• Aucun résultat trouvé

Des expérimentations juridiques : promotion de l’autopartage, taxe carbone, code

3. La niche écologique de l’automobile : une espèce invasive

3.4. Les barrières juridiques

3.4.2. Des expérimentations juridiques : promotion de l’autopartage, taxe carbone, code

promotion de l’autopartage, taxe carbone, code la rue et rue nue.

Comment la loi peut-elle réguler des comportements licites relevant des libertés privées ? De manière directe elle en est incapable, il faut bien le reconnaître. La loi ne peut que créer un cadre plus favorable à l’essor de certains usages concurrents. Elle peut par exemple obliger l’employeur à prendre en charge en partie ou en totalité l’abonnement de transport en commun de ses employés. Elle peut contraindre les entreprises à financer les transports collectifs. Elle peut encore inciter les collectivités à mettre à disposition du public des voies cyclables et des stationnements pour les vélos, etc. La loi peut aussi définir un cadre législatif favorable à l’essor de nouveaux usages, en obligeant la création de Plan de Déplacements Urbains ayant pour objectif « la promotion des modes les moins polluants et les moins consommateurs d'énergie »128. C’est sur le même principe que le projet de loi

« tendant à promouvoir l’autopartage » devait agir. Nous avions choisi d’étudier ce texte, proposé par le sénateur Ries, afin de suivre les débats parlementaires et sa mise en application. Hélas, le projet de loi validé par le Sénat sans grande discussion s’est arrêté en première lecture à l’Assemblée nationale, pour finalement être inséré discrètement dans la loi Grenelle II. Cette loi n’est donc pas entrée en vigueur et son contenu a été réduit au point que le label « autopartage » qu’elle instaure n’est pas clairement détaillé129. Déçu par la

127 Dix articles seulement régissent la circulation piétonne (R412-34 à R412-43 Partie réglementaire, Livre IV, Titre Ier, chapitre II, section VI « Circulation des piétons »).

128 Article 28 de la loi LOTI 82-1153 du 30/12/1982 amendée par la loi LAURE 96-1236 du 30/12/1996.

129 L’article 54 de la loi de transition environnementale du 29/06/2010 se présente comme suit :

I. – L’activité d’autopartage est définie par la mise en commun au profit d’utilisateurs abonnés d’une flotte de véhicules de transports terrestres à moteur. Chaque abonné peut accéder à un véhicule sans conducteur pour le trajet de son choix et pour une durée limitée.

Le label « autopartage » est attribué et utilisé dans des conditions définies par décret.

II. – Le 3° de l’article L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales est complété par les mots : « et aux véhicules bénéficiant du label “autopartage” tel que défini par décret ».

lenteur d’avancement de ce dossier, notre intérêt s’est alors porté sur la taxe carbone, mais celle-ci a eu la fin que l’on connaît. Après avoir été une promesse du candidat Sarkozy, cette taxe constitua le cœur des débats du Grenelle de l’environnement, elle fit l’objet d’un rapport de recommandation par Michel Rocard (proposition à 32€ la tonne pour atteindre 100€ en 2030), puis d’une proposition gouvernementale (17€ la tonne et crédit d’impôt pour certains contribuables) et enfin d’un rejet du Conseil Constitutionnel pour « rupture de l’égalité devant l’impôt » fin 2009130. Depuis la mesure est en « consultation », manière polie de formuler sa dormance. Là encore, la tournure prise par les événements nous a privé d’un cas d’étude.

De plus, cette fiscalité écologique est une loi agissant par le truchement d’un dispositif économique que nous avons largement abordé.

Deux autres évolutions législatives ont émergé durant notre période d’enquête : le « code de la rue » et la « rue nue ».

