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Conditions de l’entretien : A cabinet du médecin, de 8h à 9h avant ses consultations

Julien : Je commence par des petites questions sur vous pour vous présenter un petit peu. Est-ce que je peux vous demander votre âge ?

Dr C : oui, 50 ans.

Julien : OK. Donc, vous exercez à Péronne. Vous avez toujours exercé ici ? Dr C : Non

105 Dr C : Moi, j’ai commencé par remplacer. Après, je suis allé en montage, faire les saisons de ski. Après, je suis allé remplacer en Guadeloupe. Après, je suis revenu, j’ai fait de la montagne. Après, j’ai travaillé à l’hôpital. En fait, j’ai travaillé longtemps à l’hôpital parce qu’en fait, j’ai fini urgentiste, praticien hospitalier jusqu’à il y a 4 ans, où j’en ai eu ras le bol, et je me suis installé ici.

Julien : D’accord, donc vous avez un large panel quoi. Du coup, en médecine générale. Et puis j’ai vu à l’entrée que vous faites aussi de l’acuponcture, des choses comme ça.

Dr C : Oui, je suis ostéopathe, médecin du sport, entre autre.

Julien : D’accord. Très bien. Le cabinet, c’est un cabinet individuel ? Dr C : Tout seul ici

Julien : Oui. Et est ce que vous avez une secrétaire ? Dr C : En ligne.

Julien : C’est un secrétariat à distance. Dr C : Oui

Julien : Ok, ça marche. Donc, voilà, ça c’est les petites questions pour vous présenter. Euh, maintenant, on peut entrer dans le vif du sujet. Donc, je vous avais annoncé au téléphone, qu’on allait parler de l’humour au cours d’une consultation médicale. Comment vous avez réagi quand je vous ai annoncé le thème de l’entretien au téléphone ?

Dr C : Bah, c’est pas que c’est surprenant, mais, pour une thèse, c’est pas tous les jours qu’on en voit. Parce que moi, je reçois tous les mois… Enfin, la mode, en ce moment pour les thésards, c’est de faire des questionnaires sur le diabète, comment vous faites sur ceci, comment vous faites pour cela… C’est dingue.. Je trouve que… Je ne réponds même plus. C’est vrai que j’en reçois trop. Et puis, c’est 4, 5, 6 pages à remplir. Après sur l’humour en consultation, j’avoue que je sais pas si ça a déjà été fait comme thèse. Oh, on peut pas dire que ça m’a surpris, mais je me suis dit que c’était quand même un sujet qui change.

Julien : D’accord, donc sujet original, c’est ça que vous avez retenu ?

Dr C : Oui, oui parce que c’est pas fréquent. Je ne dis pas que ça n’est pas sérieux comme sujet puisque de toute façon, moi ça fait partie intégrante de ma consultation. Ca dépend avec qui, quand je ne connais pas trop les gens. Mais maintenant, au bout de 4 ans, la plupart des patients, sauf en ostéo parce que c’est plus des gens que je ne connais pas trop parce que ça tourne quand même pas mal. Sinon, tous ceux que je connais depuis 4 ans, c’est vrai qu’ils commencent à me connaître, ils savent que…

Julien : Donc vous, vous utilisez l’humour en consultation plutôt avec les gens que vous connaissez, quoi ? C’est ça ?

Dr C : Oui, ou que je ne connais pas. Mais, je fais plutôt de l’humour noir avec ceux que je connais. Et j’ai plutôt un humour classique avec ceux que je ne connais pas. Mais, ça dépend. Le matin, moins. Le matin à 8h, comme ça, je suis avec mon courrier et tout ça. C’est plus délicat.

Julien : Oui

Dr C : Mais au fur et à mesure de la journée, oui, je… Après, pas tout le temps non plus parce qu’il y a des choses qui nécessitent… euh, enfin des choses où l’humour est plutôt malvenu quoi. Par exemple, quand il faut annoncer à quelqu’un des résultats d’anapath et qu’ils ont un cancer de la langue comme hier, bon… L’humour, bof…

Julien : Bien sûr oui.

Dr C : Et après, je l’utilise beaucoup aussi pour dédramatiser. Puis après pour déconner avec les jeunes que je suis beaucoup en médecine du sport. Parce que c’est surtout une patientèle un peu plus jeune que la moyenne, je dirais, parce que je vois beaucoup d’ados et d’adultes jeunes pour le sport. En ostéo, j’ai un panel plus large. Mais c’est vrai que j’ai plutôt une population de jeunes, quoi. Beaucoup de gamins

106 Julien : D’accord. Du coup avec les gamins par exemple, comment est-ce que vous l’utilisez l’humour ?

Dr C : Rhoo

Julien : Et pourquoi, surtout. Dans quels buts ?

