Partie II : Contribution des facteurs génétiques à l’étiologie de l’autisme
4. Causes génétiques connues de TSA
4.3 CNVs rares à pénétrance incomplète et/ou expressivité variable
Bien que de nombreux CNVs récurrents pathogènes aient été décrits précédemment, le développement
de puces à ADN de résolution croissante a permis de détecter de nombreux nouveaux syndromes de
microdélétion/microduplication. L’étude de la localisation des duplications segmentales tout le long du
génome a été utilisée comme stratégie pour détecter de nouveaux remaniements (Sharp et coll., 2006).
Plusieurs CNVs récurrents ont ainsi été dévoilés et correspondent à de nouveaux syndromes dits
‘genotype-first’ puisqu’ils sont caractérisés d’abord par l’anomalie génétique commune aux patients et
non par un ensemble de manifestations cliniques similaires (Mefford, 2009). En outre, un même CNV peut
être impliqué dans une large gamme de phénotypes neurologiques et psychiatriques qui n’incluent pas
seulement les TSA, la déficience intellectuelle et l’épilepsie mais aussi la schizophrénie et les troubles du
déficit de l’attention/hyperactivité ; certains peuvent également être détectés chez des individus témoins
ou transmis par des parents apparemment sains.
La pénétrance représente la probabilité pour un individu porteur d’un génotype donné, d’exprimer le
phénotype associé. En pathologie, si la pénétrance est complète, tous les individus porteurs du variant
causal exprimeront le phénotype anormal associé. L'expressivité correspond au degré de variation du
phénotype associé à une mutation donnée. En effet, dans certains cas, une même anomalie génétique
peut entraîner différents tableaux cliniques chez les différents individus porteurs, on dit alors que
l’expressivité est variable. Ces deux phénomènes sont très souvent liés en pratique et peuvent
correspondre aux mêmes mécanismes biologiques sous-jacents (Figure 22).
Figure 22. Pénétrance incomplète et expressivité variable
Chaque cercle représente un individu. En cas de pénétrance incomplète, certains individus portant un CNV délétère n’expriment pas le phénotype pathologique associé (en bleu). Des degrés de sévérité variables ou des phénotypes différents peuvent être causés par un même CNV, on parle alors d’expressivité variable. Ces deux phénomènes peuvent être observés pour un même CNV.
Ce phénomène a été observé dès la description des premiers syndromes de microdélétion et
microduplication. En effet, les délétions associées au syndrome de délétion 22q11 (syndrome de
DiGeorge ou syndrome vélo-cardio-facial) ont été décrites dès le début des années 1980 (de la Chapelle et
coll., 1981). Ces délétions ont été rapportées chez des individus atteints de déficience intellectuelle, de
TSA, de schizophrénie (Fine et coll., 2005 ; Vorstman et coll., 2006 ; Antshel et coll., 2007 ; Niklasson et
coll., 2009). En outre, ces délétions sont également associées à la présence de nombreuses
caractéristiques syndromiques à des fréquences variables telles qu’une insuffisance vélopharyngienne,
des malformations faciales, des fentes palatines, des anomalies cardiaques et/ou rénales. Deux tailles de
délétions sont typiquement observées, l’une de 3 Mb et l’autre de 1,5 Mb ; le gène responsable des
troubles neuropsychiatriques n’a pas encore été identifié. Par contre, il a été montré que le gène TBX1
(qui code pour un facteur de transcription) était responsable des anomalies cardiaques associées à ce
syndrome.
Plus récemment, des microdélétions et microduplications réciproques d’environ 600 kb associées à
une expressivité très variable ont été décrites dans la région 16p11.2 proximale (BP4-BP5) (Figure 23). Les
délétions ont été rapportées dans des cohortes de patients atteints de déficience intellectuelle et de TSA
(Weiss et coll., 2008 ; Rosenfeld et coll., 2010 ; Shinawi et coll., 2010). Cette délétion récurrente est l’un
des CNVs les plus fréquemment associés aux TSA puisqu’on la détecte chez environ 0.6 % des patients
(Kumar et coll., 2008 ; Marshall et coll., 2008 ; Weiss et coll., 2008 ; Hanson et coll., 2014).