Le code de la rue est une invention belge qui part du constat que les rues de nos villes sont régies par le code de la route. La rue étant un espace public urbain, dépassant la seule fonction de route, le code de la rue redéfinit les règles de circulation en ville, à la faveur des modes les plus lents et des personnes les plus vulnérables. Ainsi la philosophie du code de la rue est de permettre d’établir juridiquement des comportements de bon sens et de courtoisie : laisser traverser un aveugle à un passage piéton même si le feu est rouge, permettre aux cyclistes de circuler à contresens sur les portions de sens unique pour les automobiles, permettre aux cyclistes de griller les feux rouges lorsqu’ils tournent à droite (puisqu’ils ne croisent alors aucune file), permettre aux piétons de traverser la chaussée où bon leur semble dans certains secteurs. Cette philosophie aboutit à la notion de « zones de rencontre » pour définir les espaces où toutes sortes de flux, de véhicules et de voyageurs se croisent. Ces zones mixtes, qu’il faut absolument distinguer des zones 30 et des zones piétonnes, ont vocation à faire coexister des voyageurs hétérogènes en donnant la priorité au plus faible. Le décret du 30/07/2008 qui instaure la zone de rencontre en France, spécifie que la priorité est donnée aux piétons qui n’auront pas obligation de circuler sur les trottoirs et que la vitesse y est limitée à 20 km/h soit la vitesse d’un vélo. Si l’on considère la route pour automobile comme une monoculture (au sens agricole), alors l’espace de rencontre est un biotope dans lequel la diversité des espèces est maintenue. La zone de rencontre est l’exact inverse de la tendance à spécialiser les espaces pour une seule fonction et un seul

III. – Le 4° de l’article 28-1 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 précitée est complété par les mots : « et des véhicules bénéficiant du label “autopartage” tel que défini par décret ».

Le décret évoqué n’étant pas publié il est difficile de le commenter. C’est pourtant cette définition juridique de l’autopartage qui lui donnera un statut plus ou moins avantageux et lui permettra ou non d’éviter les obstacles juridiques tels que relevés dans CERTU, Etude sur les obstacles juridiques au développement des nouveaux services de transport, 2006, 120 p.

130 Lire l’excellent article qui récapitule les étapes de ce processus : Lieurade Thibault, « Retour sur le parcours chaotique de la taxe carbone », www.lefigaro.fr, 24/03/2010 http://www.lefigaro.fr/politique/2010/03/23/01002-20100323ARTFIG00656-retour-sur-le-parcours-chaotique-de-la-taxe-carbone-.phpconsulté le 21/09/2010

mode de transport. Elle est aussi un outil de lutte contre la ségrégation sociale, puisqu’elle favorise le brassage des personnes qui s’évitent dans la ville et l’espace public.

La « rue nue » est un concept voisin qui consiste à supprimer la plus grande partie de la signalisation, afin que les usagers de la rue se regardent les uns les autres plutôt que d’être rivés à des panneaux ou des signaux lumineux. Le concept a été expérimenté à Drachten au Pays-Bas et il a été constaté que les lieux réaménagés de la sorte généraient moins d’accidents qu’auparavant. Ce résultat contre-intuitif - enlever les panneaux, dont la fonction est la sécurité, diminue les accidents - s’explique par le fait que le conducteur surpris par la configuration exceptionnelle des lieux et par l’absence de signalisation doit ralentir et mieux observer ce qui l’entoure. La signalisation a en effet tendance à mettre en confiance le conducteur en lui donnant le feu vert par exemple. Le fondateur de cette approche, l’ingénieur du trafic néerlandais Hans Monderman la baptisa du nom de « shared space »131 afin de souligner la mise en relation directe des usagers de la voirie et le travail de négociation qui établit les règles de priorité. L’espace est alors partagé, non dans le sens d’une division (affectations spécialisées) mais au contraire d’une mise en commun. La « rue nue » possède donc une parenté étroite avec le concept de « zone de rencontre », mais aussi avec celui de Woonerf ou « rue à vivre » dans laquelle l’automobiliste doit négocier avec d’autres usagers de la rue, tels que des enfants qui jouent au ballon, les piétons qui traversent ou des voisins qui discutent devant chez eux. L’expérience menée à Drachten a démontré que la « rue nue » générait moins d’accidents132.

