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Efficacité économique de la certification Agriculture Biologique

Dans le document Biodiversité et stratégie des organisations (Page 170-177)

CHAPITRE 2 - GERER LES SYSTEMES SOCIO-ECOLOGIQUES PAR LA MISE EN ŒUVRE D’APPROCHES

4.5 Efficacité économique de la certification Agriculture Biologique

Les recherches qui se sont intéressées aux performances économiques des exploitations agricoles biologiques sont nombreuses, ce thème étant traité dans la littérature depuis près de trente ans, avec une multiplication importante des publications à partir du début des années 1990, comme l’indique la bibliographie de la publication d’Offerman et Niemerg (2000). Pour répondre à nos questionnements, nous pouvons donc nous appuyer sur cet important corpus, et en particulier sur les revues de littérature consacrées à ce sujet, relativement nombreuses et exhaustives. Celles réalisées récemment par Greer et al. (2008), Nemes (2009) et Latruffe et al. (2013) permettent de capter une part importante de la bibliographie, s’avèrent complémentaires dans leurs analyses, et se rejoignent sur certaines conclusions. Aussi, nous nous baserons essentiellement sur leurs résultats pour construire notre jugement. Ces trois publications partagent le même objectif, conforme à celui des études dont elles se proposent de faire la synthèse : comparer la performance économique des exploitations agricoles certifiées biologiques à celle des exploitations conventionnelles. Un objectif plus général, qui coïncide avec notre problématique, ressort cependant du travail de comparaison de Greer et al. (2008) : celui de déterminer simplement si les fermes en AB sont viables économiquement. Les articles analysés au sein des trois revues précitées étudient la performance économique des entreprises agricoles à l’aune de leur rentabilité, représentée shématiquement par la différence entre les recettes (produit des quantités récoltées par leur prix de vente) et les ressources utilisées pour générer ces recettes. Plusieurs facteurs interviennent par ailleurs dans l’apparition des profits, notamment l’existence d’aides publiques à la production agricole, et l’importance des coûts de production. Les revues que nous avons sélectionnées étudient indépendamment différents éléments constitutifs de la profitabilité et aboutissent pour chacun à des conclusions similaires. Les rendements de l’AB s’avèrent inférieurs à ceux des exploitations conventionnelles, en raison, pour partie, de la présence non maîtrisée d’espèces

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végétales indésirables (Greer et al., 2008). Les prix des denrées biologiques sont en revanche généralement supérieurs à ceux des produits issus de l’AC. Cela s’explique notamment par des consentements à payer supérieurs de la part des consommateurs et par des modalités de ventes plus profitables aux exploitants (Latruffe et al., 2013), si bien que dans certains cas ces primes représentent des parts importantes du profit des entreprises (Greer et al., 2008). L’AB bénéficie aussi souvent de coûts de production plus faibles que ceux rencontrés en AC, en raison principalement de ses moindres consommations d’intrants, et malgré des coûts de main d’œuvre supérieurs dans de nombreuses exploitations, et la forte mécanisation de certaines cultures spécifiques (Nemes, 2009). Enfin, s’agissant des subventions, la situation est loin d’être univoque. Selon Nemes (2009), les Etats-Unis apportent un soutien massif aux pratiques agricoles conventionnelles, alors que Latruffe et al. (2013) pointent en Europe, en parallèle des subventions accordées à l’AC, un soutien de plus en plus important de l’AB via les aides émanant de Politique agricole commune (PAC).

Ainsi, la question centrale des nombreux articles passés en revue est celle du niveau de chacun de ces facteurs dans les exploitations biologiques, c’est-à-dire de leur poids relatif dans la formation du profit, et de la potentielle compensation de ceux qui désavantagent les organisations (rendements plus faibles) par ceux qui les favorisent (réductions des charges, prix de vente supérieurs, etc.). Malgré leur unanimité à l’égard de ces différents éléments constitutifs de la rentabilité, considérés de manière isolée, les trois articles diffèrent dans l’interprétation des résultats globaux constatés dans la littérature. Greer et al. (2008) et Latruffe et al. (2013) considèrent que les études qui en sont à l’origine sont trop dissemblables dans leur méthodologie et que leurs résultats sont trop hétérogènes pour en dégager des conclusions claires, alors que Nemes (2009), tout en admettant les points précitées, estime qu’ils révèlent dans la majorité des cas une meilleure profitabilité de l’AB par rapport à l’AC, dans les pays développés comme dans les pays en développement.

