Nous ne pouvons aborder l’enfermement des protagonistes sans comprendre celui vécu par les auteurs choisis : Tous les auteurs partagent cette expérience mais chacun selon son appartenance et son vécu:
III-4-1-L'Enfermement d'Abdelhamid BENZINE dans l'Algérie
colonisée à travers son témoignage romancé "Le Camp"
Abdelhamid Benzine est né le 27 avril 1926 à Beni Ouartllane en Algérie. Très jeune il s’engage dans le combat pour la libération du pays. Il a rejoint en 1940 le Parti du Peuple Algérien interdit depuis 1939.
Dans la préface du roman "Le Camp" écrite par Henri Alleg ce dernier nous raconte l'enfance d'Abdelhamid Benzine il dit:
qu'il était un "Fils de fellah pauvre, il avait subi la faim, la répression colonialiste, le chômage, les bidonvilles, l'exil en France et lui avait fallu
lutter durement pour s'instruire. Très jeune, il était entré en P.P.A 100. Où
il avait milité avec Omar Oussédik, autre collaborateur d'Alger
républicain, aujourd'hui représentant du G.P.R.A101 à Bamako (Mali), et
puis, après un reportage effectué dans les républiques soviétiques d'Asie Centrale dont il était revenu ébloui, il avait adhéré au Parti communiste algérien. Il se donnait à son métier, avec passion, en militant, heureux de lutter à ce poste pour l'indépendance algérienne, et c'est naturellement, sans besoin d'aucun débat intérieur que le journal interdit, il rejoignit les
rangs de l'A.L.N102, pour y poursuivre, les armes à la main cette fois, le
même combat libérateur.(Le Camp, p 8,9)
100 PPA est le Parti du Peuple Algérien qui a été fondé le 11 mars 1937 par Messali Hadj en France
101 G.P.R.A est le Gouvernement provisoire de la République algérienne
75 Zoheir Bessa dans son aperçu biographique103 d'Abdelhamid Benzine nous confirme qu'il a été arrêté au collège de Sétif en pleine campagne sauvage de répression du soulèvement du 8 mai 1945 où il passe un an en prison. Cet enfermement carcéral très précoce le prépare à résister à d’autres épreuves encore plus dures lorsqu'aux premiers coups de feu du 1er novembre 1954 "l’heure des comptes" avec le colonialisme aura sonné. Il a milité au sein du PPA (refondé en 1947 sous le nom de Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques) jusqu’à 1951. Son engagement s'est accompagné avec son exercice de plusieurs activités parmi lesquelles Zoheir Bessa cite: receveur de car, aide-comptable, ouvrier du bâtiment. Le mouvement patriotique lui a confié deux luttes/responsabilités, il est tantôt permanent syndical, tantôt permanent du PPA.
En France, il était le représentant des travailleurs algériens immigrés au sein de la direction de la CGT. Bessa confirme qu'il a assumé cette responsabilité au sein du syndicat français (CGT) car il est le seul à admettre dans ses instances de décision, des travailleurs algériens. C’est aussi le seul syndicat à accepter, en signe de solidarité internationaliste effective dans le combat anticolonialiste, que ce représentant soit désigné par l’organisation patriotique la plus représentative. Ce parcours a fait de Benzine un militant fervent qui est conscient de toutes les conséquences des oppressions coloniales en Algérie et en dehors, son combat va dépasser les limites de la colonisation française pour aller à la recherche d'une liberté planétaire pour l’abolition de l’exploitation capitaliste. Zoheir Bessa nous explique aussi la lutte de Benzine il dit :
" Il ne séparera jamais la lutte de libération nationale de la lutte pour l’émancipation des travailleurs et de l’affranchissement de la paysannerie pauvre algérienne non seulement de l’emprise du gros colon européen mais aussi de son asservissement par les féodaux algériens […]
