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Les usages sociaux comme pratiques de résistance

II.1. A - « Anticipation » artistique ?

L'anticipation artistique, ou plus exactement l’idée qu’on se fait d’un artiste anticipateur repose sur certains des axiomes Classiques et Modernistes, nous venons d’en détailler quelques-uns dans la partie précédente. Ils se sont agrégés (et trans-formés par ce processus d’agrégation) au fil du temps et ont contribué, avec d’autres, à façonner quelques-uns des principes artistiques post-modernes. La Renaissance a institué l’artiste-savant, « artiste libéral », c’est-à-dire un sujet social légitimé non plus seulement par un savoir-faire (une technique) mais par un savoir-abstrait, une science, et parfois par le détournement de celle-ci, et également par un savoir-faire. Cette singularisation du sujet artiste, et donc l’apparition du « point de vue subjectif » (même si celui-ci était contraint par les commandes socio-politiques et religieuses de son époque), se cristallise avec la figure Moderne telle qu’elle commence à apparaître à partir du XVIIème siècle, et telle qu’elle se radicalise dès la fin du XIXème siècle. L’artiste est alors devenu un sujet social non plus « à part entière » mais seulement « à part », consacrant ainsi l’autonomisation ultime de « l’art pour l’art ». Ce processus historique (non linéaire, rappelons-le, et difficilement réductible à une seule approche historiographique) a abouti à des principes artistiques actuels qui sont tenus pour des valeurs contemporaines intrinsèques à l’art : l’artiste se doit d’avoir un point de vue singulier (une « vision » ou un « regard » sur le monde), il doit créer des formes, et, si possible, en préfigurer de futures par une posture

« avant-gardiste ». Cette préfiguration le consacrerait davantage comme un inventeur de formes (toutes sortes de formes) et non comme un innovateur de formes déjà inventées44. Nous verrons en réalité que le travail artistique s’appuie sur des acquis pour se les approprier positivement ou négativement (pour s’en servir ou pour les déconstruire) et que la création de formes correspond souvent en réalité à un ré-agencement de formes existantes, non pas pour les empiler ou les compiler, mais pour les « bricoler », en créant un « mouvement incident », pour reprendre le mot de Levi-Strauss, pour les dévier de leur formalisme, de leurs conventions sociales ou symboliques. Cette déviance correspond à des opérations de décalages, décalages de sens, de normes, mais aussi de temps et de lieu, créant ainsi un hétérotopie des usages cachés.

44 Sur les notions d’invention et d’immovation, nous renvoyons lecteur à la partie III

L’activité de détournement de normes (d’un format, d’une convention, d’une méthode traditionnelle...) est pourtant elle aussi une convention, une posture construite progressivement. Elle est devenue « naturelle » à beaucoup d’artistes. Dans cette perspective, une des fonctions de l’artiste est de tenir un rôle conventionnel dont le paradoxe est de résister à l’ordonnancement des usages sociaux établis et d’en créer de nouveaux, c’est-à-dire une fonction de résistance qui s’exerce parfois sur elle-même.

Cette fonction de déviance sociale et symbolique (résistance active ou résistance passive) est alimentée par l'idéologie de la rupture et de ses principes actifs qui en sont les vecteurs, les tenseurs : expérimentation, décalage, contestation, originalité, avant-gardisme, etc. Cependant, aucun de ces principes ne garantit automatiquement l’anticipation de formes futures, ils en créent peut-être potentiellement les conditions d’émergence, et sans doute pas tous. La légitimité d'une posture anticipatrice ne se révèle en effet qu'après coup, avec un recul dans le temps permettant de vérifier qu'un usage artistique est devenu un usage social largement partagé. Un artiste peut être considéré comme un embrayeur [Cauquelin, 1992] ou pionnier dans son domaine que si un processus de légitimation sociale (même limitée à des spécialistes) s’est progressivement étendu à une reconnaissance plus large. Pour déterminer si un(e) artiste est un(e) embrayeur(se), il faut pouvoir déterminer sur quoi il (elle) embraye : l’apparition d’une nouvelle vision, d’une nouvelle technique, d’un nouvel usage ?

