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4- Le Moi étrange ou l’étranger en nous (L’altérité à soi-même)

d’expression française

I- 4- Le Moi étrange ou l’étranger en nous (L’altérité à soi-même)

En psychanalyse, le Moi est une instance de la personnalité, justement celle qui se voudrait représenter l'ensemble de la personne comme unie. De manière générale, la représentation du moi s'appelle l'ego.

En psychanalyse, le concept d'altérité est élaboré à travers celui d’identité, Freud a abordé cette dernière dans "L’Inquiétante étrangeté"139 à travers la réaction du sujet face à l'inconnu, l'autre /le différent qui renvoie à l’angoisse de castration, mais qui peut aussi être associée à l’angoisse de mort pour montrer que l’altérité n’est que la projection de notre inconscient. Donc l'altérité ne peut se concevoir qu'à travers la relation de l'individu avec soi-même puis avec les autres en admettant leurs différences et leur besoin d'être reconnus dans leur droit d'être eux-mêmes et différents.

Le moi, selon Lacan, est une instance du registre imaginaire: il est l'aliénation même. Le sujet se voit dans le moi, qui n'est qu'un arrêt sur image de la fonction sujet. Sa formation implique une première triangulation, entre la mère, l'enfant et l'objet du manque, tous trois imaginaires. L'enfant, il est assujetti à sa mère, et s'identifie au phallus imaginaire. L'enfant en viendra à se reconnaître ailleurs, en l'Idéal du Moi, symbolique. Mais le moi demeurera

117 instance d'aliénation, de captation imaginaire. Le moi est redéfini comme une instance qui relève de l'image et du social, pur mirage, mais mirage nécessaire.

I-4-1- Le "Je" aliéné comme Moi étrange dans "l'Enfant de sable ",

"L'interdite" et "Cette aveuglante absence de lumière"

Plus qu’un savoir, la rencontre avec l’Autre serait l’intégration d’un savoir. Cette vision est celle qui nous rappelle que toute interrogation sur l’Autre cache un questionnement sur soi et que l’aventure vers autrui permet de se connaître soi-même comme un Autre. L’inconnu est l’expérience commune qu’on partage avec autrui.

Les études littéraires proposent le phénomène de l'aliénation comme étant la clé de tous les questionnements sur l'identité au 20ème siècle et cela est dû à son aspect transversal, qui l'implique dans de multiples disciplines parmi lesquelles nous citons: la philosophie, psychologie et littérature.

Face au désir d'exprimer sa frustration ou son opposition à l'égard d'une idéologie oppressive ou une société, l'homme moderne ressent le sentiment de l’aliénation. Pour l'écrivain maghrébin, c'est la mise en œuvre d’une confrontation entre soi-même et ce qu’il percevrait comme une attitude globale et concertée que la société lui conteste et exige. Contraintes socioculturelles oppressives, rapports de domination, colonisation. A nos jours il s'agit d'une défense contre la mondialisation. Tous ces problèmes pèsent sur l'individu et le pousse à l’aliénation qui se conçoit comme étant un sentiment d'abandon, d'isolement, d'enfermement, d'abyme qui le distancie des autres et même de soi-même. L'aliénation ne se conçoit pas du côté de l'individu aliéné, ni de celui de l'impact social qui l'opprime mais se définit comme les limites qui séparent l'individu et la société.

Elle est le fait de prendre conscience d’une certaine interruption langagière avec autrui, ce qui fait l'individu est seul, c'est le degré zéro de présence de

118 l'autre où les discussions se font avec soi-même. Pour franchir ces limites aliénables, il faut d'abord faire un travail sur soi pour pouvoir changer la société. Pour dénoncer son aliénation il doit se rebeller en se déplaçant en dehors de la logique. Et c'est le cas des protagonistes des romans du corpus qui cherchent à se libérer en transgressant toute logique. Ces derniers, tout en s'affirmant en utilisant le "je", vivent douloureusement leur aliénation/enfermement et l'utilisent comme étant un déclic pour accomplir leur projet scriptural et moral.

Nous avons remarqué que le moi étrange surgit dans des moments distincts à travers la narration des romans.

Dans "L’Enfant de sable" Ahmed-Zahra négocie le simulacre de son existence avec son image reflétée par le miroir, et qui témoignait de l'aliénation de ce corps contraint d'habiter une identité autre, son "je" est aussi aliéné, par contre, dans "Cette Aveuglante Absence de lumière" Aziz a opté pour l'oubli en introduisant un autre moi pour fuir à la douleur des souvenirs , le moi étrange est donc construit à travers l'effacement/oubli ou la déconstruction de tout souvenir relatant la vie antérieure pour pouvoir assurer une nouvelle vie adaptée aux conditions de l'incarcération.

Les protagonistes des romans choisis ne cessent de s'interroger sur la vérité polémique de leur existence étrange, et qui est vécue dans l'aliénation. Seuls, ces derniers soliloquent avec l'autre en eux.

Dans "L'Enfant de sable" Ahmed/Zahra ne cesse de s’interroger sur son existence perplexe : "Qui suis-je ? Et qui est l’autre ? Une bourrasque du

matin ? Un paysage immobile ? Une feuille tremblante ? Une fumée blanche au-dessus d’une montagne ? Une giclée d’eau pure ? Un marécage visité par les hommes désespérés ? (ES, p.55). Ahmed/Zahra sait parfaitement que son

identité est comme une image faite sur commande pour compléter le portrait de son père qui devait avoir un héritier. Il doit être cette" chemise recouvrant

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un homme mort ?"(Ibid.) métaphore de l'héritage après la mort du père, mais il

est conscient de sa réalité féminine qui se résume dans ce qui suit:" Un peu

de sang sur des lèvres entrouvertes ? Un masque mal posé ?" (Ibid.) pour

rappeler l'avènement du sang comme un signe de la puberté puis expliquer que le masque identitaire est mal posé car elle ne cesse de le bouger en se posant toutes ces questions. En répondant à la première question Ahmed/zahra en disant: Moi-même je ne suis pas ce que je suis ; l’une et l’autre peut-être !

(ES, p.59) complique davantage son rapport avec soi, et son "je" devient

parfaitement aliéné schizophrène en comptant deux moi qui sembles étrangers à elle.

En effet, la question sur son identité était au centre du roman car tous les événements tournent autour de la réponse impossible. Son image trouble avait poussé une vieille femme a lui posé la question "Qui es-tu ?"(Ibid., p. 108) la réponse d'Ahmed /Zahra est venue pour confirmer son incapacité de répondre étant donné que la réponse lui échappe: "J’aurais pu répondre à toutes les

questions, avoue Ahmed, inventer, imaginer mille réponses, mais c’était là la seule, l’unique question qui me bouleversait et me rendait littéralement muette".(ES, p.108)

La cruauté du tourment peut se voir à travers cette dialectique des contraires de laquelle use le narrateur pour apaiser sa douleur mais cela aggrave la situation de sa réalité double:

"Ô mon Dieu, s’exclame Ahmed, que cette vérité me pèse ! Dure exigence ! dure la rigueur ! Je suis l’architecte et la demeure ; l’arbre et la sève ; moi et un autre ; moi et une autre. Aucun détail ne devrait venir, ni de l’extérieur ni du fond de la fosse, perturber cette rigueur. Pas même le sang. Et le sang un matin a taché mes draps. Empreintes d’un état de fait de mon corps enroulé dans un linge blanc, pour ébranler la petite certitude, ou pour démentir l’architecture de l’apparence" . (ES, p.43)