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Les esprits du chamane

Partie I – LE CHAMANISME

C) Etude du chamane, le « maître du désordre »

2) Les esprits du chamane

« Les esprits font incontestablement partie de la « réalité vécue » de l’humanité et, sans tenir compte de ce que peut bien être leur « réalité ultime », ils représentent à travers toutes les cultures les forces de transformation susceptibles de favoriser le développement ou d’infliger la maladie ou même la mort. Ainsi, ils sont de par leur nature intrinsèque à la fois bénéfiques et malveillants, amicaux et trompeurs, guérisseurs et destructeurs, créateurs de la vie et serviteurs de la mort. Rechercher volontairement ces pouvoirs de transformation, comme le fait le chaman, amène à entrer intimement en contact avec les secrets de l’existence. » (Richard Noll, 1987) (13)

Comme nous l’avons vu dans la définition, le chamanisme s’inscrit dans une vision animiste du monde : le monde de la Nature est animé par des composantes spirituelles, comparables à l’âme humaine. Pour Roberte Hamayon, il existe une distinction entre la notion d’âme et celle d’esprit. L’esprit représente en effet une entité immatérielle qui se distingue de l’âme par son indépendance de tout individu, de tout corps vivant particulier. Ainsi, lorsqu’on parle d’esprit d’espèce animale (parfois appelé « maître ») on parle d’une sorte d’âme « générique », commune à l’espèce toute entière et indépendante des individus qui la composent. C’est ainsi que l’humain peut établir un système de relation et d’échange durable avec la Nature, en négociant avec les esprits représentatifs des éléments et individus qui la forment, et qui résident dans le monde-autre. Cette notion est donc au cœur de la pensée chamanique (12). C’est pourquoi ce sont les esprits du monde-autre qui élisent le chamane et le dotent de ses pouvoirs chamaniques. La nature de ces esprits ainsi que la teneur de la relation qui les lie sont variables d’une société chamanique à une autre.

L’anthropologue Roland Dixon, à travers son étude approfondie du chamanisme américain, en distingue de quatre sortes (11) :

 les esprits appartenant au règne animal (les plus communément rencontrés),  les esprits locaux et ceux appartenant à l’empire des phénomènes naturels,  les fantômes des défunts,

 et enfin les hautes divinités elles-mêmes.

A cela, il convient d’ajouter les esprits appartenant au règne végétal, que nous aborderons plus en détail par la suite. Les esprits peuvent ainsi être celui des éclairs, du soleil, de l’arc en ciel dans le cas de personnification d’éléments du cosmos, celui du loup, du cerf, du serpent dans le cas du règne animal, d’un chamane défunt ou de héros mythiques quand ils viennent du monde des humains (23).

Quelle que soit leur nature, on distingue deux types d’esprits rattachés au chamane :  l’esprit électeur,

 les esprits auxiliaires.

Le chamane leur est totalement dévoué. Ils les respectent, et il les craint.

« Nous n’assumons pas cette vocation sans en payer le prix. Nos maîtres (les esprits) nous surveillent

jalousement et malheur à qui les déçoit ! Nous ne pouvons pas nous désister » Propos de L’Homme-

qui-tomba-du-ciel, chamane Yakoute, recueillis par W. Sierochevski, 1896 (11).

Il semble important d’opérer ici une distinction entre le chamanisme et la possession. Le chamane est en général toujours maitre de sa personne lorsqu’il communique avec les esprits, même si il peut advenir que ceux-ci parlent par sa bouche, contrairement à la possession pendant laquelle le possédé subit le contrôle des esprits qui viennent l’habiter, devenant une sorte de « marionnette du surnaturel ».

a) L’esprit électeur

L’esprit électeur choisit le chamane parmi les humains et lui apparaît dans ses rêves pour lui annoncer son élection. Il est en général unique et assure au chamane légitimité et protection tout au long de sa vie. C’est pourquoi il est parfois appelé « esprit protecteur » ou « esprit gardien » (11). Mais surtout, c’est lui qui accorde au chamane le service des esprits auxiliaires. Il existe aussi des cas où esprit électeur et auxiliaire sont confondus.

Dans le chamanisme sibérien, le chamane entretient avec son esprit électeur une relation très intime, typiquement sous la forme d’une alliance matrimoniale. C’est pourquoi il est souvent représenté comme un partenaire de l’autre sexe (esprit féminin d’une espèce animale ou végétale par exemple)(8). « [Dans la mythologie esquimaude], il existe un grand nombre d’esprits mineurs. Appelés tornait, ils se

manifestent sous la forme d’hommes, d’ours ou de pierres. C’est grâce à leur aide qu’un homme peut devenir ce qu’on appelle un angakoq, c’est-à-dire une sorte de prêtre ou de magicien. » (Franz Boas,

1887) (11)

b) Les esprits auxiliaires

Les esprits auxiliaires sont les esprits dont le chamane tire son pouvoir et qui lui permettent de remplir ses différentes fonctions (divinatoire, thérapeutique, etc.). Pour cela, il fait appel à eux lors des séances chamaniques et les accompagnent dans le monde-autre.

Suivant les sociétés et le mode d’accession à la fonction chamanique, les esprits auxiliaires peuvent être transmis par héritage, par une quête personnelle ou par le concours de l’esprit électeur auquel ils sont en général soumis.

Leur nombre et les relations qu’ils entretiennent avec le chamane sont variables. Par exemple, chez les Yagua, le chamane est le « père » de ses esprits auxiliaires (végétaux ou animaux) qu’il nomme « fils ». Dans certaines tribus, le chamane possède un esprit auxiliaire unique, dans d’autres, plus un chamane possède d’esprits auxiliaires, plus il est puissant. L’esprit auxiliaire peut être commun à plusieurs chamanes, le pouvoir de chaque chamane étant alors défini par la qualité de sa relation avec l’esprit ; ou bien, le chamane peut posséder des esprits auxiliaires originaux qui lui sont propres. Chez les Huichols, l’auxiliaire principal des chamanes est, pour tous, le héros mythique Kauyumari, le cerf divin, premier chamane de l’humanité (23).

Leur manière d’interagir avec eux et de les figurer sont également différentes suivant les peuples : pour certains, chaque esprit auxiliaire a un nom, que le chamane doit appeler durant la séance afin d’obtenir ses services, alors que pour d’autres, les nommer les ferait disparaître. Il y a des tribus qui affirment que les esprits sont invisibles, seules leurs voix permettent de les distinguer, alors que d’autres les décrivent de manière détaillée et sous des formes diverses et variées : esprits zoomorphes ou anthropomorphes, nains des montagnes, fées, etc…

Tous ces esprits sont non seulement le reflet de la mythologie de ces peuples, mais aussi de leur organisation sociale. En particulier, ils sont un bon indicateur de la place accordée à l’institution chamanique : est-elle, par exemple, contrôlée et unifiée comme chez les Huichols, qui imposent des esprits communs à leurs chamanes ; ou individualiste comme chez les Guajiro, qui imposent que chaque chamane ait ses propres esprits, favorisant du même coup la créativité et la rivalité entre chamanes. L’étude des esprits est donc un élément clef pour comprendre le rôle du chamane et son importance au sein de ces sociétés.

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