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La qualité des environnements résidentiels comme générateur potentiel de mobilité de loisirs : les bases théoriques de l’hypothèse de compensation

1) le délassement : ce temps sert à délivrer de la fatigue physique des obligations quotidiennes, en particulier du travail ;

4.1.  Territoires et mobilités de loisirs : l’hypothèse de compensation qui remet en cause les vertus de la ville compacte

4.1.2. La qualité des environnements résidentiels comme générateur potentiel de mobilité de loisirs : les bases théoriques de l’hypothèse de compensation

Les principales hypothèses formulées dans ce domaine suggèrent que les qualités des environnements résidentiels pourraient être une source potentielle d’insatisfaction face aux besoins particuliers du temps libre, et qu’elles jouent ainsi un rôle de générateur de mobilités de loisirs. Meyrat-Schlee (1993), Fuhrer et Kaiser (1994), Tillberg (1998), Blinde et Schlich (1998, 2002) ou encore Schlich et Axhausen (2002), parmi les premiers à aborder ce sujet, portent ainsi leurs recherches sur cette idée. Ils soulignent le panel très important de besoins ou d’aspirations vis-à-vis du temps libre qui constituent autant de demandes envers l’habitat ou l’environnement résidentiel. Furher et Kaiser, par exemple, assoient leur approche en sollicitant des concepts issus des théories des motivations humaines, en particulier le modèle de Bischof, dit de la régulation des émotions (Bischof, 1985).

LaréguLationdesémotions

Le modèle de régulation de l’émotion (ou modèle de Zurich) a été énoncé par le psychologue Norbert Bischof en 1985. À partir de ses réflexions sur les fonctions à la fois biologiques et sociales inhérentes à tout être humain, Bischof avance que les motivations humaines sont globalement déterminées par trois types d’émotions sociales de base qui constituent autant de signaux de besoins (Fuhrer et Kaiser, 1994) :

1) la sécurité qui est associée à la confiance et à la proximité ; 2) l’excitation qui dépend de la rencontre de l’autre et de l’inconnu ;

3) l’autonomie qui est associée aux capacités d’agir, à la liberté au succès et au pouvoir.

Selon lui, la régulation de ces émotions de base passe par une mise en concordance de la situation d’état en tant que réalité qui s’impose aux individus – ce qu’il appelle « Ist-Wert » – et la situation de souhait, telle que désirée par eux (« Soll-Wert »). Selon ce modèle, l’individu est ainsi constamment appelé à agir de manière à faire concorder, autant que possible, la situation qui s’impose à lui avec celle qu’il estime être la situation souhaitable.

Selon ces chercheurs, l’approche de Bischof peut s’appliquer à l’habitat. L’environnement résidentiel, considéré tant à l’échelle du logement qu’à celle de l’agglomération, peut alors être interprété comme un état donné (« Ist-Wert ») plus ou moins concordant avec l’état souhaité par l’individu (« Soll-Wert »). L’acte de régulation se fait alors soit en faisant tendre les émotions souhaitées vers l’état donné (Soll-Wert devient Ist-Wert), soit en faisant tendre l’état donné vers l’état souhaité (Ist-Wert devient Soll-Wert) (Fuhrer et Kaiser, 1994). Ce processus à double sens explique pourquoi une même situation peut être considérée comme problématique aux yeux d’un individu A, alors qu’elle ne l’est aucunement pour B. Cette approche signifie que l’environnement résidentiel doit pouvoir répondre aux exigences personnelles des acteurs, des exigences variant en fonction de leurs représentations et qui concernent les 3 émotions de base :

1) la sécurité : le logement, l’immeuble, le quartier doivent satisfaire les critères de confiance et de proximité, et jouer le rôle de refuge ;

2) l’excitation : l’environnement résidentiel doit comporter un certain nombre d’attraits, susciter la curiosité, offrir de la nouveauté et de l’inconnu, des ingrédients qui sont en contradiction avec les besoins de sécurité qui supposent la confiance et le connu ;

3) l’autonomie : l’habitat doit répondre à une demande de reconnaissance sociale, de prestige ; il doit être le reflet de la position sociale, du succès et du discours identitaire envers soi et envers les autres.

Fuhrer et Kaiser citent volontiers les théories du chercheur allemand Horst Opaschowski afin d’appuyer une argumentation concernant la diversité des besoins de loisirs. Opaschowski, un des auteurs les plus prolifiques de la littérature germanophone dans ce domaine, avance, en effet, dans son ouvrage Pädagogik und

Didaktik der Freizeit (1990), que la gestion du temps libéré des contraintes familiales

et du travail sert avant tout à couvrir huit catégories de besoins : 1) le divertissement, le délassement, la santé, la détente ;

2) la compensation, l’équilibre, le plaisir, l’insouciance, l’éloignement des règles usuelles ;

3) l’éducation, la connaissance et l’apprentissage, le changement de rôles, l’affirmation de soi ;

4) la contemplation, le temps pour soi, la réflexion, la spiritualité ; 5) la communication, l’échange, l’empathie, les contacts physiques ;

6) l’intégration, l’être ensemble avec ses pairs, la stabilité sociale, l’appartenance au groupe ;

7) la participation, l’initiative personnelle, la poursuite d’objectifs fixés, la responsabilité et la solidarité ;

8) l’inculturation, l’épanouissement, le déploiement de ses capacités et de sa spontanéité.