Dr C : Bah, c’est pas dans un but ou un autre. Les gamins, ils le savent, j’ai toujours été comme ça. Je sais pas faire autrement que de faire en déconnant un peu, quoi. Je pense qu’au départ ça a toujours été pour me rassurer. Parce que, euh, comment dire, euh… Bon j’ai toujours eu plus ou moins d’humour quand même. Mais quand on est étudiant et tout ça, on stresse quand même pas mal. Enfin moi, à mon époque, on nous balançait en garde, on était quand même tout seul. Moi quand j’étais interne, j’avais pas de sénior, j’avais rien quoi. Fallait se démerder quoi. Et puis c’est vrai qu’on rigolait pas mal entre nous. Mais je pense que c’était aussi une façon de se rassurer. Une façon de se libérer un peu, de relâcher un peu la pression avant de rattaquer.

Julien : Entre vous, c'est-à-dire avec les collègues ou avec les patients ?

Dr C : Bah avec les collègues oui. Avec les patients, un peu moins, parce que, je pense qu’à l’époque j’avais pas trop envie de déconner avec eux parce que déjà, j’étais pas tellement sûr de moi, hein. Déconner, c’est quand on a déjà un petit peu d’assurance, un peu de métier, on sait où on va, quoi.

Julien : Oui

Dr C : Mais quand on est interne, enfin moi sincèrement, quand j’étais interne et que je voyais des gens en garde, je savais pas ce qu’ils avaient. Et quand ils étaient hospitalisés, je savais toujours pas ce qu’ils avaient, hein. Non, mais faut être honnête, je veux dire, on n’a pas d’expérience, on est pas encadré. C’est… Enfin moi, c’était surtout pour déconner avec les autres. Et je pense que c’était beaucoup pour ça aussi que l’esprit carabin existait. Parce que je pense que c’était une façon.. Y’avait pas que l’humour, y’avais aussi les bêtises. Je pense que c’était aussi une façon de se rassurer, de libérer la pression et de lâcher un peu tout le stress qu’on pouvait avoir.

Julien : D’accord, c’est une bonne réponse. Super. Et donc, si on ré-axe un peu sur l’utilisation de l’humour avec les patients ? Euh, peut être, tout à l’heure, on avait l’impression que vous étiez en train de dire que c’était quelque chose d’un peu inné ?

Dr C : Oui, ma grand-mère, elle disait toujours que j’étais drôle. Alors là ça se voit pas parce que je suis pas du matin et puis quand je vois que j’ai tout ça de retard encore… Je pense qu’avec les patients, c’est aussi beaucoup pour, comment dire… A titre éducatif, informatif. Euh, blaguer pour leur expliquer un régime diabétique, leur expliquer ce qu’il ne faut pas manger pour le cholestérol, euh, une conduite pour ceux qui ne s’échauffent pas et qui vont aller se faire des claquages, des rétractions musculaires, et tout quoi. Je pense, enfin, je sais pas, peut être que je me trompe, mais je pense qu’on retient plus facilement quand on a eu ce genre de contact. Avec un peu d’humour, ça reste plus facilement ancré, et plus longtemps que d’être directif, froid, et puis de balancer une feuille, en disant « ça, vous vous démerdez avec et puis bah tant pis si vous savez pas lire ! »

Julien : OK. Et les patients, vous avez l’impression que ça marche quand vous avez ce genre de comportement ?

Dr C : Oui. Enfin, j’ai l’impression que ça passe bien parce que j’ai des bons retours. Alors après, il y a des gens, je vois très bien que, euh, ils attendent pas forcément ça de la part d’un médecin… Mais attention, je ne suis pas non plus le clown du matin au soir, hein !!Ca c’est clair et net ! Mais j’en glisse toujours une ou deux quoi… Après, il faut aussi avoir, un peu comme dans des films à la télé, des temps forts et des temps faibles quoi. Je pense qu’il faut avoir un temps dans la consultation où moi je fais de l’humour, et un temps où on est vraiment sérieux. Tu vois ? On arrête de blaguer parce qu’il y a des choses qui sont vraiment

107 importantes à dire. Et puis, avec l’humour, on peut dire des choses importantes mais ça casse. Ca fait un break et ça montre la différence, quoi.

Julien : Vous pensez que des fois, ça peut être un peu… Vous dites des fois, il faut casser un peu, il faut redevenir un peu sérieux. Vous pensez que des fois l’humour peut aussi être un peu délétère ?

