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CHAPITRE I : « Des informés » aux « S’informants »

1. Du Zaïre de Mobutu à la République Démocratique du Congo

1.1.2 Du Congo au Zaïre et du Zaïre au Congo

Durant toute la colonisation, force est de constater qu’aucune préparation d’une quelconque classe politique, pour l’exercice d’un pouvoir effectif, n’a été faite.

Serait-ce pour combler cette faille que, sentant le vent de la décolonisation souffler sur l’Afrique, le Professeur Jef VAN BILSEN (1977, 203 ; 1993, 365) avait, dès 1956, proposé son « Plaidoyer pour le plan de trente ans » qui était en fait une somme des plans d ‘émancipation avec délais. L’auteur a des mots justes pour justifier sa proposition : « Au Congo et au Ruanda-Urundi, la formation des élites et des cadres

dirigeants responsables est en retard d’une génération, par rapport aux territoires coloniaux britanniques et français limitrophes.

« Dans trente ans, les enfants nés d’ici 1960 constitueront la couche active de la population. Parmi les élites, les plus jeunes achèveront leurs études universitaires ou leur éducation qualifiée. Ce que sera le Congo dans trente ans est fonction de ce que nous ferons d’ici 1960 ou 1965. Si nous le voulons, dans une génération, nos territoires africains seront en mesure de prendre en mains la responsabilité de leurs propres destinées. C’est notre devoir et notre intérêt d’y pourvoir. Si nous n’élaborons pas et n’exécutons pas de plan, nous ne ferons pas le nécessaire en temps opportun.

« Si nous n’avons pas de plan digne de confiance, dans quinze ou vingt ans, sinon avant, nous nous trouverons face à des tensions et des mouvements irrésistibles en plusieurs parties de nos territoires et en premier lieu en Urundi, au Ruanda et à Léopoldville » (Jef VAN BILSEN, 1993, 373).

Dans l’immédiat après guerre de 1940-1945, à la suite des injustices constatées et surtout de l’insatisfaction aux revendications et aspirations au mieux-être social, les populations autochtones se regroupent dans des mouvements et partis visant d’ébranler les fondations du système colonial.

C’est dans cette optique qu’il faut mentionner la création du groupe d’intellectuels qui, en 1956, publie le « Manifeste de la conscience africaine » dans lequel ils

expriment leur aspiration au dialogue belgo-congolais dans le but d’aboutir à l’émancipation politique du Congo.

Le deuxième manifeste viendra, à la même période, de l’ABAKO, organisation dirigée par Joseph Kasa-Vubu

Ces deux mouvements de revendications se renforcent trois ans après avec la création de premiers partis politiques : Mouvement national congolais (MNC) dirigé par Patrice Emery LUMUMBA, Confédération des Associations des Natifs du Katanga (CONAKAT) présidé par Moïse TSHOMBE …

Tous ces mouvements et partis politiques, à la veille de 1960, n’ont qu’une seule revendication : l’indépendance … immédiate du Congo.

Le 30 juin 1960, en présence du Roi Baudouin, le pays accède à son indépendance. Pour la première fois de son histoire, le pays a des institutions issues des élections libres et démocratiques.

« Kasa-Vubu est le premier Président de la république, ce qui freine les velléités

séparatistes des Bakongos. Lumumba, (…), est le premier ministre. Une indépendance accordée, selon le Roi. Une indépendance arrachée, pour Lumumba. La loi fondamentale soigneusement préparée par des juristes belges, va régir la jeune république composée d’Etats provinciaux avec leurs présidents et leurs assemblées. Les avoirs économiques que la colonie détenait, sont soigneusement reconvertis et ce sera, plus tard, l’épineux problème du « Contentieux Belgo Congolais ». Pour Lumumba douze semaines tragiques commencent, où il sera pris de court par l’histoire » (KABUYA-LUMUNA Mutamba, 1985, 68).

Mais l’effervescence à la suite de cette indépendance va vite céder la place à un chaos indescriptible dû principalement aux convoitises internationales (la Belgique, par exemple, encourage la sécession du Katanga), aux querelles multiples et aux ambitions démesurées des politiciens, etc. Par ailleurs, le chaos se justifie surtout par le fait que la politique coloniale belge, à la différence de celle des autres colonisateurs notamment français et anglophones, n’avait pas préparé une élite politique pour la relève. Ce climat d’impréparation explique les guerres tribales, les

rebellions, les pillages et toute la kyrielle des malheurs enregistrés durant les premières années de l’indépendance.