Figure 23. CNVs rares à expressivité variable et/ou pénétrance incomplète sur les chromosomes 15 et 16
Les régions des chromosomes 15 et 16 sujettes à des remaniements sont représentées ; les lignes horizontales indiquent les régions délétées (en rouge) ou dupliquées (en bleu) ; les points de cassure récurrents (BP) sont indiqués en bleu clair. Les CNVs pathogènes sont indiqués en noir alors que ceux considérés comme facteurs de risque sont indiqués en pointillés avec les légendes en gris et ceux dont la signification clinique est inconnue en gris italique. Les phénotypes associés à chacun des CNVs sont notés entre parenthèses. Les distances sont en Mb. Les quatre gènes de la région 15q11.2 (BP1-BP2) sont indiqués ainsi que les gènes CHRNA7 et SH2B1, candidats des régions 15q13.3 et 16p11.2 distale, respectivement. DI, déficience intellectuelle ; EPI, épilepsie ; OB, obésité ; TB, trouble bipolaire ; TOC, troubles obsessionnels compulsifs ; TSA, troubles du spectre autistique ; SCZ, schizophrénie.
Une récente étude a réalisé une caractérisation phénotypique détaillée de 85 individus porteurs de
délétions 16p11.2 proximales, leurs parents et frères/sœurs non porteurs (Hanson et coll., 2014). Les
résultats ont confirmé la présence de troubles neuropsychiatriques chez 93 % des porteurs contre 21 %
chez les non porteurs. Parmi les phénotypes les plus fortement associés on retrouve les troubles du
langage et de la coordination (chez plus de 50 % des porteurs), les TSA (26 %), des troubles du déficit de
l’attention/hyperactivité (19 %) et la déficience intellectuelle (10 %). En effet, la distribution des scores de
QI chez les individus porteurs est décalée de presque 2 SD (standard deviation, écart-type) par rapport
aux non-porteurs de la famille (Figure 24). La plupart des délétions identifiées sont de novo (79 %),
suggérant qu’elles pourraient avoir un effet délétère sur la reproduction. Les duplications de cette région
sont quant à elles retrouvées dans des cohortes de patients atteints de TSA, de déficience intellectuelle,
de schizophrénie, d’épilepsie et de troubles bipolaires (McCarthy et coll., 2009 ; Fernandez et coll., 2010 ;
Shinawi et coll., 2010 ; Cooper et coll., 2011 ; Reinthaler et coll., 2014). Par ailleurs, les anomalies de
dosage génique dans cette région sont corrélées à l’indice de masse corporelle chez les individus porteurs.
De façon intéressante, les délétions ont été identifiées chez des patients obèses (Walters et coll., 2010)
alors que les duplications sont associées à un indice de masse corporelle faible (Jacquemont et coll.,
2011). Les délétions et duplications de cette région ont également des effets inverses sur le périmètre
crânien puisqu’elles sont associées à une macrocéphalie et à une microcéphalie, respectivement (Shinawi
et coll., 2010).
Figure 24. Distribution du QI chez les porteurs d’une délétion 16p11.2 par rapport aux non porteurs de la famille La distribution des scores de QI chez les porteurs (carriers, en rouge) présente un décalage de 1,8 SD par rapport à celles des non porteurs de la famille (familial controls, en bleu) (figure tirée de Hanson et coll. 2014).
