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1. PORTRAIT DU TRANSFERT D’ESPÈCES ANIMALES TERRESTRES

1.3 Enjeux et impacts

1.3.3 Enjeux et impacts économiques

Les enjeux et impacts économiques impliqués dans le transfert d’espèces animales représentent des aspects ayant des répercussions importantes sur la réalisation de programmes de transfert.

D’abord, l’implantation de programmes de transfert requiert des moyens financiers considérables ainsi que de l’expertise professionnelle. Cela s’explique, entre autres, par le fait que la mise en œuvre de programmes nécessite du travail intensif et un suivi en continu pendant plusieurs années. (Fa et al., 2011) En revanche, le financement à long terme d’un programme est souvent déterminé par son succès dans les premières années à la suite de son implantation. En effet, lorsque ce niveau de succès n’est pas suffisamment élevé, le financement peut être interrompu et les individus retournés en captivité. Cela représente donc une problématique, puisque plusieurs années peuvent être nécessaires avant qu’une population puisse voir ses effectifs augmenter significativement, et donc qu’une évaluation correcte du succès d’un programme puisse être effectuée. (Estrada, 2014) Les coûts associés à un programme varient en fonction de divers facteurs, comme la taille de l’espèce ciblée dans le programme, la superficie de l’aire où l’espèce est transférée, les habitudes de l’animal ainsi que la fréquence de prise d’informations requise après le relâchement des individus (Stanley Price, 1989a). Par ailleurs, l’ampleur des coûts diffère entre les taxons; les coûts seraient moins élevés pour des oiseaux, des amphibiens et des reptiles que pour des mammifères (Fa et al., 2011). De plus, les programmes de transfert impliquant des mammifères de grande taille seraient plus coûteux que ceux impliquant des mammifères de petite taille, puisqu’ils peuvent nécessiter l’utilisation d’avions ou d’hélicoptères dans le cadre d’activités de télémétrie (Kleiman, 1989). Un programme peut facilement coûter entre plusieurs milliers de dollars et un million de dollars par année. À titre comparatif, les coûts estimés pour maintenir le programme de réintroduction des condors de Californie (Gymnogyps californianus) en 1982 aux États-Unis étaient de 13 000 $ US par individu par année (Kettmann, 2010, 7 janvier), tandis que ceux pour soutenir le programme de réintroduction des tamarins lions dorés (Leontopithecus rosalia) en 2003 au Brésil étaient, quant à eux, d’environ 22 000 $ US par individu par année (Kleiman, Beck, Dietz et Dietz, 1991). Pour leur part, les coûts combinés pour maintenir deux projets de réintroduction du loup gris (Canis lupus) dans l’État d’Idaho et au parc national de Yellowstone aux États-Unis se sont élevés à 6 700 000 $ US sur une période de 8 ans (Bangs et Fritts, 1996). Ceux pour soutenir le programme de réintroduction de bisons d’Amérique du Nord (Bison bison) dans le parc national de Banff au Canada étaient de 6 400 000 $ CA sur un horizon de 5 ans (Parcs Canada, 2018). Il faut cependant savoir que peu d’études publient les coûts associés à la réalisation d’un programme de transfert animal, et celles qui le font révèlent rarement la répartition de leur budget, tout comme leurs sources de financement (Fa et al., 2011).