En dehors de ces considérations générales par rapport à la performance comparée des exploitations, qui nous fournissent ici des éléments de réponse, les trois revues analysées apportent des enseignements complémentaires qu’il est intéressant de mentionner. Greer et al. (2008) insistent sur le fait qu’une composante essentielle de la profitabilité des exploitants en AB se trouve être leur bonne connaissance des principes de la culture biologique et leur mise en pratique – autrement dit la bonne compréhension du fonctionnement des agroécosystèmes et des interactions qui s’y déroulent – et leur capacité à s’appuyer sur ces mécanismes pour établir des pratiques culturales optimales et réduire leurs coûts de fonctionnement. Pour Nemes (2009), l’AB fait face, dans de nombreux contextes, à une concurrence déloyale sur le

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marché, en raison à la fois des subventions versées aux exploitations conventionnelles, des aides techniques dont elles peuvent bénéficier (recherche et vulgarisation de la part des instituts de recherche), et surtout de la non prise en compte des coûts réels des produits issus de l’AC (externalités environnementales) dans les prix de marché (ou à la non intégration des « externalités positives » dans les prix des produits biologiques). Par ailleurs, l’auteure alerte sur la propension de la filière biologique à dépendre en grande partie des prix plus élevés, qui peut s’avérer dangereuse pour leur viabilité économique en cas de saturation prévisible du marché, entraînant une plus forte concurrence et une baisse des prix. Elle suggère, pour y remédier, de développer des stratégies de diversification des cultures, où des primes inférieures pourraient être attribuées à chacune. On peut également mentionner ici sa suggestion, en rapport avec les remarques qui précèdent, d’apporter des rémunérations complémentaires aux agriculteurs biologiques pour les autres SE qu’ils favorisent.

A l’issue de notre étude de la bibliographie, il apparaît délicat de se prononcer concernant la viabilité économique des entreprises certifiées AB. Si leur performance par rapport aux exploitations conventionnelles est équivoque, il apparaît néanmoins, comme le souligne Greer et al. (2008), que ce mode de production « peut représenter une alternative financièrement viable aux pratiques agricoles conventionnelles, dans certaines circonstances et certains secteurs agricoles »19 (p. 21).

19 Notre traduction de : “[…] organic farming can be a financially viable alternative to conventional farming practices in a range of circumstances and farming sectors”.

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Conclusion

Les approches volontaires (AV) représentent une catégorie hétérogène d’instruments de régulation environnementale qui ont en commun le caractère intentionnel de leur mise en œuvre au sein des organisations, la poursuite d’objectifs environnementaux supposés plus élevés que ceux des réglementations, et une prétendue meilleure efficacité économique pour les agents concernés.

Leur apparition peut être la résultante de différents facteurs d’émergence, notamment la volonté des organisations non lucratives d’aller au-delà d’exigences réglementaires jugées trop laxistes, celle des entreprises et des économistes souhaitant améliorer le rapport coût-efficacité des régulations, et la perception récente des interdépendances qui lient les organisations et les écosystèmes. Leur objectif commun peut donc être résumé comme la recherche d’une réconciliation entre profitabilité et préservation de l’environnement.

Leur mode de fonctionnement générique, bien qu’il puisse varier largement dans ses modalités particulières d’une AV à l’autre, consiste à compenser les coûts subis par l’organisation qui les met en œuvre pour réduire ses externalités environnementales, via des avantages directs ou indirects procurés par différentes parties prenantes externes.

