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Essais de diffusion des neutrons

Chapitre 6: L'hydrogène gazeux: futur vecteur énergétique?

6.5. Les mécanismes de sorption de gaz

6.5.3. Essais de diffusion des neutrons

Ces expérimentations ont été réalisées dans le cadre d’un projet ANDRA différent du présent travail. Ce paragraphe présente le principe d’une expérience de diffusion de neutrons ainsi que des premiers résultats obtenus au cours d’expériences réalisées à ISIS (Oxford) en juin 2012 auxquelles nous avons participé. Ces essais nous permettront d’estimer les mécanismes d'interaction entre H2 et l'argilite du Callovo-Oxfordien. Ce travail est actuellement en cours de traitement par Fabrizio Bardelli (post-doc ANDRA).

a. Théorie

L’hydrogène est l’atome le plus léger de la classification périodique des éléments. Son comportement au sein d’un matériau est donc complexe à étudier via les techniques spectroscopiques classiques telles que l’utilisation des rayons X par exemple. En effet, pour les rayons X, la section efficace (cm2), qui correspond à la probabilité d’interaction entre une particule et la matière, est proportionnelle à la masse de l’atome étudié. Cette technique n’est donc pas adaptée pour la mesure des atomes légers tels que l’hydrogène. Les neutrons n’ont pas de charge électrique, ils vont interagir avec les noyaux atomiques et non avec le nuage électronique des atomes. Les neutrons sont donc sensibles aux différents isotopes d’un même atome et vont pouvoir interagir avec l’hydrogène, contrairement aux rayons X. De plus, la section efficace vue par les neutrons est indépendante de la masse et en particulier, l’hydrogène présente une section efficace assez importante (environ 80 barns soit 80*10-24

cm2). L’utilisation de neutrons est donc tout à fait appropriée, dans notre cas, pour comprendre le mécanisme de sorption de H2 sur les matériaux argileux.

Lorsqu’un neutron rencontre un atome, le neutron va être dévié de sa trajectoire initiale d’un certain angle 2θ (Figure 38), c’est le principe de la diffusion. Soit sa vitesse v est identique à sa vitesse initiale vo, on parle alors d’interaction élastique, soit v est différente de vo, on parle d’interaction inélastique. Avec l’interaction élastique, on peut étudier la structure de l’atome alors qu’avec l’interaction inélastique, on étudie la dynamique du système.

Figure 38 : Interaction entre un neutron (noir) avec une vitesse initiale vo et un vecteur d’onde initial ko et un atome (bleu). Le neutron après le choc avec l’atome présente une vitesse v et un vecteur d’onde k. Q(Å-1) : différence de moment angulaire entre l’état initial et l’état final. Les deux grandeurs que l’on peut mesurer dans une expérience de diffusion de neutrons sont le transfert d’énergie (ΔE) et le vecteur Q. ΔE est mesuré via la différence d’énergie entre l’état initial Eo et l’état final E (58):

) ( 2m E E ΔE n 2 o = k2ko2 − = h (58)

avec h : constante de Planck (6,62*10-34 J.s) et ħ = h/2П mn: masse d'un neutron (1,66*10-27 kg)

k et ko : vecteurs d’onde de l’état final et initial du neutron qui définissent le vecteur de diffusion λ sin 4 k k o = π θ =

Q avec λ : longueur d’onde de la radiation (m).

Le phénomène de diffusion peut être comme nous l'avons vu élastique ou inélastique. La diffusion élastique a lieu quand il y a conservation de l’énergie du système {neutron-atome} et la diffusion inélastique intervient quand l'énergie finale est différente de l'énergie initiale. La diffusion des neutrons peut être également cohérente et incohérente. La diffusion cohérente est un processus de diffusion d’interférence, elle dépend de l’arrangement et du mouvement de chaque atome en relation avec les autres atomes du système diffusant. Il s'agit d'une corrélation de paires. La diffusion incohérente correspond à la probabilité de trouver un atome i à un temps t si au départ le même atome était en position 0 au temps to. On s'intéresse au mouvement d'un atome en particulier. Les phénomènes cohérents et incohérents peuvent être élastiques ou inélastiques. Chaque type de diffusion va donner une information sur le système étudié. La diffusion cohérente élastique caractérise la structure du matériau étudié, alors que la diffusion cohérente inélastique va donner une information sur les mouvements collectifs des atomes. L’incohérence élastique permet de donner une mesure du désordre chimique et isotopique du système étudié. Enfin l’incohérence inélastique correspond à la fonction d’auto-corrélation.