Nous formulons l'hypothèse que les usages anticipateurs s'appuient autant sur les systèmes techniques qui les accompagnent ou les suscitent que sur les usages sociaux en eux-mêmes. La question de l'anticipation ne se pose pas à propos de l'usage en lui-même ou sur l'outil qui le permet (la question dialectique) mais sur les raisons de leur inter-relation et de leur propagation. L’analyse causale qui consiste à considérer l’usage social d’un côté et la technique de l’autre, aboutie à la question des origines, or ce n’est ni notre méthode, ni notre objet. Ce que nous entendons par in-formation ne correspond pas à une lecture dialectique entre deux éléments disctincts mais à l’analyse de leurs relations organiques (et souvent inextricables) prises pour ce qu’elles sont. Nous ne dirons pas :

« l’usage est-il déterminé par la technique ou la technique détermine-t-elle l’usage ? », mais plutôt : « comment le rapport s’exerce-t-il entre les deux ? » La relation prime sur la causalité. L’anticipation, si anticipation il y a, s’exerce dans cet entre-deux, elle n’est

observable ni du seul côté des usages ni du côté de la technique. C’est pour cette raison, rappelons-le encore une fois, que nous parlons de techno-logie et de tekhnê-logie.

Cette fonction présumée d'anticipation artistique (différente de l'anticipation de la

« science-fiction » qui reste dans l’énoncé, même au cinéma) ne devient réelle que lorsqu’il y a un effet de focalisation a posteriori sur certaines de ces pratiques artistiques qui, en effet, préfiguraient bien « quelque-chose ». Mais ce quelque-chose ne devient visible (se constitue comme une forme stable) que lorsque le processus d’innovation est terminé. Cette focalisation permet d'isoler certaines pratiques artistiques passées comme étant des usages en avance sur leur temps (à l'époque de leur création, il était impossible de le savoir), et, par-là même, de légitimer les pratiques artistiques contemporaines, en cours de réalisation, comme autant de pistes possibles pour de nouvelles anticipations.

Mais ce transfert de légitimité pose problème : la focalisation sur des œuvres passées d'exception (et donc minoritaires) induit une sévère sélection parmi l'ensemble des œuvres d'art de leur époque, selon nos critères (puisque nous connaissons les usages sociaux d'aujourd'hui), tandis que la sélection d'œuvres contemporaines devrait se faire selon des critères qui n'existent pas encore (puisque rien ne nous autorise à prédire véritablement quels seront les usages sociaux de demain). La distanciation importante entre le temps de la production et le temps de sa réception pose également problème dans le sens où le contexte a changé. Interpréter aujourd’hui une œuvre qui été créée hier nous amène sans doute à projeter des visions ou des façons de concevoir que l’artiste ignorait en son temps, et pourtant nous pouvons trouver dans une œuvre ancienne des éléments qui ne font sens qu’aujourd’hui. Suivant le principe hegelien, voir aujourd’hui avec le regard que nous a laissé le passé est également vrai dans son envers. L’éventualité d’une concordance entre des horizons d’attente d’un artiste « visionnaire » du XVème siècle et de ceux d’un spectateur du XXIème siècle est une fiction, une fiction nécessaire au maintien de nos lieux de mémoire comme le musée. La médiation culturelle (les visites guidées ou les commentaires), loin d’être un outil d’objectivation, renforce l’illusion de cette concordance. Mais il y a différents types de fiction. Si nous définissons la notion de

« fiction » comme une croyance à laquelle un groupe ou une communauté adhère, cette fiction a des effets de réalité. Par exemple l’œuvre « universelle » est une « réalité » vécue par des spectateurs qui, pourtant, va à l’encontre des théories de la réception et de

la sociologie de l’art. « La Joconde » de Leonardo da Vinci, ou toute autre image considérée comme « universelle » n’a plus un statut d’icône mais un statut d’idôle.

Lorsque nous prêtons aux artistes des qualités d’anticipation, s’agit-il aussi de fiction ? Sans aucun doute. C’est précisément cette fiction que nous essayons de problématiser.

Cela ne signifie pas que nous tentons de lui enlever son statut de réalité, nous tentons simplement de considérer son efficience, de la faire exister à travers notre problématique, mais en la « dé-fictionalisant » dans le même temps que nous procédons à sa

« fictionalisation ». Nous regardons les pratiques artistiques sous des angles différents, sachant que chacun de nos points de vue ont partie liée avec nos observations.

Les usages comme pratiques de décalage : Vinci et les images « 3D »

Prenons un premier exemple pour illustrer notre propos : le tableau de Vinci intitulé « La Cène », que nous comparerons avec les dispositifs « virtuels » de notre époque.