103 BESSA, Zoheir, Aperçu biographique d'Abdelhamid Benzine .Consulté en ligne sur http://www.alger-republicain.com/IMG/pdf/Abdelhamid_Benzine_-_Apercu_biographique-2.pdf le 25 Mars 2015
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l’indépendance devra libérer les masses de la servitude, de la misère et
de l’exploitation."104
Benzine voyait que le combat pour l’indépendance:" ne se limitera pas à
chasser les colons européens Borgeaud ou Froger pour simplement les remplacer par des Algériens."105 Benzine était vraiment conscient de la valeur de la liberté, vu son enfermement déchirant:
"Dans les Aurès, il est venu rejoindre le maquis en décembre après que Chihani Bachir le lui ait demandé, rencontre a proximité de Lambèse, un chef de section qui se souvient de l'avoir vu dans des meeting en 48. Celui ci lui conseilla alors de repartir sur Alger car la situation allait être très difficile pour lui." 106
En novembre 1956, il a été blessé et a subi un enfermement carcéral après un accrochage avec l’armée coloniale. Il a été condamné par le tribunal militaire d’Oran à 20 ans de travaux forcés. Il passe 6 ans dans ce combat armé tout en connaissant plusieurs prisons dans différentes villes : Tlemcen, Oran, Lambèse. Son livre "Lambèse" est un document historique de témoignage dans lequel il relate l'héroïsme remarquable du peuple algérien, face aux conditions misérables de la détention et le comportement sauvage des gardiens et soldats français sadiques.
Abdelhamid Benzine a écrit "Le camp" pour décrire la soldatesque coloniale qui utilise toutes les formes de monstruosité pour faire payer aux combattants algériens leur volonté de se libérer du colonialisme. Dans "Le camp" son témoignage véridique dévoile les horreurs et les crimes des légionnaires français. Bessa confirme que :"Ces crimes ne sont pas le produit de quelques
"instincts sauvages de l’homme en général". Ils sont l’expression des tendances inhérentes aux méthodes d’extension de l’exploitation et de l’oppression capitalistes dans le monde."107
Henri Alleg dit à propos du témoignage de Benzine qu'il a:
104
Ibid.
105 Ibid.
106 ALLEG, Henri. La guerre d'Algérie. L'Humanité. Tome 2 - p.114
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"l'accent vrai et la profonde humanité de ce document exceptionnel n'en font pas la seule valeur. Il est avant tout un acte d'accusation contre ceux qui légalisent les pires atrocités à l'égard des combattants algériens alors même qu'ils n'ont à la bouche que des mots de "paix", "d'Algérie algérienne" et de fraternité"….( Le Camp p, 9)
Benzine fut combattant insurgé que l'entrée au bagne n'a pas pu briser alors, l’administration coloniale l’envoie dans le camp spécial de Boghari, Sadeq Hadjerès dans la deuxième préface du roman "Le Camp" nous explique pourquoi on lui change le camp d'internement:
Contraintes par les luttes de notre peuple de reconnaitre son statut de prisonnier de guerre, les autorités coloniales ne le libèrent pas de Lambèse que pour le livrer à la racaille bestiale des anciens nazis récupérés par la "Légion étrangère" française et gardiens du camp d'internement spécial de Boghari.(Ibid. p,13)
Dans ce camp infernal "sévissaient des résidus nazis que l’armée française
avait recyclés pour leur art de faire souffrir à petit feu les prisonniers pris les armes à la main (PAM) avant de les exécuter froidement"108 disait Bessa. Dans ce camp les officiers français reconnaissaient que Benzine est l'homme cultivé que le sadisme des "kapos" n’avait pas réussi à faire plier.
