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En guise de pr´elude au chapitre suivant, nous abordons, dans ce paragraphe, le probl`eme de la d´etection d’une cible enfouie dans un milieu al´eatoire `a l’aide d’un r´eseau multi-´el´ements. L’´echo provenant de la cible peut ˆetre perturb´e par la diffusion (simple et/ou multiple) des nombreux r´eflecteurs du milieu diffusant, ou par un bruit quelconque. Dans ce genre de situa- tion, on peut se demander dans quelle mesure la RMT peut nous aider `a ´evaluer une probabilit´e de fausse alarme et d´efinir un seuil de d´etection fond´e sur les valeurs singuli`eres de l’op´erateur de propagation K. Dans un souci de simplification, nous supposerons dans ce paragraphe que la contribution de diffusion multiple donne lieu `a une distribution de valeurs singuli`eres suivant la loi du quart de cercle ρQC.

Nous allons traiter du cas de la m´ethode D.O.R.T (Acronyme d’une technique invent´ee au laboratoire par Claire Prada et Mathias Fink, signifiant D´ecomposition de l’Op´erateur Retour- nement Temporel [68, 69] ). Cette m´ethode repose sur la d´ecomposition en valeurs singuli`eres de la matrice K. Initialement, elle a ´et´e d´efinie comme la diagonalisation de l’op´erateur de re- tournement temporel KK∗, ce qui est ´equivalent `a r´ealiser la SVD de K. La m´ethode D.O.R.T

est particuli`erement efficace pour d´etecter et s´eparer les r´eponses de plusieurs diffuseurs dans un milieu homog`ene ou faiblement h´et´erog`ene [68] ainsi que dans les guides d’onde [89, 90, 91].

De nombreuses applications en sont issues, par exemple en contrˆole non destructif [92], en acoustique sous-marine [93, 94], en ´electromagn´etisme [95, 96, 97, 98] et en technologie radar appliqu´ee aux milieux forestiers [99, 100, 101]. La m´ethode D.O.R.T est tr`es puissante car, sous l’approximation de diffusion simple et pour des r´eflecteurs ponctuels, chaque diffuseur est essentiellement associ´e `a un espace propre, correspondant `a une valeur singuli`ere non-nulle de K. Cependant, cette association un diffuseur / un espace propre n’est valable que pour des milieux simples pour lesquels les diffuseurs sont bien s´epar´es, pas trop nombreux, et tant que l’approximation de diffusion simple est respect´ee [70, 71]. Dans le cadre de cette th`ese, nous nous sommes int´eress´es au cas plus compliqu´e d’un milieu contenant un grand nombre de dif- fuseurs al´eatoirement distribu´es et qui peut ˆetre ´eventuellement le si`ege de diffusion multiple. Gaumond et al. [93] ont ´etudi´e num´eriquement l’influence du bruit sur la m´ethode D.O.R.T lors d’exp´eriences en mer, mais `a notre connaissance, le lien entre la RMT et la m´ethode D.O.R.T appliqu´ee aux milieux al´eatoires n’a jamais ´et´e ´etudi´ee.

La configuration consid´er´ee ici est toujours celle d´ecrite par la figure II.1, sauf que cette fois une cible (i.e un r´eflecteur tr`es ´echog`ene) peut ˆetre enfouie dans le milieu diffusant. Le probl`eme est le suivant : il s’agit de d´etecter son ´eventuelle pr´esence par une simple SVD de la matrice K. Si sa premi`ere valeur singuli`ere normalis´ee ˜λ1 est au dessus d’un certain seuil α, une

cible sera d´etect´ee, avec une probabilit´e de fausse alarme d´ependant du seuil retenu. Comment ´etablir ce seuil et quelle est la probabilit´e de fausse alarme associ´ee ? Pour cela, nous allons utiliser les r´esultats des paragraphes pr´ec´edents.