La section efficace totale d’un élément correspond à la somme des contributions cohérente et incohérente. La diffusion des neutrons va être sensible aux différents isotopes d’un même élément, c’est-à-dire que différents isotopes présentent des nombres de neutrons différents et donc des sections efficaces différentes. L’hydrogène présente une section efficace principalement incohérente (80,26 barns d’incohérent et 1,76 cohérent) comparé au deutérium qui a une section efficace plutôt cohérente (5,59 barns pour 2,05). Avec l'hydrogène gazeux, on pourra donc voir les systèmes incohérents au détriment des systèmes cohérents et inversement pour le deutérium D2(g). Si un système contient majoritairement des atomes d’hydrogène, alors celui-ci sera essentiellement incohérent. Ainsi la diffusion des neutrons par

les molécules hydrogénées est un outil puissant dans l’analyse des mouvements des protons individuels et, par conséquence, de la dynamique de la molécule elle-même.

Il existe de nombreux et divers instruments utilisant les neutrons. On trouve les diffractomètres qui analysent toutes les valeurs de Q et les spectromètres qui analysent toute la gamme des énergies et quelques valeurs de Q. On peut distinguer les instruments de diffusion élastique pour déterminer la structure du matériau et les spectromètres de diffusion inélastique qui donnent une information sur le mouvement atomique et moléculaire.

Dans nos essais on a utilisé la diffusion inélastique de neutrons. Après chaque essai, on obtient un diagramme du transfert d’énergie ΔE en fonction de la différence de moment angulaire Q (Figure 39). Après intégration sur toutes les valeurs de Q, on obtient une gaussienne comme indiquée sur la Figure 40. La zone en énergie centrée en 0, où peu d’énergie est transférée, correspond à des mouvements de diffusion qui peuvent avoir lieu, comme la diffusion classique d’Einstein ou par sauts avec un temps de permanence, etc.... Alors que dans tout le reste de la gamme d’énergie, on trouve les transferts inélastiques : rotation, vibrations, phonons etc....

Figure 39 : Diagramme ΔE=f(Q) d’un essai de diffusion de neutrons à 6 K et E = 20 meV avec le système {H2 + montmorillonite SM0}

Figure 40 : Représentation schématique de pics quasi-élastique et inélastique. La courbe en pointillé correspond à la fonction de résolution expérimentale (S(Q,ω) : fonction de diffusion

cohérente)

Les neutrons sont utilisés depuis plusieurs années pour étudier les systèmes argileux avec, par exemple l’étude de la structure de l’eau dans l’espace interfoliaire (Marry et Turq, 2003; Pitteloud et al., 2000; Powell et al., 1998) ou encore la diffusion de l’eau dans une structure argileuse (González Sánchez et al., 2008; Malikova et al., 2006; Sánchez et al., 2009). L’interaction entre l’hydrogène et divers matériaux est de plus en plus étudiée pour comprendre les mécanismes de stockage de H2(g) en vue de son utilisation en tant que futur vecteur énergétique. Par exemple, des essais de diffusion de neutrons sont réalisés sur des zéolithes (Fu et al., 1999; Mondelli et al., 2006), des graphites intercalés avec du potassium (Purewal et al., 2009) ou des MOFs (Rowsell et al., 2005; Yildirim et Hartman, 2005). Le présent travail est donc novateur étant donné que nous n'avons pas trouvé, à l'heure actuelle, d'autres essais de diffusion de neutrons dans des systèmes argile/hydrogène dans la littérature.

