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4.2 Prédictions pour des réseaux décrits par des réactions

4.2.1 Existence des états stationnaires dans un modèle dynamique 140

Modèle de réactions Nous nous plaçons maintenant dans un contexte général

de dynamique différentielle : on suppose que le flux d’un produit, de concentration Xi, est le résultat de différentes réactions Rj pour lesquels Xi est soit consommé soit produit. Si Xi est consommé par la réaction Rj, cette réaction intervient avec un coefficient négatif dans le flux de Xi. Si Xi est un produit de Rj, cette réaction apparaît avec un coefficient positif.

La dynamique d’un système est donc décrite par le système suivant : dX dt = F(X, p) F(X, p) = r X i νiRi(X, p), (4.1) où X désigne la concentration des produits Xi; p ∈ Rq désigne les paramètres du système, F : Rn

× ∆ → Rn est un champ de vecteur différentiel avec ∆ est un sous-ensemble compact de Rq; νi est le vecteur stoechiométrique de la réaction élémentaire i et Ri(X, p) son taux.

Un état stationnaire est alors défini par F(X, p) = 0.

Une condition suffisante d’existence d’un état stationnaire Comme

men-tionné dans la section précédente, la recherche des états stationnaires pour les sys-tèmes biologiques a fait l’objet d’une littérature importante, en particulier leur unicité et leur stabilité. Les résultats d’existence sont par contre plus épars.

Avec Ovidiu Radulescu et Elisabeth Pécou, nous avons utilisé la formule de Poincaré-Hopf pour montrer le résultat suivant sur des champs de vecteurs.

Proposition 4.2.1 ((Roy. Soc. Inter, 2006) et (R., S., P., C.& L. en cours))

Soit Φ(X) = G(X) − Λ(X) un champ de vecteurs différentiable sur Rn

+ tel que – G est borné,

– Pour tout X = (X1, . . . , Xn) tel que Xi = 0 et Xj 6= 0 pour j 6= i, G vérifie Gi(X) > 0,

– Λ = (Λ1(X1), . . . , Λn(Xn)) : Rn + → Rn

+, et Λi sont différentiables Λi(0) = 0 et vérifient limkXk→+∞Λi(X) = +∞, pour tout 1 ≤ i ≤ n.

Alors l’équation Φ(X) = 0 admet au moins une solution dans Rn+.

Même si ce résultat est peu avenant, il est en fait assez naturel d’un point de vue biologique : G(X) représente alors les régulations entre les différents composants X d’un modèle et Λ(X) représente la dégradation naturelle de ces composants. La pro-position dit que si les réactions élémentaires dans le modèle vérifient les hypothèses (raisonnables biologiquement) suivantes, alors la production et la dégradation des composants vont s’équilibrer et exhiber un état stationnaire :

1. les dégradations doivent être des fonctions strictement croissantes de la con-centration des produits ;

2. l’absence d’un substrat pour un flux le bloque ;

3. tous les flux qui ne sont pas des dégradations saturent à haute concentration ; 4. le système active la production d’un produit dès que sa concentration devient

nulle.

On obtient ainsi une condition générale pour l’existence d’un état d’équilibre. L’intérêt de ce résultat est qu’il est totalement indépendant des paramètres des fonctions Ri; on peut donc le considérer comme une propriété robuste du système.

Exemple : métabolisme des acides gras et ses régulations Dès le début

de mes travaux en bioinformatique, j’ai travaillé avec S. Lagarrigue, du laboratoire de génétique animale de l’Agrocampus Rennes. L’ambition de ce laboratoire est de trouver des régulateurs génétiques du caractère d’engraissement chez le poulet. La question de la régulation des acides gras reviendra donc régulièrement tout au long de ce document.

Pour commencer à étudier ce problème, nous avons proposé un modèle abs-trait du métabolisme des acides gras. Pour cela, nous avons volontairement absabs-trait chaque voie du métabolisme (glycolyse, synthèse, dégradation des acides gras) en une seule réaction. Nous avons aussi abstrait les phénomènes de régulation en deux voies de régulation : les enzymes de la synthèse des acides gras sont globalement connues pour être régulées par les facteurs de transcription LXRα-SREBP1, tandis que l’oxydation des acides gras est régulée par le facteur de transcription PPAR. De plus, une classe d’acides gras, dits polyinsaturés ou PUFA, agissent comme des ligands pour l’activation du facteur de transcription connu pour réguler l’oxydation des acides gras (PPAR) et l’inactivation du facteur de transcription qui régule la synthèse des acides gras (LXRα) [Jum04].