Les quatre premiers besoins concernent d’abord l’individu et sa sphère d’action, alors que les quatre suivants relèvent davantage de l’altérité et des sociabilités (Opaschowski, 1990). Tout comme l’approche par la régulation des émotions, celle d’Opaschowski est sollicitée pour souligner que les loisirs sont essentiellement investis dans l’objectif d’une recherche plus ou moins importante d’équilibre, et que cette recherche est commune à tous les êtres sociaux. Dès lors, lorsque leur cadre de vie ne leur permet pas de couvrir suffisamment ces besoins, les individus sont appelés à visiter d’autres lieux offrant les émotions ou les aménités souhaitées ; une pratique qui entraîne alors de la mobilité spatiale (Tillberg, 1998).

À partir de ce type d’approches théoriques, on est logiquement amené à pointer les carences des environnements urbains denses. Alors qu’ils peuvent répondre aux principaux besoins du temps contraint (travail et ménage), notamment en raison de la proximité des équipements et des services, ils peuvent paraître beaucoup plus insatisfaisants vis-à-vis des besoins et des envies d’évasion, de repos, de plein air, de silence ou de nature inhérents aux loisirs. Ce type de forme urbaine pourra alors impliquer la réalisation de déplacements supplémentaires en vue de satisfaire ces besoins. Certains auteurs parlent de « déplacements compensatoires » ou d’hypothèse de compensation (Naess, 2006a ; Norland et al., 2005).

Fuhrer et Kaiser (1994) soulignent, à partir de leur enquête auprès d’habitants des quartiers centraux de la ville de Berne, à quel point la qualité psychique et sociale de l’habitat est un facteur déterminant de leurs mobilités de loisirs. Ils mettent en évidence l’existence de six types de facteurs liés à l’environnement résidentiel susceptibles de provoquer des déplacements de compensation (Fuhrer et Kaiser, 1994, cités dans CEMT, 2000) :

1) le bien-être : être à l’aise dans son domicile et disposer d’espaces autres que fonctionnels, tels un atelier, un balcon, un grand séjour pouvant être investi et décoré, ou être propriétaire de son logement réduit les besoins de déplacement ;

2) le bruit : le bruit du trafic routier subi à domicile est source de déplacements de loisirs ;

3) le jardin : un espace libre de plein air réduit les envies de déplacements des citadins ; ceux qui n’en disposent pas prolongent leur sphère d’habitat par des déplacements en voiture ;

4) la hauteur : habiter dans les étages supérieurs des bâtiments et des tours est associé à davantage de déplacements compensatoires par comparaison avec les résidents des étages inférieurs ;

5) la sociabilité : la possibilité d’échanger et de rencontrer des gens est un des principaux motifs de la mobilité de loisirs ; aussi, disposer d’un réseau local de

sociabilités et de lieux propices à l’échange dans son environnement résidentiel diminue la mobilité de loisirs ;

6) la symbolique de la voiture : si les habitants sont attachés à la voiture en tant que symbole de statut social et de distinction, leur mobilité de loisir s’appuie particulièrement sur ce moyen de transport.

Dans cette ligne, Schlich et Axhausen (2002) montrent qu’habiter dans un environnement périurbain attrayant conduit statistiquement à un nombre plus réduit de déplacements de loisirs par comparaison avec les habitants des centres denses. Ils soulignent que les personnes dont le logement est doté d’une surface extérieure ou celles qui possèdent un logement secondaire passent moins de temps de loisirs en dehors de leur logement. D’autres recherches vont dans le même sens, mettant en exergue l’existence de corrélations négatives significatives entre la distance à un espace vert proche (public ou privé) et la réalisation de certains types de déplacements de loisirs (Kitamura, Mokhtarian et Laidet, 1997 ; Lanzendorf, 2000 ; Maat et de Vries, 2006). Naess (2005) met en évidence que l’accès à un jardin privé réduit la mobilité dans tous les contextes urbains. Selon Perrels (2005), les citadins des villes denses se caractérisent par une « mobilité de consommation de nature » basée sur une mobilité à longue distance destinée à compenser un accès limité aux espaces verts ou extérieurs.

Labi- résidentiaLitécommeFormehybride demobiLitécompensatoire ?

Dans son approche de la mobilité, Kaufmann (2008) met en exergue l’émergence de nouvelles formes de mobilités caractérisées par leur hybridité dans le schéma de partition de la mobilité en quatre domaines : la mobilité quotidienne, la mobilité résidentielle, les voyages et les migrations.

Parmi ces formes émergentes, la bi- résidentialité, qui désigne un mode de vie fondé sur des lieux de résidence généralement distants de plusieurs centaines de kilomètres et des déplacements fréquents entre ces sphères d’habitat. Selon Kaufman, les ancrages locaux et l’attachement au lieu de vie constituent deux facteurs explicatifs de ce type de mobilité, et la dimension sensible joue un rôle important.

On voit ainsi des individus conserver une maison dans une campagne verdoyante où ils apprécient de passer leur temps libre, et occuper, quelques jours par semaine, des logements plus petits en centre-ville, bien qu’ils les apprécient peu, pour y profiter d’opportunités de travail (Vincent- Geslin et Kaufmann, 2012).