Ainsi, selon la proportion de cellules mutées et

normales, le phénotype pourra varier entre individus porteurs d’une mutation identique. Notamment,

des phénomènes de mosaïcisme somatique dans le cerveau concernant aussi bien des

rétrotransposons L1 que des CNVs, pourraient jouer un rôle jusqu’alors inexploré dans les pathologies

neurodéveloppementales (McConnell et coll., 2013 ; Richardson et coll., 2014).

Facteurs environnementaux. Même si aucune interaction directe entre gènes et environnement n’a

clairement été démontrée dans les TSA, ces mécanismes pourraient potentiellement contribuer aux

différences de phénotype entre les individus atteints.

Effets stochastiques. Le développement cérébral est incroyablement complexe et intrinsèquement

variable, même pour un phénotype donné dans un environnement donné. La nature probabiliste des

processus neurodéveloppementaux au niveau cellulaire peut se traduire par des phénotypes divers au

niveau de l’individu. En effet, les processus stochastiques sont inhérents au développement des

organismes. Dans plusieurs modèles, surtout dans des organismes simples, il a été montré que des

fluctuations de l’expression génique dues au hasard contribuaient à l’observation de phénotypes

variables et de pénétrance incomplète même dans des contextes génétiques et environnementaux

fixés (Losick et Desplan, 2008 ; Raj et van Oudenaarden, 2008 ; Eldar et Elowitz, 2010 ; Raj et coll.,

2010).

1.4 Différences de susceptibilité aux altérations génétiques en fonction du sexe