A partir de ces connaissances, nous avons proposé le modèle décrit dans la Figure 4.1. Ses spécificités sont les suivantes :

– Toutes les voies sont abstraites.

– Les métabolites agissent comme des régulateurs des voies de régulation trans-criptionnelle, induisant une boucle de régulation transcription/métabolisme/-transcription peu étudiée du point de vue de la modélisation.

– Les transformations de l’ATP sont prises en compte dans le modèle, via la variable T .

Les variables de ce modèle sont données dans la table suivante. Pour faciliter la comparaison avec les modèles de niveau d’abstraction inférieur que nous pré-senterons dans la suite du document, nous mettons aussi les noms des enzymes correspondantes.

Type Name Concentration symbol d product

dt

abstract corresponding node enzyme

Metabolic Glucose G

parameter

Metabolic Acetyl Co-A A ΦA

variable Saturated and monounsaturated F1 S/MU-FA ΦF1 fatty acids

Poly-unsaturated fatty acids F2 PUFA ΦF2

Energetic Energy ATP T ΦT

variable

Genetic Active form of PPAR PP PPAR-a Ψ1

variable Active form of the regulation path L LXR-a, SREBP-a, Ψ2

LXR-SREBP SCAP

Enzymes of S/MU-FA synthesis E1 ACL, ACC, FAS Ψ3

Enzymes of S/MU-FA oxidation E2 SCD1 Ψ4

Enzymes of PUFA oxidation E3 FADS1, FADS2 Ψ5

Enzymes of Ketone body exit E4 Ψ6

Modèle abstrait de réaction du métabolisme des lipides Un modèle

diffé-rentiel pour formaliser la représentation du métabolisme donnée Fig. 4.2 est donné dans la Table 4.1. Volontairement, les fonctions de flux et de régulations Gly, Oxi1, Oxi2, Krebs, . . . y sont laissées à l’état symbolique. Ce modèle prend simplement en compte la stoechiométrie des transformations en introduisant des paramètres n1, n2, αG, . . . . 8 > > > > > > > > > > > > > > > > > > > < > > > > > > > > > > > > > > > > > > > : dA

dt = Gly(G, T) + n1Oxi1(F1,T, E2) + n2Oxi2(F2,T, E3) −Krebs(A, T) − Kout(A, E4) − n1Syn(A, T, E1) − δAA

dF1

dt = Syn(A, T, E1) − Oxi1(F1,T, E2) + Fin1(F1,T) − δF1F1 dF2

dt = −Oxi2(F2,T, E3) + Fin2(F2,T) − δF2F2 dT

dt = αGGly(G, T) + αKKrebs(A, T) + αO1Oxi1(F1,T, E2) +αO2Oxi2(F2,T, E3) − αSSyn(A, T, E1) − DegT(T)

dPP dt = Ψe1(F2) − δPPPP dL dt = Ψe2(F2) − δLL dE1 dt = Ψe3(L) − δE1E1 dE2 dt = Ψe4(PP) − δE2E2 dE3 dt = Ψe5(PP) − δE3E3 dE4 dt = Ψe6(PP) − δE4E4

Tab. 4.1 – Un modèle différentiel abstrait pour la synthèse des acides gras et ses régulations.

On obtient un résultat d’existence d’un état stationnaire pour ce modèle dès que les hypothèses biologiques associées à la Proposition 4.2.1 sont vérifiées.

T A 1 E 3 E PP E2 L 1 F 4 E Fin1 DegF1 Oxi1 Syn Kout DegA Krebs Oxi2 Fin2 DegF2 F2 DegT Gly G

Fig. 4.2 – Un modèle du métabolisme des acides gras et ses régulations, sous la forme d’un graphe qui schématise un modèle différentiel défini par des réactions élémentaires (voir 4.1). Les flèches en pointillés désignent des régulations génétiques. Les flèches pleines désignent des flux métaboliques. Les flèches pointillées/traits désignent des régulations énérgétiques impliquant l’ATP (T ).

Corollaire 4.2.2 Le modèle de la régulation du métabolisme des acides gras admet

au moins un état stationnaire et un état quasi-stationnaire (où les concentrations des enzymes sont considérées comme constantes) dès que tous les flux sont bornés, qu’ils sont nuls lorsque la concentration d’un de leurs substrats est égale à zéro et qu’ils sont strictement positifs lorsque la concentration d’un de leurs produits est nulle.

