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L’occupation du sol et les axes de communications. La Thrace devient province

romaine sous Claude en 46 de n.è. L’organisation du territoire en stratégies est conservée durant tout le I siècle de n.è. A partir des règnes de Trajan et d’Hadrien, le pouvoir romain cherche à restructurer et à améliorer le réseau d’habitat et le système de communication dans la province15. Les anciens centres de production, qui poursuivent leur vie active deviennent – sous l’enseigne de « fondations romaines », des centres administratifs de la province désormais organisée en ciuitas. C’est le cas notamment d’Hadrianopolis, d’Anchialos et de

Bizye. Il existe également dans cette partie de la Thrace l’exemple d’une véritable création

romaine : la colonie de Deultum.

15 Cette partie du chapitre Antiquité a été rédigée en s’appuyant sur Balabanov – Petrova 2002, pp. 237 – 247 ;

Hadrianopolis (l’actuelle Edirne en Turquie) est une ville importante en raison de sa

position stratégique. Elle devient capitale d’une cité romaine et connaît un essor économique et culturel dès le début du II siècle de n.è. Car avant de prendre le nom de l’empereur Hadrien, la ville s’appelait très probablement Tonzos et portait le qualificatif Ulpia, qui évoque le rôle fondateur de Trajan. Il faut donc conclure que toute la région du Sud-est de la Thrace (cités d’Augusta Traiana, de Deultum, d’Anchialos, de Bizye) a été réorganisée par cet empereur.

En l’état actuel des connaissances, la ville d’Hadrianopolis reste totalement inconnue, exception faite des monuments cultuels désignés par les documents épigraphiques et numismatiques.

Durant près un siècle, la ville d’Hadrianopolis devient l’un des centres de monnayage les plus importants dans cette partie de l’Empire romain. Des études quantitatives ont montré que de ses ateliers sont sortis 439 types monétaires. Mais, vers l’an 220 de n.è. la frappe monétaire dans les ateliers thraces s’interrompe, y compris dans ceux d’Hadrianopolis. C’est durant le règne de Gordien (238 – 244) que cette activité va reprendre avec une intensité surprenante due à la nécessité de couvrir les dépenses pour tenir une armée (261 types monétaires en six ans).

L’agglomération de Cabyle malgré que prospère dépend administrativement d’Augusta Traiana – Beroe, ville nouvelle de Trajan, située au cœur de la plaine de Thrace.

Le pragmatisme romain a préféré Anchialos (l’agglomération avait le contrôle sur les salines) au dépend d’Apollonia Pontica et cette première est devenue capitale de cité. Le site n’est pas étudié de nos jours, mais son aspect a sans doute changé en rapport avec son nouveau statut.

Il faudrait également mentionner l’agglomération fortifiée thrace Bizye (l’actuelle Viza en Turquie), située au-delà de la Strandzha Pontique, qui devient, elle aussi, capitale de cité à l’époque de Trajan.

L’ensemble de ce territoire fait partie de la province de Thrace. Les agglomérations énumérées ci-dessus ont exercé leur influence sur la région du Sakar et de la Strandzha durant l’Antiquité romaine. Mais c’est surtout la ville de Deultum/ Doveltos, localisé à 20 km à l’ouest du golfe de Bourgas, qui a joué un rôle fondamental pour toute cette zone.

C’est une colonie de vétérans de la VIII légion d’Auguste, fondée pendant les dernières années du règne de Vespasien (vers 75 de n.è.). Connue sous le nom officiel de

colons, qui y vivaient, disposaient également de parcelles de terre dont ils avaient l’usufruit. L’installation d’une colonie de vétérans de l’armée romaine en Thrace n’est pas propre à l’organisation de cette province. En effet, il n’existe que deux établissements de ce type en Thrace : Deultum près du littoral de la mer Noire et Apri sur la côte égéenne.

Le site même se situe dans une zone des marécages que les régressions marines arrivaient à dessécher. Certains cherchent à voir dans le nom de la ville – Deultum/ Doveltos, une expression de cette particularité du terrain : « placée entre deux étangs », velta signifiant en thrace une zone marécageuse. Il est intéressant de savoir que le toponyme a survécu jusqu’à nos jours, car le village actuel se nomme Debelt.

On peut seulement supposer qu’il y a eu des installations du Second âge du Fer malgré que le site ne soit jamais mentionné par les textes avant l’arrivée des Romains. Certaines découvertes de trésors monétaires (pièces de monnaies de Philippe II et d’Alexandre le Grand, émissions de Byzie du II siècle avant n.è. entre autres), mais aussi de petit mobilier du Second âge du Fer laissent supposer qu’il y eu une occupation préromaine des lieux.

