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Chapitre 2. La gestion de l’immigration Une notion, ou plutôt des procédures qui dépolitisent le

C) Répartitions et catégorisations

2) Etrangers sous protection internationale et migrants économiques Comment est

L’irrégularité en tant que construction, fiction et projet politique et social a fait jusqu’à présent l’objet de notre analyse. Nous n’avons pas encore examiné la manière dont les catégorisations sont produites selon les différents degrés de tolérance. Nous allons voir que c’est au nom de la protection internationale que l’on légitime le tri des étrangers et qu’apparaît la figure du réfugié comme une catégorie d’étrangers distincte et à part. La construction de l’irrégularité est un processus lié aux politiques nationales et européennes, tandis que la catégorie du réfugié se base sur des processus de discrimination afin que l’attribution puisse s’acheminer vers des divisions qui sont anticipées114

.

Une des distinctions les plus courantes dans le discours national, mais aussi européen, est celle qui s’effectue entre réfugiés et migrants économiques. Comme nous le verrons par la suite, il s’agit d’une distinction au nom de laquelle sont légitimés la plupart des mécanismes et dispositifs de privation de la liberté et des mesures d’enfermement prises pour certains étrangers. De fait, la catégorie des migrants économiques est tout aussi fictive – en tant que classification d’étrangers – que celle du migrant illégal ou de l’immigration illégale115. L’opération de

l’attribution se traduit par des degrés de tolérance selon lesquels les étrangers sont classifiés. La toute première et grande catégorisation est celle qui s’effectue entre les personnes dont le droit à la protection internationale est reconnu par les dispositifs du pouvoir – réunies en tant que réfugiés – et celles dont le même droit n’est pas reconnu – regroupées comme migrants

114

Jean Gaeremynck remarque vis-à-vis de l’octroi de l’asile qu’il existe une idée commune, au grand public et à la

manière dont il est saisi par le droit ; à savoir, inclure dans l’asile toutes situations de personnes objets de menaces ou de persécutions et venant se réfugier hors de leur pays. Néanmoins, en droit, l’implication des règles, procédures et distinctions complexifie cette universalité – que l’asile doit être octroyé de façon générale à ceux qui en ont besoin. Il est intéressant de noter à ce sujet que ce sont les règles, les procédures et les distinctions qui créeraient l’aspect universel de l’asile. Pour que le réfugié s’établisse il doit faire partie d’une catégorie d’étranger distincte.

GAEREMYNCK, J., « L’arrivée de la demande d’asile », Dans Pouvoirs, no. 144, 2013, p. 49.

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économiques. La seule forme de reconnaissance qui est acceptée dans cette grande catégorisation est l’obligation de quitter un pays et le seul choix reconnu aux étrangers est le besoin de le faire dont le degré est défini par certains critères116. Selon ces derniers, les étrangers doivent prouver –

ce que Karen Akoka exprime très bien – qu’ils sont des vrais ou des faux réfugiés117

. Autrement dit, des étrangers légitimes ou des migrants.

La Convention de Genève et l’établissement de la catégorie des réfugiés

comme personnes persécutées

La Convention de Genève est le texte de référence par excellence pour la définition du réfugié légitime. Elle établit une catégorie d’étrangers en formalisant une discrimination : l’existence d’étrangers différents des autres du fait qu’ils subissent des violences qui les obligent à quitter leur pays d’origine ou de résidence. De façon aléatoire, certaines violences sont jugées plus importantes que d’autres118

car la Convention de Genève procède à un classement de la souffrance en donnant la priorité à celle qui est liée aux raisons politiques plutôt qu’aux raisons économiques. À travers cette discrimination, elle formalise une fiction119, celle du réfugié

comme une catégorie administrative distincte qui prend la valeur d’une catégorie juridique

naturelle120.

116 In a fundamental sense, ‘international migration’ is already formed as a category of governmental intervention

before discussions in global forums even begin. A first condition of possibility is the arrangement of the world into separate states, without which ‘international migration’ would not make any sense (nor ‘emigrants’, ‘immigrants’, ‘irregular migrants’, etc.). A second is the distinction drawn in international law between forced and voluntary movements. This distinction shapes on the one hand the category of the refugee, whose movement is perceived as involuntary and who is therefore the object of compassion and international protection, and on the other hand the economic migrant who is supposed to be motivated by pull rather than push factors and whose possibilities for movement depend on the will of individual states. KALM, S., “Liberalizing Movements? The Political Rationality

of Global Migration Management”, In M. GEIGER, A. PÉCOUD (eds.), The Politics of International Migration

Management. Migration, Minorities and Citizenship, London, Palgrave Macmillan, 2010, p.31.

