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7- L'effet de la réduction spatiale sur l'intensité des échanges

Tous les romans mettent en scène des personnages forcés à des degrés différents à être enfermés. Ces œuvres se caractérisent par la fixité et la captivité spatiales mais les intrigues offrent aux personnages une mobilité qui dépasse leur conscience et celle du lecteur qui, parfois, ne sait plus identifier la source de l'énonciation136.

La situation spatiale bascule vers d'autres scènes pour libérer les protagonistes dans des situations impossibles, cela peut se concevoir à travers, la sieste et le rêve d'Isma dans sa chambre dans "Vaste est la prison" qui demeurent le début de sa quête, de sa renaissance aussi. Cette chambre qui renvoie à l'espace clos va s'ouvrir sur d'autres espaces pour libérer la narration. Les personnages de tous les romans s'inspirent et s'influencent de manière directe de leurs espaces. L'écriture d'Assia Djebbar est influencée par le cinéma ce qui nous pousse à étudier l'espace comme étant aspect physique de la salle du cinéma et son effet sur le spectateur.

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III-8- La captivité dans "Le camp", " L'enfant de sable", "Vaste est

la prison" et "Cette aveuglante absence de lumière"

Les romans de notre corpus ont pour objectif principal la dénonciation de la situation politique et sociale du Maghreb. Ce sont des romans de la captivité: les cellules de prison, ces espaces ne fournissent pas seulement à la narration un cadre spatial unique, ils deviennent aussi des métonymies efficaces de l'enfermement généralisé dont le sujet maghrébin est victime… Or il semble bien que l'œuvre où l'auteur trouve le lieu qui assujettit mieux le dialogue, ne laissant guère d'interstice où puisse se glisser la réalité extérieure. De ce fait, la cellule de la prison acquiert une valeur symbolique qui la configure comme un "espace sacré " où les échanges entre individus peu importe leur nature ne sauraient être plus intenses.

Dans "Le camp" les cellules sont devenues des espaces des plus ouverts et cela à travers la volonté de l'auteur et l'espoir des prisonniers :

Petite vengeance! Délicieuse aux prisonniers, chaque fois que le légionnaire de garde leur ordonne de crier "Hourra" en l'honneur de leurs oppresseurs, ils lancent de tout leur souffle un "Thaoura" retentissant, ce qui signifie " Révolution!"- et ici l'on devine l'éclair de la gaieté qui illumine un instant leurs visages décharnés. (Le Camp, p.8)

Isolée, en marge de violence extérieure assimilée à l'espace identitaire, la cellule (identité masculine) sera le lieu de libération d'Ahmed/Zahra dans

"L'enfant de sable".

Dans son délire, Ahmed/Zahra maintient la confusion de son identité hybride et de sa réalité sexuelle, sa relation avec son corps chevauche entre le mépris et l'inacceptation. Le mépris vis-à-vis à son corps de femme emblématique et la condition féminine minable qui l'a poussée au mariage avec sa cousine pour fortifier le simulacre de son statut d'homme mais cela va être une libération à travers la profanisation du corps. Ce statut d'androgyne se conçoit comme liberté provisoire dans la mesure où cette femme n'est ni homme ni femme mais dans "le tiers lieu" entre les deux genres.

105 Dans "Vaste est la prison" l'espace demeure la contrainte d'Isma qui se rend compte qu'elle est fugitive en quête de liberté, elle déclare librement qu'écrire est sa seule manière d'échapper son enfermement:" A l’instant où je prends

conscience de ma condition permanente de fugitive – j’ajouterai même: d’enracinée dans la fuite –, justement parce que j’écris et pour que j’écrive" (VEP,p172). Cette narratrice, comme le personnage de la fugitive "Zoraidé"

de Don Quichotte représente la femme noble et vénérée par son père, qui décide de fuir sa prison dorée mais les conséquences étaient terribles car elle a perdu sa richesse, sa langue et sa religion. Dans "Cette aveuglante absence de

lumière" la captivité prend la forme d'une errance scripturale car les

prisonniers immobiles, figés dans des cellules minuscules semblent coincés dans des espaces vagues de rêve construits mentalement pour voyager :" […]

j’étais en voyage, je faisais le tour du monde sous terre, je parcourais la planète, les mers et les montagnes, courbé, dans une cellule en forme de tombe posée sur des roulettes et poussé par un commandant ivre".(CAAL,p 212)

La captivité de ces prisonniers les pousse à la quête de lumière qui symbolise, dans leur cas, la liberté. La lumière devient leur chemin vers la délivrance tout en transcendant Tazmamart leur bagne comparé à la tombe: "un gouffre fait

pour engloutir lentement le corps" (CAAL,p,33).

Étant donné que tous les personnages du corpus sont assujettis par l'image qu'ils tentent de donner d'eux-mêmes et parce qu'ils pensent que les autres attendent d'eux, il n'est pas étonnant que ce soit une déception. L'enfermement progresse et se métamorphose à travers l'évolution de la société et du contexte, à chaque fois qu'il y ait problème ou des limites infranchissables, les personnes, qui sont en état d'enfermement involontaire, doivent s'adapter à leur situation en changeant d'attitude.

Dans les romans choisis l'intrigue née d'abord du regard-écriture à travers une jouissance de la violence et de la déliaison de la différenciation des figures qui ne cessent de se multiplier et qui sont en train de se reconstruire après leur

106 déconstruction. Les personnages sont immobiles dans des espaces clos comme le cas de Salim (Aziz Benbine) de Tahar Benjelloun et celui aussi de Benzine, ces prisonniers privés de leur liberté et de leur mobilité : ces situations auxquelles répondent une profusion de discours que ce soit dialogue dans le flux de conscient ou d'inconscient. Ce discours proliférant, par ailleurs, peut nous mener à dire que l'immobilité est en quelque sorte un calme qui engendre l'écriture.