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Pour une esthétique in-formationnelle. La création artistique comme anticipation des usages sociaux des TIC

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Academic year: 2021

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Submitted on 20 Dec 2009

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Pour une esthétique in-formationnelle. La création artistique comme anticipation des usages sociaux des

TIC

Mahé Emmanuel

To cite this version:

Mahé Emmanuel. Pour une esthétique in-formationnelle. La création artistique comme anticipation des usages sociaux des TIC. Sciences de l’Homme et Société. Université Rennes 2, 2004. Français.

�tel-00442345�

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UNIVERSITÉ RENNES 2 HAUTE BRETAGNE U.F.R. Arts Lettres Communication

N° attribué par la bibliothèque

_ _ _ _ _ _ _ _ _

THÈSE

Pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITE RENNES 2 en Sciences de l’Information et de la Communication Présentée et soutenue publiquement le 4 novembre 2004 par

Emmanuel Mahé

Titre :

Pour une esthétique in-formationnelle

La création artistique comme anticipation des usages sociaux des technologies de l’information et de la communication ?

Directeur de thèse :

Professeur Christian Le Moënne

JURY

Pr Jean-Jacques Boutaud - Sciences de l’information et de la communication Pr Yves Chevalier- Sciences de l’information et de la communication Pr Christian Le Moënne - Sciences de l’information et de la communication Pr Jacques Perriault - Sciences de l’information et de la communication Pr Edmond Couchot - Art Numérique

Mme Sylvie Courcelle Labrousse - ingénieur de recherche, France Télécom R&D

VOLUME 1.

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Remerciements à

Jason T. Corey, mon compagnon, sans qui ce travail de longue haleine n’aurait pu être mené à terme, non seulement grâce à ses encouragements, à sa patience et à ses conseils pendant ces trois années, mais aussi grâce ses

« constellations techno-logiques » qui m’ont inspiré, et sa vision anglosaxone qui m’a trans-formé ;

Jean Manuel de Queiroz qui m’a donné le goût de l’expérimentation et de la recherche, pour ses conseils et ses lectures critiques, mais surtout pour les lignes de fuite et les eccéités qui sont venues alimenter de biais cette recherche;

Christian Le Moënne, pour la direction de cette thèse qui m’a permis de la formuler, de la développer puis de la mener à son terme,notamment à travers la question essentielle des « formes » qui m’a guidée tout au long de ma recherche, mais aussi pour le soutien amical sans faille qu’il a su me donner ;

Sylvie Courcelle Labrousse, comme responsable technique de cette thèse pour FTRD, mais aussi pour son

investissement amical, pour son travail de relecture assidue, et pour nos nombreuses discussions passionnées sur l’art ; Toute ma famille : Janine, ma mère, qui, avec mon père, m’a donné la chance de construire ma vie, et permis de rédiger cette thèse, grâce à une enfance heureuse ; encore ma mère qui m’a soutenu dans mes choix et m’a toujours encouragé à persévérer ; Céline, ma sœur, pour l’aide qu’elle a apporté à cette thèse, mais aussi pour son « oeil- percept » photographique ; mon frère Fabien et ma belle-soeur Cathy et leurs enfants, Coralie et Arnaud, qui m’ont toujours soutenu et ont su me communiquer leur confiance ; Florence, ma soeur, et son compagnon Rolland pour leurs encouragements et pour leur travail d’auteur qui stimule la créativité et la persévérance ;

Céline Harlet pour son soutien de longue date et ses encouragements amicaux, et pour son énergie à faire découvrir de nouveaux horizons artistiques qui m’ont ouvert à de nouvelles interprétations ; Victor, mon petit filleul qui a entendu parler de la thèse depuis toujours, mais aussi pour ses jeux et ses discussions philosophiques ; Yannick Clévédy pour son encouragement constant et son aide ;Laurent Guillemot, et Béatrice Clévédy , Didier et Juliana Sangeroteo-Pidoux pour leur amitié et leur soutien de longue date ; Lionel Souquet et Luc pour leurs encouragements ; Yves Pazat pour son soutien amical et pour m’avoir fait entré dans son atelier et ses secrets ;Alain Bizeau pour avoir ouvert aussi son atelier à des séances de thèse ! ; Nicolas Blin, Laurence Barbolosi, Jean-Pascal Beaudais, Brewen Hellec, Aurélie Renoux, Xavier Reteaux, Françoise Le fort, Anne Perot et Guilaine Clouet, Nadine Patry, Carine Pouvreau, pour nos discussions amicales sur la thèse et sur bien d’autres choses ; Anne-France de Saint-Laurent pour son aide ; Arnaud Perennes pour nos discussions impronptues et pour ses points de vues intempestifs ; Yves Keroch pour sa vision nocturne et son soutien amical ; Alain Bourges et Helena Schmidt pour nos discussions « acharnistes » sur l’art vidéo ; Jean-Paul Fargier pour m’avoir fait découvrir l’art vidéo ; Jean-Louis Letacon pour nos discussions toujours stimulantes ; Anthony Rousseau pour ses pick-up artistiques, ses histoires samplées et son amitié ; et je garde en mémoire Jean Serge à Montréal qui m’encourageait à persévérer ;

&

je remercie tout aussi sincèrement :

Bernard Marquet pour m’avoir accueilli dans son équipe du Studio Créatif, pour son soutien constant, son oeil critique et son ouverture d’esprit, me permettant ainsi de mener une recherche dans des conditions exceptionnelles et en toute liberté ;

Vincent Marcatté et Laurent Ponthou pour avoir permis que France Télécom R&D accueille et finance cette thèse ; Magali Desbazeille et son compagnon Pierre pour le temps investi dans des échanges très fructueux et la confiance qu’elle ma généreusement donnée ;

l’équipe du Studio Créatif : Henry Thomas, Valérie Ledunois, Delphine Guégan, Nathalie Portolan, Catherine Benguigui, Gilles Goni, Jean-Louis Renoullin, Fabrice André Dit Gallas, pour avoir accepté mon « observation participante » et m’avoir aidé pendant ces trois années ; Martine Bour, pour son intérêt et son investissement et ses conseils ; Joël Houssais, Hervé, Jean-Yves Lesseure pour leur aide audiovisuelle (souvent dans l’urgence) ; Christine Barbot et Marie-Renée Dubois, et Mme ledunois pour m’avoir aidé à corriger ; Pascal Cathalifaud et Laurence Geffroy pour leur aide lors des rencontres e-motion;

Yves Chevalier et les collègues et amis de l’équipe de recherche « Cersic » de Rennes 2 pour leur soutien et leurs critiques constructives lors des « réunions de labo » très stimulantes ; Sally Jane Norman pour l’intérêt qu’elle a porté à ma thèse ; Yves Hélias, pour nos discussions transverses dans le cadre d’un projet de recherche sur la critique d’art ; François Rousseau, étudiant info-com pour avoir conduit des interviews ; Claire Lévy pour la retranscription de la séance de créativité ; Luc Ligier, Michel André et André pour leur aide à l’impression ; Joachim Montessuis pour avoir joué le jeu de l’expérimentation du streamning et avoir créé Strange Attractors...

Je remercie toutes les autres personnes, ami(e)s et collègues qui ne sont pas cités ici mais qui m’ont aidé ou soutenu tout au long de ces trois années de recherche. Merci à toutes et tous !

