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CHAPITRE I : « Des informés » aux « S’informants »

1. Aux origines de la diaspora

1.2. Essai de définition

Dans son livre « Les Diasporas » (PUF-QSJ, 2003), Stéphane DUFOIX avance, pour comprendre cet enjeu des temps modernes qu’est le concept de diaspora, trois types de définitions, à savoir : les définitions ouvertes, catégoriques et oxymoriques.

1.2.1 Les définitions ouvertes

Le premier effort de théorisation a été constaté dans l’article de J.A. AMSTRONG portant sur « Mobilized and proletarian diaspora » publié dans « The American Political Sciences Review » en 1976. Pour lui, il faut entendre par diaspora : « Toute

collectivité ethnique ne disposant pas d’une base territoriale au sein d’une société politique donnée, c’est-à-dire qui demeure une minorité relativement faible sur l’ensemble de cette société politique. » (Stéphane DUFOIX, 2003, 23).

Dans sa suite, Gabriel SHEFFER, tout en retranchant de cette définition l’aspect de nomadisme et en le remplaçant par « le maintien du lien avec l’origine », propose la

définition suivante : « Les diasporas modernes sont des groupes ethniques

minoritaires, issus de la migration, qui résident et agissent dans des pays d’accueil tout en maintenant de forts liens affectifs et matériels avec leur pays d’origine- leurs patries (homelands) »(Idem).

Comme on peut le constater, ces définitions sont dites ouvertes dans la mesure où, reconnaît Stéphane DUFOIX, elles proposent « une vision lâche et non discriminée de

l’objet étudié, et laissent la porte ouverte à un nombre indéterminé à priori de cas ».

Selon toujours cet auteur, ces définitions ouvertes mettent ainsi en exergue plusieurs dimensions qu’il convient de noter : « l’origine de la migration (volontaire ou

forcée) ; l’installation dans un ou plusieurs pays ; le maintien de l’identité et de la solidarité communautaires, permettant la mise en place de contacts entre les groupes et l’organisation d’activités visant à préserver cette identité ; enfin, les relations entre les Etats d’origine, les Etats d’accueil et les diasporas, ces dernières pouvant devenir les relais de leur Etat d’origine dans leur Etats d’accueil ».

1.2.2. Les définitions catégoriques

Selon ces définitions, et contrairement aux définitions ouvertes, l’observance des critères stricts est la voie obligée pour qu’un objet à étudier puisse accéder à la dénomination scientifique de diaspora. Ces mêmes critères permettent de déterminer les « vraies » diasporas de « fausses ».

C’est William SAFRAN qui, en 1991, a élargi le concept de « diaspora » aux communautés expatriés minoritaires dont les membres partagent plusieurs des six caractéristiques suivantes : « leur dispersion, ou celle de leurs ancêtres, à partir d’un

« centre », vers au moins deux régions périphériques étrangères ; le maintien d’une mémoire collective concernant le lieu d’origine (homeland) ; la certitude de leur impossible acceptation par la société d’accueil ; le maintien du lieu d’origine, souvent idéalisé, comme objectif de retour ; la croyance dans l’obligation collective de s’engager pour la perpétuation, la restauration ou la sécurité de leur pays d’origine ; et le maintien de relations, à titre individuel ou collectif, avec le pays d’origine ».

En 1997, s’inspirant de ces caractéristiques ainsi énoncées par SAFRAN, Robin COHEN produit « une liste de neuf « caractéristiques communes d’une diaspora »,

couplée à une typologie distinguant les diasporas selon leur identité principale : victime (Juifs, Africains, Arméniens, Palestiniens), laborieuse (Indiens), commerciale (Chinois) et Impériale (Britanniques, Français, Espagnols, Portugais) » (Stéphane

DUFOIX, op.cit., 26).

Le tableau de Robin COHEN permet de constater que le phénomène de “diaspora” est multiforme. Cet auteur va même plus loin dans l’approche du terme de « diaspora » en fournissant un certain nombre des caractéristiques du phénomène.

Tableau 2 : Caractéristique communes de la diaspora

1. Dispersal from an original homeland, often traumatically, to two or more foreign regions.

2. Alternatively, the expansion from a homeland in search of work, in poursuit of trade or to further colonial ambitions.

3. A collective memory and myth about the homeland, including its location, history and achievements.

4. An idealization of the putative ancestral home and e collective commitment to its maintenance, restoration, safety and prosperity, even to its creation. 5. The development of a return movement that gains collective approbation. 6. A strong ethnic group consciousness sustained over a long time and based on

a sense of distinctiveness, a common history and the belief in a common fate.

7. A troubled relationship with host societies, suggesting a lack of acce at the least or the possibility that another calamity might befall the group.

8. A sense of empathy and solidarity with co-ethnic members in other countries of settlement

9. The possibility of a distinctive creative, enriching life in host countries with a tolerance for pluralism.

A la suite de ces caractéristiques générales, Robin Cohen (se basant sur l’étude de VERTOVEC de 1997 et celle qu’il a mené en 1999 avec cet auteur) parvient à établir quatre formes de la diaspora: la forme sociale de la diaspora, la forme conscience, le rôle de production culturelle et celui de l’orientation politique.

Nous tenons de cet auteur aussi une classification qui donne une bonne synthèse d’actuelles applications du terme de diaspora.

