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Malgré les coûts très élevés associés à la reproduction sexuée, 95% des Eucaryotes pratiquent la sexualité. L’explication évolutive justifiant un tel mode de reproduction fait encore débat dans la communauté scientifique mais son avantage évolutif est reconnu de tous. En effet, il est inenvisageable que ce mode de reproduction, autant plébiscité dans le monde vivant, ne présente pas des avantages évolutifs extrêmement importants, comme l’écrivait déjà Erasmus Darwin, le grand-père de son célèbre petit-fils : «The larger and more perfect animals are now propagated by sexual reproduction only, which seems to have been the chef d’œuvre or capital work of nature » (Darwin, 1803). L’une des hypothèses les plus satisfaisantes pour expliquer le succès de la reproduction sexuée réside dans la création de diversité génétique par opposition à la multiplication clonale qui ne fait que reproduire à l’identique, aux mutations près.

De fait, la reproduction sexuée est caractérisée par trois phénomènes biologiques fondamentaux : la ségrégation et la recombinaison des allèles lors de la méiose puis leur réassociation lors de la fécondation. Ainsi, non seulement les descendants d’un couple se distinguent de leurs parents mais ils se différencient aussi les uns par rapport aux autres. Cette idée a été longuement développée par Augustes Weismann dans sa théorie de la diversité des pairs. Mais alors pourquoi une descendance génétiquement hétérogène présenterait une meilleure valeur sélective que des clones ? Quel pari risqué de casser les combinaisons alléliques de parents ayant réussi à survivre jusqu’à l’âge de leur maturité sexuelle. Aucun consensus n’est actuellement établi tant chaque hypothèse, intellectuellement satisfaisante, se heurte à la réalité des modélisations qui attestent souvent d’une supériorité de la reproduction asexuée. Cependant, les théories suivantes ne sont pas exclusives et la réalité semble être une combinaison conjointe de ces mécanismes évolutifs.

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1) Combiner des mutations favorables et défavorables

Une première hypothèse formulée par Muller (Muller, 1932) met l’accent sur la puissance du brassage génétique pour disperser rapidement des mutations bénéfiques dans des populations sexuées, augmentant ainsi leur valeur adaptative. Pour illustrer ce modèle, Muller propose de comparer le temps nécessaire à l’apparition d’un génotype favorable ABC dans des populations clonales ou dans des populations sexuées. Ce temps est bien plus long pour les populations asexuées. En effet, elles doivent attendre l’apparition de trois mutations successives dans la même lignée contrairement aux populations sexuées qui effectuent un brassage génétique qui permet de recombiner rapidement les trois mutations apparues dans des lignées indépendantes. De plus, dans ce modèle, l’apparition des mutations est un phénomène aléatoire indépendant du temps. Ainsi, l’apparition de 3 mutations successives dans une même lignée peut potentiellement prendre un temps infini et ne jamais se produire (Figure 2).

Figure 2 : Temps nécessaire pour obtenir un génotype avantageux ABC dans des populations sexuées et asexuées, adapté de Muller (1932)

Dans une population asexuée (haut), trois mutations favorables apparaissent indépendamment et engendrent 3 lignées porteuses de ces mutations : les lignées A (jaune), B (rouge) et C (bleu). Au sein de la population A, une mutation B apparaît et donne une lignée AB (orange). L’obtention du génotype favorable ABC ne se fera que lorsqu’une ultime mutation C apparaitra dans la lignée (violet). Ainsi, il faut attendre que trois mutations successives (A, B puis C) touchent une même population pour obtenir le génotype ABC.

Dans une population sexuée (bas), trois mutations favorables apparaissent indépendamment et engendrent 3 lignées porteuses de ces mutations : les lignées A (jaune), B (rouge) et C (bleu). La recombinaison génétique de ces lignées permet l’apparition rapide de populations porteuses conjointement des mutations AC (vert) et AB (orange). Ces deux nouvelles populations se recombinent à nouveau pour obtenir rapidement une population porteuse du génotype avantageux ABC (violet).

Temps ABC ABC AB AC AC A A C C B B AB Asexuée Sexuée

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Cependant, ce modèle est incomplet car les mutations qui apparaissent dans une population ne sont pas toujours bénéfiques, bien au contraire. Cette précision sera émise quelques décennies plus tard par Muller lui même, en utilisant la métaphore de la roue crantée à cliquet (Muller, 1964). Ce principe énonce qu’une population clonale accumule de façon irréversible des mutations défavorables sans jamais pouvoir s’en débarrasser. Les crans de la roue représentent des mutations délétères si bien qu’à chaque passage du cliquet, la roue continue de tourner dans le même sens, sans jamais pouvoir revenir en arrière (Figure 3).

