• Aucun résultat trouvé

Evolution de la structure et de la fabrication

Aux XVI e et XVII e siècles, les dépendances agricoles des grands domaines genevois sont pour la plupart bâties en maçonnerie, avec parfois l’étage du

II. Evolution de la structure et de la fabrication

La structure même de la fruitière a évolué au fil du temps.

A l’origine, c’est une association de prêt de lait réciproque, ce qui, par exemple, la distingue de ses homologues suisses, en majorité des froma-geries particulières. C’est une association :

– volontaire ;

– saisonnière (de mai à septembre ou octobre), recréée et dissoute chaque année ;

– dont le but est le regroupement d’une centaine de vaches, afin de réunir la quantité de lait nécessaire à la fabrication d’un fromage. Il peut donc y avoir plusieurs fruitières par communauté villageoise si le nombre de vaches est très important.

En début de saison, les associés embauchent un fromager, d’origine suisse généralement, qui pratique la fabrication au tour : « Chaque paysan [obtient] le tour, c’est-à-dire la propriété de toutes les livraisons [de lait]

du jour lorsque la somme des quantités qu’il a lui-même livrées sans contrepartie le classe en tête de tous ses associés. »2 C’est en cela que l’on peut parler d’association de prêt de lait réciproque.

2 Jean BOICHARD, L’élevage bovin, ses structures et ses produits en Franche-Comté,Paris, Les Belles Lettres, 1977.

Exemple Quantité de lait livrée 1erjour 2e jour 3e jour

Sociétaire A 10 10 10

Sociétaire B 4 8 (4 + 4) 12 (4 + 4 + 4)

Tour A A B

Concrètement, il n’y a pas de fromagerie fixe : la fabrication s’effectue dans la ferme de celui des associés qui a le tour. Transportant avec lui son chaudron et ses instruments, le fromager est nourri par cet associé, qui fournit aussi le bois pour la cuisson. L’associé devient propriétaire du fromage fabriqué et de la crème, transformée en beurre. Ce mode de fonctionnement impose la tenue d’une comptabilité, généralement à la taille (par un système d’encoches sur une planchette double, en bois, à l’instar de ce que pratiquent les boulangers).

Dans la seconde moitié du XIXe siècle se met en place un nouveau type d’organisation qui, cependant, respecte l’esprit communautaire d’origine.

En effet, à partir de 1850, la comptabilité se clarifie : la taille en bois est remplacée par le carnet individuel et le journal de réception du lait, tenus par le fromager. Conjuguée avec la fabrication en fromagerie, donc dans un bâtiment spécifique, cette évolution est caractéristique de ce que l’on a appelé la « petite société » ou « association au petit carnet ». Toutefois, le tour est conservé pour l’attribution du fromage et de la crème.

A partir des années 1880 et jusqu’à la fin des années 1920, la « grande société » ou « société au grand carnet » lui succède progressivement : en 1904, 234 fruitières l’ont adoptée sur les 490 existantes. La différence entre les deux est la disparition du tour du fromage : fabriqué par et pour la société, et non pour l’un des associés en particulier, celui-ci est vendu par elle pour le compte de tous. En même temps se généralise le statut de coopérative agricole, qui concerne 75 % des fruitières en 1929 : c’est un statut juridiquement reconnu, qui permet l’obtention de prêts avantageux (le premier Crédit Agricole a été fondé à Salins en 1885).

Fabrication et matériel ont, eux aussi, considérablement évolué au XIXe siècle.

Dans la première moitié de ce siècle, le matériel est semblable à celui décrit par l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : une jauge, 15 à 20 baquets en sapin dits « rondots » (pour laisser reposer le lait dans la chambre à lait), une chaudière en cuivre de grande capacité (150 litres selon Pyot en 1838, 500 litres à Courbette vers 1877), généralement soutenue par une potence mobile (permettant de la placer sur le foyer, à feu ouvert puis constitué d’un massif de maçonnerie), une table à égoutter, une presse, des moules (« cercles » ou « formes ») pour le fromage, des toiles, brassoirs, etc. La fabrication, à la toile, est traditionnelle et routinière.