Deux états stationnaires mis en évidence expérimentalement Les

obser-vations sur le métabolisme font apparaître deux états stationnaires distincts pen-dant les protocoles de mise à jeûn [LCL+04] : lors des phases de nutrition (où on considère que les apports de glucose sont importants), la quantité d’acide gras dans le foie est petite ; lors des phases de jeûne, la quantité de glucose diminue et la quantité d’acide gras augmente. Savoir si le passage d’un état à l’autre est continu ou si les deux états peuvent coexister est alors une question naturelle du point de

vue de la modélisation. Pour cela, on doit se poser la question de l’unicité de l’état stationnaire.

4.2.2 Condition d’unicité

Table de signes des matrices de différentiation Dans ce modèle, nous avons

donc volontairement choisi de garder des informations abstraites sur les différents flux. Par contre, nous avons constaté que les signes de matrice de dérivation ∂Ri

∂Xj

sont spécifiables à partir des connaissances sur le système. Cette table de signes est présentée dans la Table 4.2.

∂ flux

∂ var. Gly Krebs Kout Syn Oxi1 Oxi2 Fin1 Fin2 DegT Ψ1e Ψ2e Ψ3e Ψ4e Ψ5e Ψ6e

A 0 + + + 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 F1 0 0 0 0 + 0 0 0 0 0 0 0 0 0 F2 0 0 0 0 0 + 0 0 + 0 0 0 0 T 0 + + 0 0 0 0 0 0 PP 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 + + + L 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 + 0 0 0 E1 0 0 0 + 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 E2 0 0 0 0 + 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 E3 0 0 0 0 0 + 0 0 0 0 0 0 0 0 0 E4 0 0 + 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 G + 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Tab. 4.2 – Table des signes des dérivées ∂Ri

∂Xj pour le modèle de la régulation du métabolisme des acides gras.

Ceci est en fait un résultat assez général : dans le cas des réseaux transcription-nels, on est capable de déterminer les signes de la matrice jacobienne de Φ, et on peut s’appuyer sur cette connaissance pour appliquer la règle de Thomas et en dé-duire des conditions d’unicité d’états d’équilibre. Pour les réseaux qui incluent des flux métaboliques, ce processus se passe généralement mal : les signes de la matrice jacobienne ne sont plus constants, ou, lorsqu’ils le sont, ils introduisent des cycles positifs superflus liés à la présence de réactions réversibles. Par contre, les signes des dérivées des réactions élémentaires ∂Ri

∂Xj peuvent être identifiés à partir de la littérature. La question que nous allons aborder maintenant est de savoir comment on peut s’appuyer sur cette connaissance pour proposer des études d’unicité d’états stationnaires et de prédictions sur les modèles.

Extension de la règle de Thomas ? Pour tester l’unicité des états

station-naires d’un système, nous proposons dans (Roy. Soc. Inter, 2006) et (R., S., P., C.& L. en cours) de nous appuyer sur le théorème de Gale-Nikaido-Inada [Par83], qui généralise le fait qu’une fonction décroissante sur R s’annule au plus une fois.

Théorème 4.2.3 (Gale-Nikaido-Inada) Soit X → Φ(X) une application

diffé-rentiable de Rn

+ dans Rn et de jacobien J. Si tous les mineurs principaux de −J sont positifs, alors le système Φ = 0 a au plus une solution.

Comme l’a fait remarqué C. Soulé, ce théorème est en fait une généralisation de la règle de Thomas qui dit qu’une condition suffisante pour qu’un système ait un unique état stationnaire est que son graphe d’interaction ne contienne pas de

boucle positive [Tho81, Sno98, Gou98, Sou03]. En effet, le graphe d’interaction d’un système biologique est intimement lié à la matrice jacobienne du champ de vecteur associé : ses arêtes correspondent aux coefficients non nuls de la matrice jacobienne ; les signes du graphe sont donnés par les signes des coefficients de la matrice. Or, les mineurs principaux de la matrice peuvent être exprimés comme sommes d’éléments dont les signes sont déterminés par les cycles dans le graphe d’interaction. Si ces cycles sont tous négatifs, on peut en déduire que tous les mineurs sont positifs et appliquer le théorème de Gale-Nikaido (voir (R., S., P., C.& L. en cours)).

Cependant, ce résultat est trop restrictif pour la majeure partie des applica-tions, en particulier dans le cas des réseaux métaboliques, du fait de la présence de réactions réversibles, qui induisent des cycles positifs inactifs dans les réseaux.

Dans (R., S., P., C.& L. en cours), nous montrons comment il est possible d’ap-pliquer itérativement le théorème de Gale Nikaido pour obtenir une condition pour avoir un unique état stationnaire pour le système du métabolisme des lipides. Nous allons détailler maintenant cet aspect.

Coefficients de contrôle Puisque les réactions dans le modèle sont des éléments

symboliques, au sujet desquels on connaît seulement les signes des variations par rapport aux variables du modèle, on introduit des coefficients de contrôle pour interpréter le rôle des réactions dans la dynamique du système.