Nous supposons ici que les corr´elations entre lignes et colonnes adjacentes sont nulles pour ce qui concerne les signaux issus du milieu diffusant. Comme on l’a vu pr´ec´edemment, ces corr´elations peuvent exister mais peuvent toujours ˆetre supprim´ees en tronquant la matrice K originale. Supposons l’existence d’une cible `a une profondeur R. La matrice K(T, f ) au temps d’´echo T = 2R/c peut se d´ecomposer sous la forme suivante :

K(T, f ) = KT(T, f ) + KA(T, f ) (II.16) KT

(T, f ) correspond `a l’´echo simplement diffus´e par la cible. KA

(T, f ) correspond `a la r´eponse du milieu al´eatoire, qui inclut `a la fois de la diffusion simple, de la diffusion multiple et ´eventuellement du bruit additif. Cette matrice KA

(T, f ) peut ˆetre consid´er´ee comme une per- turbation (pas forc´ement faible) de la matrice KT

(T, f ). Comme pr´ec´edemment, la matrice K est renormalis´ee selon l’´equation Eq.II.2.

En premi`ere approximation, la matrice KT

est de rang 1 (en fait, pour une cible r´esonante ou grande devant la cellule de r´esolution, il peut exister plusieurs valeurs singuli`eres associ´ees `a la cible [102, 103, 104, 105]). La matrice KA

est al´eatoire, et ses valeurs singuli`eres normalis´ees ˜λA i

ont une densit´e de probabilit´e ρ(λ). Selon les propri´et´es diffusantes du milieu (en particulier, son libre parcours moyen), ρ(λ) peut suivre au temps T = 2R/c soit la loi de Hankel (si la diffusion simple pr´edomine), soit la loi du quart de cercle (si la diffusion multiple ou un bruit blanc additionnel pr´edomine) ou encore une combinaison des deux si on se place dans une situation interm´ediaire. Soit ˜λA

1 la premi`ere valeur singuli`ere renormalis´ee de K A

(T, f ). Il est n´ecessaire de connaˆıtre le comportement statistique de ˜λA

la premi`ere valeur singuli`ere de K. Si les valeurs singuli`eres ˜λA i de K

A

´etaient ind´ependantes les unes des autres, alors la fonction de r´epartition F1 de ˜λA1 serait simplement donn´ee par la

puissance N de la fonction de r´epartition F (λ) d’une valeur singuli`ere, avec F (λ) =

ˆ λ

0

dxρ(x).

En r´ealit´e, les valeurs singuli`eres d’une matrice al´eatoire ne sont pas ind´ependantes : il s’agit du ph´enom`ene bien connu de r´epulsion de niveaux [72, 106]. Cela implique notamment une probabilit´e nulle pour la d´eg´enerescence de deux valeurs singuli`eres et celles-ci se repoussent donc n´ecessairement. Par cons´equent, la densit´e de probabilit´e ρ1(λ) et la fonction de r´epartition

F1(λ) de la premi`ere valeur singuli`ere ne peuvent pas se d´eduire trivialement de ρ(λ).

Une nouvelle fois, nous allons avoir recours `a la RMT et plus particuli`erement, aux nom- breuses ´etudes th´eoriques traitant du comportement statistique de la premi`ere valeur propre de la matrice d’autocorr´elation KA KA , autrement dit hλ˜A 1 i2 . Dans le cas o`u KA

est une matrice al´eatoire dite classique, h˜λA

1

i2

s’exprime de la mani`ere suivante [107, 108, 109, 81, 110] : h ˜ λA1i2 = 4 +  N 4 −23 Z + oN−23  (II.17) o`u Z est une variable al´eatoire satisfaisant `a une loi de probabilit´e compliqu´ee, connue sous le nom de distribution de Tracy Widom. Cette loi d´ecrit une courbe en cloche asym´etrique, elle est non centr´ee et `a support infini [107, 108]. Aucune expression analytique n’est disponible pour une telle loi, toutefois elle peut ˆetre calcul´ee num´eriquement. Ici, nous nous int´eressons plutˆot `a la densit´e de probabilit´e ρQC1 de la premi`ere valeur singuli`ere λA

1. Nous avons pu y

acc´eder num´eriquement et le r´esultat obtenu est pr´esent´e sur la figure II.16(a) en consid´erant les dimensions N = 32 et N = 100. Bien que la loi du quart de cercle ρQC soit born´ee, la

distribution ρQC1 de ˜λA

1 est `a support non born´e. Cela provient du fait que ρQC n’est qu’une

loi asymptotique, valable pour N → ∞. Pour une matrice al´eatoire de taille finie, ˜λA

1 a une

probabilit´e non nulle de d´epasser λmax = 2. Cependant, la densit´e de probabilit´e ρQC1 (λ) s’affine

avec N : la variance de ˜λA

1 diminue quand N augmente. En outre, sa valeur moyenne est major´ee

par λmax = 2, ce qui est dˆu au caract`ere born´e de la loi du quart de cercle. Nous verrons plus

loin que ce n’est plus du tout le cas pour les matrices de Hankel al´eatoires.