L’importance de la production fromagère pour le développement du département conduit un certain nombre d’élus et d’esprits éclairés à demander la création d’une école de fromagerie. Wladimir Gagneur (1807-1889) est l’un d’eux : député, fouriériste et ami de Victor Considérant, propriétaire terrien et producteur de lait à Bréry, auteur d’une brochure sur les fruitières dès 1839, il en publie une nouvelle, en 1881, pour attirer l’attention sur le retard et l’archaïsme des établissements comtois. De fait, l’école de Poligny ouvre ses portes en novembre 1889 (un an après celle de Mamirolle, dans le Doubs) et dispose l’année suivante d’un chalet modèle, bâti sur les plans de l’architecte Paillot : 5 caves chauffées ; chambre à lait, salle de fabrication « vaste, éclairée, aérée », et séchoir au rez-de-chaussée ; logement du maître fromager, salle de cours, laboratoire, cabinet du directeur et salle des collections à l’étage. Dès lors, elle va former des générations de fromagers à la recherche d’une qualité plus grande et plus constante.

Car c’est bien là ce que demandent les marchands : « L’ouvrier aujourd’hui est aussi difficile que le bourgeois, il ne veut que le premier choix. »3

Sous son impulsion, le bois est remplacé par le métal, la jauge par le pèse-lait ; thermomètres et lacto-densimètres se généralisent, de même que les « réfrigérants » ou « rafraîchissoirs » (auges en maçonnerie ou en métal disposées autour de la chambre à lait, dans lesquelles un courant d’eau continu refroidit les rondots métalliques contenant le lait), les écrémeuses centrifuges, les brassoirs

3 Rapport présenté par un négociant de Besançon au congrès - exposition de Poligny, 1898. Cité par Michel VERNUS, Le comté...,1988, p. 155.

Fig. 4. Chaudière, cuves et presses à vis, 1899.

Gravure, par V. Rose. Dans H. FRIANT, Le gruyère : manuel de fromagerie...,Lons-le-Saunier, A. Gey, 1899, p. 35.

établies suivant le système local, à foyer fixe et une ou deux chaudières suspendues à leur potence pivotante pour venir se placer sur le foyer (fig. 4), ou selon le « système suisse », à chaudière fixe de grande conte-nance et foyer mobile car installé sur un wagonnet (le Jura compte une trentaine d’installations de ce type en 1929). Le chauffage à la vapeur apparaît dans les années 1920 avec pour combustible le bois, le charbon puis le gaz et surtout le fuel.

Par la suite, la taille des cuves va augmenter considérablement, les manipulations s’effectuer à l’aide du soutirage sous vide, les presses fonctionner grâce à l’air comprimé ou la pression hydraulique, les systèmes de refroidissement s’améliorer, etc.

Cette évolution peut être évoquée, en s’appuyant notamment sur l’exemple de deux fromageries.

Située au nord de la Petite-Montagne, la fruitière d’Arthenas, signalée dès 1875, a construit son atelier entre 1925 et 1930. Elle a produit en 1995 environ 3000 meules de comté, soit 11 par jour en période de pointe, chaque meule pesant une qua-rantaine de kilos. La même année, la coopé-rative de La Marre en a fabriqué environ 5500

L’écrémage constitue la deuxième étape. La traite du soir était autrefois conservée à la fromagerie, dans la chambre à lait, puis partiellement écrémée le matin. Actuellement, avec la généralisation des « tanks à lait » à la ferme, les deux traites sont ramassées en une seule fois et l’écrémage réalisé au fur et à mesure.

Fig. 5. Arrivée du lait à la fromagerie-école de La Pesse en hiver, dans le deuxième quart du XXesiècle.

Photographie, s. n., s. d. Ministère de la culture, Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC) de Franche-Comté, Service régional de l’inventaire général, Besançon : Fonds divers, FD390001P.

Troisième étape : la fabrication proprement dite. Elle s’effectue dans une ou plusieurs grandes cuves, en cuivre puis en inox : de 500 à 600 litres, elles sont passées à 1450 litres à Arthenas (soit 3 meules), 3500 litres à La Marre.

Plusieurs opérations se succèdent : – maturation : chauffage une heure

à 25-32° C ;

– emprésurage avec de la caillette de veau ;

– caillage : 30 à 35 minutes à 32° C ; – décaillage : 7 à 8 minutes à 32° C

(au tranche-caillé manuel ou mécanique) (fig. 6) ;

– chauffage : 35 minutes avec passage de 32 à 55° C ;

– brassage : 25 minutes à 55° C (évacuation du sérum) ;

– mise en moule : tirage à la toile (fig. 7), à l’aide d’un palan, ou soutirage sous vide (fig. 8) ;

– pressage : 8 heures minimum.

La dernière étape est l’affinage. Elle se compose d’un pré-affinage de 3 à 6 semaines à la fromagerie, avec retournement et salage de chaque meule tous les jours ou tous les deux jours pour obtenir le fromage « en blanc », et de l’affinage proprement dit, généralement effectué dans un établissement spécialisé.

