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3.4 Invariants pour des systèmes dynamiques

3.4.3 Dynamique symbolique des homéomorphismes de surfaces

Des substitutions aux automorphismes du groupe libre Une dernière

ap-plication de la dynamique symbolique concerne les automorphismes du groupe libre. En effet, il est assez naturel d’étendre la notion de substitution à la notion d’endo-morphisme du groupe libre. Parmi ces endod’endo-morphismes se trouvent ceux qui sont inversibles ; on parle alors d’automorphisme du groupe libre. Les substitutions qui se prolongent en un automorphisme du groupe libre sont appelées inversibles, et leurs spécificités sont bien étudiées, en particulier sur les alphabets à deux lettres.

De la géométrie vers la symbolique L’intérêt porté aux automorphismes du

groupe libre vient de l’étude des difféomorphismes des surfaces par Nielsen et ensuite Thurston [Thu88, CB88]. En effet, tout difféomorphisme d’une surface f : Mg→ Mg engendre un automorphisme du groupe fondamental de la surface, qui est un groupe libre dès que la surface est orientable et a un bord. Notons que les automorphismes qui sont ainsi obtenus sont assez spécifiques ; ils sont appelés géométriques. Si tous les automorphismes du groupe F2 sont géométriques, aucun automorphisme d’un groupe libre de rang impair ne peut coder un homéomorphisme de surface (Ann. Inst. Fourier, 2006).

Pour étudier la dynamique de l’automorphisme à isotopie près, Thurston a in-troduit la notion de graphe plongé dans la surface (train track). Ces objets géomé-triques sont structurés autour de chaque sommet par un ordre cyclique qui provient du fait que la surface est localement planaire. On peut alors considérer un feuilletage mesurable à partir de poids qui respectent la structure du graphe sur les arêtes.

Automorphismes versus substitutions La dynamique de ces trains-track et

plus généralement des automorphismes du groupe libre est difficile à appréhender. Pour mieux la comprendre, on oublie le point de vue géométrique et on considère un automorphisme du groupe libre d’un point de vue purement symbolique. Or, même du point de vue symbolique, l’étude des automorphismes est délicate. En effet, l’étude des systèmes symboliques engendrés par une substitution est basée sur l’existence d’un mot infini périodique pour la substitution ; ce point périodique existe pour la seule raison que la longueur de toutes les images de lettres croît vers l’infini. Or, cette propriété n’est plus vérifiée par les automorphismes du groupe libre puisque des annulations apparaissent (par exemple, la conjugaison fixe le mot fini iw: a 7→ waw−1 et ses itérations successives ne font donc pas croître sa longueur).

Une condition suffisante pour limiter les annulations Pour régler ce

prob-lème, Bestvina et Handel ont proposé de coder un automorphisme Φ du groupe libre par un représentant topologique, plus formellement une application sur un graphe marqué f : G → G qui induit l’automorphisme Φ sur le groupe fondamental de G, en l’occurrence un groupe libre Fn. Un tel représentant est appelé un train-track si les itérations de f ne contiennent aucune annulation. Elles se comportent donc comme une substitution.

Betsvina et Handel se concentrent sur les équivalents algébriques des homéo-morphismes pseudo-Anosov des surfaces, appelés iwip (irreducible with irreducible power). Formellement, ces automorphismes sont tels qu’aucun facteur libre n’est envoyé par l’automorphisme et ses puissances sur un conjugué de ce facteur.

Le résultat fondamental dit que tout automorphisme iwip, à conjugaison par un automorphisme intérieur près, admet un train-track pour représentant topologique [BFH97]. La construction de ce train-track est en plus proposée sous une forme proche d’un algorithme.

Dynamique d’un automorphisme du groupe libre De ce point de vue

géo-métrique, on obtient que les points intéressants à étudier pour la dynamique d’un automorphisme du groupe libre sont les points fixes qui apparaissent sur le bord du groupe libre.

En effet, pour les automorphismes iwip, il devient possible de construire un mot bi-infini sur lequel l’automorphisme agit sans annulation et qui est fixé par une puissance de l’automorphisme. À partir de ce mot bi-infini, on construit un système dynamique [BFH00], appelé la lamination attractive symbolique, obtenue comme la fermeture de l’orbite du point bi-infini sous l’action du décalage.