Ensuite, non seulement faut-il pouvoir garantir un financement constant durant toute la durée du programme, mais il faut aussi être conscient d’un besoin éventuel de financement s’il faut arrêter le transfert d’animaux, notamment pour entreprendre des procédures d’évaluation et de comptes-rendus, et pour retourner les individus transférés en captivité selon les cas (Helmstedt et al., 2017). À cela s’ajoutent des besoins éventuels de financement nécessaires pour réparer les dommages causés par des individus transférés, le cas échéant (Helmstedt et al., 2017). Un tel scénario peut survenir si, par exemple, une espèce transférée devient envahissante (Bourne, s. d.). D’autres impacts économiques négatifs, comme des pertes monétaires reliées à des dommages aux biens de résidents locaux ou aux infrastructures publiques, peuvent aussi être occasionnés par la réalisation de programmes de transfert. (FIischer et Lindenmayer, 2000) Par exemple, comme expliqué précédemment, les agriculteurs et les éleveurs ont souvent des préoccupations importantes quant à des pertes financières pouvant être occasionnées par des dégâts faits à leurs cultures ou à leurs troupeaux d’animaux par une espèce faisant l’objet d’un programme de transfert dont le site de relâchement est situé à proximité de leurs propriétés. Dans de tels cas, il est possible de compenser les pertes pouvant être causées par des espèces transférées auprès des propriétaires, afin que ceux-ci ne soient pas affectés financièrement. Le programme de réintroduction des loups de Yellowstone est un exemple de programme ayant appliqué cette pratique. En effet, dans le cadre du programme, des compensations financières étaient remises par le gouvernement aux éleveurs qui subissaient des pertes de bétail par les loups. Toutefois, de telles façons de faire diminuent les bénéfices économiques pouvant être obtenus de ces projets de transfert. De plus, compenser financièrement les éleveurs de bétail ne répond qu’à une partie du problème, soit celle en lien avec les mortalités directement causées par la prédation. En réalité, les pratiques d’élevage traditionnelles éliminent complètement la présence de prédateurs potentiels; c’est pourquoi le bétail n’investit pas d’énergie pour être vigilant ou prendre la fuite dans ce contexte. Cela a donc pour effet de maximiser le poids des animaux de ferme, mais lorsque des prédateurs provenant d’un programme de transfert rôdent près des élevages, ceux-ci peuvent perdre du poids et ainsi diminuer les gains des éleveurs qui sont payés en fonction du poids des animaux. (Foo, 2013) La compensation financière peut également donner comme message à la population que de vivre avec la nature est quelque chose pour lequel on doit être compensé (Foo, 2013). Par ailleurs, lorsque des mesures sont financées afin de corriger des dommages engendrés par une espèce transférée, il peut être plus difficile d’obtenir un autre financement pour d’autres projets futurs. (UICN, 2012) Des méthodes permettant de prévenir les dommages potentiels causés par des individus transférés, comme l’utilisation de chiens de garde, de répulsifs sonores, de balisages et d’autres moyens dissuasifs, peuvent parfois être plus avantageuses que la compensation sur le plan économique. (Foo, 2013)

Dans un autre ordre d’idées, puisque les coûts associés à des programmes de transfert peuvent être très élevés et les sources de financement limitées, un des enjeux importants dans la réalisation de programmes est de s’assurer que les fonds disponibles sont utilisés de manière efficace. Pour ce faire, il est possible d’évaluer le rapport coût-efficacité des programmes. Effectivement, on vise généralement à dépenser les sommes les plus faibles possible pour obtenir le plus d’unités de biens environnementaux conservés

possibles, en l’occurrence le nombre d’espèces ou d’individus conservés le plus élevé possible. Ce rapport coût-efficacité est d’ailleurs particulièrement important de nos jours pour prioriser des actions de conservation, dans la mesure où sa maximisation peut augmenter les chances de recevoir du support financier pour la création d’un programme de transfert. (Lindsey, Alexander, Du Toit et Mills, 2005)

Malgré les coûts importants associés aux programmes de transfert animal, d’autres effets secondaires bénéfiques à l’humain peuvent être entraînés sur le plan économique. C’est le cas notamment des programmes implantés en Amérique du Nord, qui peuvent générer des bénéfices économiques substantiels grâce à l’industrie écotouristique. Par exemple, le parc national de Yellowstone, qui a fait l’objet d’un programme de réintroduction de loups, a attiré, en 2017, 4,1 millions de visiteurs ayant dépensé environ 499 millions de dollars dans divers secteurs économiques des localités régionales du parc. Ces dépenses ont permis de soutenir 7 350 emplois représentant 220 millions de dollars en revenus de travail. (U.S. National Park Service, 2018) Ces bénéfices économiques ne peuvent être tous imputables uniquement à la présence des loups, mais ils découlent principalement de l’engouement à les observer (Duffield, Neher et Patterson, 2008).

Finalement, lorsqu’un programme de réintroduction est mis en place, des bénéfices économiques à long terme occasionnés par l’amélioration des biens et services écologiques offerts par l’aire ciblée par un programme ont aussi des impacts positifs sur toute la société. Le transfert d’une espèce peut effectivement améliorer les services écosystémiques gratuits d’un milieu (p. ex. service de pollinisation des cultures et service de filtration des eaux), procurant, du même coup, des bénéfices économiques aux humains. (NSRF, 2014) À titre d’exemple, les bénéfices économiques que retirera la population américaine de l’instauration d’un programme de transfert de loutres de rivière (Lontra canadensis) aux États-Unis sont estimés à des valeurs totales variant entre 12 et 22 millions de dollars US sur une période de 10 ans, selon l’échelle de population ciblée (locale à nationale). (Kroeger, 2005) Les retombées économiques des biens et services restaurés ou créés par un programme de transfert animal peuvent donc représenter des bénéfices économiques non négligeables pour l’ensemble de la population.

2. FACTEURS À CONSIDÉRER POUR LA RÉALISATION DE PROGRAMMES DE TRANSFERT