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À ma mère,

À la mémoire de mon père

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Table des matières complète page 523

Sommaire

INTRODUCTION GÉNÉRALE ...p.15 Des usages aux in-formations : une tentative de reconsidérer la notion d’usage à travers certaines pratiques artistiques mobilisant des NTIC

PARTIE. I

... p.57 Les arts tekhnê-logiques : tension critique entre usages et techniques

Introduction : définition du champ artistique observé... p.59 I.1 - Une archéologie de l’artiste comme sujet social... p.62 I.2 - Arts tekhnê-logiques, dénomination spécifique pour un champ transversal...p.111 I.3 - Une critique des usages télécommunicationnels : analyse de Crossing Talks.... p.117 Conclusion : L’art en action comme pratique critique des usages... p.134

PARTIE. II

...p.137 Les résistances des usages réels aux usages pré-conçus :

l’anticipation par le décalage

Introduction : les usages sociaux comme pratiques de résistance... p.139 II.1 - Les résistances artistiques... p.142 II.2 - Les résistances « non - artistiques »...p.173 II.3 - Analyse de discours communicationnels et de pratiques artistiques...p.189 II.4 - Méthodes d’observation des processus... p.204 II.5 - Résultats d’un processus artistique tracé ... p.229 Conclusion : comment les artistes anticipent ?... p.243

PARTIE. III

... p.249 La Coopération artistes-ingénieurs, un modèle pour l’innovation ? Analyse

monographique du Studio Créatif de France Télécom R&D

Introduction: De quelle(s) histoire(s) parlerons-nous ?... p.251 III.1 - Les notions clés dans la R-D : un cadre pour les coopérations artistiques ?...p.254 III.2 - La R-D et l’art : des modèles existants...p.267 III.3 - Du CNET à FTRD... p.274

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III.4 - Analyse d’un laboratoire « transversal »... p.290 III.5 - Analyses de coopérations entre ingénieurs et artistes... p.316 III.6 - La « forme designo » et les usages projetés...p.364 Conclusion : le paradoxe du modèle de l’innovation basée sur les usages... p.369

PARTIE. IVI

...p.379 Vers une esthétique in-formationnelle

Introduction : Critiquer de la catégorie d’usage par les in-formations...p.381 IV.1 - un concept en construction... p.386 IV.2 - Construction de l’esthétique in-formationnelle par l’analyse de dispositifs...p.402 IV.3 - Le diagramme pour analyser des in-formations...p.432 Conclusion : une logique des formes... p.445 Un exemple de typologie visuelle des formes techno-logiques... p.457

CONCLUSION GENERALE

Une approche esthétique par et pour les S.I.C... p.459

ANNEXES et compléments

Liste des acronyme, sigles et abréviations, initiales des personnes citées...p.505 Bibliographie de la thèse... p.509 Table des matières complète...p.523

Annexes documents séparés (voir page suivante) : Volume 2 : taleaux, schémas, documents référencés

DVD : extraits vidéos (monobandes, interviews, documents)

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mode d’emploi des [a]nnexes

Les annexes sont distinctes de la thèse et sont réparties sur deux supports : un document imprimé et relié (volume 2), accompagné d’un DVD.

Documents dans le Volume 2 : 275 pages

- Sommaire des documents figurant en annexes, vidéos inclues .

- Documents référencés dans le volume 1 (tableurs, schémas, chronologies, articles, extraits de verbatims, copie de traces, etc.)

- Documents non cités, pour information complémentaire (extraits de dossiers de presse, plaquette de communication...)

- Index des artistes (46) : informations sur leur travail et une biographie synthétique. Tous les artistes dans la thèse ne figurent pas dans cet index .

Vidéos dans le DVD : 31 séquences vidéos (durée totale approximative : 120mn) Les vidéos sont consultables indiviudellement par un menu principal

- Extraits des documents vidéos réalisées pour la thèse (interviews, vues de réunions, de situation de travails, etc.)

- Extraits de mono-bandes vidéos réalisées par des artistes citées dans la thèse (Vostell, Greenaway, Desbazeille...)

- Extraits de documentaires et d’interviews sur les artistes (Paik, Garrin, Ikam...) - Vues d’installations vidéos, numériques artistiques filmés dans différentes manifestations (Ars Electronica à Linz, E-motion à Rennes, Imagina à Monaco...)

Les renvois aux annexes : MODE D’EMPLOI. i

Le sigle [a] indique au lecteur un renvoi aux annexes.

Le chiffre indique le nunéro de page dans le volume 2.

Exemple : [a.107] indique que le document référencé est situé à la page 107 du volume 2 (et, parfois, des pages suivantes).

Lorsque le sigle [dvd.29] apparait dans le corps du texte, il signale au lecteur une séquence vidéoà consulter à la place 29 dans le menu du DVD.

Les noms d’artistes suivis d’un astérisque * figurent dans l’index du volume 2 (fiches biographiques, bibliographiques, etc.)

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IPour une esthétique in-formationnelleI

La création artistique comme anticipation des usages sociaux des T.I.C. ?.

« Personne n’écoute la radio.

Les haut-parleurs ou les casques diffusent toujours des émissions de radio, et seulement des émissions de radio, jamais de la radio tout court.

Ce n’est qu’en cas d’urgence, quand les programmes sont interrompus, quand les voix des annonceurs se brouillent,

quand les stations s’éloignent de leur fréquence habituelle,

que l'on peut entendre un instant ce qu’écouter la radio pourrait être. »

Friedrich Kittler1

Illustration : images issues du dossier de presse « France Télécom donne la parole aux clones » (dans le cadre du partenariat entre la chorégraphe Karine Saporta et France Télécom R&D en juin 2002). L’inversion (négatif) des couleurs des deux images, à droite et à gauche, est un effet ajouté pour la couverture de cette thèse.

1 « Die letzte Radiosendung », in On the Air, Kunst im öffentliche, Transit, 1993, trad. M.-H. Dumas, in art, réseaux, media, [A. Bureaud , N. Magnan, 2002]

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Introduction générale

Des usages aux in-formations

Une tentative de reconsidérer la notion d’usage à travers certaines pratiques artistiques

mobilisant des NTIC

« Comme tous ceux qui écrivent, je suis un malade du langage. Ma maladie personnelle, c’est que je ne sais pas me servir du langage pour communiquer.

De plus, je n’ai ni le talent ni le génie nécessaires pour fabriquer des œuvres d’art avec ce que j’écris. Alors je fabrique - j’allais dire des machines, mais ce serait trop à la Deleuze - des instruments, des ustensiles, des armes.

Je voudrais que mes livres soient une sorte de tool-box dans lequel les autres puissent aller fouiller pour y trouver un outil avec lequel ils pourraient faire ce qui bon leur semble, dans leur domaine. »

Michel Foucault 2

2 (1974), « Prisons et asiles dans le mécanisme du pouvoir », in Dits et Ecrits, t. II. Paris: Gallimard, 1994, pp. 523-4.

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Des usages aux in-formations

Une tentative de reconsidérer la notion d’usage à travers certaines pratiques artistiques

mobilisant des NTIC

PLAN INTRODUCTION GENERALE

A - Les usages artistiques comme objet des S.I.C.

A.a - L’art est-il vraiment un « moyen de communication » ? A.b - La médiation culturelle comme réception augmentée A.c - Relativiser le processus communicationnel

A.d - L’analyse du processus de production : la question du « comment » B - Pour une définition ouverte des usages à travers la notion de « forme »

B.a - L’hypothèse de l’anticipation : expérimenter la notion d’usage B.b - Circulation des usages et propagations de formes

B.c - Premières définitions des catégories de formes - Les formes symboliques

- Les formes socio-techniques - Les formes organisationnelles - Les formes artistiques

B.d - Des formes aux in-formations

B.e - Une méthode in-formationnelle pour observer des in-formations C - Objectifs et organisation de la thèse

C.a - Mettre à l’épreuve la notion d’usage en l’expérimentant C.b - Le plan général

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Introduction générale

A - Les usages artistiques comme objet des Sciences de l’Information et de la Communication

Il arrive que le sujet d’une thèse ou l’objet d’une recherche puisse stigmatiser3 le chercheur qui l’entreprend : on lui attribue facilement des qualités ou des spécificités qu’il est censé observer et analyser. Afin d’écarter ce type de malentendu, nous commencerons par préciser ce que cette thèse n’est pas ou ce que nous souhaiterions qu’elle ne paraisse pas a priori (nous laisserons le soin au lecteur d’en juger a posteriori).