Alexis Kondrashov et Harris Berstein développeront cette idée dans les années 1980 en émettant la théorie de la « réparation – complémentation ». La reproduction sexuée serait alors un outil permettant de contrer l’accumulation de ces mutations délétères dans la population. Ainsi, partant de deux lignées possédant des mutations délétères, on peut obtenir en les recombinant une lignée sans mutation (Peters et Otto, 2003). Cette réparation possède effectivement un coût, celui d’engendrer des descendants défavorisés sur le plan évolutif car porteurs de toutes les mutations délétères. Néanmoins, la combinaison de ces théories ne permet pas de contrebalancer le coût évolutif du facteur 2 décrit précédemment (Ridley, 2000). Une autre hypothèse expliquant le maintien de la reproduction sexuée pourrait alors résider dans la résistance accrue aux pathogènes.

2) Alice de l’autre côté du miroir ou la résistance aux pathogènes

Les pathogènes représentent l’une des causes principales de diminution de la valeur adaptative d’une population. Même s’ils ne tuent pas toujours leurs hôtes, l’infection diminue les capacités de reproduction de l’individu en détournant les ressources énergétiques dévolues aux parades nuptiales et au soin des jeunes. La reproduction sexuée permettrait d’augmenter la résistance aux pathogènes d’une population. Ainsi, la descendance génétiquement Figure 3 : Principe de fonctionnement du cliquet de Muller

Le cliquet est un mécanisme qui empêche le retour en arrière de la roue dentée. D’après ce principe, une population clonale accumule de façon irréversible des mutations défavorables, représentées par les crans de la roue, sans pouvoir s’en débarrasser.

Roue dentée Cliquet

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différente des parents serait une cible plus difficile pour des pathogènes adaptés au génotype majoritaire des parents. Il s’agit là d’une véritable « course aux armements » entre les adaptations défensives visant à endiguer les infections pathogènes et les adaptations offensives visant à augmenter la propagation et la virulence des pathogènes.

Cet aspect de co-évolution est au cœur de la théorie de la Reine rouge proposée par Leigh Van Valen en 1973 puis reprise quinze ans plus tard par Donald Hamilton et Marlene Zuk sous le nom d’« hypothèse de résistance » (Hamilton et al. 1990). Cette théorie, aujourd’hui largement acceptée de la communauté scientifique, fut refusée de tous les journaux scientifiques de l’époque. Le chercheur trouva alors une solution inédite pour contourner la fameuse barrière éditoriale en publiant son article dans un journal qu’il créa spécialement (Van Valen, 1973). Il fut le premier à utiliser l’image de la Reine rouge en référence à un épisode des aventures d’Alice dans « De l’autre côté du miroir » de Lewis Carroll. Dans une scène du livre, Alice se lance dans une course effrénée avec un personnage de jeu d’échec, la Reine rouge, qui explique alors : « ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu’on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite ». En termes biologiques, l'analogie est frappante : même si l'environnement physique est en apparence constant, les espèces évoluent dans un environnement biotique en constante évolution. Dans cette course aux armements, le sexe apparaît comme une stratégie assurant une réponse rapide aux fluctuations et à la dynamique des populations de pathogènes. Bien que cette hypothèse soit vérifiée dans de très nombreux cas de terrain, il subsiste quelques ombres au tableau. Certains considèrent notamment que la majorité des infections pathogènes n’altère que trop peu la survie ou la fécondité des individus pour contrebalancer l’effet du facteur 2 (Gouyon, 2009).

3) Gagner à la loterie pour rejoindre sa « rive luxuriante »

La dernière série d’hypothèses évolutives tentant d’expliquer le maintien du sexe invoque une fois de plus les avantages d’une descendance hétérogène mais cette fois-ci dans un environnement aux propriétés abiotiques changeantes. Michael Ghislin propose en 1974 l’hypothèse de la loterie selon laquelle chaque individu peut être tiré au sort pour devenir le nouveau génotype optimal dans un nouvel environnement. Il apparaît alors avantageux de produire une descendance variée sachant que quelques-uns seront parfaitement adaptés à un potentiel nouvel environnement. Une façon d’illustrer ce principe consiste à comparer la capacité à se reproduire d’une population sexuée et d’une population asexuée dans un environnement donné. Comme abordé précédemment, les individus de la population asexuée

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sont génétiquement très semblables et présentent donc la même forte capacité à se reproduire par clonage. Au contraire, la diversité des individus de la population sexuée aboutit à la répartition suivante : la majorité des individus possède une capacité de reproduction moyenne alors que deux minorités apparaissent. Une première minorité d’individus aux capacités très faibles et une deuxième minorité d’individus aux excellentes capacités de reproduction. Admettons que la pression de sélection s’accentue soudainement à cause d’une perturbation importante du milieu de telle sorte que seuls les individus au potentiel reproducteur excellent puissent se reproduire, on assistera alors à la persistance de la population sexuée et à l’extinction de la population asexuée dans ce nouvel environnement, incapable de se reproduire (Figure 4).