« La Cène » (« Ultima Cena o Cenacolo ») est une fresque peinte au front du réfectoire du Chiostro (Cloître) della Chiesa Santa Maria delle Grazie, entre 1495 et 1498, par Leonard pour Ludovico il Moro (Ludovic le More, duc de Milan ). Elle renouvelle l'iconographie traditionnelle du dernier repas du Christ. Celui-ci vient de prononcer la phrase fatidique : «L'un d’entre vous me trahira.» Entouré de part et d’autre des douze apôtres assemblés par groupe de trois derrière une table, le Christ est placé au centre de la composition et fait face au spectateur. Dédaignant la technique traditionnelle de la fresque, Vinci utilisa un procédé de son invention (une détrempe sur une base de plâtre sec), plus apte selon lui à rendre les effets lumineux et veloutés qu'il recherchait. À peine achevée, l'œuvre s’est dégradée et a subi de nombreuses restaurations tout au long de ces derniers siècles.

Vinci a décrit dans un texte les gestes et les attitudes différenciées de chaque figures représentées, scénarisant ainsi la composition : «Un qui buvait laisse sa tasse et tourne la tête vers celui qui parle. Un autre croise ses doigts et, le regard étonné, se tourne vers son compagnon. Un autre, etc. »

Quand Erwin Panofsky regardait la Cène, il y détectait une corrélation entre deux éléments : d’une part l’agencement perspectiviste du tableau lié à un symbolisme religieux, et d’autre part une isomorphie avec notre vision physiologique (la rétine).

Quand Hubert Damish la regarde à son tour, il n’y voit ni un symbolisme, ni une vision naturelle, et ne considère pas la perspective (utilisée par Leonardo da Vinci et d’autres) comme un code. Il attribue à la perspective (et à ses acteurs) les vertus d’une pensée en action, c’est-à-dire à la fois culturelle avec des effets de réalités mais non réductible à une seule signification (ce qui pour notre part correspond mieux à notre thèse). Le même tableau se donne donc à voir de manières diverses selon les regardeurs, mais surtout selon les régimes d’énoncés dont ils dépendent.45

Dans la logique de notre recherche nous pourrions regarder la Cène comme une préfiguration d’un des principes de l’interactivité contemporaine : la prise en compte du déplacement physique du spectateur intégré dans l’image. Vinci a agencé une multitude de points de fuites centrés sur chacun des apôtres qui font face au spectateur de la fresque, créant ainsi une sorte de distorsion perspectiviste puisque les assiettes disposées sur la table devant chacun des groupes d’apôtre est comme centrée sur elle -même, avec son propre point-de-fuite autonome les uns des autres. Cette distorsion ne se remarque pas d’emblée car l’ensemble de la fresque est construite selon le schéma traditionnel de la perspective centrale avec un point de fuite unique correspondant à l’oeil droit de la figure centrale : le Christ.

Cet agencement perspectif, même particulier (normalement il ne devrait y avoir que le seul point de fuite central, qui « structure » en effet l’ensemble de la fresque), peut être compris comme la forme symbolique46 essentielle de la perspective de l’époque (le point de fuite principal correspond au « rois des rayons », c’est-à-dire Dieu), mais aussi comme l’intégration du déplacement physique du spectateur devant la fresque longue de quelques huit mètres. Il intègre en effet les différentes stations du spectateur (observant tour à tour les figures qui lui font face) créant ainsi une ligne-mouvement virtuelle devant la fresque.

Ce mouvement s’inscrit dans l’espace (les aller-et venues du spectateur devant la fresque) et dans le temps (les durées de la réception). Vinci éclate (déjà) le cadre des « lois » de la

45 Notons au passage que nous pensons moins à Marcel Duchamp (« c’est le regardeur qui fait le tableau ») qu’aux analyses croisées de Michel Foucault et de Jacques Lacan sur le tableau « les Ménines » de Vélasquez. Ces deux discours sur les Ménines ne se différencient pas par leurs aspects contradictoires (deux point de vues s’affrontent) mais se distinguent davantage par les régimes dont ils dépendent, et notamment sur leur façon de penser le sujet (et par conséquent la place du sujet et le principe de subjectivation).

46 Rappelons que la forme symbolique n’est pas, à nos yeux, un symbolisme (voir en Introduction générale), mais comme une relation dynamique entre des éléments culturels.

Perspective Artificielle qui, rappelons-le, assignaient au spectateur une place fixe et frontale afin de créer l’illusion d’une troisième dimension. Le dérèglement de ces principes (du mode d’emploi) instaure de nouvelles règles.

