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R EPONDRE AUX PROBLEMES POSES PAR L ’ ACCOMPAGNEMENT AU DOMICILE

Ici les directeurs sont quasiment unanimes pour évoquer que les lieux de réunion sont des espaces de parole, d’écoute et d’échanges entre les professionnels d’où émergent les solutions des problèmes posés par la prise en charge. L’expérience professionnelle est aussi déterminante et un directeur rapporte que les professionnels prennent en charge les problèmes et y répondent grâce à leur formidable sens de l’à propos, à propos qu’ils se forgent au fur et à mesure de leur expérience au contact des bénéficiaires. L’expérience permet d’accéder à une posture c’est-à-dire à une gamme de comportements qui permet de constituer, de manière apparemment quasiment naturelle, une frontière dans la relation entre le bénéficiaire et le professionnel. Lorsque les professionnels relatent la manière dont ils s’y prennent pour solutionner les imprévus qui s’imposent à toute personne impliquée dans la relation d’aide, il est évident qu’il y a matière à débat, à remise en question pour un personnel majoritairement en quête de reconnaissance par l’institution et par les pairs. Raisons pour lesquelles l’organisation, nous disent les directeurs, doit être « contenante » et entendre le

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personnel à partir d’une attitude compréhensive et protectrice tant qu’il n’y a pas de faute professionnelle.

Cela étant, selon les directeurs, les « tours de mains » des professionnels dans leur travail résultent pour partie de la formation professionnelle. Mais par contre, pour tout ce qui relève de la relation, les directeurs disent souvent « pas vu pas pris » pour signifier qu’ils n’accèdent qu’à une partie de ce qui s’instaure entre professionnels et bénéficiaires. Les professionnels trouvent les solutions à leurs problèmes de relation avec les bénéficiaires en puisant dans toute la gamme qu’offrent les relations intersubjectives privilégiées. Il existe toute une économie dans la relation, où tantôt l’un perd ce qu’il gagnera plus tard. On peut dire, qu’un certain degré d’interconnaissance atteint, les protagonistes développent les postures adaptées et attendues par autrui, et les rapports de don et de dette sont installés de sorte que professionnels et bénéficiaires s’y réfèrent pour maintenir et produire une qualité de relation qui, subjectivement, vaut pour les deux. Bien évidemment, tant que la relation est perçue en état d’équilibre, les directeurs de service sont tenus à l’écart de cette économie générale. Cet espace relationnel particulier que professionnels et bénéficiaires partagent semble se constituer du fait de la spécificité d’une intervention qui investit les espaces du bénéficiaire (le domestique comme espace social et privé) et attente en profondeur à ses territoires (le corps comme surface privée et territoire de l’intimité).

Lorsque les situations sont régulées, le personnel pris dans une impasse avec le bénéficiaire sait en parler en temps et en heure pour que la direction intervienne au mieux pour la protection des intérêts de tous. Deux directeurs disent avoir mis fin à des contrats du fait de la difficulté à travailler avec les bénéficiaires. Ces difficultés professionnelles se traduisent pour les directeurs de services par des coûts plus ou moins directs, indirects. Ils évoquent que les problèmes rencontrés au domicile dont ils sont saisis sont des situations souvent déjà fortement dégradées, et qui suscitent une extrême passivité de la part des professionnels, c’est-à-dire leur retrait de la relation avec le bénéficiaire, voire même à l’égard de l’association. Plus gravement, directeurs font l’hypothèse que certains problèmes rencontrés avec des bénéficiaires génèrent des situations de somatisation de la part du personnel. Un exemple nous a été rapporté d’une auxiliaire qui souffrait d’évanouissement à chaque fois qu’elle devait aller travailler chez une certaine famille. Cette auxiliaire a fait l’objet de rappels à l’ordre pour ses retards et ses absences répétées chez la famille en question. L’auxiliaire, alors que l’entente est perçue comme bonne avec l’organisation, n’a pas osé s’en ouvrir à sa hiérarchie, de peur d’être soupçonnée d’incompétente et de perdre son emploi. De son côté, l’organisation dit être, pour à peu près dix pour cent de son personnel, habituée à des comportements de négligence face au travail, étant donné la vulnérabilité sociale et l’instabilité psychologique de certains personnels. Il lui est donc difficile, en l’absence de prise de parole des professionnels, de dépister par elle-même, les situations de maltraitance faite au

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personnel. Il aura fallu un temps assez long avant que l’organisation comprenne que l’auxiliaire somatisait sa peur d’aller chez le client. Plus généralement, les services établissent une corrélation importante entre absentéisme des personnels et situation de souffrance au travail. Il est évident que cette possibilité de se soustraire à la relation avec le bénéficiaire par l’arrêt de travail varie selon les conventions collectives. Raison pour laquelle les démissions sont fréquentes et le « turn over » relativement important de la part d’une fraction de personnels.

Tous les directeurs s’accordent pour évoquer les épreuves, tels les décès des bénéficiaires comme non pas des problèmes, mais des situations toujours douloureuses qui affectent les professionnels. Les décès ou l’aggravation forte de situations de bénéficiaires lorsque ceux-ci sont connus par les services produisent une solidarité des équipes autour de la personne qui intervient, une forme de compassion collective se déclenche pour venir entourer et soutenir l’intervenant. S’agissant de comprendre la manière dont les directeurs essaient d’anticiper ces situations problématiques, on peut considérer qu’elles sont assez variées. Le plus souvent est évoquée la mise en place d’un dispositif qualité qui contient des procédures d’évaluation relativement cycliques. L’analyse de ces évaluations doivent permettre, autant que faire se peut et pour qui a le temps de les instruire, de repérer les situations en voie de dégradation afin d’y remédier en temps et en heure.