La « création artistique », telle qu’elle est formulée dans le sujet, est un objet secondaire de notre recherche. Cette recherche n’est ni une théorie de l’art, ni un exercice discursif de type critique d’art, même si ces catégories sont sollicitées plus ou moins fortement à certaines étapes de la recherche. Nous avons donc observé et analysé des pratiques ou des usages, artistiques ou non, d’un point de vue anthropologique. La thèse ne s’inscrit pas non plus dans le champ de la sociologie de l’art avec ses analyses sur les logiques de professionnalisation d’acteurs sociaux ou sur la nature sociologique de la fréquentation de galeries, de musées ou de tout autre lieu. Ce n’est pas non plus une « thèse industrielle »4 ou une recherche « appliquée » même si un opérateur de télécommunication nous a permis d’habiter un centre de Recherche et Développement pendant trois années en accueillant (et finançant) cette recherche. Le terme « esthétique », et la façon dont il sera évoqué tout au long de ces pages ne concerne ni la catégorie du « beau », ni la question du jugement de valeur (le « goût »), ni aucun des aspects communément associés à ce terme (sentimentalisme, subjectivité). Le terme « sensible », souvent accolé à

« expérience », sera utilisé pour décrire ce que nous entendrons par « esthétique ». Là aussi, la tentation de le comprendre dans son sens sentimental (« une personne sensible », fragile, émotive) est à écarter car nous l’utiliserons davantage pour désigner, d’une part, l’activité des sens humains (la vue, l’ouïe, le toucher, la proprioception, etc.), et, d’autre

3 Tout au long de nos trois années de thèse passées à travailler dans un centre de R&D pour observer des coproductions entre artistes et ingénieurs, nous avons très régulièrement été désignés (amicalement) comme un « artiste », nous avons également constaté dans différents colloques de Sciences Humaines que notre sujet de thèse était un marqueur symbolique assez prégnant.

4 Ce n’est pas pour autant que nous disqualifions les thèses industrielles (terminologie usuelle mais non administrative).

Une thèse d’un informaticien qui se doit de déposer des brevets dans le cadre de sa recherche, ou au moins d'obtenir des résultats applicables directement dans la R-D de l’entreprise, apporte quelquefois autant (ou davantage) qu’une recherche dite « fondamentale », ces deux types de recherche ne s’opposant pas mais s’alimentant l’une l’autre.

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part, dans le sens plus métaphorique d’une précipitation chimique ou d’une catalyse, à la manière dont une pellicule argentique réagit à l’exposition photonique (« sensible à » est synonyme dans ce cas à « réagit à », ou « en fonction de»).

Notre objet premier concerne l’émergence des usages sociaux qui se développent par et avec les technologies contemporaines, principalement les technologies de l’information et de la communication. Nous utiliserons l’exemple des pratiques artistiques qui convoquent les technologies comme éléments moteurs de leur processus de création et de réception.

Ces technologies deviennent alors autant un sujet qu’un objet de création artistique (par exemple le « net art » met en œuvre des dispositifs techniques incluant l’Internet et propose une réflexion ou élabore un imaginaire sur l’Internet). Les « usages artistiques » observés dans ce cadre précis (ce que nous appellerons plus tard des arts « tekhnê- logiques ») nous permettront de poser la question plus vaste des « usages sociaux des techniques » et d’élaborer ainsi des hypothèses concernant la vie des usages5, non pas une vie autonome ou « purement» sociale, mais une vie profondément ancrée dans un ensemble complexe d’éléments abstraits ou matériels qui la constituent (symbolique, imaginaire, économique, technologique, technique...). Les usages non artistiques (et nous verrons d’ailleurs que la frontière entre usages « artistiques » et usages « non artistiques » n’est pas si étanche) seront donc souvent sollicités tout au long de notre analyse et nous conduiront à établir des liens avec des pratiques artistiques qui les auraient préfigurées.

Le projet central de la thèse est le suivant : « faire travailler » certaines notions décrites comme relevant de la communication ou de l’information à travers la question des processus de création d’usages « novateurs » ou « innovants », et aborder ainsi la problématique de « l’anticipation des usages ». La « communication » sera en effet sollicitée tour à tour comme une méthode conceptuelle (une théorie) pour analyser des processus d’usages (des approches théoriques pour décrire des processus : analyse des discours d’accompagnement, description de communications organisationnelles...), et comme l’objet d’observation en soi (une pratique, comme par exemple celles des artistes prenant la « communication » comme un thème opératoire de leur création : cela pourra être une installation interactive, une performance de « télé-virtualités »).

5 Nous faisons allusion à la « Vie des formes » [H. FOCILLON, 1970 ]

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Mais c’est surtout la notion d’information que nous considérons comme un des éléments centraux dans notre recherche, et qui apparaîtra de plus en plus fortement tout au long de son déroulement (telle qu’elle se présente désormais dans les pages suivantes). Nous posons l’hypothèse en effet que la notion d’information, retravaillée pour l’occasion sous le terme « in-formation », est une voie possible pour analyser les usages en action, la façon dont ils sont conçus, représentés, imaginés ou réels, que ce soit dans les domaines spécifiques de la R&D et de l’art (deux domaines à priori éloignés), et plus largement dans le champ social élargi, l’approche communicationnelle étant progressivement annexée à cette approche que nous qualifierons d’in-formationnelle. Cette approche s’exercera (se construira) de plusieurs manières : par la façon dont nous problématiserons nos méthodes d’observation ou de recueil de traces (traçabilité, observation- participante) et par les effets de sens qu’ils permettront de produire, nous y reviendrons plus bas dans cette introduction générale et en détail dans différents chapitres de la thèse.

La construction conceptuelle de notre recherche s’est faite par allers et retours réguliers entre théorisation et praxéologie, dans une logique anthropologique. Nous construisons et expérimentons nos hypothèses à travers des « cas d’études » concrets: suivis de co- productions entre des artistes et des ingénieurs, traçabilité des histoires de productions d’installations dites « numériques » ou « multimédias », analyses approfondies de certaines œuvres, observation d’usages sociaux dans le domaine des télécommunications, monographie d’un laboratoire d’innovation de services...

Lorsque nous parlerons des « arts tekhnê-logiques » ou d’une « esthétique in- formationnelle », nous n’élaborons donc pas une théorie de l’art (même si indirectement elles peuvent y contribuer) mais des outils théoriques plus larges, constamment testés par des cas d’études précis, pour proposer une mise en visibilité, et nous espérons parfois une mise en intelligibilité, de processus atomisés, diffus, hétérogènes et souvent occultés par des discours légitimant (pendant ou après) l’innovation des usages dans le domaine des technologies dites « nouvelles » (discours d’artistes, de commentateurs, ou de tout acteur impliqué dans un processus de « création » d’usages ou de techniques). Les formulations d’hypothèses et les désignations de certains processus observés nous auront parfois obligés à fendre6 certains mots (techno-logie, in-formation), et à en proposer de nouveaux

6 Nous détournons ici l’expression de Gilles Deleuze en lui attribuant un sens littéral ("Fendre les choses, fendre les mots" in Pourparlers) [Deleuze, 1990]. Bernard Stiegler par exemple opère souvent cette déconstruction typographique des mots comme il le fait en transformant « technologie » en « techno-logie ».

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(tekhnê-logie, gaz media...), non parce que d’anciens mots ne seraient plus valides pour décrire des situations inédites, mais tout simplement parce qu’ils transmettent malgré eux, dans un certain contexte d’énonciation et de réception, des effets de sens opposés ou très éloignés de l’intention de notre propos.