117

MOUZON, C., Entretien avec AKOKA, K., « La distinction entre réfugiés et migrants économiques ne va pas de soi », https://www.alternatives-economiques.fr/la-distinction-entre-refugies-et-migrants-economiques-ne-va-pas-de- soi .

118

[…] cette distinction suppose que la misère économique n’est pas une violence, ou qu’il s’agit d’une violence

plus supportable que la violence politique. Ibid.

119 La fiction ici est vue de la même manière que celle que nous allons analyser par la suite sur l’immigration

irrégulière. Voire l’exposé de l’analyse de Walters plus haut.

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Le besoin versus le choix personnel et l’importance t’attribuer un statut

La persécution introduit la peine et la violence comme éléments devant être pris en compte lorsque l’on considère le droit d’une personne à la libre circulation et crée une relation de dépendance entre le degré de besoin et le droit à la mobilité. C’est à travers la persécution que s’introduisent différents les degrés du besoin reconnus et les échelles de violence classifiées comme plus ou moins importantes. La notion de persécution introduit ainsi une classification de la souffrance qui finit par valoriser le besoin comme critère de mobilité au détriment du choix personnel. Si l’on juxtapose les deux définitions, celle du réfugié et celle du migrant, il devient évident que dans cette grande catégorisation les étrangers doivent renoncer au choix personnel afin d’être tolérés.

Les réfugiés sont des personnes qui sont forcées de quitter leur pays d’origine ou de résidence (s’il s’agit d’apatrides), à cause d’une crainte de persécution bien fondée [...] C’est sur ces bases que les étrangers ont droit à se voir accorder l’asile. La catégorie plus large de ceux qui ont droit à une protection internationale inclut également des personnes qui, même si elles ne sont pas confrontées à la persécution pour les motifs susmentionnés, sont néanmoins confrontées à un risque réel de préjudice dans leurs pays d’origine en raison de conflits armés ou de violences généralisées.

Les migrants sont des personnes qui quittent leurs pays d’origine dans l’espoir de trouver un emploi ou, en général, de meilleures conditions de vie dans les pays de leur destination. Même si les raisons pour lesquelles les gens quittent leurs pays d’origine aujourd’hui sont de plus en plus de nature involontaire, plutôt que le résultat d’une décision libre, les migrants, contrairement aux réfugiés, ont avant tout la possibilité de retourner dans leurs pays d’origine, si et quand ils décident de le faire121

.

121 HCR, UNITED NATIONS HIGH COMMISSIONER FOR REFUGEES - Office in Greece Contribution to the

dialogue on migration and asylum, May 2012, https://www.unhcr.gr/fileadmin/Greece/News/2012/positions/2012_Migration___Asylum_EN.

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Les deux définitions arrivent à mettre en opposition les appartenances identitaires et les choix personnels. Dans le premier cas, c’est l’attribution par excellence, car le chapeau de l’asile ou celui de la protection internationale correspondent à des processus interrogatoires. Les réfugiés sont censés présenter une crainte de persécution bien fondée sur les bases des appartenances politiques, ethniques, raciales, religieuses ou sociales. Les autres étrangers qui sont légitimes, mais pour une durée provisoire, sont ceux qui demandent la protection internationale122 du fait qu’ils sont victimes de violences dans leur pays de résidence. Même si le caractère involontaire de la mobilité des migrants leur est de plus en plus reconnu (non pas au même degré que pour la mobilité des réfugiés), il est également reconnu qu’ils se réservent le droit de choisir leur retour. Que ce soit pour l’asile ou pour la protection internationale, les personnes doivent prouver l’emprise du besoin en présentant leurs différentes appartenances. A l’inverse, ce qui différencie les autres étrangers, ceux qui sont non tolérés et non légitimes, les

faux, à savoir les migrants, c’est le fait que leur mobilité est considérée comme le produit d’un

libre choix, choix qui leur est reproché.