Tableau 3 : Typologie de diasporas selon Robin COHEN

TYPE OF DIASPORA EXAMPLES

Victim/refugee Jews, Africans, Armenians, Irish, Palestinians

Imperial/colonial Ancient Greeks, British, Russians, Spanish, Portuguese, Dutch

Labour/service Indentured Indiana’s, Chinese and Japanese, Sikhs, Turks, Italians

Trade/business Venetians, Lebanese, Chinese, Today’s Indians, Japanese

Cultural/post-modern Caribbean peoples, Today’s Chinese, Indians

Source: Robin COHEN, ‘Diaspora’: Changing Meanings and Limits of the concept, p 42

1.2.3 Les définitions oxymoriques

Ces définitions ont pour fondement le postmodernisme et pour piliers Stuart HALL, James CLIFFORD et Paul GILORY, reconnus universellement comme étant défenseurs du courant de pensées Cultural Studies qui se préoccupe de l’étude des « sous-cultures », subalternes ou postcoloniales (ouvriers, minorités, immigrants, etc.) (Stéphane DUFOIX, Idem).

exemple privilégié de « communauté transnationale » qui serait la forme caractéristique de l’organisation du monde postmoderne. (…) En effet, ce qui caractérise le transnationalisme, c’est que « beaucoup d’immigrants aujourd’hui construisent des champs sociaux qui ignorent les frontières géographiques, culturelles et politiques « (Nicolas VAN HAER). Il existerait donc une différence radicale entre la diaspora traditionnelle qui pensait sa condition dans les termes de l’exil et les nouvelles formes de « nations déterritorialisées », « dans lesquelles les nationaux peuvent vivre partout dans le monde et ne pas vivre pour autant en dehors de leur Etat. Dans cette logique, il n’existe plus de diaspora, parce que là où se trouve le national, son Etat se trouve également »(Ibidem, 269) »( Chantal BORDES-

BENAYOUN et Dominique SCHNAPPER, 2006, 182).

Ainsi, pour S. Hall, « La diaspora ne nous renvoie pas à ces tribus dispersées dont

l’identité ne peut être assurée qu’en relation avec un pays d’origine sacré où elles doivent à tout prix revenir, y compris si cela signifie pousser les autres à la mer. Telle est l’ancienne forme, impérialiste et hégémonique, de « l’ethnicité ».

(…) L’expérience de la diaspora que j’envisage ici se définit ni par l’essence ni par la pureté, mais par la reconnaissance d’une nécessaire hétérogénéité et diversité ; par une conception de l’« identité » qui vit part et à travers la différence, non malgré elle » (Stuart Hall cité par Stéphane DUFOIX, 2003, 27).

Pour sa part, dans un article de 1994, Paul GILROY insiste sur le « statut pluriel » du terme « où « diaspora-dispersion » et « diaspora-identification » ont cohabité en

s’opposant, la première tendant vers la fin de la dispersion, à la différence de la seconde qui s’inscrit dans une mémoire vivante » (Stéphane DUFOIX, Idem)..

James CLIFFORD oppose, pour sa part, « tout en refusant l’étiquette de « postmoderne », deux visions de la « diaspora » : une vision « idéal-typique », fondée sur l’accumulation de critères et construite par rapport au centre, et une vision décentrée, s’intéressant aux frontières de la diaspora plus qu’à son cœur pour comprendre ce à quoi la diaspora s’oppose, c’est-à-dire, selon lui, la fixité de l’Etat- nation : « Les diasporas ont rarement fondé des Etats-nations : Israël en est le tout

premier exemple. Et de tels « retours » (homecomings) sont, par définition, la négation de la diaspora ».

Dans l’introduction de leur livre « Diasporas et Nations » (2006, 8), Chantal BORDES-BENAYOUN et Dominique SCHNAPPER constate la prolifération des approches pour définir le concept de diaspora : « Force est de constater en effet que,

depuis 1968, le terme a connu une véritable inflation dans la vie publique et intellectuelle. Les peuples dispersés sont de plus en plus nombreux à s’en réclamer et à se construire comme tels. Etre une diaspora est même devenu un combat, une force, un slogan politique, là où d’anciennes idéologies se sont effondrées, et où les injustices continuent à marquer les rapports entre les hommes et entre les peuples ».

Dans cette optique, on peut noter, au sud, une autre tentative de définir le concept de la diaspora. Elle est de la commission « Dialogue, Relations internationale, Paix et sécurité » de la Conférence de l’Union Africaine et la Diaspora Africaine en Europe, tenue à Paris le 11 et 12 septembre 2007. Cette commission reconnaissait que la diaspora africaine est « le produit d’un conflit, qui peut avoir pris la forme de

l’esclavage, de la colonisation, de la pauvreté et des guerres qui ont créé tant de réfugiés » (Guide, 189).

Dans son acception actuelle, notent Chantal BORDES-BENAYOUN et Dominique SCHNAPPER ( 2006, 219), le terme « diaspora » est utilisé en tant que « forme d’organisation sociale » particulière, en tant que « conscience » spécifique et en tant que « mode de production culturelle » : « La diaspora est une forme d’organisation

sociale en ce qu’elle implique des relations objectives entre des établissements dispersés, conduisant à redéfinir les liens de la géographie et de l’histoire et à entretenir un mythe ethnique ; en ce qu’il existe une possibilité de tension entre la fidélité à la diaspora et la loyauté à l’égard de la société d’installation ; en ce que les individus en diaspora créent des réseaux d’information, de communication et d’échanges économiques et culturels par-delà les frontières nationales. Mais la diaspora implique aussi une conscience particulière, celle de faire partie d’un peuple dispersé, ce qui implique des références et des identifications diverses, éventuellement paradoxales. Quant au mode de production culturelle, c’est une partie intégrante du discours, scientifique, historique et artistique, par lequel se constitue et se renouvelle une diaspora »(Idem).

On conviendra avec Jean GOTTMANN que l’approche de la diaspora et de ses réseaux est « un facteur de première importance pour la compréhension du monde

actuel » (Jean GOTTMANN, Préface dans Réseaux des diasporas, 1996, 24).