Usuellement, les coefficients de contrôle et d’élasticité comparent l’importance des variations de flux. Nous appelons ainsi coefficients de contrôle les dérivées |∂Ri

∂Xj| qui sont non nulles dans la Table 4.2. Pour les réseaux métaboliques, ces coefficients sont utilisés pour quantifier et étudier le rôle des enzymes régulatrices des flux [CB04]. Ici, vu le rôle particulier joué par les métabolites que sont les PUFA et l’ATP, on considère des coefficients de contrôles pour les variables F2 et T.

Réductions successives pour une unicité d’états stationnaires

– Le théorème de Gale-Nikaido s’applique d’abord au sous-groupe de variables génétiques. Ceci signifie que la valeur des concentrations de E1, E2, E3, E4, L et PP à un état stationnaire est une fonction de la valeur des concentrations des autres variables en cet état stationnaire. On peut donc construire un nouveau système formel en réduisant les variables génétiques, que ne fait plus intervenir que les variables métaboliques, et qui admet les mêmes états stationnaires que le premier modèle.

– Dans ce nouveau modèle de réaction, les signes des coefficients de contrôle sont encore connus : ils sont déterminés en utilisant le théorème des fonctions implicites. Pour ce nouveau modèle, on montre que les variables F1, F2, A vérifient le théorème de Gale-Nikaido et peuvent donc être réduites en un nouveau modèle qui admet T pour seule variable et G pour seul paramètre. Là encore, par construction, ce modèle admet les mêmes états stationnaires que les précédents.

– Pour ce dernier modèle, une condition naturelle pour avoir un unique état stationnaire est que la dérivée du flux de T ait un signe constant.

L’intérêt de cette approche est qu’elle est explicite. Finalement, on obtient une condition d’unicité d’état stationnaire qui est donnée par une fonction polynomiale des coefficients de contrôle.

Proposition 4.2.4 (R., S., P., C.& L. en cours) Il existe quatre fonctions

f, g, h, l, dont les variables sont les coefficients de contrôle |∂Ri

∂Xj|, et qui sont toutes positives telles que le modèle abstrait du métabolisme des lipides admet un unique état stationnaire dès que les conditions suivantes sont vérifiées pour tout X :

f (X)(∂Fin1 ∂T (X) − ∂Oxi1 ∂T(X)) + h(X) > l(X), (4.2) |g(X)(∂Fin2 ∂T (X) −∂Oxi2 ∂T (X))| <<< f(X)|∂Fin1 ∂T (X) −∂Oxi1 ∂T (X)| (4.3) αS < αO1< n1αG, n2αO1< n1αO2. (4.4)

Interprétation biologique L’intérêt de ce résultat s’évalue par l’interprétation

biologique des conditions algébriques qui sont introduites.

– On s’assure que la condition stoechiométrique (4.4) est vérifiée en considé-rant un bilan des molécules d’Acétyl-coA et d’ATP produites et consommées pendant la dégradation et la synthèse des différentes classes d’acides gras. – La condition sur la lipolyse (4.2) signifie que les variations d’énergie ont un

effet suffisamment fort sur l’entrée des acides gras dans la cellule. Ceci est en accord avec des observations dans [LCL+04] pendant des protocoles de mise à jeûn chez des souris.

– la condition sur les proportions d’acides gras (4.3) signifie que les quantités d’acides gras polyinsaturés sont minoritaires dans les quantités d’acides gras totaux, ce qui est confirmé par des observations de [LCL+04].

Ainsi, les conditions de la proposition 4.2.4 sont raisonnables d’un point de vue biologique, et on peut conclure que cette analyse suggère que le métabolisme des lipides incluant ses régulations admet un unique état stationnaire.

Perspective : effectivité de la méthode Dans (R., S., P., C.& L. en cours), les

calculs pour obtenir la condition d’équilibre sont fait manuellement. Une question naturelle est d’identifier automatiquement les boîtes sur lesquelles des réductions sont possibles, puis d’opérer ces réductions avec des méthodes de calcul algébrique. Nos premiers essais ont abouti à une explosion combinatoire lors du calcul des signes de mineurs, même en utilisant des propriétés de stabilité de signes.

Dans une autre direction, Ovidiu Radulescu a proposé avec Vincent Noël de faire appel à la notion de réaction pendante [GR07] pour classer les variables en fonction de leurs effets, ce qui permet de vérifier la condition de Gale-Nikaido sur un plus petit sous-ensemble de déterminant. L’applicabilité de cette approche est en cours d’étude actuellement.