Ainsi, une lamination attractive symbolique peut être considérée de deux points de vue [CHL06] : algébriquement, il s’agit d’un ensemble de géodésiques qui est fermé pour la topologie induite sur le bord du groupe libre, qui est aussi invariante pour l’action du groupe libre et invariante par renversement d’orientation. Symboli-quement, il s’agit d’un système dynamique symbolique contenant des mots bi-infinis et invariant sous l’action du décalage et de la symétrie par rapport à l’indice 0.

Lien avec les substitutions Dans (Ann. Inst. Fourier, 2006), avec V. Berthé, P.

Arnoux et A. Hilion, nous nous intéressons aux laminations attractives d’un point de vue purement symbolique. Nous étudions d’abord le lien entre la propriété iwip et la propriété de primitivité. Il s’avère que, même si elles sont reliées, ces deux propriétés ne sont pas équivalentes.

Nous montrons ensuite que la lamination attractive d’un automorphisme ex-térieur iwip dans les coordonnées données par un représentant train-track f est un système dynamique symbolique associé à un substitution double σf, obtenue en doublant l’alphabet constitué par les arêtes sur lequel le train-track est défini.

En particulier, nous montrons que ce système est minimal et invariant par le flip si et seulement si la substitution double σf est non-orientable, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de sous-ensemble de l’alphabet qui le partitionne en deux et est stable ou disjoint de son image par la substitution.

Ainsi, tout automorphisme extérieur Φ iwip non-orientable contient une dyna-mique substitutive minimale, qui représente la lamination attractive de Φ du bord du groupe libre.

Représentation par une addition Comme nous l’avons expliqué au chapitre

2, les systèmes symboliques engendrés par une substitution sont de bons candidats pour être à spectre purement discret, c’est-à-dire isomorphes à une addition sur un tore, en particulier lorsque leur valeur propre dominante est un nombre de Pisot. Pour les substitutions doubles associées à un train-track, la valeur propre dominante est le coefficient de dilatation λ de Φ. Lorsque celui-ci est Pisot, on peut donc construire un fractal de Rauzy, qui admet des symétries très particulières et est stable par un échange de morceaux (voir (Ann. Inst. Fourier, 2006) pour les détails). Dans ce cas là, on sait surtout que la substitution associée vérifie la condition de quotient. Nous avons donc utilisé les graphes de pavages pour vérifier si le système symbolique considéré est conjugué à une addition sur un tore.

Théorème 3.4.5 (Ann. Inst. Fourier, 2006) Les laminations attractives de

train-tracks fixés pour φ1 : a 7→ c, b 7→ c−1a, c 7→ b et φ2 : a 7→ c, b 7→ c−1a, c 7→ bc−1 sont à spectre discret. Elles sont isomorphes en mesure à une translation sur le tore de dimension 2.

On montre ainsi une propriété métrique de certaines laminations attractives as-sociées à un automorphisme du groupe libre. Dans la lignée de [CHL06], la question reste entière pour comprendre ce que ces propriétés signifient sur la topologie et les propriétés des arbres réels engendrés par un automorphisme du groupe libre.

Recherche d’invariants topologique à une conjugaison près Un des

dé-fauts de l’approche proposée est que nous construisons un fractal de Rauzy à partir d’un représentant train-track. Or, il existe plusieurs représentants train-track pour un même automorphisme du groupe libre. On ne sait pas encore si le fait d’être conjuguées à une addition sur un tore est une propriété commune aux laminations attractives engendrées par tous les représentants train-tracks d’un automorphisme. L’intuition dit que les différentes représentations seront des sections d’une même

suspension décrite par un domaine fondamental du tore, et auront donc globale-ment les mêmes propriétés, mais tout reste à faire pour formaliser cette intuition.

Parallèlement, une direction de recherche consiste à comprendre les propriétés des fractals de Rauzy qui sont invariantes lorsqu’on change de représentant train-track. En particulier, nous avons observé que les fractals de Rauzy pour des auto-morphismes du groupe libre conjugués semblent avoir des formes semblables (voir Fig. 3.15). Une première étape dans cette direction serait donc d’utiliser les critères topologiques proposés dans la section 3.1 pour comprendre quels sont les invariants topologiques à une conjugaison près.