Fig. 6. Fromagerie d’Arthenas en 1995 : décaillage au tranche-caillé manuel.

Fig. 7. Fromagerie d’Arthenas en 1995 : tirage à la toile. Un côté de la toile est tenu entre ses dents par le fromager, l’autre enroulé sur une baguette métallique souple qui racle le fond de la cuve, emprisonnant le caillé dans la poche ainsi formée.

Fig. 8. Fromagerie de La Marre en 1995 : soutirage sous vide.

Depuis les années être demandé par la clientèle à certaines époques et délaissé à d’autres. Saisie de la question, l’école de Poligny a, dès la fin du XIXesiècle, déterminé comment favoriser la formation de ces ouvertures, par chauffage des caves de maturation à une tem-pérature constante de 14 à 19° C à partir du quinzième jour sui-vant la fabrication. Par ailleurs, les arômes développés sont différents suivant que l’affinage

se fait en cave chaude ou froide (moins de 14° C). C’est en outre une opération longue (d’une durée minimale de 4 mois, elle est souvent de 8 à 10 mois et peut aller jusqu’à 24 à 36 mois), d’où la nécessité d’un espace de stockage conséquent que possèdent rarement les petites fruitières.

Toutes ces raisons ont permis l’apparition d’un nouvel intervenant dans la filière : l’affineur. Ainsi, Alix Jacquemin s’établit affineur-marchand de fromages en 1860 et construit en 1880 des caves à Montmorot, aux portes de Lons-le-Saunier, entre les salines et la voie ferrée. Constamment agrandi, l’établissement a une capacité de 65 000 meules en 1995. En 2000, la société Rivoire-Jacquemin a affiné environ 110 000 meules de comté (soit 10 à 12 % de la production totale) pour un poids de 4300 tonnes. Pratiqués jusqu’alors à la main, le retournement et le salage y sont désormais faits par des robots (fig. 9). Bel est un autre nom célèbre dans le métier : Jules Bel s’installe comme affineur à Orgelet en 1865. Ses fils transportent l’affaire à Lons-le-Saunier en 1898 et l’un d’eux, Léon,

Fig. 9. Cave d’affinage Rivoire-Jacquemin, à Montmorot : robot de retournement et salage des meules de comté.

opte pour le gruyère fondu en 1921: c’est alors une fabrication nouvelle, inventée par le Suisse Gerber en 1911 et introduite en France par la famille Graf en 1917. Bel se fait connaître avec sa célèbre Vache qui rit, dessinée par Benjamin Rabier. Le succès étant au rendez-vous, il fait construire une nouvelle usine en 1926, d’où sont sorties, en 1996, 20 000 tonnes de fromage fondu (Vache qui rit et Apéricube), presque entièrement destinées à l’exportation.

III. Architecture

A l’origine, la fruitière ne possède donc pas d’atelier spécifique puisque la fabrication s’effectue, suivant le système du tour, dans la ferme de chacun des associés.

Les bâtiments dédiés apparaissent vraisemblablement au XVIe siècle, avec les fromageries d’estive : c’est là une obligation car il n’y a alors pas d’habitat permanent dans la zone de la Montagne. Le député révolution-naire, Joseph-Marie Lequinio, originaire du Morbihan, décrit l’un de ces

« chalais » en 1801: « Ces habitations sont bâties fort solidement en pierre et chaux et couvertes en sapin ; elles ont la forme des habitations que j’ai décrites, mais beaucoup moins de hauteur ; elles ont dans l’intérieur une division pour les hommes, et c’est-là que sont préparés les fromages ; une autre division pour y placer les fromages faits ; le reste n’est qu’étable. Cette maison est à-peu-près au centre d’une étendue de trois ou quatre cents arpents, qui est cerné d’un petit muret en pierres sèches où les vaches errent, paissent et dorment en pleine liberté. »4 Plus loin, il précise que l’habitation de haute montagne est « une sorte de pavillon carré fort applati ». Ce chalet est habité quatre mois par an, du 1erjuin au 9 octobre, par un personnel dont le nombre est proportionnel à celui des vaches : un berger pour 15 ou 20 vaches, un fromager et son aide pour 80 vaches.

A un autre moment de son périple, le Breton décrit la fabrication du fromage dans une « fruiterie » du Bollu5, commune de Prémanon : est-ce celle du Petit-Boulu (fig. 10), bien conservée dans un environnement maintenant fort boisé ?