La séparation typographique d’un même mot ou l’invention de termes ne correspond donc pas à un « effet de style » qui induirait l’idée que notre posture théorique serait novatrice.

Ces procédés correspondent au contraire à un travail plus modeste d’appropriation de concepts ou de théories déjà existantes, non pour les transposer mécaniquement mais pour les faire travailler, et quelquefois les trans-former (voire les détourner) et ainsi construire notre problématique générale. Faire travailler certains concepts c’est aussi parfois faire travailler les mots.

Mais les mots qui désignent les choses (et les font exister) échappent toujours, et finalement heureusement, au sens que l’auteur leur aura initialement attribué. L'exercice sémiologique et philosophique du « Ceci n’est pas une pipe »7 de Michel Foucault d’après le célèbre tableau de René Magritte aurait dû nous alerter sur la naïveté de ce préliminaire qui s’entend à définir ce que n’est pas notre recherche, car, en dernier ressort c’est au lecteur d’en juger. [FOUCAULT, MAGRITTE, 1986] Les connexions (et les contaminations) entre les différentes approches que nous solliciterons dans cette thèse seraient de toutes façons, dans le meilleur des cas, une tentative de déterritorialisation de chacune d’entre elles, et, dans la globalité de son exercice, une manière d’aborder l’art du point de vue des SIC (analyse exogène de l’art) sans pour autant abandonner les caractéristiques et les références propres à l’art occidental (son histoire, ses pratiques sociales, ses discours, ses théories) qui contribuent à le faire exister, encore aujourd’hui, comme une activité symbolique humaine spécifique. C’est précisément pour cette raison que nous avons introduit assez largement dans notre thèse des passages entiers consacrés aux différentes approches artistiques qui lui sont endogènes (la critique d’art et l’histoire de l’art seront sollicitées dans le premier chapitre) pour mieux les faire travailler, et les faire sortir d’elles-mêmes par la suite, mais également pour ne pas rester non plus prisonnier d’une vision trop classiquement « communicationnelle » de l’œuvre d’art dans le champ des Sciences de l’information et de la communication. C’est ce à quoi nous allons maintenant essayer de répondre en proposant une première vision de la place paradoxale de l’art dans

7 Titre d’un tableau de Magritte désignant comme chacun le sait une peinture représentant précisément une pipe.

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notre société contemporaine, et en précisant pourquoi nous nous éloignons d’une interprétation de l’art comme un « moyen de communication », pour ensuite commencer à poser les premières pierres d’une analyse in-formationnelle de l’art, et finalement des usages socio-techniques et de leurs agencements temporels.

A.a - L’art est-il vraiment un « moyen de communication » ?

Premier constat : l’art n’aura jamais été aussi présent dans la Cité. Un certain nombre de signes immédiats nous permettent a priori (avec les réserves nécessaires) d’observer un accroissement des activités artistiques ou para-artistiques lors des dernières décennies : la multiplication des institutions culturelles, publiques et privées, l’intérêt renouvelé des journaux télévisés ou les revues écrites « généralistes » qui se font l’écho de grandes manifestations artistiques, les nombreux et réguliers débats inter-professionnels sur la question du « rôle » de l’artiste au sein de la société, le nombre important d’élèves ou d’étudiants se destinant à une carrière artistique, la prolifération d’œuvres artistiques éphémères ou pérennes s’inscrivant dans nos environnements urbains, même les bastions de la rationalité que sont les centres d’entreprises R&D s’intéressent de façon croissante aux artistes... A ce foisonnement de lieux de démonstration, de médiation, de création, de production, de formation, ou tout simplement de confrontation correspond une constante émergence de pratiques dites nouvelles et de remises en questions perpétuelles, autant sur les modalités d’existence sociale (le statut de l’artiste, la transformation de la notion d’auteur, l’implication des publics dans la production....) que sur les agencements formels (multiplication des techniques, diversité des outils, multiplicité des mises en espace, hétérogénéités des codes sociaux ou esthétiques, modification de la notion d’œuvre...), les deux étant d’ailleurs solidaires.

Un tel état des lieux incite pourtant certains commentateurs spécialisés à décrire l’art contemporain comme étant parvenu à un « état gazeux », c’est-à-dire à la fois partout et nulle part en particulier [Y. MICHAUD, 2003]. Comme si la quantité exponentielle de ses manifestations venait à le diluer dans un environnement où plus rien ne contribuerait à le distinguer d’autres activités symboliques, comme s’il ne faisait plus signe. Il ne s’agit pourtant pas d’une « esthétique de la disparition », prenant corps dans l’ancien présage hegelien de la « fin de l’art » puisque, précisément, jamais l’art n’aura été aussi

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protéiforme, aussi véloce dans sa circulation et dans son actualité. Il s’agirait peut-être au contraire d’une « esthétique de la quantité joyeuse »8 (elle ne l’est manifestement pas pour tout le monde) où formes et idées se multiplient au gré des « performances », des

« installations in situ », des « dispositifs », d’événements artistiques et communicationnels de toutes sortes... Le débat n’est pas clos et est sans doute consubstantiel à la façon dont l’art s’organise aujourd’hui (à la fois dans ses lieux légitimés, institutionnels ou alternatifs, mais aussi dans des pratiques non désignées comme artistiques mais ayant des connexions proches, comme par exemple l’activité plurielle du design qui articule une certaine forme de « créativité » à des exigences sociales, techniques, ergonomiques, économiques...).

Évitons là aussi un malentendu sémantique et tentons de le résoudre au moins partiellement. Nous désignerons désormais l’ensemble des pratiques artistiques de notre temps comme relevant des arts actuels, laissant l’art contemporain à une des catégories des arts actuels comme le sont également l’art classique, et l’art moderne, c’est-à-dire des genres artistiques qui co-existent actuellement dans différents circuits de diffusion [N.

HEINICH, 1998]. La notion de « genre » est à comprendre comme l’était par exemple la Peinture d’Histoire à la fin du XIXème siècle. Même si nous nous dégagerons de cette approche sociologique par la suite, elle nous permettra pour le moment de ne pas confondre des pratiques artistiques relevant uniquement de « l’art contemporain » avec ses processus de légitimation et ses structures de régulation socio-symboliques (les Fonds Régionaux d’Art Contemporain, ses grands musées, ses collectionneurs, etc.), et des pratiques artistiques relevant de codes ou de façons de faire d’apparence plus anciens (la peinture abstraite héritée de l’expressionnisme abstrait des années 1950, la peinture dite

« figurative » relevant de codes picturaux devenus classiques, etc.).

