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C - Trois exemples de mise en scène d’usages inventés

Les usages sociaux comme pratiques de résistance

II.I. B - La banalisation comme étude de propagations de formes

II.3. C - Trois exemples de mise en scène d’usages inventés

Le copiage, l’enregistrement, le collectage, la captation … sont donc autant de pratiques en soi, autant de dynamiques opératoires, existant pour elles-mêmes : ce n’est pas tant le résultat qui compte mais la création d’un « bloc », d’un « entre deux » toujours en action.

Elles peuvent être également des sujets à part entière : des sujets artistiques, mais aussi des sujets d’observation (pour l’ethnologue, le sociologue), nous y reviendrons plus tard.

Pour ce qui est des sujets artistiques, prenons deux exemples : Joachim Montessuis*, jeune artiste « transmédia », et le « le double solo » Kasper T Tœpliz* et Atau Tanaka. *

Strange Attractors : les deux métaphores du Web [a.83]

En 2002, Joachim Montessuis*76 a créé « Strange Attractors night », installation vidéo expérimentale et performative qui s’actualise à la fois sur la scène « réelle » et dans l’espace « virtuel » du Web en créant un écho, une rémanence à la fois visuelle et sonore :

Il s’agit d’une collaboration active se basant sur un processus d’échange de flux de données sonores et visuelles comme trame initiale : deux concerts publics sont à l’œuvre simultanément (Montessuis à Rennes, Lucas à Strasbourg), et se nourrissent l’un l’autre via un système de

« streaming on line » en boucle : chacune des parties émet et reçoit en temps réel un flux audiovisuel via Internet. Ce flux permanent se nourrit progressivement lui-même […] dans un processus de recréation permanente d’un phénomène en train de se défaire lui-même : cet espace feedback en perpétuel mouvement est dynamique, d’une intensité et d’une complexité croissante.77

Les spectateurs sont entourés de plusieurs écrans et filmés par des caméras vidéos. A la manière d’un V’J, J. Montessuis retravaillait ces images de spectateurs en les insérant dans des flux d’images créés par lui-même. Cet ensemble d’images sans cesse renouvelées était diffusé en direct sur un écran dans la salle, de telle sorte que les spectateurs avaient une vision immédiate et locale des images produites in situ, une sorte

76Consulter son site http://www.eternalnetwork.org/jm.html

77 Extrait de la présentation de la performance dans la plaquette du festival e-motion 2002, co-production des Rencontres e-motion de Rennes et de France Télécom R&D, http://www.e-motion2002.fr.st

de boucle locale. Un autre écran vidéo diffusait ces mêmes images « streamées » en temps réel, les images transitant par le serveur Web. La juxtaposition de ces deux écrans devait rendre visible un double décalage : un décalage temporel entre le direct vidéo et le temps réel de l’Internet, et un décalage visuel entre une image vidéo non codée et une image vidéo encodée pour être streamée. La volonté artistique initiale était de confronter ces deux temporalités et ces deux types : d’abord pour montrer que le temps réel est un temps différé et, ensuite, que l’image perdait en qualité. Ces différentes altérations temporelles, visuelles, et sonores, devaient devenir une « matière » à la manière de l’esthétique Pixelvision (pixelisation de l’image, altération des couleurs, perte de qualité des détails, etc.). Les défaut techniques devenaient encore une fois des qualités artistiques.

Bien évidemment, c’était sans compter sur la compétence des ingénieurs spécialisés mais surtout sur leur volonté de créer les conditions techniques maximales pour réduire le décalage temporel de 10 secondes à un temps très proche du direct, ainsi que pour obtenir une image de meilleure qualité possible. Lors des tests, la différence escomptée entre écran local et écran virtuel devenait quasiment inexistante ! A l’issue de ces essais techniquement concluants, le travail artistique de Montessuis* s’est alors orienté encore plus radicalement vers un feed-back visuel (les caméras vidéos filmant l’écran des images streamées) et sonore (une boucle sonore entre Rennes et Strasbourg, entre les deux artistes connectés via Internet) pour pouvoir mettre en œuvre cette matière numérique résultant de dégradations, de larsens, de décalages qui allaient, et ce fût le cas, déclencher un chaos visuel et sonore régulé, contrôlé par l’artiste. Le dispositif incluait aussi la possibilité aux Internautes de visualiser ces images depuis un site Internet, « ex situ ».