Dans les villages, la construction d’un bâtiment dédié se justifie amplement pour des raisons de sécurité. Les habitants de Charnay en sont pleinement conscients lorsqu’ils écrivent à la fin du XVIIIe siècle : « Il y a

4 Joseph-Marie LEQUINIO, Voyage pittoresque et physico-économique dans le Jura,Marseille, Laffitte Reprints, 1979, t. 1, p. 376. (Réimpression de l’édition de 1801.)

5 Joseph-Marie LEQUINIO, Voyage pittoresque...,1979, t. 2, pp. 359-372.

moins de dangers de feu à courir de faire la cuite des fromages sous une seule même cheminée construite à cet effet que de la faire dans soixante cheminées différentes qui peuvent être mauvaises et trop rapprochées des choses combustibles. »6 Ces bâtiments ne sont pas pour autant utilisés toute l’année : ils ne servent que durant la saison fromagère et sont nommés

« chalets de demi-saison ».

Lequinio observe qu’il peut y en avoir plusieurs dans un même village :

« Dans les grands Chalais supérieurs, chacun a sa fruiterie ; mais il reste une multitude de petites habitations où l’on conserve quelques vaches,

6 Archives départementales du Jura : C 818. Cité par Michel VERNUS, Le comté...,1988, p. 71.

Fig. 10. Chalet d’estive du Petit-Boulu, Prémanon.

Fig. 11. Fromagerie de Grande-Rivière : « Plan du rez-de-chaussée du chalet des Bouviers », 1831. Dessin, par Joseph-Marie Dalloz, échelle 1:100. Archives départementales du Jura, Montmorot : 5 E 185/20.

cependant pas assez pour fromager tout seul : on a donc une maison banale qu’on appelle fruiterie, et les intéressés y soldent en commun le fruitier banal qui travaille également pour tous. Cet usage est universel dans le département, et ne souffre d’altération que dans le nombre des fruiteries banales qui s’élèvent jusqu’à trois au plus dans les très gros villages. »7 En fait, rapporté à la commune, ce nombre peut être plus élevé : ainsi par exemple, Longchaumois, dont le territoire est très étendu, comptait, en 1786, 22 fruitières (associations) pour 600 familles.

Ce terme de banal s’applique bien à la fromagerie, ouvrage technique au service de la collectivité (mais sans ce caractère d’obligation qui est indissociable de la banalité seigneuriale).

Certaines communes vont donc édifier des fromageries pour les mettre à disposition des fruitières. Ainsi près de Saint-Laurent-en-Grandvaux, à Grande-Rivière, la municipalité réalise, dans les années 1830, un plan d’équipement conséquent : elle fait construire six fromageries, une dans chacun des hameaux principaux. D’un prix moyen de 5520 francs, ces bâtiments sont l’œuvre de l’architecte d’arrondissement Dalloz. Edifiés sur le même modèle, ils ont environ 12 à 13 mètres de long sur 10 à 11 de large, deux niveaux et comportent les quatre pièces indispensables : laiterie (où est conservé le lait du soir) orientée au nord, atelier de fabrication du fromage (cuisine), cave d’affinage et logement du fromager (absent des fromageries les plus anciennes) (fig. 11). Dalloz prévoit en outre une salle de classe à l’étage, la neige empêchant les écoliers d’aller jusqu’au village l’hiver.

La plupart du temps, la fromagerie communale trouve place dans un bâtiment plurifonctionnel, qui peut aussi héberger la mairie, l’école (la loi Guizot du 28 juin 1833 décrète que chaque commune de plus de 500 habitants doit entretenir une école primaire et son instituteur), la salle des pompes à incendie, etc. A Choux, près de Saint-Claude, la mairie-école-fromagerie est construite en 1812 et lorsque, par la suite, un arrêté préfectoral interdit de fabriquer le fromage sous le même toit que l’école, c’est cette dernière qui change de locaux (fig. 12). La cohabitation entre école et fromagerie déplaît d’ailleurs profondément aux instances ministé-rielles, comme l’illustre ce courrier de l’inspecteur d’Académie se prononçant en 1882 contre l’installation d’une fromagerie dans la mairie de Sancey-le-Grand (département du Doubs), qui abrite déjà des salles de classe :

« mais l’article premier de l’arrêté ministériel du 17 juin 1880 est si

7 Joseph-Marie LEQUINIO, Voyage pittoresque...,1979, t. 2, p. 360.

formel, nous faisons tant sco-laires où elles existent, que je ne puis me résigner à vous proposer d’approuver une un temps de salle d’école !

L’aspect extérieur de la fromagerie diffère suivant la localisation et l’époque.

Si l’on fait abstraction des adjonctions ultérieures, l’établissement de Pleure, dans la plaine doloise, bâti en 1923, se distingue peu des habita-tions de cette période. Tout au plus remarquerait-on les deux corps en appentis qui l’encadrent.

