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1. L'émergence de la notion d'élève à risque comme préalable à celle d'élève à risque de décrochage scolaire

L'apparition de la notion de risque dans le champ de l'éducation est intimement liée à la diffusion des travaux épidémiologiques en médecine. S'appuyant sur la recherche des facteurs accentuant (« facteurs de risque ») ou diminuant (« facteurs de protection ») les risques d'apparition d'une maladie, la notion de sujet à risque vise à mettre en évidence les variables prédictives et les processus pouvant être considérés scientifiquement comme étant à l'œuvre dans l'apparition d'une difficulté chez certains individus regroupant un ou plusieurs facteurs corrélés à une pathologie.

Cette approche s’est donc élargie à d’autres champs d’étude en dehors du domaine médical, en particulier dans le domaine de l’éducation en sciences humaines et sociales, avec comme objectif initial de permettre une réelle prise en compte globale de la vie des personnes en anticipant sur les facteurs connus, éventuellement susceptibles de permettre une intervention curative plus efficace. Ainsi, les questions qui touchent à ces facteurs de risque sont larges et peuvent faire référence à l'ensemble des états, contextes, caractères qui influencent la vie d'un individu (Fortin, Royer, Potvin, Marcotte, & Yergeau, 2004).

Pour en revenir au champ de l’éducation et au décrochage scolaire qui est l’objet de notre recherche, la notion de risque dans le cadre scolaire a été définie pour la première fois par le ministère de l'éducation du Québec. Cette définition officielle renvoie à « l'ensemble des difficultés pouvant mener à un échec, des retards d'apprentissage, des troubles émotifs, des troubles du comportement, un retard de développement ou une déficience intellectuelle légère pouvant être observé à différents moments dans le parcours scolaire de l'élève » (MÉQ, 2000).

La généralisation de cette notion de risque de décrochage scolaire est consécutive aux préoccupations grandissantes au cours des années quatre-vingt de celle plus générale d'élève à risque dans différents domaines liés aux diverses difficultés scolaires qui peuvent émailler le parcours scolaire d'un élève - échec scolaire, absentéisme, difficultés d'apprentissage ou redoublement. Cette émergence s'appuie comme nous l’avons dit, sur l'élargissement aux sciences humaines et sociales des réflexions jusqu'alors spécifiques à l'épidémiologie médicale de l'évaluation du risque d'apparition de difficultés spécifiques censées être sensibles à une intervention spécialisée. Elle s'accompagne de travaux de dépistage des facteurs de risque associés aux difficultés scolaires et est à l'origine de l'élaboration des dispositifs actuels pour lutter contre les difficultés d'apprentissage et les comportements d’inadaptation scolaire.

C’est à partir de cette définition relativement floue que se construisent actuellement les travaux portant sur la question de la réussite scolaire, de la persévérance et du décrochage scolaire. L’objectif est avant tout d’identifier les facteurs de risque et les facteurs de protection permettant de construire des programmes de prévention s'appuyant sur des éléments objectifs (Archambault & Janosz, 2009 ; Chouinard et al., 2007 ; Deslandes & Royer, 1994 ; Fortin et al., 2004 ; Galand et al., 2011).

Dans la revue de littérature qu'ils ont consacrée à cette notion à partir de travaux réalisés en Amérique du Nord, Tessier et Schmidt (2007) ont montré que cette notion d'élève à risque dépendait de la manière dont la notion de risque était opérationnalisée. Leur article fait référence aux travaux de Hixson et Tizman (1990) qui distinguent quatre type d'approche mettant en évidence la notion d'élève à risque1 :

L'approche descriptive : définit les élèves comme étant à risque à partir du moment où une difficulté commence à se manifester. C’est une approche qui est consécutive à un constat servant à l’action lorsque ces difficultés sont effectivement observables (faible rendement académique, redoublement scolaire, absentéisme).

L'approche prédictive : définirait comme étant à risque un élève issu d'un environnement dysfonctionnel, présentant un risque lié à la présence de

difficultés sur le plan biologique, personnel, familial et / ou scolaire qui seraient donc dépistables au moment de l’apparition conjointe de plusieurs facteurs de risque identifiés du problème en question.