Fig.3.15 – Fractals de Rauzy pour deux paires (τ4, σ4), et (τ2, σ2) de substitutions Pisot unitaires irréductibles. Dans chaque paire, les substitutions sont conjuguées par un automorphisme du groupe libre. Ces fractals semblent avoir des propriétés topologiques communes

Appréhender le

fonctionnement d’un système

dynamique en biologie

moléculaire

Dans les deux chapitres précédents, nous avons vu comment on pouvait tirer parti de la connaissance d’une application pour considérer ses propriétés dynamiques et en extraire des informations sur les codages de cette application. Cependant, cela nécessite d’une part de connaître explicitement l’application, d’autre part d’étudier une application dont les régularités sont assez importantes. Dorénavant, nous allons discuter des approches de systèmes dynamiques dans un autre domaine, la biologie moléculaire.

La situation est dans ce cas là vraiment orthogonale à ce que nous avons consi-déré jusqu’alors : on dispose d’observations sur un système ; on suppose simplement que ce système suit une loi dynamique, au sujet de laquelle on dispose d’informa-tions très partielles. Le but est d’exploiter les observad’informa-tions disponibles sur le système de manière optimale.

Un des points qui frappe dans ce nouveau domaine est son manque de contours ; il s’agit là d’un contraste frappant avec la théorie des systèmes dynamiques symbo-liques où les enjeux sont bien déterminés. La raison principale de ce flou en biologie des systèmes est la jeunesse de ce domaine : mis à part quelques articles précur-seurs et fondateurs des années 1960 (le travail de Jacob et Monod en particulier), l’importance des concepts de dynamique est réellement discutée en biologie molé-culaire depuis seulement une quinzaine d’années : l’intérêt des biologistes croît avec l’amélioration des techniques d’observation à grande échelle dans une cellule. Mais finalement, ce domaine n’en est qu’à ses balbutiements. Il est donc caractérisé par une profusion de propositions de méthodes d’analyses de réseaux et de données. A long terme, la sélection entre les différentes approches se fera sans doute par leur

utilisation réelle en biologie.

La jeunesse de ce domaine (et l’esprit du projet Symbiose à l’Irisa) m’a incitée à travailler avant tout sur l’identification de questions qui ont un sens d’un point de vue biologique et peuvent aussi être abordées avec les données mises à disposition. Pour cela, j’ai travaillé en étroite collaboration avec des biologistes moléculaires spé-cialistes des régulations du métabolisme des acides gras (Agrocampus Rennes), ainsi qu’avec des informaticiens (Michel Le Borgne, Philippe Veber, Carito Guziolowski) et mathématiciens (Ovidiu Radulescu) de l’université.

Du fait de cette approche du terrain vers la formalisation, les concepts mathéma-tiques qui vont être introduits dans la suite de ce document sont beaucoup plus simples que dans les chapitres précédents (on considère des déplacements d’états stationnaires pour des modèles différentiels). Par contre, les aspects de résolution informatique, de complexité ont été plus poussés que dans les parties précédentes, puisque les applications envisagées vont jusqu’à l’analyse de données réelles. Ainsi, l’état d’esprit des prochains chapitres est complètement différent des chapitres pré-cédents.

Nous allons d’abord discuter de l’intérêt des systèmes dynamiques en biologie moléculaire, pour l’analyse de séquences ou la modélisation du comportement au sein d’une cellule. Ceci nous amènera à présenter une approche qui consiste encore à discrétiser les trajectoires de systèmes dynamiques, non plus dans l’esprit de la dynamique symbolique (c’est-à-dire partitionner l’espace pour discrétiser les tra-jectoires), mais plutôt dans un esprit statique : on supposera que dynamiquement, le système étudié est simple (il passe d’un état stationnaire à un autre état sta-tionnaire), et nous nous concentrerons sur la comparaison entre les différents états stationnaires pour identifier des interactions manquant dans le modèle de départ ou orienter de nouvelles expérimentations.