On notait aussi la main invisible de l’ancien colonisateur. Parlant de l’implication occidentale dans cette situation de déstabilisation de la jeune république, Ludo DE WITTE, 2000, 79) écrit : « Dans sa lutte contre le gouvernement Lumumba, la

sécession du Katanga est pour l’Occident l’arme souveraine. Bruxelles avait amputé le Katanga de l’ensemble du Congo, dans l’espoir que Léopoldville ne survivrait pas à l’opération. Plus tard, quand le Congo aurait été épuré de ses nationalistes, un mouvement inverse pourrait s’amorcer et Léopoldville se greffer sur le Katanga ».

En effet, le 11 juillet 1960, dix jours seulement après l’indépendance du pays, le chef de file de la Confédération des Associations des Natifs du Katanga prend la lourde et historique responsabilité de proclamer la sécession et la souveraineté du Katanga. Trois semaines après le Katanga, c’est le tour d’Albert KALONJI de proclamer l’Etat autonome du Sud-Kasaï.

Les premières années de l’histoire du pays sont marquées ainsi de plusieurs tragédies, des conflits et des crises.

C’est dans ces conditions que le 24 novembre 1965, Joseph Désiré MOBUTU, alors chef de l’armée, réalise son coup d’état militaire, instaure un régime autoritaire, s’attribue tous les pouvoirs et dirige le pays en s’appuyant sur un parti politique unique : le Mouvement Populaire de la Révolution.

Dans son discours-programme du 12 décembre 1965 déjà, M. Mobutu se donnait seulement cinq ans en vue de remettre de l’ordre au pays avant de passer le flambeau au personnel politique civil. Mais, entre la parole et les actes, la marge semble grande. M. Mobutu est resté aux commandes du pays – de son propre gré – durant plus de 32 ans (jusqu’en 1997 quand il est chassé du pouvoir par Laurent Désiré KABILA).

En 1971, il débute avec sa politique nationaliste de « Recours à l’Authenticité ». En 1973, il prend des mesures qui secouent l’économie nationale : nationalisation (zaïrianisation) de l’économie.

Mais cette économie sera gravement atteinte par la chute des cours du cuivre.

On enregistre aussi des contestations sur le plan politique qui, en 1977 et plus tard en 1978, ont failli se conclure par le renversement du pouvoir avec les deux guerres du Shaba.

En 1982, l’Union pour la Démocratie et le progrès social, parti politique, est créée clandestinement et ce d’autant plus que la constitution ne reconnaissait que le parti unique au pouvoir.

L’économie se porte toujours mal. Elle est au bord de la faillite. La corruption, le gaspillage et surtout la mauvaise gestion sont là les maux qui marquent le régime à la veille de 1990, année décisive qui voit la fin de la compétition Est-Ouest et un vent de contestation souffler sur l’ensemble de l’Afrique. Le mythe de la politique à travers le parti unique s’effondre.

Au pays de Mobutu, la secousse est bien ressentie. La canalisation des contestations dans les consultations populaires initiées par le pouvoir ne suffit pas. Le 24 avril 1990, par son discours d’orientation politique consécutif à la poussée de contestations et aux remous sur le territoire national, M. Mobutu laisse finalement le pays s’embarquer dans la longue et dure marche vers la démocratie. Mobutu lui-même déclare la fin du parti unique.

Les facteurs internes n’étaient pas les seules causes de ce revirement de la dictature. Il y a aussi et surtout l’environnement politique international. « Le vent frais de la

démocratie qui souffle sur le monde en ce 20ème siècle finissant (…) est lié en politique au nom d’une personne, Mikhaïl GORBATCHEV, qui, à partir de 1986, renversa le cours de l’histoire, en préconisant la perestroïka et la glasnost »

(MONSENGWO PANINYA, Le sens chrétien de la Démocratie, S.D., 1).

Entre temps, pendant que se tient la Conférence Nationale, convoquée pour baliser les voies vers le futur de la république, l’économie nationale va souffrir des pillages dus à l’incapacité du pouvoir à faire face à ses obligations, notamment le versement des soldes des militaires et des salaires aux fonctionnaires.

Depuis la proclamation de cette ouverture démocratique, le président Mobutu a engagé une lutte acharnée pour conserver son pouvoir, ses « acquits » et sa position d’antan (c’est-à-dire celle que lui accordait la constitution du parti unique) qui le plaçait au dessus de toutes les institutions de la République.