L’inflation-déficience donc des arts actuels ne serait-elle pas davantage efficience ? Le précepte d’artistes modernes du XXème siècle, « l’art c’est la vie », serait alors arrivé enfin à son terme avec notamment le brouillage des frontières entre un art autonome et un art appliqué, entre un art normé, classique, et un art émergent, plus expérimental ? Un art appliqué ne se définit plus comme une catégorie de l’art moderne (le Bauhaus) mais se définit aujourd’hui par son mouvement, c’est un art appliqué à s’introduire dans la

8 Nous détournons tour à tour les formules de Paul Virilio (Esthétique de la disparition) et d’Anne-Marie Duguet (elle qualifie l’œuvre télévisuelle d’Averty* comme une « esthétique de la quantité joyeuse » dans la mono-bande vidéo

« 13 portraits pour un brouillon d’Averty » de Pierre Trividic, 1990, distribué par Heure Exquise !, Lille [dvd.30]

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pluralité des activités sociales comme un nouveau régime éthique, avec parfois des actions engageant une réflexion socio-politique (création d’espaces relationnels, de dispositifs communicationnels, web-design, arts activistes ou militants, expérimentations sociales diverses agencées par des artistes...). Par exemple, les interventions de l’artiste japonais Masako Nakamura procèdent par créations de situations sociales, de lieux de sociabilité alors définis comme un entre-deux. L’artiste est dans ce cas un producteur de ce que les japonais nomment un aïda, c’est-à-dire la relation inter-personnelle prise en tant que telle, en tant que forme.9 Par exemple en 2002, invité par le musée de la ville de Oita, Nakamura s’insère dans un projet d’urbanisation de la gare de la ville en investissant un terrain de sport et le quartier à proximité. Il demande aux habitants de participer au projet artistique (une intervention qu’il nomme « nIALL »10) en les invitant à venir camper avec lui et à être filmé dans leurs heures de réveil et de sommeil, dans leurs activités publiques et privées. La réalisation d’un documentaire vidéo, à partir de ces rushes, est intégrée dans la production collaborative et, ensuite, est projetée lors d’une soirée finale. L’artiste affirme qu’il tente de trouver une solution à un « problème issu de l’environnement social » en créant une forme interpersonnelle quasi-organique, en ne séparant pas les causes des effets, en considérant la relation sociale comme une forme esthétique en soi.

Dans un tel contexte, nous voyons déjà que les commentaires et les observations, partant d’un constat identique, se traduisent par des prises de positions critiques et analytiques radicalement différentes. Les sociologues pourront ainsi montrer que, malgré l’apparente démocratisation de l’art, l’analyse des fréquentations et des systèmes de légitimation révèle au contraire des processus de sélectivités dépendants d’ordres sociaux ou culturels;

les historiens d’art détecteront des bégaiements formels là où certains journalistes verront des nouveautés ; des critiques d’art défendront une « esthétique relationnelle » [BOURRIAUD, 1998] à l’instar d’autres qui s’attachent à définir une éthique dans le processus artistique lui-même, un partage du sensible. [RANCIERE, 2000]

L’art n’aura donc jamais été autant commenté, analysé, décrit sous toutes ses composantes, des acteurs directs ou indirects (artistes, collectifs d’artistes, commissaires

9 Lire l’article de Catherine GROUT dans la revue Parachute (2004) pour découvir l’œuvre de cet artiste, et lire l’ouvrage de Bin KIMURA pour comprendre le concept de l’aïda (notamment dans le champ de la psychopathologie phénoménologique) [B. KIMURA, 2001].

10 L’artiste définit ce type d’intervention autour de trois éléments principaux : « all est un ensemble avec lequel, ou par rapport auquel, le sujet I, qui parle et agit se définit » ; n est la variable entre les deux. » (ibid.p. 75)

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d’exposition, publics, critiques d’art, directeurs de musée, commissaires priseurs....) aux actants qui le font exister et qui existent par lui (des logiques institutionnelles, des acteurs-réseaux, des marchés économiques, des théories, des techniques et des technologies, ou tout autre agencement conceptuel et / ou pragmatique). En retour, il n’aura jamais été autant décrié ou adulé : dévalorisé dans certains cas (combien de fois n’avons nous pas entendu, ou même prononcé, « c’est nul » au sujet d’une installation ou d’une performance), il sera à l’inverse hyper-valorisé dans d’autres cas (un seul tableau de Picasso a atteint 100 millions de dollars aux enchères de Christie’s).

Dans ces paradoxes et de cette multitude, le jeu communicationnel semble jouer un rôle de plus en plus prégnant pour aider l’observateur et le créateur à se situer dans cette complexité diffuse, au moins pour désigner ce qui relève de l’art ou ce qui n’en relève pas ou plus. L’arrivée des T.I.C. a sans doute renforcé la fonction de la communication dans le champ des arts actuels, et notamment dans le domaine de la médiation culturelle.

A.b - La médiation culturelle comme réception augmentée

La pratique professionnelle de la médiation (prenons cet exemple car nous le croyons assez représentatif), médiation mise en œuvre par des musées internationaux ou des centres d’art nationaux (Guggenheim, Palais de Tokyo, ZKM, Tate Galery, MOMA...), a pour vocation d’assurer une inter-médiation entre le « propos » qu’un artiste aurait souhaité développer dans sa production artistique (une vidéo, une installation, une peinture...) et le spectateur qui dispose ainsi des « clés de compréhension » jugées essentielles. L’artiste lui-même assure de plus en plus cet exercice d’intermédiation en présentant son « book » ou ses « pages web » pour convaincre de « la cohérence de sa pratique » et de la pertinence de ses « concepts ». La multiplication des œuvres, des artistes, des spectateurs et donc des commentateurs, semblent en effet favoriser ces pratiques communicationnelles. La pratique des « démos », pratique particulièrement répandue dans la sphère de la recherche d’entreprise (par exemple la démonstration d’une innovation technologique dans le cadre d’un salon professionnel, mais également la

« démonstration » d’un sociologue dans un colloque utilisant un logiciel comme « power point » pour présenter ses résultats) est une pratique qui se propage dans un certain monde

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artistique, en particulier ceux qui utilisent le web ou les technologies numériques comme éléments de création artistique. 11

Ces pratiques de présentation sont hétérogènes et certaines d’entre elles anciennes. Par exemple, il existe déjà depuis longtemps dans les espaces d’expositions classiques une multiplicité de supports médiateurs : le cartel d’exposition, le catalogue imprimé, les conférences, les « visites guidées »... A cela s’ajoute donc aujourd’hui les supports développés grâce aux TIC : le site web présentant une exposition ou un artiste, une liste de diffusion d’une « communauté », des sites web portails, etc. Chacun de ces supports diffère selon les techniques utilisées mais aussi suivant leur contexte d’inscription dans un espace ou dans un champ social, nous n’entrerons pas ici dans le détail de ces différences même s’il faut en avoir conscience (il est entendu par exemple qu’un site web peut avoir des existences sociales de natures diverses et donc des fonctions différentes: un site institutionnel, un site « perso », ou un site communautaire n’auront pas les mêmes fonctions et auront chacun une manière de « médier » qui leur est spécifique).

La figure de l’artiste « communicant » devient dans ce contexte un archétype de l’« artiste contemporain »,jusqu’à assurer lui-même la diffusion de son propre travail (sur Internet notamment lorsqu’il s’agit de pratiques « net art », ce qui donne au spectateur un rôle et un statut nouveaux).12 Même les plus rétifs à cet exercice sont souvent contraints de s’y plier pour assurer la promotion de leur exposition, pour expliciter leur pratique ou pour préciser ce qu’ils apportent à la communauté artistique. Les « discours sur » (sur son travail ou sur celui des autres), oraux ou écrits, sont devenus des interfaces sociales ou socio-techniques obligatoires dans le dispositif communicationnel des institutions culturelles, qu’il s’agisse d’un « art numérique » ou d’un art plus classique (peinture, sculpture...) : le guide audio commentant chaque œuvre, les cartels explicatifs, les textes imprimés sur des feuilles volantes mises à disposition à l’entrée des salles, les commentaires des « médiateurs » ou des « experts », les parcours fléchés, les moniteurs vidéos diffusant un documentaire sur l’exposition, l’interview dans un journal ou dans un

11 Lire l’article de Peter Lunenfeld, (2000), « A user’s Guide to Digital Arts , Media and Culture », in Snap to Grid, MIT Press, traduction française dans l’ouvrage Connexions : art, réseaux, media [A. BUREAUD, N. MAGNANT, 2002]. « Au media Lab à MIT, ... nous avons recodifié le slogan universiatire « publies ou péris ». Nous disons désormais « démo ou meurs »... Quand nous avons ouvert le Media Lab, je n’arrêtais pas de dire aux gens nous devons montrer, montrer, démontrer... Oublie les textes techniques, et, quoique dans une moindre mesure, oublie les théories.

