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L'espace seigneurial

Dans le document Cadastres et paysages (Page 96-98)

2 Le paysage et le texte

2.1 L'espace seigneurial

Quelle portion du territoire occupent les biens et les hommes des cap-

breus ? La question invite à penser le paysage à l'aune des espaces qui l'en-

globent. Il s'agit, en résumé, d'estimer la place occupée par les capbreus et les seigneurs par rapport à la totalité des cultures, des possédants et des maisons des villages étudiés. Or, à vouloir prendre la mesure de ces phéno- mènes, l'historien devient dépendant des chi res et du sens du chi re des sociétés qu'il étudie. Les super cies déclarées dans les livres de reconnais- sances ne sont pas arpentées, mais grossièrement appréciées. Les analyses qui suivent sont donc à nuancer.

Pour jauger les informations des capbreus, le recours à un référent s'im- pose. Les états des biens-fonds de la n du xviie et du dernier quart

du xviiie siècle ont été sollicités dans cette perspective comme des éta-

lons relativement ables. Conçus pour les besoins scaux de la monar- chie française, ces documents sont de véritables recensements agraires, qui indiquent la surface des terres possédées par les di érents habitants et propriétaires des villages imposés. Le tableau 2 est un outil de synthèse. Il oppose les informations tirées des livres de reconnaissances aux données extraites des dénombrements scaux les plus proches chronologiquement. Ainsi, le capbreu d'Enveig de 1688-1693 est adossé à l'état de 1694 ; le terrier de Llo de 1754-1755 est confronté au recensement agraire de 1775.

Ces indications chi rées donnent la mesure de la place des capbreus dans les terroirs. Trois points doivent être précisés. En premier lieu, les super-

1. Sources : Capbreu d'Enveig (1688-1693), Arch. dép. P.-O., 3 E 56/434 ; Capbreu de Llo (1754- 1755), Arch. dép. P.-O., 3 E 56/421 ; état de 1694 Enveig : Arch. dép. P.-O., 1 C 2057 ; état de 1775 de Llo, Arch. dép. P.-O., 1 C 2064.

cies des parcelles déclarées ne constituent qu'une fraction de l'espace cultivé, de l'ordre du tiers des surfaces à Enveig, jusqu'aux deux tiers à Llo. Cet écart peut s'expliquer par une di érence juridictionnelle. En e et, Llo est sous la coupe d'un unique seigneur tandis qu'ils sont au nombre de cinq à Enveig1. Ces derniers n'en restent pas moins très inégalement

représentés. La pabordia d'Aja revendique quelques parcelles tandis que le

capbreu du couvent des clarisses couvre plusieurs hectares. Il n'y a donc

pas de puissance seigneuriale unilatérale, mais plutôt la coexistence de fait, voire l'imbrication et la superposition de plusieurs pouvoirs et d'une pluralité de liens de dépendance. Ainsi, un individu peut tenir des terres de plusieurs seigneurs2. Par ailleurs, tous ces territoires seigneuriaux ne

sauraient être confondus avec la seule somme des terres reconnues. En e et, certains espaces, parmi les plus importants par la super cie et l'en- jeu comme les vacants, n'apparaissent pas dans les capbreus, tout au plus sous la forme de droits d'accès, con rmés par la puissance seigneuriale. Le paysage dans la source ne constitue donc qu'une fraction limitée du nage des villages. En deuxième lieu, les livres de reconnaissances n'in- tègrent qu'une partie des déclarants. À Enveig, l'état de 1694 dénombre 42 déclarations tandis que le capbreu en dénombre moins de la moitié (20) ; le ratio est d'ailleurs similaire à Llo (42/95). La composition du paysage rural à travers les capbreus ne peut donc compter que sur la moitié de ses acteurs. En n, le village, formé du tissu plus ou moins lâche de maisons et de bâtiments d'exploitation, n'est que partiellement documenté par ce type de source. En e et, seule une maison sur quatre à Enveig et moins d'une maison sur deux à Llo y sont déclarées. L'étude de la morpholo- gie de l'habitat villageois au moyen des capbreus est donc amputée de la majeure partie de ses éléments constitutifs.

Au terme de cette lecture de la source, le constat suivant est à souli- gner. Les capbreus ne montrent qu'une fraction des terres exploitées, une partie des membres de la communauté et une portion des habitats, bref, une minorité dont la spéci cité est d'être liée au seigneur et de s'inscrire dans un espace limité de droits et de pouvoirs. Des terres existent aussi en dehors des seigneuries institutionnelles tout comme d'autres sont igno- rées par le document, parce qu'ils sont à l'usage de communautés et ne

1. Soit : le couvent Sainte–Claire, l'abbaye de Saint Martin de Cuxa, la collégiale de Cor- nellà de Con ent, le sieur François de Pastors et la prévôté d'Aja. La famille de Pastors a acheté une de ces seigneuries en 1622. Elle se compose de quelques directes établies sur les versants, du château, de droits sur les dîmes et surtout des droits de justice (archives privées De Pastors, avec mes sincères remerciements). Pour Aja, la pabordia du lieu tient des terres de faible super cie, éparses dans de nombreux terroirs (voir notamment : Arch. dép. P.-O. 3 E 88/69, 1630)

2. Ce qui est surtout vrai pour les familles les plus puissantes comme les Duran qui recon- naissent des biens et des terres dans chaque capbreu consulté pour Enveig.

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PĹuĎbĘlĽiĂcĄaĹtĽiĂoŤnŇŽ ĂdĂe MĂoŤnĹtŊpĂeĚlĚlĽiĂeĽrĞ 3 — UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27.

LĹiĂaŠmĂe14 — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2007-4-24 — 11 ŘhĞ 42 — ŇpĂaĂgĄe 101

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donnent pas toujours lieu à des redevances distinctes. En n, un même tenancier peut dépendre de plusieurs seigneurs, dont l'in uence respec- tive est sans doute inversement proportionnelle au nombre, tandis que l'heureux propriétaire, malgré les services et les redevances dues, s'inscrit dans autant de cercles de pouvoirs. Tout ceci constitue autant de limites à opposer aux tentatives de reconstruction du paysage, par le biais gra- phique ou statistique, qui pourraient être entreprises.

Dans le document Cadastres et paysages (Page 96-98)