Pour tester l’hypothèse selon laquelle ces instruments peuvent conduire au respect de nos contraintes de viabilité des SSE, nous avons réalisé une sélection des AV sur la base de critères de gestion environnementale effective (AV proposant d’influer sur les structures écosystémiques) et de représentativité (AV déployées à large échelle), et en évitant les redondances. Cette approche nous a conduit à nous concentrer sur quatre AV : la norme ISO 14001, les paiements pour services écosystémiques (PSE), la certification Forest Stewardship Council (FSC), et la norme d’Agriculture Biologique (AB).

La première étape de notre analyse s’est focalisée sur l’efficacité écologique des AV, et a consisté à évaluer leur capacité, en les considérant dans leur globalité, à prendre en considération l’ensemble des interactions identifiables entre les organisations et les écosystèmes (dépendances à l’égard des SE, et incidences sur les structures et processus écologiques). Notre étude des AV et de la littérature scientifique portant sur la théorie des parties prenantes nous a conduits à estimer que les AV ne proposent de gérer que certains aspects de ces interactions, précisément ceux pour lesquels il existe des intérêts utilitaristes pour les organisations qui les mettent en œuvre : les situations de dépendance des organisations à l’égard des SE d’une part (intérêt à assurer la pérennité du SE), et de l’autre les situations d’incidences sur les écosystèmes pour lesquels des revendications jugées

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légitimes sont exprimées (intérêt à accéder aux demandes des parties prenantes pour récolter des bénéfices ou éviter des désavantages). Les organisations n’ont, en revanche, pas d’intérêt utilitariste à réguler leurs influences écologiques négatives sur des milieux qui ne sont revendiqués par aucun acteur jugé légitime, ce qui les conduit, dans ces contextes, à gérer leurs dommages au moindre coût (donc souvent à ne pas les gérer) et à écarter toute mise en œuvre d’AV.

Dans la seconde étape de notre analyse, nous avons cherché à la fois à évaluer la performance environnementale des AV lors de leur mise en œuvre, afin de déterminer si elle est compatible avec nos contraintes écologiques de viabilité, et à apprécier l’efficacité économique de ces instruments, c’est-à-dire leur capacité a minima à couvrir les frais ou les désavantages économiques qu’ils sont susceptibles d’occasionner.

Nous considérons, à l’issue de notre revue de la bibliographie, que les AV ne poursuivent généralement pas des objectifs permettant d’assurer la viabilité des écosystèmes. Deux des quatre outils étudiés (ISO 14001 et AB) ne recherchent notamment qu’une amélioration imprécise des conditions environnementales, avec toutefois une différence importante entre les deux : la norme de SME laisse à l’organisation le choix des paramètres environnementaux à améliorer alors que la certification AB précise les domaines visés (eau, sols, biodiversité, etc.) et même, pour certains, les niveaux à atteindre, conduisant à des probabilités plus fortes d’influer positivement sur le fonctionnement des écosystèmes. Les deux autres AV présentent des objectifs environnementaux plus précis. Les PSE visent la provision d’un SE particulier, où la dimension systémique des problématiques environnementales n’apparaît pas, alors que la norme FSC recherche la résilience des écosystèmes forestiers, en cohérence avec nos contraintes de viabilité.

Les exigences spécifiques de ces AV, les référentiels de gestion lorsqu’ils existent, s’avèrent globalement à l’image des objectifs qu’elles poursuivent. Plus ces objectifs sont exigeants du point de vue écologique, plus les spécifications de gestion sont rigoureuses et organisées : de quelques critères relatifs à l’organisation d’un système de gestion pour l’ISO 14001, à la spécification de plusieurs dizaines d’indicateurs de gestion sylvicole pour les standards FSC, comprenant pour certains des seuils normatifs et étant parfois associés à des indicateurs de surveillance de l’état des écosystèmes, permettant de suivre les effets écologiques des actions de gestion et de les moduler en conséquence dans une logique de gestion adaptative.