Nous allons prouver les choses en faisant. » (Nicholas Negroponte).

12 Lire l’article d’Annie Gentès en ligne sur le site de Solaris. Gentès Annie, (2000, 2001), "Les sites artistiques sur Internet : réflexions sur la médiation aux œuvres d'art" in Solaris, nº 7,

http://biblio-fr.info.unicaen.fr/bnum/jelec/Solaris/d07/7gentes.html [dernière consultation : 15 juillet 2004]

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reportage télévisuel... Autant de cadres symboliques qui dirigent le regard, le pas et la pensée (peut-être pour le meilleur car ne faut-il pas en effet nous imprégner d’une culture que nous ignorerions sans l’aide de ces prothèses interprétatives?).

Empruntons momentanément à la terminologie techniciste contemporaine, de façon quelque peu ironique, la formule de « réalité augmentée »13[dvd.1] pour la transposer à l’activité d’une médiation culturelle jouant comme une interface entre l’artiste et son spectateur, en créant ainsi une « réception augmentée » : l’inscription automatisée ou directe (en temps réel ou par contiguïté) d’un module de langage (une forme synthétisée) dans un environnement qu’il vient informer (l’espace expositionnel). Un dispositif de communication socio-technique (un appareil de guidage multimédia, une projection 3D qui simule un parcours dans un musée, etc.) permet par exemple de produire une information renouvelée à chaque exposition avec des moyens techniques de communication similaires.

Nous aurions donc un système communicationnel classique qui pourrait être résumé de la façon suivante : le message émis par un artiste s’incarne dans une expérience sensible (une peinture, une vidéo, une installation, un objet...), le spectateur devient donc dans cette logique un récepteur du « message ». En admettant que le travail artistique soit de créer de nouvelles formes ou un nouveau « vocabulaire plastique », la transmission du message, assurée par le « canal-œuvre », n’est pas transparente puisqu’elle correspond à une forme de codage stylistique à chaque fois renouvelée ou tout au moins singulière. Le récepteur aurait donc pour tâche de décrypter ce code stylistique (plus ou moins élaboré) pour accéder à une compréhension du message initial (ce que certains artistes, critiques, ou commissaires d’expositions contemporains nomment souvent comme étant leur « concept »). La médiation culturelle légitime alors sa fonction comme une forme d’aide à décrypter ces codes, qui, selon les horizons d’attente de chaque spectateur, est effectivement plus ou moins compréhensible par l’un plutôt que par l’autre. Elle joue alors un rôle d’interfaçage entre l’émetteur et le récepteur, à l’image d’un décodeur qui viendrait rendre visible puis intelligible une pratique. Cet accompagnement (le plus souvent discursif) est perçu comme étant nécessaire pour rendre l’art contemporain

« accessible » au plus grand nombre. Cette approche pédagogisante est devenue la norme

13 notamment utilisée par les centres de recherches ATR et du MIT. Un autre terme existe également pour désigner l’utilisation de procédé de visualisation 3D inscrustée en temps réel dans une « réalité » vidéo : la « réalité mixte ». Voir les annexes DVD pour visualiser quelques exemples présentés dans le cadre d’Imagina à Montecarlo en 2000.

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d’une communication sociale qui a développé ses outils, ses méthodes et a su gagner sa légitimité grâce à son apparente efficience.

La médiation est alors autant un récepteur (elle reçoit un message de l’artiste) qu’un émetteur (elle émet à son tour un message considéré comme plus adapté au récepteur- spectateur). La médiation peut être assurée automatiquement (bandes sonores enregistrées, panneau imprimé, bande vidéo...), par un relais humain (un commentateur ou un guide d’exposition) ou par une combinaison des deux. Dans cette perspective la communication doit être comprise comme un canal ou un transport (humain ou non humain) d’un message qu’on pourrait nommer classiquement « information ». La médiation informe donc le spectateur qui, par rétro-action, s’informe sur une pratique artistique. L’opération de traduction ainsi assurée par la médiation est alors assimilable aux théories probabilistes des théories de Shannon. C’est en partie sur ce modèle qu’est fondée l’esthétique informationnelle [MOLES, 1972] qui considère l’œuvre comme un canal, un moyen de transmission, entre un émetteur-artiste et un récepteur-spectateur (auditeur, lecteur...) avec des degrés divers de « style » (comprenons par-là un codage plus ou moins complexe du message) qui en fait sa qualité artistique objectivable en soi.

Ce type d’approche communicationnelle apparaît également dans ce qui sera plus tard désigné par les artistes comme « esthétique de la communication » (l’esthétique est dans ce cas une pratique artistique, celle de Fred Forest par exemple) ou par des théoriciens (c’est dans ce cas un concept, comme l’a construit Jean Caune). L’œuvre (ou la pratique) est définie dans ces deux cas comme un moyen d’expression (un médium) qui fonde une esthétique à comprendre dans son sens étymologique, c’est-à-dire comme l’expérience sensible d’une situation de communication. Dans ce cas l’art ne devient plus qu’une activité humaine parmi d’autres, l’esthétique étant le procès même de la communication, la communication en action, comme acte performatif de la culture dans son acception la plus large. La communication, dans ce schéma, est alors définie comme un acte et l’information comme son produit [ESCARPIT, 1991, 1994].

L’exemple de la médiation culturelle professionnelle, nous pourrions en prendre d’autres, comprise comme pratique sociale de traduction amène donc à concevoir l’activité artistique comme un moyen expressif, un « médium artistique ». L’objectif est alors de communiquer un message qui soit plus ou moins compréhensible par un récepteur en fonction de son propre horizon d’attente (culturel, social, psychologique...). Le travail de

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la médiation est de faciliter l’accès aux informations contenues dans une œuvre pour construire ou reconstruire, au gré de cette mise en intelligibilité, un sens global et finalement accéder ainsi au message de l’artiste, « ce qu’il a voulu montrer dans cette œuvre ». Loin de fermer l’œuvre à toute interprétation personnelle, la médiation entend au contraire contribuer à l’ouvrir [U. ECO, 1965 ] aux spécificités culturelles de chaque spectateur. Mais cette ouverture se constitue aussi par une série de fermetures qui dirigent l’interprétation du spectateur, même si celui-ci y résiste. Il s’agit donc bien d’un jeu communicationnel dans le double sens du terme : un jeu social avec ses règles sous- jacentes (lire le panneau, écouter le médiateur, écrire sur un artiste, décrire une œuvre, comprendre le « propos de l’artiste ») et un jeu dans le sens d’un flottement qui autorise une adaptation au cas par cas, chacun ré-interprétant le discours de la médiation (par adhésion ou par rejet) suivant ses propres horizons.

Nous avons donc là encore une pratique d’ordre esthétique, toujours dans son sens étymologique, non pas réservée à l’activité de création artistique (production d’un régime esthétique) mais exercée par les récepteurs eux-mêmes. Une telle « esthétique de la réception » [H.R. JAUSS, 1978, 1990] semble s’être transformée en un exercice normalisé (et donc réduit à des schèmes) au sein des institutions culturelles. La médiation est donc un outil de légitimation (désignation) de l’art (et donc ce qui n’en est pas par défaut). Les pratiques de médiations ne sont pas uniquement discursives, elles peuvent emprunter à l’esthétique une dimension sensible, c’est notamment le cas des formes sociales de pédagogisation et de promotion de l’art comme les ateliers pour enfant, les conférences illustrées, les cartes postales, les catalogues, les documentaires, les espaces documentaires, les « vidéo box », les cafétérias configurées en fonction de la thématique de l’événement...