b. Premiers résultats

Des expériences de diffusion de neutrons ont été réalisées à ISIS au Rutherford

Appleton Laboratory situé dans la région d’Oxford au Royaume-Uni. A ISIS, les neutrons

sont produits via une source d’ions H- (ions hydrogène négatifs avec deux électrons et un proton). Ces ions sont ensuite accélérés à l’aide d’un quadrupôle radio-fréquence jusqu’à 37% de la vitesse de la lumière puis introduits dans un synchrotron de 163 m de circonférence et guidés via quatre aimants. Les électrons vont être évacués à l’aide de bandes minces d’alumine, afin de ne garder que les protons dans le synchrotron. Ceux-ci vont être accélérés à l’aide d’un champ électrique radio-fréquence et après 10 000 tours, ils vont atteindre 84% de la vitesse de la lumière. Des protons sont évacués du synchrotron à l’aide des aimants puis lancés sur une cible en tungstène. Les neutrons sont alors produits via la réaction de spallation qui consiste à faire interagir un noyau atomique et une particule incidente (ici les protons) pour donner un élément de masse atomique plus faible et un flux de particules légères (les neutrons dans notre cas). Les neutrons produits sont très énergétiques et vont être ralentis via un modérateur (ici du méthane) puis guidés vers les différents instruments. Les neutrons sont

Les essais se sont déroulés sur le spectromètre MARI. L’énergie des neutrons de cet instrument varie de 20 à 2000 meV. Pour cette expérience, nous allons utiliser une énergie proche de 20 meV. Plus l’énergie utilisée est faible et meilleure sera la résolution dans notre cas.

Pour réaliser les essais de diffusion de neutrons, la masse de l’échantillon doit être préférablement d’un gramme pour les argiles. Les échantillons ont été préalablement séchés à 120°C dans une étuve sous air puis placés dans une boite anaérobique en présence de silicagel afin d’éviter une réhydratation. Ils sont ensuite stockés dans la boite anaérobique à ISIS puis placés en boite à gants sur le site avec une teneur en O2 inférieure à 10 ppm.

Le premier échantillon analysé est la montmorillonite synthétique sans fer (SM0). m = 1,9775 g sont placés dans un sachet en aluminium puis dans une cellule en aluminium (e = 57 mm et d = 39 mm). Toutes ces précédentes manipulations ont été réalisées en boite à gants. La cellule est ensuite placée au bout d’une canne de diffusion d’environ un mètre de longueur (photo en annexe du chapitre 6). Dans un premier temps, l’essai est fait à blanc avec l’échantillon et sans hydrogène gazeux à différentes températures. Les conditions expérimentales avec lesquelles est réalisé le blanc doivent être identiques aux conditions des expérimentations. Nous avons choisi de tester six températures : 6, 25, 50, 100, 150 et 300 K. A T = 6 K, H2 sera solide, ainsi on pourra voir si celui-ci est confiné ou non dans la structure argileuse. La température de fusion de l’hydrogène est de 14 K et celle d’ébullition de 20,35 K. Pour les cinq autres températures, l’hydrogène sera donc à l’état gazeux. L’étude de plusieurs températures proches de la température d’ébullition nous permettra de limiter l’agitation moléculaire et ainsi d’optimiser l’observation de H2 dans la structure. A 300 K, l’agitation moléculaire sera beaucoup plus importante et il est peu probable que l’on puisse observer un signal quasi-élastique. Il faut noter que les essais sont relativement longs, de l'ordre de 16 heures. Après avoir réalisé le blanc, on met l'hydrogène à 40 bar et 300K et on explore les températures choisies. La Figure 41 présente le spectre décrivant le signal quasi-élastique obtenu à T = 300 K pour le blanc (courbe verte) et avec l’hydrogène gazeux (courbe rouge). Sur la Figure 42 sont présentés les signaux à T = 6 K pour le blanc (courbe noire) et l’essai avec l’hydrogène solide (courbe rouge).