Pourtant, les 32 ans de sa dictature ont consacré le pillage des biens de la nation, l’absence d’un Etat de droit, la désarticulation du circuit économique et financier, l’inexistence des infrastructures de base d’utilité publique, la corruption généralisée, la déficience de l’administration, l’insécurité et la violation systématique de droits de la personne humaine, la précarité sociale pour toutes les couches sociales avec un taux de chômage très élevé…

Avec un tel tableau si sombre, on peut comprendre pourquoi certains fils du pays, aidés par les pays limitrophes de l’Est (Ouganda, le Rwanda et le Burundi) soient amenés à prendre leur destinée en mains en se lançant dans la rébellion au régime de Mobutu.

Et le 17 mars 1997, le monde entier vivait, en direct de la chaîne CNN, relayée par d’autres télévisions à travers le monde, l’entrée triomphale, dans la capitale Kinshasa, des troupes de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération (AFDL), un rassemblement de partis politiques ayant juré de faire tomber Mobutu du pouvoir par les armes. La marche de l’AFDL a bénéficié des apports de l’Occident comme en témoigne ce passage tiré de l’article de Paul de BARBA du magazine militaire RAIDS et reproduit par La Tribune des Grands Lacs (n°1 mars 1998, 15) : « Sans

aller jusqu’à dire que ce sont les Etats-Unis qui ont orchestré les opérations visant à conquérir le Zaïre, force est de constater que tout au long de l’offensive victorieuse de Kabila, les Américains étaient présents sur place, souvent près des combats, et qu’ils savaient exactement ce qui s’y déroulait. Et Washington, par l’intermédiaire des forces rwandaises et ougandaises, assuré une aide logistique et tactique aux forces d’invasion ».

Cette entrée des troupes de l’AFDL mettait ainsi fin au régime honni de M. Mobutu. Ce dernier avait d’ailleurs vite compris que ces jeunes tenaces et persévérants jusqu’à cette fin d’une logue marche vers la liberté, ne lui feraient pas de cadeau et s’enfuit.

Le nouveau régime va vite procéder à l’humiliation de Mobutu : le nom « Zaïre » disparaît et la République Démocratique du Congo réapparaît. Mais le nouveau maître n’est pas lui-même à l’abri des reproches : Laurent - Désiré Kabila est critiqué pour avoir suspendu les partis politiques. Les pays occidentaux, pour leur part, décèlent vite en lui des signes inquiétants de dictature aggravés par sa mauvaise conduite de la diplomatie du pays.

Laurent-Désiré KABILA est assassiné en Janvier 2001 à Kinshasa dans des circonstances non encore élucidées à ce jour. Son fils (cette filiation a été souvent mise en doute), Joseph KABILA, 29 ans, le remplace et aussitôt investi par le parlement provisoire réuni en session extraordinaire. C’est lui qui continue à diriger le pays, avec un mandat cette fois légitimé par les élections de 2006.

Mais les espoirs qui étaient placés en lui se sont avérés vains. Le pays a continué sa descente

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Il faut reconnaître que « la crise qui déchire notre pays s’enlise de manière

sournoise. Par manque d’un cadre étatique viable, notre Congo-Zaïre est en train de poursuivre son pèlerinage de la pauvreté la plus humiliante, la plus honteuse vers la misère apocalyptique la plus effroyable de son histoire et notre pays est de plus en plus dans le processus de sa disparition ». (Frédéric BOYENGA-BOFALA, 2003,

34).

La situation du pays stagne. Ce tableau, que nous tirons du magazine « Marchés tropicaux » permet de bien la décrire : « D’un côté, un pays potentiellement riche,

quelques îlots de richesses peu ou mal investie, un Etat quasi inexistant, qui a fait la preuve de son incapacité de mettre en valeur l’immense potentiel humain et économique. De l’autre côté, un pays pauvre, en crise fortement endetté, un grand dénuement, mais également une population pleine de vitalité, fourmillant d’initiative mais dont la majorité s’épuise dans la lutte quotidienne pour survivre » (Muriel

Cette situation nous permet de percevoir déjà les germes de l’émigration de la majorité des compatriotes vers des cieux beaucoup plus cléments. Et ces derniers sont en particulier la Belgique, ancienne puissance coloniale, la France et l’Angleterre qui font l’objet de notre présente étude. Ils laissent ainsi derrière eux un pays ruiné, totalement à reconstruire mais qui ne manque pourtant pas d’atouts.