Un autre outil d’anticipation des problèmes que les directeurs disent utiliser, ce sont les dispositifs de formation qui privilégient les apports interculturels, les apports sur certains handicaps avec des explications sur les troubles du comportement associé, etc. et les dispositifs d’analyse de la pratique dont nous avons déjà parlé plus haut. Tout dispositif qui ne dédouane pas le management d’exercer un encadrement relativement rapproché avec le personnel, de le voir et de le suivre, de l’inviter à téléphoner ou à se manifester dès qu’il rencontre un problème.

On a évoqué plus haut que le port d’une blouse ou d’une tunique ou de tout signe distinctif de reconnaissance avait pour fonction la mise à distance, en permettant aux auxiliaires d’aide à domicile d’« endosser », c’est le cas de le dire, une marque de professionnalité qui devrait être à même de tenir à distance le risque que s’établissent des rapports de domesticité entre personnel et bénéficiaire. De même, une manière d’anticiper, c’est de demander aux personnels d’exercer systématiquement le vouvoiement, de ne pas appeler les gens par leur prénom mais par leur nom de famille, etc..

D’autres directeurs estiment qu’il existe souvent une symétrie des problèmes, ceux rencontrés par les professionnels renvoient à ceux rencontrés par les bénéficiaires, c’est-à-dire que les bénéficiaires posent des problèmes qui deviennent ceux des professionnels et inversement. D’où l’importance d’avoir des procédures administratives les plus précises possibles afin de protéger les

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uns et les autres de toute intrusion. Certains directeurs intègrent dans leur management le préjugé selon lequel les milieux d’aide à domicile ont mauvaise réputation, on l’a dit plus haut, « ce sont des voleurs, des racketteurs, des gens qui abusent etc. », d’où l’importance de border les mailles du filet de l’intervention à domicile par des procédures à même de réduire au maximum l’utilisation détournée que certaines personnes malveillantes pourraient faire des espaces qui ne pourront jamais être sous les yeux d’un contrôleur.

On conclura sur cette question des conditions de travail et des modalités d’anticipation souhaitables à mettre en place pour atteindre l’utopie du « zéro défaut », que les problèmes à venir restent finalement très difficiles à prévoir. L’idée étant bien sûr d’avoir un dispositif organisationnel extrêmement réactif et disponible que ce soit auprès du bénéficiaire, auprès du personnel ou de disposer aussi de partenaires qui puissent faire tiers entre le bénéficiaire et le professionnel. Chaque service cherche la satisfaction des bénéficiaires et la fidélité de son personnel, d’où l’importance de sécuriser leur intervention.

7° - Les problèmes récurrents que les professionnels rencontrent avec les bénéficiaires

Les directeurs sont amenés, quand ils le peuvent, à prendre en charge deux types de problèmes récurrents de l’accompagnement. Le premier porte sur les conditions de travail, le deuxième sur la relation humaine qui s’instaure entre professionnel et bénéficiaire.

S’agissant des conditions de travail, les personnels rapportent souvent leurs conditions misérables : mauvais salaire, horaires toujours difficiles, décalés, éloignement de la maison, mais aussi lieux d’exercice situés aux quatre coins du département, pénibilité de la tâche, fatigabilité du travail. Les professionnels parlent aussi de contextes d’interventions difficiles, voir offrant peu de sécurité : les contextes d’interventions d’accompagnement à la fin de vie, ou de mésententes entre les aidants avec la personne aidée, ou encore des contextes dans lesquels il y a des enfants insolents, violents, menaçants pour le personnel.

L’ensemble de ces problèmes semble exacerbé du fait de la faible reconnaissance institutionnelle et sociale du métier d’auxiliaire de vie.

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S’agissant des problèmes qu’ils rencontrent dans la relation avec les bénéficiaires22 les professionnels parlent de leurs difficultés :

! à supporter les personnalités jugées précisément « insupportables » (racistes, machistes, sévères, rigides, violentes, menaçantes).

! à accepter l’irrespect dont font preuve les personnes aidées et parfois leur entourage, irrespect qui se traduit par des propos insultants en règle générale, et parfois cyniques, méprisants, humiliants, etc..

! à être instrumentalisé comme femme de ménage et non comme auxiliaire de vie sociale.

! à accepter l’absence d’implication et la non participation des bénéficiaires à des tâches dont certains sont en capacité de s’affranchir.

! à être pris à partie sur des sujets qui ne concernent pas le professionnel (exemple : problèmes de succession, questions financières débattues entre les bénéficiaires et les aidants).

! à plier sous l’exigence démesurée de certains bénéficiaires (sur la propreté, le rangement, l’utilisation d’ustensiles…) ;

! à faire avec les contradictions éthiques et morales dans lesquelles les bénéficiaires les mettent lorsqu’ils formulent des demandes d’accompagnement à la sexualité ou lorsqu’ils engagent des discussions ayant trait à leur désir de suicide ;

! à être pris dans des situations d’accompagnement de fin de vie sans être volontaire (ce serait la raison pour laquelle certains professionnels préfèrent travailler avec les personnes handicapées plutôt qu’avec les personnes vieillissantes. Il n’y a rien à faire contre la fin de vie alors le handicap mobilise le sentiment d’injustice qui se concrétise par une action de refus de la fatalité au travail).

Ces problèmes rejoignent ceux portant sur la thématique de l’isolement social, mais leur récurrence amènerait certains professionnels à ne plus risquer de s’exposer à la relation avec certains bénéficiaires. Au thème de l’isolement social des bénéficiaires fait pendant celui du professionnel.