Précisons que ces différents types de médiation sont de nature diverse. Il ne s’agit pas en effet d’uniformiser les postures critiques et idéologiques : un texte de Pierre Restany dans un catalogue présentant la « Nouvelle Figuration » est, bien entendu, radicalement différent d’un texte journalistique qui exprime une simple opinion bâtie sur des impressions. Mais, parfois, l’exercice de la critique ou de la théorie de l’art surgit là où on l’attend le moins.14

14 En parallèle à cette thèse, nous venons de commencer un travail de recherche commandé par la Délégation des Arts Plastiques du Ministère de la Culture (avec la collaboration de Nolwenn Denizot, sous la direction d’Yves Hélias) dont l’objectif est de montrer les « nouvelles formes de la critique d’art aujourd’hui ». Nous ne sommes pas, bien entendu, en position d’y répondre actuellement (existent-ils vraiment des « nouvelles formes » ?), mais, suite à un premier travail de repérage des discours de critiques d’art et leurs modalités de diffusion (journaux imprimés, sites web...), nous pouvons

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A.c - Relativiser le processus communicationnel

La pratique artistique peut donc être perçue (et l’est généralement) comme un système communicationnel plus ou moins complexe (qui « fonctionne » ou « ne fonctionne pas »,

« off » ou « on »), ce qui, en retour, conditionne non seulement la relation entre un spectateur et une œuvre (avec des interfaces d’intelligibilité de pertinences variées) mais conditionne également la façon dont le processus artistique est modélisé sur les théories de transmission d’un message. La conséquence d’une certaine vision communicationnelle de l’art, qui en est aussi son moteur, polarise le processus artistique autour de la

<conception / réalisation> d’une part, et l’acte de réception d’autre part. Le processus de production artistique correspond alors à un développement temporel linéaire : allant du

« concept » premier, de l’idée originale, jusqu’à sa concrétisation dans un agencement formel spécifique (choix stylistiques, adoption de solutions techniques...) suivie de la phase finale d’exposition.

Le présupposé d’une pratique artistique évolutive qui se développe dans le temps, du projet à sa réalisation, est pourtant contredite à bien des égards par l’observation que nous avons pu mener dans le cadre de cette thèse. Au regard des observations que nous détaillerons plus bas, il semble que le processus artistique, en particulier celui qui intègre la technologie comme élément moteur de son développement, procède davantage par involution que par évolution, même celui qui entre dans le cadre d’une rationalisation du processus via des méthodes issues du management de projet R&D. Les étapes ne se succèdent en effet pas aussi linéairement, mais semblent avancer progressivement par retours en arrière successifs, remises en question conceptuelles et techniques, digressions, abandons, c’est-à-dire par un ensemble de détours (théoriques ou pratiques) qui contribuent à troubler l’observateur extérieur (une impression récurrente de constater un piétinement du projet) et agacer éventuellement les co-producteurs du processus associés plus ou moins ponctuellement (un ingénieur intervenant sur une partie des solutions techniques, un producteur financier ou un « chef de projet » lorsqu’il s’agit d’une

supposer que les « lieux » de l’exercice de la critique d’art ne sont pas nécessairement reliés à un cadre socioprofessionnel strict (il existe une véritable critique amateur mais très bien documentée et conceptualisée) et à des moyens de diffusions légitimés comme le catalogue d’exposition ou la rubrique d’un quotidien : certains « gratuits » ou certains « sites perso » (ou « web log ») sont par exemple des lieux où la critique d’art s’exerce aussi, et de manière pertinente. [cette note n’engage que le rédacteur]

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commande d’entreprise, un régisseur, un autre artiste produisant un élément du dispositif...). De ce processus souvent involutif aboutit pourtant une œuvre (plus ou moins tangible ou éphémère), c’est-à-dire un agencement formel suffisamment stable pour faire sens.

A partir de ces premiers constats critiques, nous ne considérerons pas tant les pratiques artistiques (l’ensemble des pratiques observées et décrites dans un projet artistique) comme relevant d’un procédé uniquement communicationnel mais bien plutôt comme un ensemble de pratiques et de processus in-formationnels. Avant de poser une première hypothèse pour définir l’in-formation, nous nous devons de motiver la mise à l’écart temporaire d’une certaine approche communicationnelle pour analyser les pratiques artistiques. Reprenons dans un premier temps ce qui a été pointé les lignes précédentes : le postulat qui définit l’œuvre comme un canal de transmission d’un message émis par l’artiste et reçu par un spectateur est source de malentendus de plusieurs ordres. Nous en repérerons pour le moment au moins quatre.

1) Poser une telle hypothèse nous inciterait à choisir des artistes revendiquant une posture communicationnelle explicite qui, a posteriori, nous permettrait de vérifier s’il y a bien une adéquation entre le projet de l’artiste de transmission d’un message et la réalité de sa réception, nous nous éloignerions de notre sujet qui ne traite pas de la communication comme procédé artistique intentionnel (ce qui ne signifie d’ailleurs pas que nous écartons systématiquement ces artistes de notre corpus, sans néanmoins s’y limiter) et cette démarche de vérification d’une hypothèse ne correspond pas à notre méthode.

2) Le principe du message et de sa transmission fonde une grande partie des analyses communicationnelles de l’art dans le champ des SIC, loin de les écarter a priori nous les convoquerons au cas par cas mais nous tenterons globalement de nous en dégager car elles ont contribué au fil des années (souvent contre leurs auteurs) à créer des certitudes sur le rôle de l’artiste (comme messager) et une vision instrumentale de l’art (l’artiste étant perçu comme un producteur de sens qu’il maîtrise, et la rétro-action « émetteur - récepteur » étant une (trop) parfaite justification des discours mécanistes sur l’art dit « interactif »).

3) Le principe de communication artistique fonde une partie de plus en plus importante de l’activité péri-artistique (les conférences de presse et leurs communiqués, les promotions diverses, les présentations dans des colloques, l’organisation communicationnelle de collectifs artistiques....), nous en intégrerons d’ailleurs ses différentes traces dans notre corpus, mais pour éviter le piège des effets de vérité contenus dans ces traces, il faut aussi considérer l’art comme une

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activité de non-communication, voire de dé-communication, de résistance à la communication, ce qui nous permettra de reconsidérer la notion de communication autrement que par les notions de

« message de l’artiste ».

4) Enfin, l’idée même d’une communication d’un « concept » véhiculé par un objet ou une démarche artistique réanime l’ancienne posture platonicienne qui oppose (et hiérarchise) le monde des idées intangibles et abstraites prenant corps (alors maladroitement) dans l’expression maîtrisée d’une matière formelle et terrestre ; il y aurait donc le « concept » de l’artiste (entité pure et abstraite) qui ne demanderait qu’à s’incarner dans des installations, des environnements, des œuvres ou des performances expérimentables par les sens du spectateur. Pour notre part, nous ne départageons pas la forme du contenu, ni la forme du fond. Une telle dichotomie est du même ordre que de séparer les usages des techniques, la théorie de la pratique, nous y reviendrons plus précisément et régulièrement tout au long de ces pages.

Nous ne réfuterons pas pour autant l’« esthétique de la communication » ou l’« esthétique informationnelle », telles qu’elles sont conceptualisées par leurs auteurs, au contraire, nous nous y appuierons pour tenter de construire ce que nous appellerons en dernier lieu une « esthétique in-formationnelle ». L’hypothèse posée est que l’activité artistique (elle n’est pas la seule) procède davantage par processus in-formationel que par procédé communicationnel (même si celui-ci, encore une fois, est efficient pour analyser certaines activités artistiques « militantes » ou « activistes » avec des messages politiques, sociaux ou culturels à transmettre justement par l’intermédiaire d’œuvres ou d’actions artistiques).