Que nous dit Vinci lorsqu’il procède de cette façon ? Il nous dit que la perspective est finalement aussi un outil (il la dé-symbolise ou la « re-symbolise » autrement), et c’est la façon dont on va s’en servir, son usage décalé, qui déterminera de nouvelles fonctions, de nouvelles règles (et donc de nouveaux usages). Ce décalage nous apprend deux choses : 1) l’usage est plus important, ou au moins égal, au cadre de son fonctionnement technique (puisqu’il arrive à le dérégler tout en le perfectionnant) ; 2) la technique utilisée (ici le principe perspectif mais cela pourrait être autre chose), si elle est bien limitée par ses potentialités immédiates (un tableau de cette époque est techno-logiquement différent des images 3D contemporaines), peut aussi être travaillée par des usages qui la dépassent, annonçant parfois des formes (techniques, sociales) qui existent en dehors du régime dont elle dépend, fabriquant ainsi de nouvelles formes et, parfois, préfigurant des formes futures dépendantes d’un autre régime.

Il y a donc une « trans-formation Vinci »,47 non pas une transformation incarnée seulement par la personne Leonardo et son « œuvre », mais un ensemble d’éléments qui opèrent cette transformation, avant Leonardo (par exemple Brunelleschi qui lui aussi a inventé des dispositifs perspectivistes comme la Tavoletta) et après lui, par d’autres (par exemple Georges Braque avec ses premiers collages « «éclatant » le point de vue unique de la perspective tout en gardant la forme « tableau »). Ces éléments se développent dans le temps (plusieurs siècles) et dans l’espace, grâce notamment à la multiplication des expérimentations artistiques, aux changements de régimes symboliques et sociaux, mais aussi à la prolifération progressive des écrans technologiques : avec le cinéma, la télévision, la photographie puis le numérique... Ces croissances provoquent des cristallisations de formes (nécessaires à leur réplication), créant ainsi des archives [M.

FOUCAULT] présentes encore (puissamment) aujourd’hui. Mais l’actualisation sans cesse répétée de la « trans-formation Vinci » lui donne de nouveaux statuts, de nouvelles fonctions, et de nouvelles techno-logies. La 3D d’aujourd’hui relève donc à la fois d’archives (les « formes cristallisées » de notre première partie) et, dans le même temps,

47 Nous reprenons l’expression de Michel FOUCAULT à propos de Cuvier, la transformation Cuvier. « (discussion) » in Dits et écrits, II, 1970-1975, page 29.

sont actualisées (en devenir) selon les régimes dont dépendent les formes visibles contemporaines.

L’agencement perspectif du tableau de Vinci pourrait donc être considéré comme une préfiguration, ou une annonciation48, des perspectives topo-dynamiques des environnements 3D actuels. [A. SAUVAGEOT, 1996, 2003] Il brise en effet la centralité instaurée par Alberti en opérant un réglage différent et en intégrant la mobilité du sujet-spectateur. On ne peut pourtant pas prétendre à une pure continuité historique entre le XVème siècle et le XXème siècle ! La 3D informatique a en effet cassé la perspective centrale (opéré une faille) tout en conservant ses principes fonctionnels. Cette cassure épistémique est une discontinuité mais c’est aussi une continuité, ou un ressurgissement d’une forme ancienne qui vient s’actualiser (se trans-former) en se glissant dans cette faille. C’est apparemment la même forme (elle l’est dans sa construction géométrique) mais c’est aussi une autre forme car elle se constitue par le calcul informatique. Elle s’est in-formée différemment suivant les régimes qui la font exister comme forme visible, mais avec des effets de rémanences : la métaphore de la fenêtre par exemple peut convenir encore aujourd’hui, mais une fenêtre ouverte sur un monde purement calculé, simulé, ce n’est plus la même fenêtre, ou alors elle n’est plus exposée de la même manière.

Malgré cette fêlure, nous pouvons créer un lien (créer une continuité artificielle mais signifiante) entre le tableau de Vinci et la façon dont les environnements virtuels

« classiques » (utilisant des images 3D « réalistes ») convoquent la perspective comme habitus perceptif instaurant une interactivité (nouvelle) entre cette image et le regardeur.