La quantit´e pertinente, pour le probl`eme de d´etection de cible, est la fonction de r´epartition de la premi`ere valeur singuli`ere. Celle-ci correspond `a la primitive de ρ1(λ). Dans le cas d’une

matrice al´eatoire dite classique, nous avons

F1QC(λ) = P n˜λA1 ≤ λo= ˆ λ

0

dxρQC1 (x).

Les fonctions de r´epartition F1QC, obtenues pour N = 32 et N = 100, sont trac´ees sur la figure II.16(b). Nous observons ainsi que pour N = 32 et N = 100, F1QC(λ = 2) ≃ 0, 99. Autrement dit, nous pouvons consid´erer que ˜λA

1 sera inf´erieur `a la valeur λmax = 2, avec une

fausse alarme est directement donn´ee par P F A(α) = 1− F1(α). Ainsi, si la premi`ere valeur

singuli`ere normalis´ee ˜λ1 de K est ´egale `a α, alors il y a une probabilit´e P F A(α) qu’il s’agisse

d’une fausse alarme.

Concernant les matrices de Hankel al´eatoires, quelques travaux th´eoriques ont ´et´e men´es sur le comportement statistique de la premi`ere valeur singuli`ere λA

1. L’esp´erance de la premi`ere

valeur singuli`ere renormalis´ee ´evolue en√log N [85] : plus la dimension de la matrice est grande, plus la probabilit´e de fausses alarmes augmente. Cela est illustr´e sur la figure II.16 : la densit´e de probabilit´e ρH

1 et la fonction de r´epartition F1H li´ees `a loi de Hankel ρH ont ´et´e calcul´ees

num´eriquement et sont trac´ees dans les cas N = 32 et N = 100. On observe que les courbes correspondant `a N = 100 sont d´ecal´ees vers la droite ce qui implique une probabilit´e de fausse alarme plus importante pour un seuil de d´etection α fix´e. D’autres ´etudes th´eoriques ont montr´e que les fluctuations de ˜λA

1 sont inf´erieures `a

log N [111] et que dans le cas gaussien, la variance de ˜λA

1 reste born´ee [112].

(a) (b)

Fig. II.16: (a) Densit´e de probabilit´e ρ1 de la premi`ere valeur singuli`ere ˜λA

1 renormalis´ee.

(b) Fonction de r´epartition F1(λ) de ˜λA1 en consid´erant N = 32 et N = 100.

En pratique, diffusion simple et multiple coexistent ; quelle est alors la fonction de r´epartition F1 pertinente dans ce cas ? Si la diffusion multiple pr´edomine (i.e., la profondeur de la cible

dans le milieu diffusant est sup´erieure `a quelques libres parcours moyens) ou si la perturbation KA

n’est qu’un bruit additionnel non corr´el´e, alors P F A(α) = 1− FQC(α) (Eq.II.4). Si aucune

information n’est a priori disponible concernant le milieu diffusant, il faut consid´erer la valeur maximale de la probabilit´e de fausse alarme qui est donn´ee par : max1− FQC(α) ; 1− FH(α).

En pratique, lorsqu’on souhaitera d´etecter une cible (p.ex. en contrˆole non destructif, en acoustique sous-marine ou en d´etection de mines etc.), une probabilit´e de fausse alarme accep- table P0 doit ˆetre fix´ee par l’op´erateur. On en d´eduit le seuil de d´etection suivant :

α = F1−1(1− P0) (II.18)

Si ˜λ1 > α, une cible est d´etect´ee au temps T et `a la fr´equence f . Inversement, si ˜λ1 < α on ne

peut ˆetre utilis´e afin de pr´edire les performances de la m´ethode D.O.R.T en milieu al´eatoire (ou en pr´esence de bruit). Soient σ2

T et σ2A les puissances des signaux associ´es respectivement

`a la cible et `a la contribution al´eatoire. Si la premi`ere valeur singuli`ere λ1 de K est associ´ee `a

l’´echo de la cible, l’esp´erance de λ1 est λT1. En Annexe II.A.4, nous montrons que λT1 = N σT,

si bien que

E1} = NσT.