Les AV parviennent souvent, en revanche, à atteindre les objectifs qu’elles poursuivent. C’est en particulier le cas des AV dont les objectifs sont écologiquement imprécis. Ainsi, dans la

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plupart des cas, les SME ISO 14001 induisent une amélioration, bien que parfois très faible, de certains paramètres environnementaux. L’AB aussi permet, en général, une évolution favorable des aspects visés par le référentiel (qualité de l’eau, des sols, biodiversité, etc.). La performance de ces deux AV est classiquement mesurée en comparant les niveaux des différents facteurs écologiques observés consécutivement à leur mise en œuvre, à ceux obtenus sans son déploiement. Cette efficacité est toutefois plus contrastée s’agissant des AV poursuivant des objectifs quantitatifs ou qualitatifs formels. Les PSE génèrent, d’après la littérature, davantage de résultats négatifs, c’est-à-dire qu’ils ne parviennent généralement pas à sécuriser la provision du SE recherché. Concernant la certification FSC, l’appréciation de sa performance comparée à celle de forêts non certifiées produit des résultats divergents, et il n’a pas été possible d’évaluer sa capacité à garantir la résilience des écosystèmes forestiers en raison de l’absence d’études empiriques dédiées.

Concernant l’efficacité économique des AV, nous constatons que les objectifs de viabilité économique sont globalement atteints. Les organisations qui mettent en œuvre les quatre instruments étudiés parviennent en effet, dans la plupart des cas, à compenser, voire à surpasser leurs coûts de mise en place, via des bénéfices plus ou moins directs et des contreparties plus ou moins garanties.

Les paiements directs (dans le cas des PSE) apportent une certaine assurance aux gestionnaires, mais se limitent souvent à de faibles sommes, d’où la nécessité d’identifier les gestionnaires les moins exigeants, parfois au détriment de l’efficacité environnementale. Lorsque ces rémunérations directes représentent des montants conséquents, elles ne sont envisageables que si le SE retiré par le bénéficiaire génère pour lui de forts bénéfices financiers. Ces rémunérations sont, par ailleurs, souvent coûteuses pour les bénéficiaires de SE, dont la viabilité peut être menacée.

Les rémunérations non monétaires, quant à elles, semblent remplir leur mission dans la majorité des cas (elles concernent la norme ISO 14001, et en partie la certification FSC). Elles sont toutefois moins sécurisantes et peuvent limiter la portée de l’instrument : si l’AV venait à se généraliser parmi les organisations, certains de ces avantages se réduiraient inévitablement. Enfin, les primes (prix plus élevés, qui concernent l’AB et parfois la certification FSC) paraissent particulièrement efficaces financièrement, dans la mesure où elles sont capables de compenser même les forts coûts ou désavantages dus à la mise en place de l’AV. Elles peuvent cependant se révéler dangereuses en raison de la forte dépendance qu’elles occasionnent à l’égard d’une unique source de compensation – tout comme c’est le cas pour

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les rémunérations directes. Aucun contrat ne garantit cependant la pérennité des primes : les prix plus élevés accordés par ces AV sont instables, conjoncturels, et peuvent disparaître soudainement, notamment en cas de saturation du marché.

Finalement, les AV tiennent-elles leur promesse de réconciliation entre la profitabilité des organisations et la préservation de l’environnement ?

Si l’on s’en tient à leurs objectifs environnementaux particuliers et à la lumière de nos analyses portant sur quatre d’entre elles, la réponse s’avère plutôt positive, mais cette considération est à nuancer. Ce sont en particulier les AV les moins ambitieuses du point de vue environnemental (celles qui se contentent d’une amélioration écologique imprécise et potentiellement marginale) qui permettent d’atteindre leurs cibles écologiques tout en conservant la rentabilité des organisations.

Si en revanche on considère la préservation de l’environnement au sens de la viabilité des écosystèmes, la réponse s’avère plutôt négative, aucune AV ne permettant de se conformer rigoureusement et de manière conjointe aux contraintes écologiques et économiques définies dans notre cadre de viabilité. Le cas de la certification FSC est toutefois remarquable, car malgré certains manquements dans la définition des cibles de gestion et des résultats écologiques à consolider empiriquement, elle présente le référentiel le plus aboutit du point de vue scientifique et le plus ambitieux programme de gestion, tout en présentant des résultats économiques convaincants.

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