Une pénétrance incomplète et une expressivité variable sont également observées pour les délétions
15q13.3 (BP4-BP5, distales aux délétions impliquées dans les syndromes d’Angelman et Prader-Willi,
Figure 23), qui ont d’abord été décrites chez des patients avec déficience intellectuelle et épilepsie (Sharp
et coll., 2008), puis ont été impliquées dans les TSA et la schizophrénie (Ben-Shachar et coll., 2009 ; Miller
et coll., 2009 ; Masurel-Paulet et coll., 2010 ; Pinto et coll., 2010 ; Costain et coll., 2013). Une étude
récente, rapportant toutes les délétions de cette région décrites à ce jour (195 délétions typiques
BP4-BP5, 8 délétions BP3-BP5 et 43 délétions plus petites incluant CHRNA7), a montré qu’elles sont héritées la
plupart du temps (85 %) et sont le plus souvent d’origine maternelle (Lowther et coll., 2014). Ces
délétions sont très pénétrantes (environ 80 % des porteurs présentent un phénotype neuropsychiatrique)
et absentes chez les témoins (non retrouvées chez 23 838 témoins adultes). Le gène CHRNA7, qui code
pour un canal ionique ligand-dépendant impliqué dans la transmission neuronale, a été proposé comme
candidat pour l’épilepsie et les manifestations neuropsychiatriques associées à ces délétions. La
duplication en miroir de cette région est de signification clinique inconnue puisqu’elle a été rapportée à
des fréquences similaires entre des cohortes d’individus atteints de déficience intellectuelle ou de TSA et
de témoins (van Bon et coll., 2009 ; Moreno-De-Luca et coll., 2013). Par contre, un enrichissement
significatif de ces duplications a été rapporté dans des cohortes de patients atteints de troubles du déficit
de l’attention/hyperactivité, par rapport aux témoins (Williams et coll., 2012). L’ensemble de ces
résultats, négatifs et positifs, nécessite d’être confirmé dans des cohortes indépendantes de grande taille.
Les délétions et duplications 16p13.11 sont également associées à un large spectre de manifestations
phénotypiques et à une pénétrance incomplète (Figure 23). La délétion a été décrite chez des patients
avec TSA, déficience intellectuelle, épilepsie, schizophrénie et troubles obsessionnels compulsifs, parfois
héritées de parents apparemment sains (Ullmann et coll., 2007 ; Hannes et coll., 2009 ; Heinzen et coll.,
2010 ; Ingason et coll., 2011b ; McGrath et coll., 2014) alors que la duplication a été trouvée chez des
patients avec TSA, déficience intellectuelle et schizophrénie (Ullmann et coll., 2007 ; Ingason et coll.,
2011b). Les CNVs de cette région ont également été identifiés chez des individus témoins ; cependant, la
délétion est significativement enrichie dans les cohortes de patients (Moreno-De-Luca et coll., 2013) ce
qui n’est pas le cas de la duplication qui reste de signification clinique inconnue pour le moment.
Certaines études suggèrent qu’elle pourrait tout de même jouer un rôle de facteur de risque dans les TSA
et d’autres troubles neurodéveloppementaux (Ramalingam et coll., 2011 ; Tropeano et coll., 2013).
Les délétions exoniques du gène NRXN1, non récurrentes, présentent aussi une pénétrance
incomplète et une expressivité variable. Elles ont été décrites dans la déficience intellectuelle et les TSA
mais également chez des patients atteints d’épilepsie, de schizophrénie ou de troubles du déficit de
l’attention/hyperactivité (Szatmari et coll., 2007 ; Ching et coll., 2010 ; Pinto et coll., 2010 ; Schaaf et coll.,
2012 ; Bena et coll., 2013). Ces délétions sont de tailles variables et semblent affecter préférentiellement
la forme longue (α) du gène (Figure 25).
D’autres CNVs récurrents, rares, pathogènes et associés à un spectre phénotypique varié incluent les
délétions et duplications 1q21.1 (Szatmari et coll., 2007 ; Mefford et coll., 2008 ; Pinto et coll., 2010), les
délétions 3q29 (Willatt et coll., 2005 ; Ballif et coll., 2008 ; Quintero-Rivera et coll., 2010) et les délétions
et duplications 17q12 (Moreno-De-Luca et coll., 2010).
Figure 25. Agrégation des délétions NRXN1 dans la forme alpha du gène
Des délétions exoniques du gène NRXN1 détectées chez 25 individus atteints de troubles neuropsychiatriques incluant les TSA, la déficience intellectuelle, l’épilepsie et le retard de langage sont représentées par les lignes horizontales noires. Les deux formes du gène sont indiquées en bleu. Les délétions sont regroupées dans les premiers exons de la forme longue (α) du gène (tirée de Bena et coll. 2013).