Nous montrons ´egalement en Annexe II.A.4 que la moyenne quadratique des valeurs singuli`eres λi de la matrice K est s 1 N X p=1 λ2 p ≃ q N (σ2 T + σ2A).

Apr`es renormalisation des valeurs singuli`eres (Eq.II.2), nous avons donc : En˜λ1 o ≃ s N σ 2 T σ2 T + σA2 ≃ σT σA √ N , pour σ2 T << σA2 et varnλ˜1 o ≃ 1

N. Ainsi, mˆeme si l’´echo de la cible est faible par rapport `a la contribution

al´eatoire (σ2

T << σA2), la m´ethode D.O.R.T peut arriver `a d´etecter la cible `a condition que

˜ λ1 > α⇒ σT σA > F −1 1 (1− P0) √ N . (II.19) La situation la plus favorable correspond au cas o`u F1 = F1QC, c’est `a dire au regime de diffusion

multiple. Dans ce cas, α peut ˆetre fix´e `a 2, ce qui correspond, comme nous l’avons vu pour N = 32, `a une probabilit´e de fausse alarme P0 ≃ 1%, et typiquement la cible sera d´etect´ee si

σT

σA

> √2

N. (II.20)

Autrement dit, la faible puissance du signal li´e `a la cible peut ˆetre compens´ee par un nombre plus important d’´el´ements du r´eseau : la performance de la m´ethode D.O.R.T ´evolue comme la racine carr´ee du nombre N de canaux ind´ependants, en r´egime de diffusion multiple. En r´egime de diffusion simple, la valeur moyenne de ˜λA

1 ´evolue comme

log N [85]. A P0 fix´e, on peut

supposer que le seuil α ´evolue lui aussi en √log N . La performance de la m´ethode D.O.R.T n’´evolue alors plus qu’en qlog NN , en r´egime de diffusion simple.

II.7

Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons ´etudi´e la distribution des valeurs singuli`eres de la matrice K en milieu al´eatoire, dans une configuration de r´etrodiffusion. Une fois qu’une renormalisation appropri´ee est r´ealis´ee, la distribution ρ(λ) obtenue exp´erimentalement est en tr`es bon accord avec les pr´edictions th´eoriques de la RMT. Une d´ecouverte particuli`erement int´eressante est la diff´erence de comportement de ρ(λ) en r´egimes de diffusion simple et multiple. Quand la diffusion multiple pr´edomine, ρ(λ) suit la fameuse loi du quart de cercle, tant que les corr´elations

entre coefficients de la matrice sont n´egligeables. Les corr´elations entre voies voisines peuvent ´egalement ˆetre prises en compte : dans ce cas, ρ(λ) peut ˆetre calcul´ee selon une m´ethode propos´ee par Sengupta et Mitra [80]. Au contraire, le comportement de la matrice K n’est pas celui d’une matrice al´eatoire classique en r´egime de diffusion simple : quelle que soit la r´ealisation du d´esordre, une coh´erence d´eterministe persiste le long de chaque antidiagonale de la matrice K. Ainsi, ρ(λ) ne suit plus la loi du quart de cercle et le spectre singulier de K devient analogue `a celui d’une matrice de Hankel. Ces r´esultats ont ´et´e appliqu´es `a la d´etection d’une cible enfouie dans un milieu diffusant. Une fois la matrice renormalis´ee, la connaissance de la distribution ρ(λ) permet de d´efinir un crit`ere de d´etection rigoureux, fond´e sur la plus grande valeur singuli`ere, dont on esp`ere qu’elle soit associ´ee `a l’´echo direct de la cible. Les perspectives de ce travail sont nombreuses. Par exemple, ces r´esultats pourraient ˆetre appliqu´es en contrˆole non destructif, en imagerie sous marine, en d´etection de mines etc. Les propri´et´es spectrales de la matrice K doivent ˆetre ´egalement ´etudi´ees en transmission, ce qui est de premi`ere importance en t´el´ecommunications. Ces r´esultats ouvrent ´egalement de nouvelles perspectives en ce qui concerne la s´eparation de la diffusion simple et de la diffusion multiple. L’id´ee est en effet de profiter des diff´erences de comportements statistiques des contributions de diffusion simple et de diffusion multiple pour pouvoir les s´eparer. Ceci fera l’objet des deux prochains chapitres.