Il existe de toute évidence des processus de communication dans toutes activités humaines, et bien entendu dans l’activité artistique, et nous en détaillerons d’ailleurs certains types dans le cadre de cette thèse : nous analyserons par exemple les usages artistiques à travers des discours d’accompagnement et des types de communications organisationnelles (des échanges d’e-mails pendant une production, des textes de conférences de presse, des dossiers de présentation d’un projet) ; nous proposerons une analyse d’installations dites de « télé-virtualité » ou « interactive » à travers les notions de

« fictions communicationnelles » ou de « mise en scène de la communication » ; nous nous attacherons à comprendre en quoi un centre de R&D dans le domaine des télécommunications définit une « maison communicante » ; nous tenterons de comprendre en quoi la communication a été et est encore une problématique de recherche dans les arts...

Nous n’écarterons donc pas radicalement une approche de type communicationnel sous prétexte qu’elle serait mal utilisée par certains acteurs de l’art, serait-t-elle d’ailleurs

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« bien utilisée » par nous ? Pour reprendre la métaphore de la « boîte à outils » (la « tool- box » de Michel Foucault), nous essaierons davantage de la « faire travailler » ponctuellement au cas par cas, et de la faire travailler avec (et quelques fois contre) la notion d’information qui sera définie, pour ce qui nous concerne, par sa capacité à se propager et non pas seulement à être communiquée. En retour la communication sera elle aussi travaillée par certaines productions artistiques qui en font un des éléments constitutifs de leurs expériences ou de leurs œuvres.

En critiquant la communication définie comme étant un procédé explicatif a posteriori, nous souhaitons seulement attirer l’attention sur le fait qu’un ensemble de discours de différentes natures (correspondant à des pratiques sociales et parfois à leur enseignement) contribuent à créer un consensus sur un certain type d’analyse communicationnelle de l’œuvre d’art ou de toute autre création artistique qui, nous semble-t-il fera écran à la compréhension de la réalité que nous observerons ici et que nous contribuerons à construire. C’est ce que nous venons d’exposer très brièvement à travers l’exemple de la médiation culturelle, même si nous ne nions pas que ce travail de médiation peut intégrer ses propres contradictions dans son exercice de traduction grâce à la médiologie. Notre propos n’est donc pas de démontrer son éventuel déficience mais de montrer que la création artistique appréhendée comme acte de communication nous obligerait à décrypter ce que l’artiste souhaitait signifier « à travers son œuvre » ou comprendre son

« propos ». Ce qui obligerait à évaluer le degré de réussite ou d’échec en interrogeant les spectateurs s’ils ont bien adhéré au propos artistique.

A.d - L’analyse du processus de production : la question du « comment »

Prenons l’exemple d’un artiste dont une des productions, co-développée avec une école d’ingénieurs et un centre de R&D, constituera un de nos « cas d’études ». Il déclare illustrer, à travers une « installation vidéo », la façon dont il se représente le Web (un

« voyage immobile » où les images et les informations « viennent à vous sans avoir à changer de lieu »). Si nous considérions l’œuvre comme un moyen de communiquer une intention première (que ce soit un message, une impression, une idée, une représentation, une expérience...), nous nous presserions d’interroger les visiteurs de l’installation pour vérifier si l ‘expérience de réception correspond à l’intention de l’artiste. Cela aurait été une piste d’analyse et une méthode intéressantes pour montrer précisément l’écart plus ou

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moins élevé entre le message de l’artiste et sa compréhension par le public. 1) Ce n’est pas l’objet de notre recherche ; et 2) c’est une piste interprétative qui conduit à des erreurs d’appréciation du travail artistique en amont et en aval, surtout si celle-ci met en œuvre des moyens technologiques assez importants avec un processus de réalisation assez lent et complexe.

En observant des étapes intermédiaires du processus (réunions, dossiers, etc.) et en questionnant cet artiste, non pas sur ses intentions mais sur la façon dont il utilise les techniques ou les technologies pour travailler, nous avons pu retracer la manière dont il a pu se connecter au Web au milieu des années 1990. Cette période était peu propice aux connexions à domicile : en cherchant à se connecter au Web, il a du sortir de son atelier pour finalement trouver un accès autorisé dans une école d’ingénieur. La question n’est donc plus de savoir si l’intention de l’artiste s’incarne bien dans son œuvre et si elle était ensuite comprise par les visiteurs. La question, centrale pour notre recherche, est de comprendre comment les artistes usent de la technique : comment ces usages d’apparence

« hors sujet » font parties du processus technique et artistique. Cette approche n’interdit pas la mobilisation d’analyses complémentaires sur les différents procédés communicationnels qui ont contribué à créer cette installation (et nous a permis en partie de la tracer) mais, encore une fois, en ne nous préoccupant pas de la fonction communicationnelle d’une œuvre.

Lorsque cet artiste nous explique finalement pourquoi l’Internet l’a intéressé (« les informations viennent à moi sans avoir à se déplacer, comme un voyage sans bouger »), c’est-à-dire la façon dont il se représente l’usage et la manière dont il s’en inspire par la suite pour créer une installation vidéo interactive (« le Voyageur Immobile »), cela ne correspond pas à l’usage réel. Nous avons même pu constater l’inverse : il a dû sortir de son lieu habituel, aller chercher une connexion dans un lieu normativement exogène à sa culture et à ses fonctions sociales pour pouvoir se connecter au Web. Cette logique d’accessibilité à l’Internet, expérience qui peut être datée et assignée à un lieu, aura conditionné en partie son usage du Web. Un second effet sera relevé dans ce cas d’étude, effet qui semble plus diffus dans le temps, moins clairement identifiable, bien qu’il soit extrêmement prégnant : ce déplacement non seulement topologique mais également sociologique va contribuer à modifier ses compétences en matière de TIC et le préparera à travailler dans un centre de R&D quelques années plus tard. Nous noterons donc une série d’effets et de rétro-effets qui nous incitent à nommer Internet comme un actant, non pas

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tant dans le processus de la création artistique, que dans la façon dont l’artiste va tisser des liens avec des chercheurs et transformer ainsi ses fonctions et ses compétences. Si nous avions posé la question classique d’une communication d’un message ou d’une vision à travers l’œuvre exposée, nous serions restés dans les discours convenus et toujours vérifiables (il est évident, trop évident sans doute, qu’un artiste veut toujours

« faire passer quelque chose » à travers ses productions) alors que nous privilégions l’analyse des usages, les éléments communicationnels (communiqué de presse, échanges d’e-mails...) étant analysés alors comme des traces du processus et non comme une fin en soi.

B - Pour une définition ouverte des usages à travers la notion de

« forme »

B.a - L’hypothèse de l’anticipation : expérimenter la notion d’usage

Notre question est celle des usages, et notamment de leurs émergences et éventuellement de leurs capacités potentielles à pouvoir anticiper des usages sociaux. Et à travers cette question des usages compris comme des pratiques (normées ou non), nous tenterons en réalité de critiquer la notion d’usage, ou, au moins, de la reconsidérer. Dans cette perspective, un usage singulier ou isolé (contentons-nous de cette définition problématique pour le moment) peut se propager, devenir un usage social et se transformer donc en un usage normé par des processus d’appropriation socio- économiques, un usage partagé par le plus grand nombre. Ce cadre est à la fois précis et considérablement vaste : précis car nous ciblerons des « usages présentés comme anticipatifs » ou « potentiellement pré-figurateurs», ceux des artistes notamment (encore faudra-t-il justifier nos choix), et vaste car nous devrons aborder la question des usages sociaux des techniques sinon dans leur ensemble, ou au moins dans quelques-unes de ses problématiques connexes posées par les notions d’innovation, et d’invention (synonyme de création).

Notre hypothèse centrale, les usages artistiques anticiperaient des usages sociaux des techniques, nous a amenés à réfléchir sur la catégorie de formes et de leur propagation, c’est-à-dire de leurs émergences, de leurs circulations et de leur devenir, et donc, en

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