Dr C : Ben, je pense pas que ça peut être délétère de faire de l’humour. Je pense pas, non. Quand l’humour est bien amené, bien conduit, qu’il est placé comme il faut et que ça reste vraiment dans le ton de la consultation. Et bien à ce moment là, mon je pense que ça n’est jamais délétère. Y’a des gens, on sent quand ils arrivent ici pour de l’ostéo qu’ils sont tout froids, tout contractés. Et ça aide aussi sur certaines techniques, en ostéopathie, qu’on appelle les techniques dites de Jones qui sont des techniques pour lever les points douloureux. Il faut vraiment être décontracté et vraiment se laisser aller pour cette manœuvre, sinon, on ne peut pas y arriver. Donc en détendant les gens, en leur montrant que je ne suis pas pour les expédier en 5 minutes, crac, crac, non. Je pense que ça aide aussi à instaurer un petit climat de détente et d’entente et de confiance, je pense. Enfin, moi, je marche comme ça. Moi, quand je vais me faire soigner et que je vais voir des confrères, si ils sont froids et tout, je n’y retourne pas. Si ils sont sympas et tout… Alors, on est pas tous pareils dans notre façon de travailler mais j’aime pas trop les abords très froids ou les gens qui font strictement leur travail. Alors, c’est bien. Il y a des gens très compétents. Mais je pense qu’il faut un peu de détente et de convivialité. Alors j’ai aussi beaucoup travaillé dans le Nord puisque j’étais urgentiste à Cambrai. Et là-bas, on est vraiment tranquille quoi. Ici, ils sont... Enfin pourtant, je suis né ici, mais je vois un peu la différence. Ils sont un peu plus froids, on va dire.

Julien : Donc, vous pensez que les patients ici, ils sont parfois moins enclins à recevoir l’humour que dans le Nord ?

Dr C : Oh non, Je pense que… c'est une question de culture, peut-être d'éducation aussi. Non, non, non je pense que tout le monde est enclin... L'humour c'est, euh, des grandes, des grandes, euh, comment dire ? Des grands sujets en philosophie dont j'ai horreur d'ailleurs. Avec leurs conneries de " Le rire est le propre de l'homme", "L art est machin..." Enfin pour moi toutes ces conneries la… Euh, oui ça nous appartient. On ne s'en rend pas compte, mais

ça nous appartient. Après, ils sont plus ou moins réceptifs.

Julien : OK. Il y a d'autres patients... On parlait des diabétiques, des jeunes, des patients que vous voyez en ostéo… Il y a d'autres patients avec qui vous faites de l'humour dans un but particulier ?

Dr C : En fait, non. On ne peut pas vraiment dire que ce soit vraiment fait exprès. C'est dans ma nature, c'est tout. En fait, c'est dans ma nature.

Julien : D'accord.

Dr C : moi, avec les gamins, ils le savent. Je ne sais jamais dire un truc, ou leur expliquer un truc sans faire le con, de toute façon. Ça, c'est clair. (Silence) Attends, parce que je regarde un truc sur mon agenda en même temps.

Julien : Je vous en prie, allez-y.

Dr C : Non, parce que je vois qu'il n'y a plus aucune place de libre, et que je finis tôt aujourd'hui...

Julien : Alors, sinon, dans une consultation, et ce que vous trouvez qu'il y a des moments qui sont plus propices à faire de l'humour ou alors, ça peut sortir n'importe quoi ?

Dr C : Non, moi c'est n'importe quand. Oh oui, oui. Et ça dépend comment je suis luné aussi. Ça, c'est évident. C'est pas tout le temps. C'est pas tous les jours, ou tout le temps. Oui, ça dépend aussi comment je suis luné aussi. Et ça dépend aussi de comment le patient m'aborde, quoi. Ce qui arrive, et qui direct, on fait leur diagnostic parce qu'ils ont regardé depuis trois jours sur Internet, pff. Là, je suis plus froid. Je leur donne l'ordonnancier et puis je leur demande de faire le traitement.

108 Julien : OK.

Dr C : Ouais, parce que… Souvent, en plus, ils ont tort. Si on a fait aussi longtemps d'études pour après, euh, se taper autant d'expérience… c'est pas en regardant sur Internet, et en les écoutant dire « tiens, j'ai ci, j'ai ça ». Ils peuvent approcher. Ils peuvent avoir raison. Enfin, les toujours et les jamais, en médecine…

Julien : Finalement, vous utilisez peut-être plus l'humour avec les gens qui ne sont pas d'emblée frontaux avec vous?

Dr C : oh non, non. Pas vraiment ça, mais. Enfin, maintenant ils sont habitués. Non, parce que je veux dire... Non, moi, ça fait partie… Même quand j'étais étudiant, après, même quand je travaillais à Cambrai et tout, non, c'est pas... Faut être sérieux, mais... on va dire que y'a pas une consultation… C'est dans ma nature, quoi... C'est comme ça, quoi… J'aime bien aussi détendre, dédramatiser, relâcher parce qu'on n'en sait toujours plus. On n'en sait toujours plus quand les gens se livrent, qu’ils se libèrent un peu dans le cadre de l'humour, et tout, d'une blague, et tout ça, pour rattaquer et gratter un peu. Parce que l'interrogatoire est hyper, hyper important. C'est, comme disait un de mes maîtres, c'est 80 % du diagnostic. Si on interroge bien les gens, franchement, on approche déjà beaucoup. Donc en détendant, on va dire, parce que je pense que l'humour fait détendre des gens, ils se laissent aller, ils sont plus abordables. Ils sont aussi peut-être plus facilement, j'en sais rien, mais on arrive mieux à gratter par l'interrogatoire.