L'approche institutionnelle : définirait comme étant à risque un élève cumulant un ensemble de facteurs en rapport avec l'école, c'est-à-dire un important retard scolaire ou une forte démobilisation scolaire, des difficultés importantes sur le plan des résultats scolaires, et des absences fréquentes.

L'approche unilatérale : aborde la question du risque de manière globale dans la mesure où tous les élèves seraient d’une manière ou d’une autre exposés à différents facteurs de risque.

L’approche écologique : qui est le résultat de la synthèse des travaux de Hixson et Tinzmann (1990), qui situe l’éducation dans un processus dont les déterminants viendraient à la fois de l’extérieur et de l’intérieur, affecté par « 1) l’organisation sociale et académique de l’école ; 2) les caractéristiques personnelles des élèves et de leurs familles ; 3) les environnements communautaire, familial et scolaire ; 4) la relation entre chacun de ces facteurs » (Tessier et Schmidt, 2007, p. 564).

2. L’approche préventive : une action à plusieurs niveaux

Les démarches autour de la définition de population à risque s'inscrit dans un ensemble de considérations théoriques et pratiques qui émanent des évaluations disponibles portant sur les premiers travaux mis en œuvre dans la lutte contre les phénomènes problématiques récurrents dans le champ scolaire.

Parler de prévention impose de préciser de quoi l'on parle et à quel niveau d'intervention l'on souhaite intervenir. Dans le cadre de l'intervention auprès des élèves à risque de décrochage scolaire, ce qui est visé est une intervention ciblée, destinée à actionner les leviers spécifiques de l'intervention auprès de ce public. Les modèles de référence dans la mise en œuvre des programmes de prévention dans le cadre scolaire s’appuient comme nous l’avons évoqué sur les modèles épidémiologiques en rapport avec des questions de santé médicale. En 1948, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)

définit la prévention comme « l'ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps » et définit par la même occasion trois niveaux de prévention (Flajolet, 2008) :

La prévention primaire qui renvoie à l’ensemble des actes visant à diminuer l'incidence d'une maladie dans une population et donc à réduire, autant que faire se peut, les risques d'apparition de nouveaux cas. Sont par conséquent pris en compte à ce stade de la prévention, les conduites individuelles à risque, comme les risques en terme environnementaux ou sociétaux.

La prévention secondaire qui a pour objectif de diminuer la prévalence d'une maladie dans une population. Ce stade de prévention recouvre les actes destinés à agir au tout début de l'apparition du trouble ou de la pathologie afin de s'opposer à son évolution ou encore pour faire disparaître les facteurs de risque. La prévention tertiaire quant à elle intervient à un stade où il importe de

diminuer la prévalence des incapacités chroniques ou des récidives dans une population et de réduire les complications, invalidités ou rechutes consécutives à la maladie.

3. Approche centrée sur la personne

La diversité des profils des décrocheurs et la diversité des parcours des élèves avant même le début du commencement d’un processus pouvant les conduire à quitter l’école impliquent un regard clinique sur la situation des jeunes qui présenteraient précocement des difficultés pouvant avoir un impact sur la suite de leur scolarité. Afin de construire cette intervention centrée sur la personne il est nécessaire de pouvoir travailler en amont en se donnant les moyens d’intervenir.

La construction d’un programme de prévention s’appuyant sur la mise en évidence du risque de décrochage n’est donc possible que de deux manières. Dans un premier temps, il est nécessaire de s’appuyer sur une évaluation du risque de décrochage scolaire afin de définir quels élèves nécessitent le plus d’attention, et dans un deuxième temps, le travail à mettre en œuvre consiste à préciser pour chacun de ses élèves les facteurs de risque les plus associés à l’arrêt prématuré des études.

Nous présenterons dans les prochains chapitres un aperçu global de ces deux questions dans le but de contextualiser notre recherche et de proposer d’ores et déjà un regard complexe et différencié de la prévention du décrochage scolaire permettant de travailler au plus près des difficultés des élèves.