Dans le Vignoble, la fromagerie de Bréry est l’exemple typique d’une réutilisation : le bâtiment d’origine est une maison de vigneron du XVIIIe siècle, caractéristique par sa disposition sur plusieurs niveaux avec cellier à demi enterré et logis surélevé (fig. 13). Cette fromagerie est intéressante car elle a servi de « laboratoire » à Wladimir Gagneur, qui en fut le président : en 1844, il lui donne un règlement écrit ayant valeur de modèle, publié à Arbois cette même année ; en 1845, il instaure un

8 Archives départementales du Doubs : OAC 539 O 4 Sancey-le-Grand. Fromagerie, 1882-1913.

Fig. 13. Fromagerie de Bréry.

Fig. 12. Mairie-école-fromagerie de Choux.

crédit aux sociétaires sous forme d’avance gagée sur la vente des fromages ; en 1866, il teste la vente directe des fromages à des coopératives de consommation de la région lyonnaise et de l’Isère.

Sur le Premier plateau, la municipalité de La Marre fait, de 1857 à 1860, cons-truire deux fromageries par l’architecte Achille Paillot (fig. 14). Celui-ci signe son projet par l’utilisation de colonnes pour soutenir l’auvent en façade, alors que la toiture de dalles calcaires (lauzes, appelées localement « laves ») est traditionnellement celle des constructions alentours. Les deux bâtiments sont séparés par une centaine de mètres seulement, d’où l’appellation de « chalet du nord » et « chalet du sud » mais le souvenir qui perdure sur place est plutôt lié aux divisions politiques de la IIIe République, avec la fromagerie des « rouges » et celle des « blancs ».

Autre œuvre d’architecte, sur le Second plateau : la fromagerie de Moirans-en-Montagne (fig. 15). Le programme rappelle celui de La Marre : le commanditaire est la municipalité ; la commande concerne deux ateliers ; elle est passée avec un architecte qui, ici, réalise un bâtiment monumental dans le goût néo-classique. Ce dernier, l’architecte d’arron-dissement Joseph-Marie Dalloz, présente, le 3 décembre 1823, un devis pour un chalet double qui, bâti en 1825 et 1826, comporte deux ateliers de fabrication, avec entrée à l’ouest et à l’est, deux chambres à lait au nord et deux pièces d’affinage au sud. C’est le siège des fruitières dites « du haut » et « du bas » jusqu’au début des années 1890, lorsque la commune décide de le transformer en chalet modèle et d’en confier l’exploitation à une société unique. Le réaménagement est réalisé de 1891 à 1893 suivant les plans de l’architecte Louis Rousseau et l’établissement sera actif jusqu’au milieu des années 1960.

Obligatoire lorsque le maître d’ouvrage est une municipalité, le recours à un architecte favorise la généralisation de plans types dont la référence est, comme souvent en matière de fromagerie, le modèle suisse. Cette idée était déjà présente dans les années 1830 à Grande-Rivière. Elle va être reprise et développée dans la seconde moitié du XIXe siècle, notamment

Fig. 14. Fromagerie de La Marre : chalet du nord.

lors de l’opération des chalets modèles, lancée par le Conseil général du Jura en 1887 : décerné aux établissements qui modernisent leurs installations et leur fonctionnement, le label « chalet modèle » leur vaut une prime. Le directeur de l’école de laiterie de Poligny, Hyacinthe Friant, en énonce les caractéristiques dans son Manuel de fromagerie en 1899 :

« On appelle chalet-modèle, une fruitière fonctionnant toute l’année sans interruption, d’après le système de la « grande société » et dont les locaux, rationnellement agencés sont pourvus du matériel perfectionné nécessaire à la fabrication économique du gruyère gras et mi-gras. »9

Le plan type qu’il présente est celui du chalet de Montholier, construit en 1898-1899 par l’architecte Charles-Alfred Schacre : au sous-sol, une cave froide, une cave tempérée et une cave chaude pour l’affinage ; au rez-de-chaussée, la chambre à lait destinée à conserver la traite du soir (orientée au nord et ouverte de petites fenêtres allongées – très

Le plan type qu’il présente est celui du chalet de Montholier, construit en 1898-1899 par l’architecte Charles-Alfred Schacre : au sous-sol, une cave froide, une cave tempérée et une cave chaude pour l’affinage ; au rez-de-chaussée, la chambre à lait destinée à conserver la traite du soir (orientée au nord et ouverte de petites fenêtres allongées – très