Figure 4 : Illustration de l’hypothèse de la loterie, adapté de Williams, (1975)

Distribution d’une population sexuée (bleu) et asexuée (jaune) selon leur capacité à se reproduire. Les individus de la population sexuée présentent tous une bonne capacité de reproduction (bleu). L’hétérogénéité des individus de la population sexuée aboutit à des capacités mauvaises (blanc), bonnes (jaune) ou excellentes (rouge) de reproduction. Lors d’une perturbation importante du milieu, seuls les individus présentant une excellente capacité de reproduction donneront une descendance alors qu’aucun individu n’en sera capable dans la population asexuée.

Dans la continuité de cette théorie est apparu le concept de la rive luxuriante (Burt, 2000). D’après ce concept, chaque individu possèderait une niche écologique idéale convenant parfaitement à son équipement génétique (encore faut-il trouver sa rive luxuriante par l’intermédiaire d’une perturbation du milieu ou par une migration). Un autre argument en faveur de ces théories est apporté par l’étude des compétitions interindividuelles : les individus d’une population hétérogène ne prélèveront pas les mêmes ressources dans le milieu alors que des individus asexués seront en compétition pour les mêmes besoins écologiques.

Population sexuée Population asexuée F q u en ce Capacité à se reproduire

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Des modélisations confirment effectivement une supériorité du sexe dans des milieux perturbés mais uniquement pour des habitats remaniés très fréquemment. Or de telles conditions, rarement retrouvées dans la nature, ne représentent qu’une part négligeable des biotopes colonisés par les espèces qui présentent une reproduction sexuée. Par ailleurs, on observe une prédominance des espèces asexuées dans des milieux très perturbés : près des pôles et aux hautes altitudes, leur aptitude de pionnier l’emportant face aux espèces sexuées (Burt, 2000). Enfin, des modélisations affirment que la supériorité de la forme sexuée dans le modèle de la loterie est assurée à condition que chaque femelle produise un nombre minimal de 108 descendants par génération. Ce dernier aspect est largement incompatible avec la reproduction de presque tous les organismes pluricellulaires sexués (Mallet, 2010).

Ainsi, Il s’avère délicat d’élaborer des modèles explicatifs suffisamment robustes pour expliquer le maintien de la reproduction sexuée à l’aide de considérations évolutives uniquement restreintes à quelques générations.

4) Un crédit avantageux à long terme pour l’évolution des espèces

Replacer la reproduction sexuée dans un cadre temporel plus large permet de mettre en lumière d’autres avantages inhérents à ce mode reproduction. En effet, il est nécessaire de considérer l’évolution des espèces et non pas uniquement celle de populations, et ce sur un temps suffisamment long afin de prendre en compte les phénomènes de spéciation et d’extinction. L’étude de la biodiversité actuelle et passée révèle que la reproduction asexuée a presque toujours existé mais qu’elle ne s’est jamais imposée comme mode de reproduction principal des différentes espèces. L’hypothèse développée par Gouyon en 1999 est la suivante : toute espèce peut devenir clonale lorsque des mutants parthénogénétiques apparaissent par mutation. Ces nouvelles espèces asexuées envahissent alors très rapidement les niches écologiques grâce à leurs fortes capacités démographiques, comme explicité précédemment. Néanmoins, elles s’avèrent être incapables de résister à long terme aux changements biotiques et abiotiques ce qui conduit à une extinction de l’espèce à brève ou moyenne échéance contrairement aux espèces sexuées (Figure 5). Cela est confirmé par les études de phylogénie qui attestent que les espèces asexuées actuelles sont apparues bien plus récemment que les espèces sexuées (Gouyon et Giraud, 2009a, 2009b). Il est tout de même à noter que la reproduction sexuée ne protège pas entièrement les espèces des extinctions lorsque les contraintes biotiques et abiotiques sont trop importantes.

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Figure 5 : Comparaison de la phylogénie d’espèces sexuées et asexuées

Les espèces asexuées (rouge) apparaissent par mutation au sein d’espèces sexuées (bleues) mais leur incapacité à s’adapter à un environnement changeant induit leur extinction à court ou moyen terme. Cela est confirmé par le jeune âge des espèces asexuées actuelles. Bien que certaines espèces sexuées s’éteignent, elles restent majoritaires grâce à leur capacité d’adaptation et de radiation évolutive.

Ainsi, le maintien de la reproduction sexuée est permis par nombreux avantages qui contrebalancent les coûts importants qu’elle engendre. La rencontre de deux patrimoines génétiques lors de la fécondation est associée à de nombreux mécanismes sur lesquels s’exerce une forte pression de sélection ce qui explique qu’ils soient très conservés au sein d’une espèce considérée. Chez les Mammifères, cette rencontre est associée au développement de comportements et d’adaptations morphologiques dimorphiques qui participent à la réalisation de l’accouplement.

Espèces actuelles

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II. Sélection sexuelle et comportements associés

Chez les Mammifères, le principe de la reproduction sexuée repose sur la rencontre et la fusion des gamètes mâles et femelles. Cette étape primordiale va conditionner une multitude de comportements et d’adaptations spécifiques à chaque espèce qui ont été soumis à la sélection sexuelle.