Julien : D'accord. En parlant purement pratique, dans quel domaine vous arrivez comme ça, à gratter en utilisant l'humour?

Dr C : Bah, je sais pas. Ils sont peut-être plus honnêtes aussi. Plus… j'en sais rien. Ou ils parlent peut-être plus facilement. Après, dans quel but et tout ? Pff... c'est vraiment, moi je fais tellement de choses différentes. Oui, je fais vraiment beaucoup de choses différentes. Je fais beaucoup de gamins aussi, je fais beaucoup de pedia. En médecine, c'est varié aussi. En médecine générale, on ne peut pas dire que ce soit vraiment dans un cadre ou une symptomatologie particulière. Non, j'en sais rien, c'est…

Julien : vous pensez que,…, enfin vous pensez que ça peut servir à avoir des renseignements au cours de l'interrogatoire qu’on n’aurait pas réussi à avoir si on n’avait pas eu une relation un peu plus…

Dr C : Oui, parce que je pense que de détendre, les gens se sentent un peu plus à l aise en consultation. Ça, je le sais parce que j'ai encore mon père qui est dans le coin, qui est vivant et qui depuis le temps qu'il est ici, il connaît tout le monde. Et il a un retour assez favorable, enfin même très favorable en disant qu'avec moi les gens sont à l'aise. Donc je pense que ça aide beaucoup dans la consultation que les gens soient à l'aise. Ça, c'est clair et net. Dans l'examen, pour essayer de les détendre… parce qu'il y a aussi des choses qui sont plus ou moins intimes dans l'examen, hein. Les gens n'ont pas envie forcément de montrer leurs fesses, ou non, mais voilà quoi... Ou de dédramatiser sur une jeune fille de 15 ans parce qu'elle a mal à la poitrine et tout, euh... elle garde son soutien gorge, c'est normal aussi, enfin, c'est même rassurant à la limite que les gens restent encore pudiques, quoi. Non mais c'est vrai. Donc, il faut, voilà… c'est peut être aussi une façon de, de, de, de créer un lien de confiance. Ils ont confiance donc pour l'examen c'est plus facile. Parce que bon, quand je fais les ECG, en médecine du sport avec une gamine de 15 ans, lui faire comprendre qu'il faut retirer le soutien-gorge pour leur mettre les pastilles, euh, des fois, euh, c'est chaud, hein..

Julien : Oui.

Dr C : Non, mais c'est vrai, c'est chaud, hein. Julien : Non, mais c'est vrai, la pudeur…

Dr C : Bah, c'est normal. C'est normal, quoi. Donc il y a une façon d'expliquer, et puis c'est pas non plus on est hurlant après… Y'a une façon d'expliquer et en glissant une petite

109 blague, en dédramatisant, euh, bon allez, on va dire que, 10 fois sur 10, c'est tout quoi, le soutien-gorge se retire. Donc, voilà, quoi…

Julien : Ca marche. Très bien donc, ça c'était plutôt la manière dont vous vous utilisez l'humour. Et les patients ? Comment ils réagissent quand vous utilisez ce mode de communication ? Des fois, ils sont choqués ? Ou ils sont contents ?

Dr C : Non, ils blaguent aussi. Et puis ils me connaissent maintenant. Et puis il y en a qui peuvent être choqués aussi, oui, parce que des fois, c'est vrai que, bon, j'ai un humour des fois un peu,...

Julien : Oui, tout à l'heure vous parliez nous pensez que c'est ça l'image que les gens se font du médecin ? L'humour noir…

Dr C : Oui, des fois, y en a qui me le disent maintenant. Ils disent « oh des fois, docteur,… » Ils étaient des fois pas choqués, mais un peu surpris, quoi. Bon, bah, c'est tout. Mais je fais aussi attention à ce que je dis. C'est pas…

Julien : Vous avez un petit exemple, comme ça, qui vous vient en tête ? Dr C : Oh bah, c'est spontané, un exemple… (Silence) Ah une dame, oui. J'étais en train de lui retirer des fils parce qu'on lui avait retiré un beau grain de beauté dans le dos. Alors y’avait une belle incision en Y, et tout ça, pour rattraper tout ça… et… enfin, elle était très inquiète de savoir quel était l'aspect la cicatrice. Donc, moi je retirais les fils, je regardais, et tout. Et