On peut tout d’abord remarquer que le signal obtenu avec l’expérimentation sans hydrogène est bien en dessous du signal avec l’hydrogène. A 300 K, le signal rouge est très diffus, l’agitation moléculaire est trop importante. Cependant on peut bien noter un signal quasi-élastique. Ce signal est plus large que le pic du blanc. Cet élargissement quasi-élastique indique qu’une partie de l’hydrogène diffuse dans la structure. Après l’exploitation des données de ce pic, on pourra en déduire comment l’hydrogène se comporte au sein du matériau, c’est-à-dire quel est son mode de diffusion. Concernant l’essai à 6 K, le signal obtenu est beaucoup plus précis avec l’apparition de deux pics dans la partie inélastique : à 5 et 14,7 meV. Le pic à 14,7 meV correspond à l’énergie rotationnelle de la molécule d’hydrogène. Le déplacement de ce pic indique l’effet de confinement de l’hydrogène à l’intérieur de l’argile. Le pic inélastique à 5 meV doit être lié à l'interaction entre H2 et le matériau mais son origine est encore inconnue. Les premières interprétations ont indiqué qu'une partie de l'hydrogène reste dans la phase gazeuse et qu'une autre partie est bien confinée dans la structure, soit dans l'espace interfoliaire soit dans les pores du matériau.

Figure 41 : Spectre obtenu pour l’essai avec la montmorillonite synthétique SM0 à T = 300 K pour le blanc (courbe verte) et avec l’hydrogène gazeux à P = 40 bar (courbe rouge)

Figure 42 : Spectre obtenu pour l’essai avec la montmorillonite synthétique SM0 à T = 6 K pour le blanc (courbe noire) et avec l’hydrogène solide (courbe rouge)

Les essais de diffusion de neutrons sont un outil puissant pour étudier la structure d’un matériau ainsi que le comportement d’un gaz en son sein. L’hydrogène présente une section efficace incohérente très importante et peut donc être analysé via cette technique. Cependant l’analyse des données est très complexe étant donné qu’il faut tenir compte de beaucoup de paramètres tels que par exemple le changement de position de l’hydrogène dans la structure avec la température (en mode ortho ou para (Lovell et al., 2008)). Ces premiers résultats nous

permettent de confirmer le fait que l’hydrogène diffuse bien au sein de la structure et est confiné dans le matériau. Il faudra donc par la suite estimer son mode de diffusion ainsi que son évolution avec la température.

A la vue de nos résultats expérimentaux (Chapitre 5), nous pouvons émettre des hypothèses quant aux caractéristiques de la sorption de l'hydrogène gazeux sur des matériaux argileux. Dans notre gamme de température (25-120°C), celle-ci ne semble pas jouer un rôle prédominant. En effet, on n'observe pas de réelle tendance de sorption entre les trois températures testées pour les échantillons de montmorillonites étudiés. Entre 90 et 120°C, on observe une légère diminution de la quantité sorbée qui indique que le mécanisme de sorption serait en partie contrôlé par de la physisorption. Des mesures d'isothermes d'adsorption de H2(g) ont été réalisées à 77K et jusqu'à PH2 = 2 bar (voir 6.5.2). Ces isothermes présentent une hystérèse pour la majorité des échantillons étudiés (COx, COx purifié et montmorillonite synthétique SM1), ce qui indique qu'une partie de l'hydrogène sorbé est restée dans le matériau. Cette observation est en accord avec les résultats de réduction du Fe(III) structural et de la discussion du mécanisme de réduction (voir 5.5.2), H2(g) peut venir interagir avec la surface via une adsorption dissociative pour ensuite réagir avec les atomes de Fe(III) structuraux. Globalement le mécanisme d'interaction de l'hydrogène sur les matériaux argileux semble assez complexe à la vue de sa possible réactivité avec les éléments oxydants. On peut néanmoins supposer que le mécanisme d'interaction sera composé de physisorption et chimisorption via une adsorption dissociative.