Le tableau de Vinci n’est pas interactif (le régime de production de visibilité dont il dépend l’en empêche) mais il résonne aujourd’hui comme une préfiguration de l’interactivité. La ligne de force que nous tentons de construire entre la « trans-formation Vinci » et certains dispositifs de visualisation informatique ne correspond pas à une ligne ininterrompue et progressive (même sinueuse ou souple) entre d’« anciennes » images et de « nouvelles » images. Elle correspond davantage à la mise en écho entre deux singularités éloignées dans le temps, dépendantes chacune de régimes différents,

48 Nous utilisons ici un terme religieux à escient (et un peu ironiquement) pour souligner l‘existence d’une dis-jonction (une cassure) entre notre vision humaniste de la Renaissance, et la réalité des rapports de pouvoir qui étaient en œuvre à l’époque : nous interprétons habituellement, à tort, l’avènement de la Perspective Scientifique comme un des signes de la naissance (Re-naissance) de l’humanisme et de la naturalisation de l’espace symbolique, alors que la fonction religieuse (son ordre social et symbolique), loin d’être évacuée, est en fait ré-agencée autrement, dans de nouvelles formes, et sans doute renforcée par elles.

étrangère l’une à l’autre et pourtant en résonance. L’isomorphie partielle n’induit pas des fonctions semblables, mais elles nous désignent une forme qui s’est maintenue, transformée par cassures et déviations, puis renforcée pendant plusieurs siècles.

Le lecteur nous pardonnera d’user encore une fois de la métaphore mais elle nous permettra de « visualiser » ce que nous tentons d’esquisser. Nous utiliserons l’image du courant d’air. Un courant d’air ne se produit pas avec l’ouverture d’une seule fenêtre, il se produit lorsqu’une seconde fenêtre s’ouvre, elle aussi, à la condition que ces deux fenêtres appartiennent au même volume circonscrit, au même champ fermé. Ces deux fenêtres ont un cadre, des vitres, des systèmes de verrouillage et des grandeurs différentes, mais elles créent un courant d’air parce qu’elles font entrer des forces du dehors dans la pièce. Ces vents (si nous poursuivions notre métaphore) sont en dehors de la pièce, ils la contournent et se glissent autour d’elle, mais peuvent aussi s’y engouffrer partiellement en créant un courant d’air. Vinci a ouvert la première fenêtre, non pas symboliquement (la fenêtre ouverte sur le monde) mais l’a ouverte à de nouveaux usages, des usages qui n’existaient pas encore à son époque (des usages du dehors). L’ouverture correspond dans ce cas à la fracture d’un écran (devenu une boîte noire par ses lois internes), empêchant ainsi la forme perspective de fonctionner pour elle-même, il la déterritorialise dans ses usages en lui attribuant un nouveau lieu de réception mais aussi un nouveau régime de production (le décentrage des points de fuites).

On peut dire que cette image du « courant d’air » est artificielle et dépendante de la volonté de celui qui ouvre (ou non) les fenêtres, et surtout de celui qui en imagine le dispositif métaphorique. C’est effectivement une construction de notre part, et donc un artifice : nous décidons de singulariser ces fenêtres, de les réduire à des archétypes (la fenêtre perspectiviste du XVème siècle et la fenêtre « virtuelle » du XXIème siècle), de les faire entrer aux limites d’un champ homogène et fermé (« la représentation occidentale »), d’ouvrir la seconde fenêtre et de constater ce qui se passe. Il y a donc bien des limites à la métaphore. Mais nous utilisons cet artifice, non pour valider quelque vérité que ce soit, mais pour montrer qu’une propagation de forme (repérée, et donc visible, par la stabilité d’au moins un de ses éléments constitutifs) peut disparaître puis ré-apparaître bien plus tard, dans un autre contexte, et donc subir une trans-formation tout en

On peut dire que cette image du « courant d’air » est artificielle et dépendante de la volonté de celui qui ouvre (ou non) les fenêtres, et surtout de celui qui en imagine le dispositif métaphorique. C’est effectivement une construction de notre part, et donc un artifice : nous décidons de singulariser ces fenêtres, de les réduire à des archétypes (la fenêtre perspectiviste du XVème siècle et la fenêtre « virtuelle » du XXIème siècle), de les faire entrer aux limites d’un champ homogène et fermé (« la représentation occidentale »), d’ouvrir la seconde fenêtre et de constater ce qui se passe. Il y a donc bien des limites à la métaphore. Mais nous utilisons cet artifice, non pour valider quelque vérité que ce soit, mais pour montrer qu’une propagation de forme (repérée, et donc visible, par la stabilité d’au moins un de ses éléments constitutifs) peut disparaître puis ré-apparaître bien plus tard, dans un autre contexte, et donc subir une trans-formation tout en