Comme tout autre cité romaine, la colonie avait son territoire (chora) dont on cherche aujourd’hui à reconstituer les limites. Le territoire de la cité d’Anchialos s’étendait au nord. C’est d’ailleurs une borne frontalière trouvée in situ au lieu-dit Kladentsité à Bourgas, qui indique jusqu’où s’étendait le territoire de Deultum : on peut y lire F(ines) c(oloniae)

D(eultensium). A l’est, la colonie avait un accès direct à la mer Noire. Toute la Strandzha

Pontique jusqu’à la rivière Veleka faisait partie de la cité : sur l’axe nord-sud celle-ci s’étendait sur une cinquantaine de kilomètres. Au sud, il y avait la cité de Byzie, qui comprenait Malko Turnovo et ses environs. La limite entre le territoire de Deultum et ceux des cités voisines d’Augusta Traiana et d’Hadrianopolis, situées respectivement à l’ouest et au sud-ouest, demeure floue. Le cours de Tonzos est proposé comme limite conventionnelle : le massif du Sakar serait donc entré dans la chora d’Augusta Traiana tandis qu’une partie des Monts Dervent aurait été sous le contrôle d’Hadrianopolis.

De Deultum partait une voir romaine en direction des Monts Dervent et de la Strandzha. En traversant la moyenne montagne via Fakia et le Mont Kervansaraï, on arrivait devant les portes d’Hadrianopolis. En passant par Malko Turnovo, on partait en direction de

Byzie pour descendre plus au sud jusqu’à Constantinopole. Une autre voie venant de Cabyle

desservait Deultum et continuait pour Apollonia Pontica. Au nord, la route du littoral était atteinte au niveau d’Anchialos après avoir contourné le golfe de Bourgas.

Le développement de la colonie de Deultum et de son territoire à l’époque romaine est perceptible au travers les traces matérielles de l’occupation du territoire. Une inscription d’Antonin le Pieux datant de 155 de n.è. témoigne de l’édification de bourgs et preasidia sur le territoire de la colonie16. Un autre document épigraphique, destiné à être envoyé à Rome et qui y est parvenu, exprime la gratitude des habitants de la colonie envers le pouvoir central pour sa bienfaisance. Enfin, il faut noter pour cette période, l’apparition d’un nouveau type d’occupation du sol – l’habitat isolé à vocation agricole ou artisanale (villa) contribuant lui aussi au développement du territoire. Par exemple, dans les environs les plus proches de la colonie, on ne dénombre pas moins de huit établissements de type villa des III – IV siècles de n.è.

La ville de Deultum à proprement parler occupe une superficie de 4 hectares environ et bénéficie d’une disposition amphithéâtrale sur la rive nord de la rivière Sredetska. Au cours des siècles, son noyau se déplaçait sensiblement puisqu’on peut distinguer trois étapes d’occupation bien distinctes dont la première date des I – II siècles. La ville est fortifiée semble-t-il au temps de Marc-Aurèle, mais elle était dotée peut-être d’un dispositif de défense déjà au moment de la campagne de fortification de la province de Thrace sous Antonin le Pieux.

Un nouveau rempart est construit au début du III siècle et la ville subit quelques transformations notables dans son plan d’organisation. D’ailleurs, les tronçons des murs d’enceinte conservés sur place sont facilement reconnaissables à cause du gneiss vert de la région d’Aïtos utilisé pour la fortification. Après avoir été attaquée à plusieurs reprises, la ville fut obligée de procéder à la réparation de ceux-ci : à partir des années 250 – 260 de n.è. ces réparations se sont faites en opus mixtum (mélange de matériaux, pierre et brique, liés au mortier).

La colonie avait tout d’une ville romaine normale. De plan orthogonal, les constructions intra muros s’organisaient dans des îlots, eux-mêmes rythmés par des axes de circulations orientés nord-sud (cardo) et est-ouest (decumanus). A ce jour, un certain nombre de bâtiments publics ont été étudiés : il s’agit notamment des thermes avec leur hypocauste, la fontaine publique et son réservoir d’eau, le forum, le temple du culte impérial. Tous ces éléments font partie des niveaux archéologiques correspondant à la ville des III – IV siècles de n.è. Le petit mobilier et les éléments de construction de cette période mis au jour sur le site sont significatifs du développement et de l’embellissement de la ville de Deultum. Son statut

16 Ce document est particulier, car il s’agit en effet de la seule inscription en latin mise au jour dans la région

de colonie romaine lui apportait des privilèges : par exemple, quelques-unes de ses émissions monétaires sortaient des ateliers de Rome.

Mais les III – IV siècles de n.è. sont aussi une période d’insécurité, qui s’achève par la destruction totale de la ville en 374 par les Goths. Les traces de cette invasion se retrouvent également dans la campagne environnante.

Pour conclure cet exposé sur l’occupation du sol à l’époque romaine en Thrace du Sud-est, il faut rappeler que parallèlement au développement des grands centres urbains, un réseau dense de sites d’habitats de taille et de fonctions variées se met en place sur le territoire de chacune des cités. Parmi des différentes catégories, on distingue les agglomérations secondaires de type emporia (centres de production et lieux de commerce), les stations routières de type mutatio ou mansio étroitement liées au développement du réseau routier, l’habitat rural groupé à vocation agro-pastorale ou en rapport avec l’extraction minière, les

villae enfin, un nouveau type d’occupation du sol, importé par les Romains.