Zoheir Bessa nous raconte comment Benzine et ses compagnons ont pu échapper à la mort dans ce bagne qui était le lieu de la production de son témoignage "Le camp". Benzine raconte l'abomination de la colonisation française face à la résistance algérienne à travers sa propre histoire et celles de ses compagnons qui ont subi, dans ce lieu minable, les pires conditions et humiliations, dans un climat de terreur permanent. Le pire à découvrir dans ce témoignage c'est le comportement des bourreaux nazis suppliciant les combattants algériens. L'atrocité de la colonisation française s'est renforcée
78 avec ces soldats non français:
" … Est-il d'autres endroits au monde où des nazis peuvent faire crier " Vive Hitler! Vive Eichmann!" Même dans l'armée d'Adenauer, les anciens de la Wehrmacht ne l'osent pas, mais cela leur est permis dans les camps d'Algérie. Les voici, la schlague à la main, montrant volontiers leurs vieux insignes SS et servant avec la même ardeur la " souveraineté française" qu'autre fois le IIIe Reich. …. (Le Camp p, 10)
Alleg continue d'expliquer les stratégies oppressives psychotiques héritées de l'Allemagne et dit :
Les méthodes sont les mêmes aussi. A peine si elles ont eu besoin d'être retouchée par le service psychologique de l'Armée. " Des allemands, nazis, anciens de la Gestapo, anciens occupants de la France, nous apprenaient à nous, les arriérés, les rebelles, à être Français, à aimer la France!", note avec ironie l'auteur. Mais il n'y a pas de nazis allemands, certains Français les égalent ou même les surpassent en cruauté tant il
est vrai que sauvagerie raciste n'a pas de patrie. Les mercenaires sont
là comme des fauves autours d'une même proie" avec rien d'autre à faire que d'inventer des manières originales de faire souffrir"[…] Y a-t-il illustration plus probante que celle que nous apporte ce livre de la liaison intime du colonialisme et du fascisme? Ils sont comme les deux branches d'une même plante vénéneuse dont les noms varient suivant les latitudes. La paix seulement peut mettre un terme à cette croissance monstrueuse, en finir en même temps avec les atrocités coloniales et les
ambitions des fascistes anciens et nouveaux. (Ibid. p, 10)
Benzine a pu parvenir son témoignage en France et le communiste André Wurmser le fit connaître dans "Lettres françaises", c'est grâce à la campagne d’information immédiatement engagée que Benzine et ses compagnons échappèrent à la mort109. Le cessez-le-feu est proclamé le 19 mars 1962. Mais il ne sera libéré qu’en juin, quelques jours seulement avant l’indépendance.
III-4-1-1- L'enfermement dans "Le camp"
Dans "Le camp" le témoignage se fait d'une manière qui suscite l'empathie, tout colonisé ou ex colonisé va se reconnaitre victime (enfermée) du bourreau. Dans cette œuvre il y a plusieurs niveaux d'enfermement et de liberté , il y a d'abord enfermement idéologique qui couvre toute l'œuvre à partir du titre , ça raconte cet enfermement , cette privation du peuple algérien de tous ses droits et surtout celui le plus légitime: la liberté.
109
79 Franz Fanon exprime la stratégie d'enfermement des peuples colonisés et comment le protectorat a fait en sorte que les stratégies de peur de l'inconnu veillent sur l'enfermement et sur le blocage des peuples. Michel Foucault explique se phénomène de sa manière, il montre qu'il suffit de surveiller l'être à tout moment et il ne va plus se sentir libre et c'est une stratégie qui a toujours existé dans l'armé française.
Franz fanon montre aussi comment ceux qui habitaient les villes pendant la guerre de libération étaient terrorisés, ils avaient leurs propres habitations (villages nègres), Fanon décrit les hôpitaux psychiatriques qui n'étaient qu'une forme d'enfermement appliquée sur les intellectuels algériens insurgés et de là on peut comprendre d'où vient ce déclanchement de la guerre du 1er novembre 1954, c'était dans les villages des Aurès , la Kabylie et d'autres car ces régions ne subissaient pas les mêmes stratégies d'enfermement, c'était après le déclanchement de la guerre que la France a compris que la liberté se respire et ça se réclame avant la nourriture avant même la vie.
Michel Foucault montre dans son livre "Surveiller et punir" que surveiller l'être pendant une longue période d'enfermement peut créer chez ce dernier un sentiment d'insécurité qui peut influencer sa vision des choses et il va créer en lui une peur (phobie) qui se manifeste à travers sa réclusion et au lieu de chercher sa liberté, l'être va penser à la manière avec laquelle il va se défendre c'est ainsi la stratégie de la non violence qui a été employée pendant la colonisation .