Une double efficacité, contradictoire dans ses objectifs, a donc été mise à l’épreuve dans cette co-production : d’une part la volonté des acteurs artistiques de jouer sur les défauts du Web (les artistes et les chefs de projets de l’opération) et celle des acteurs techniques de montrer le savoir faire de l’opérateur Télécom (les ingénieurs mais aussi les responsables commerciaux). Cette expérience ponctuelle, quasi expérimentale dans le sens où elle a servi à tester les nouvelles techniques de streaming, a permis de constater que les deux déterminismes en jeu, l’un social, l’autre technique, ont finalement abouti à une œuvre où les ingénieurs souhaitaient rendre invisible, quasi-transparent, le dispositif technique (encodages, serveurs, réseaux, débits, etc.) et l’artiste, au contraire, le rendre

visible, audible, quasi tangible. Deux types de métaphore étaient alors en jeu : d’un côté le flux-technique réel « transporte » les données le plus rapidement et fidèlement possible, la métaphore est alors prise dans son sens le plus littéral (métaphore en grec signifie « transport ») et, de l’autre côté, un flux-technologique esthétique auto-réflexif (tekhnê-logique) qui se donne à voir pour ce qu’il est, la métaphore est dans ce cas à prendre dans son sens contemporain : une représentation imagée et symbolique. Ces deux métaphores créent deux déterritorialisations contradictoires : l’une déterritorialise la scène réelle vers l’actualité du virtuel (le décalage presque inexistant entre l’image locale et l’image actualisée sur le réseau Internet), l’autre déterritorialise l’image que le réseau produit de lui-même en l’actualisant sur la scène réelle. Cette expérimentation relève d’une esthétique du Web, esthétique dans le sens grec, c’est-à-dire la création d’une expérience sensible. Rendre sensible, faire sentir au spectateur un écho imaginé du Web, rendre tangible la métaphore du flux des données.

Global String : un percept des T.I.C. [dvd.2]

Global String, elle aussi à la fois forme technique et forme symbolique78 [PANOFSKY]

du Web, est le fruit d’un co-développement entre un artiste compositeur, Kasper T Tœpliz*, et un artiste musicien, ingénieur de formation, Atau Tanaka*.

Voici leur texte de présentation d'une œuvre intitulée « Global String »79 :

Il ne s'agit pas vraiment d'un duo au sens traditionnel, mais plutôt d'un double-solo : deux discours réunis dans une même temporalité et allant dans la même direction, mais chacun avec sa logique propre. Comme une continuation du processus à l'œuvre dans leur projet commun, « Global String

», où chacun des deux musiciens joue à l’extrémité d'une corde (virtuelle) tendue entre deux villes, entre deux pays, où le son et la musique de l'autre ne parvient que déformée par le temps, la distance et les artefacts de l'internent.

Cette corde excessive, le son qu'elle produit, joue ici le rôle du point de rencontre, de matière commune, les diffractions allant vers d'autres cordes ? basse hybridée ? ou alors métal frotté, des sons toujours vus de l'intérieur.

78 Refusant de restreindre la perspective à un simple problème technique ou mathématique, Panofsky montre qu'elle s’appuie sur une philosophie de l’espace qui est elle-même solidaire d’une philosophie de la relation entre le sujet et le monde. Erwin PANOFSKY, La perspective comme forme symbolique, Traduction (dir.) Guy Ballangé, with a studie write by Marisa Dalai Emiliani : « La question de la perspective”, Paris, 1976.

79 Consulter http://www.sleazeArt.com et http://www.sensorband.com/atau/globalstring/. Global String a été présentée au DEAF V2 Institute de Rotterdam (2000), puis notamment à Ars Electronica de Linz (2001) et au festival E-motion de Rennes sous forme de concert (2002).

A functional prototype was created in June, 1999.

The structure consists of a base structure, steel cable, and bridge. Ceramic as well as Hall Effect sensors are used to detect both high and low frequency vibrations of the string.

This signal enters the computer as audio-rate and control-rate signal, exciting a physical-model virtual synthesis engine.

IP-TV video and MP3 audio streaming connectivity is in development.

Cliché : Installation at DEAF2000, V2 Rotterdam.

Cette « corde virtuelle » leur sert d'outil de création musicale mais elle peut aussi se matérialiser sous forme de vraies cordes qui sont fixées dans deux endroits distincts reliés par internet. Les spectateurs deviennent des « performers » qui produisent des sons en bougeant, frottant, ou grattant une des deux extrémités de la corde qui, « virtuellement », se rejoignent dans l'espace Internet. Grâce à des Webcams et des écrans de contrôles les deux « joueurs » peuvent se voir en direct, tandis que le son se « propage » le long de cette corde virtuelle selon des codes musicaux et temporels qui simulent l'éloignement des deux extrémités et donc restitués en décalage et déformés de part et d'autre. Il en résulte une sorte de feed-back qui génère une forme sonore électronique très organique. A côté des Webcams, les artistes ont choisi de montrer (de mettre en scène) sur un écran plasma deux éléments textuels et graphiques qui informent le spectateur comme le fait un tableau de bord dans un véhicule : 1) le modèle musical sous la forme d'un diagramme qui se