Comment expliquer cet effet contradictoire ? Si l’on reprend la terminologie employée par Latour133, la signalisation constitue un ensemble de délégués non-humains prescrivant des comportements aux conducteurs afin de les obliger à une plus grande moralité ou du moins sécurité. En supprimant ces appuis extrasomatiques de l’action, on ne sollicite plus l’attention sur eux et on oblige ainsi le conducteur à produire lui-même les scripts qui lui permettront de prendre les bonnes décisions. Pour ce faire, il ne peut compter que sur ses propres sens et sa vue, qui n’est plus orientée vers les saillances que constituaient les panneaux, va devoir balayer tout l’espace à la recherche de signaux. Cette suppression des délégués va produire une perte de confiance en soi et une hypervigilance. Pour comprendre cette situation, il suffit d’imaginer le marin privé de GPS, de sonar et de balises ou encore le randonneur qui perd sa carte et sa boussole sur un sentier forestier non fléché. La raréfaction de l’information disponible grâce à des supports distribués et identifiés, oblige à

131 Cf. Gerlach Jürgen et Methorst Rob, « Intérêts et incohérences de l’espace partagé. Rendre une philosophie d’aménagement populaire plus objective », Routes/Roads, n° 342, Paris, 2009, pp. 36-45

132 Mais aussi une plus grande fluidité du trafic. Cette disposition ne réduit pas directement l’usage de l’automobile, mais seulement sa position dominante dans l’espace public, ce qui tend à favoriser d’autres usages découragés par la peur de l’automobile, comme la pratique du vélo par exemple.

133 Latour Bruno, La clef de Berlin. Et autres leçons d’un amateur de sciences, La découverte, Paris, 1993 et particulièrement le chapitre intitulé « Le groom est en grève. Pour l’amour de Dieu, fermez la porte »

se rabattre sur la vue d’ensemble et d’y être attentif à tout mouvement. « On est bien passé du hard vers le soft, du matériel vers le logiciel, de l’extrasomatique vers le somatique, de la force à la raison. »134. Cette dématérialisation de la coordination des êtres en mouvement va les obliger à la négociation. Mais qu’est-ce qui nous dit que cette dérégulation va se traduire par une meilleure entente ? Après tout, pourquoi ne serait-ce pas le retour de la loi du plus fort ? L’absence d’assistance par la signalisation altère la confiance des conducteurs, surtout dans un premier temps avec l’effet de surprise, mais rien ne garantit que cela va durer. Néanmoins la « rue nue » pointe un phénomène intéressant que nous pourrions nommer « le panneau attention qui cache l’obstacle ». Si la perte d’information signalétique met en danger le conducteur (dans sa perception du risque), elle lui offre simultanément une meilleure visibilité. Pour reprendre une réflexion entamée dans la forêt de panneaux du boulevard Saint-Marcel, nous pourrions dire que l’empilement de signalisation génère une surcharge informationnelle qui, en sollicitant toute l’attention, risque de faire perdre de vue les obstacles divers et variés, mais en plus ces indications peuvent tout bonnement cacher l’information qu’elles sont censées mettre en valeur. Les cas ne doivent pas être nombreux, mais leur existence tend à démontrer que l’action des délégués non-humains peut avoir une efficacité décroissante, voire contre-productive s’ils sont mal alignés

me affirmer qu’elles ont le mérite d’exister et d’explorer d’autres compositions possibles.

et trop empilés.

Le « code de la rue » et la « rue nue » repensent le partage de l’espace public de circulation.

Plutôt qu’un partage de type partition (qui affecte une place à chaque type de voyageur), ces dispositifs privilégient un partage de type mise en commun (où la position se négocie localement). En revanche, ils diffèrent grandement par leur modus operandi. Le « code de la rue » modifie les règles et définit un nouveau domaine, la zone de rencontre, dans lequel le plus lent et le plus faible détient la priorité135, alors que la « rue nue » supprime les délégués matériels de la règle sans modifier celle-ci. Nous ne détenons pas suffisamment d’observations empiriques et de recul sur ces expérimentations pour les commenter davantage, mais nous pouvons tout de mê

134 Idem, p. 74.

135 Notons que cette inversion de la hiérarchie du plus rapide revient finalement à pratiquer une discrimination positive en offrant plus de droits et la priorité aux voyageurs les plus lents et vulnérables.

3.4.3. D’autres voies légales pour lutter contre